En 1908, paraissait un ouvrage dans la bibliothèque de critique religieuse aux éditions Émile Nourry, un petit ouvrage intitulé « Les fiches pontificales de Monseigneur Montagnini. Dépêches, réponses et notes historiques » L'auteur désigné était Mgr Carlo Montagnini di Mirabella.

    Ce n'était bien sûr pas lui qui avait fait réaliser l'opuscule. L'auteur du ci-dessous avant propos ne s'est pas présenté.

AVANT-PROPOS


"Tous les délateurs ne sont pas. au Grand-Orient "
L'Abbé Hemmer,
Réflexions sur la situation de l'Église de France au début du XX° siècle (
 La Quinzaine, 1er juin 1905 p. 311.)


    Le 3o juillet 1904, M. Delcassé,. ministre des Affaires étrangères-, déclarait par lettre au nonce du Pape en France Mgr Lorenzelli, que le chargé d'affaire de France près du Vatican avait ce jour même signifié au cardinal Secrétaire d'Etat que le gouvernement de la République avait décidé de mettre fin à des relations officielles qui, par la volonté du Saint-Siège, se trouvaient être sans objet. Il disait en outre que le gouvernement de la République considérait comme terminée la mission du Nonce. Définitivement congédié, M Benetto Lorenzelli dût immédiatement quitter Paris en même temps que le Chargé d'affaires de de France, M. Robert de Courcel, s'éloignait de Rome et rentrait au quai d'Orsay. Transmise dans la forme, cette rupture effective était la dénonciation officielle du Concordat et l'annonce de la Séparation prochaine et inévitable.


    Pour conjurer les effets du coup terrible qui venait de lui être porté, la diplomatie pontificale usa de stratagème. Le dernier des nonces apostoliques en France, dernier sous tous les rapports, au point de vue moral comme dans l'ordre chronologique, était à peine arrivé à Rome que M. Merry del Val, Secrétaire d'Etat du pape Pie X, télégraphiait le 3 août 1904 à M. Montagnini, monsignor italien qui avait servi d'auditeur à l'ex-­nonce, son maintien à Paris " soit pour la garde des archives de la Nonciature, soit pour tout ce dont aura besoin le Saint-Siège" . Il l'informait par la même dépêche qu'il recevrait une allocation personnelle de mille francs par mois à prélever sur la caisse du denier de Saint-Pierre. Le Secrétaire d'Etat contrevenait intentionnellement aux règles du droit international qui établissent qu' en cas de rupture les archives diplomatiques sont confiées à une puissance étrangère reconnue, autorisée et responsable ; il pensait abriter sous des pièces marquées par l'exterritorialité  l'individu désigné pour toutes ses besognes, et faire descendre sur un particulier, beaucoup plus gardé que gardien, le privilège de l'immunité.


    Mais l'acte de M. Merry del Val, s'il était ainsi dépourvu de finesse, ne manquait pas d'être singulièrement audacieux, Il conférait en effet, dans une période pleine de dangers pour la cour romaine, à un étranger en France une investiture générale "pour tout ce dont aura besoin le Saint-Siège", dont, autrefois et à toutes les époques, les nonces eux-mêmes, ambassadeurs accrédités, n'avaient jamais joui. En rappelant a M. Lorenzelli qu'il n'avait pas à traiter directement avec des citoyens français, M. Combes tenait le langage de Casimir Périer, au nonce Ferrata et d'Émile Ollivier lui-­même au nonce prince Flavio Chigi. Des canonistes , romains et non des moins fanatiques partageaient la doctrine concordataire française et enseignaient ­qu'elle était même la doctrine du Vatican. M. Battandier ne cacha pas son sentiment; il déclara nettement "qu'en vertu de conventions tontes spéciales, le nonce pontifical représente bien le Pape auprès du gouvernement, mais non le Pape auprès des fidèles... Le nonce, en France, ne répond pas au concept complet que nous en donne Pie VI, et est une exception à la règle générale. " (Annuaire pontifical pour 1899, p. 473). M. Merry del Val, ce grand ministre, avait jugé que le moment était venu pour révéler à la France ce que c'est qu'un nonce, pour mettre dans tout son jour et l'épanouissement entier de sa splendeur le concept complet d'un diplomate suivant la formule de Pie VI !... Et nous avons alors vu M. Montagnini agent électoral, marchand de décorations pontificales, surveillant des évêques et des curés, draineur de l'argent français, espion et délateur, nonce in partibus complet!


    Qu'était M. Montagnini, au moment de la délégation générale que lui octroyait M. Merry del Val avec une impudence si extraordinaire? M. Carlo Montagnini avait alors 41 ans, étant né le 2 juin 1863 aux environs de Casal-Monferrato, à Trino (Piémont) où son père était boulanger. Peu après avoir été fait prêtre, il entra à  l' école de diplomatie ro­maine appelée Académie des nobles où il passa deux années, de 1887 à 1889; de cette école il emporta deux résolutions, celle de tenir chaque jour un journal personnel, un carnet secret contenant les conversations surtout confidentielles entendues dans son milieu (en cela il suivait les leçons de son professeur Giobbio), celle aussi d'en imposer au vulgaire par l'étalage de titres nobiliaires et l'emprunt de couronnes; l'humble garçon de Trino, fait camérier secret (25 février 1889), était devenu Montagnini di Mirabello ou di Mirabella, et il fallut l'énergique protestation du vrai Montagnini di Mirabello, fils de comte, originaire de Turin, pour faire tomber Mirabello et Mirabella de l'arbre sur lequel ils étaient habilement greffés. Montagnini, jusqu'à sa chute retentissante, fut employé dans les nonciatures comme secrétaire d'abord, à Munich, (1892), à Vienne(de 1893 à 1898), à Paris (de 1898 à 1902), comme auditeur ensuite, à Munich (octobre 1902), enfin à Paris (octobre 1903). M. Lorenzelli était fier de son élève. Celui-ci de son côté fit tout pour lui ressembler.


    Des publicistes aux gages du Secrétaire d'Etat de Pie X, afin d'expliquer à de nombreux catholiques français le séjour prolongé de M. Montagnini sur le territoire français et son intervention plus que singulière dans des affaires multiples et variées, séjour et intervention qu'ils n'admettaient pas, s'ingénièrent à chercher des précédents historiques ; ils crurent en trouver un dans la mission de M. de Salamon qui fut en effet, après le départ du nonce près de Louis XVI, Mgr Dugnani, internonce durant onze années, de 1790 à 1801. Ces écrivains qui croient à l'influence des grands mots sur le public et les ressassent dans un but facile à comprendre, ont plaisir à évoquer la persécution et à établir des rapprochements entre la Terreur de 1 793 et l'évolution religieuse présente. Tout parallèle de ce genre est impossible. La République actuelle n'entrave aucun culte, elle laisse les évêques sur leurs sièges et ne contrarie pas les rapports corrects des catholiques avec leur chef. La Séparation a donné à Rome une liberté que le concordat lui-même n'assurait pas. Comme les temps et les choses, les hommes sont dissemblables, M. de Salamon était Français, M. Montagnini est italien; entre l'un et l'autre on trouve la différence qui existe entre un homme franc et un espion.


    Agent politique et valet de toutes les réactions, M. Montagnini travaillait vigoureusement à mettre en échec aux élections législatives de 1906 les candidats républicains pour amener à la Chambre une majorité ultramontaine; la loi de séparation votée, il s'employait à détourner les catholiques français de l'obéissance aux lois, à favoriser les politiciens violents dans les luttes des inventaires et à discréditer les évêques qui, en majorité, voulaient former des cultuelles. Ce chef d'état-major se croyait à l'abri des coups qu'il faisait donner aux autres, lorsque le gouvernement de la République, ayant la preuve de sa complicité avec plusieurs curés rebelles à la loi, dont l'un surtout, M. Jouin, curé de Saint-Augustin à Paris, était signalé, décida des perquisitions à l'hôtel de l'ancienne Nonciature, 10, rue de l'EIysée, L'opération judiciaire eut lieu le mardi 11 décembre 1906, de dix heures du matin à quatre heures du soir: elle fut faite par M. Ducasse,juge d'instruction, en présence de MM. Grandjean, substitut et Hennion, alors commissaire principal de la Sûreté générale, aujourd'hui Directeur, et de trois agents de la Sûreté. Aucune perquisition ne fut faite dans les appartements qu'avait occupés aux 1er et 2e étages M. Lorenzelli; on se borna à apposer les scellés sur le coffre-fort de l'ex-nonce ; l'opération faite au 3° dans les appartements de M. Montagnini donnèrent des résultats. La saisie qui ne porta que sur les documents postérieurs à la rupture, c'est-à-dire au 1er août 1904, fut repartie en 33 scellés. Deux pièces, postérieures à la rupture, ayant été jugées diplomatiques furent extraites de ce dossier et remises le 27 février 1 907 à l'ambassade d'Autriche-Hongrie avec les archives officielles antérieures au 30 juillet 1904. Au soir de cette journée de nécessaire perquisition, un arrêté d'expulsion fut rendu contre M. Montagnini qui prit immédiatement le chemin de la frontière et put, dès jeudi matin 13 décembre, raconter l'aventure au Secrétaire d'Etat.


    Le dossier saisi comprenait le protocole général des actes de la nonciature, deux clefs de chiffres, les pièces postérieures au départ de M. Lorenzelli, les livres d'administration et du denier de Saint Pierre, le carnet ou agenda de M. Montagnini, plus de 1.300 cartes empilées dans des boites à cigares, en tout 3.032 pièces.


    La prise de bonne guerre était riche, et l'on comprend mieux les plaintes à ce sujet du Pape aux puissances en relations diplomatiques avec lui, que l'imprudence de l'agent romain à ne pas assurer ses munitions de combat. L'instruction judiciaire retint environ 1600 pièces sur lesquelles 1502 furent traduites de l'italien ; les traducteurs, au nombre de neuf mirent deux mois environ à accomplir leur travail ; trois copies des traductions furent faites par des dactylographes de la Sûreté. l'une fut remise su juge d'instruction; les deux autres furent données au procureur général ; la copie du juge d'instruction été communiquée avec le dossier complet à la commission d'enquête nommée par la Chambre pour examiner la portée politique des documents saisis. ( Le jeudi 21 mars 1907 fut formée cette commission de 22membres; M. Pelletan fut nommé président; l'abbé Lemire l'un des 4 vice-président, M. Bourély rapporteur.). On releva dans les traductions quelques erreurs très peu, ce qui est surprenant pour un travail de ces genre et accompli par des traducteurs laïques. Les incidents qui se produisirent relativement au classement et à la traduction n'eurent pas d'importance, Le vendredi 31 mai 1907 la commission donna à la presse ce communiqué: "Aucun doute ne s'est jamais élevé dans l'esprit d'aucun des membres de la Commission sur l'authenticité d'aucune des pièces du dossier dont tous les originaux sont entre ses mains, " Me Danet, avocat de M. l'abbé Jouin, eut communication du dossier judiciaire qu'il fit traduire par cinq secrétaires.


    Ce fut durant plusieurs semaines une idée bien répandue et une conviction fortement accentuée dans tous les milieux réactionnaires que la publication des papiers saisis ne serait jamais faite, et l'on donnait de cette omission, qui contrariait visiblement tous les opposants, des motifs variés et même contradictoires. Les uns disaient: "le gouvernement est déçu; il n'a rien trouvé." D'autres jouant le grand rôle des informés avançaient ceci: "Le ministère est embarrassé par certaines pièces; il à peur." On menaçait le gouvernement d'une publication par Rome même de tous les documents emportés et classés afin de le faire sortir de son silence, Chaque matin la presse réactionnaire renouvelait avec arrogance son défi. Les évêques traitaient de ce grave sujet dans des mandements adressés à leurs ouailles. L'évêque de la Rochelle, M. Eyssautier, ne trouva rien de mieux pour édifier ses diocésains que de leur parler de Rome, de Pie X, de Merry del Val et surtout de Montagnini, dans sa lettre pastorale pour le carême de 1907. Plein d'une sublime éloquence il s'écriait: « Et n'était-on pas sur le point de publier des documents décisifs saisis chez Mgr Montagnini? Rien n'a été publié parce que tout était invention. » (Rome, 8 mars 1907, p. 22.) Tout doux, Monseigneur, tout doux! Un peu de patience, vous allez bientôt juger de l'invention; sans ressembler aux Essais de Montaigne, ceux de votre Montagnini ne sont point mets de carême, ils tomberont sur votre table pour Pâques!...


    Ce fut en effet le dimanche 31 mars 1907, jour de Pâques, que le Figaro commença la publication que les amis de Montagnini trouvaient si tardive, avec l'analyse complète des dossiers. Toute la presse de Paris s'en mêla immédiatement et pendant quinze jours -la nouvelle quinzaine pascale ­ chaque matin l'Autorité, la Petite République, le Matin, Messidor, l'Humanité, le Radical, le Journal, apportèrent leur lot de documents. Au milieu de cette avalanche de papiers, couverts de révélations qui étaient pour eux une mauvaise fortune, quelques catholiques essayèrent de faire bon cœur, subissant, soit en silence soit avec un timide démenti adressé au journal révélateur, l'humiliation que la main d'un traître leur avait préparée. Le vrai mot sur cette littérature pontificale, au dire du Petit Parisien, a été prononcé par un catholique: cette œuvre est d'un polisson! Lorenzelli, dit le « misérable» dans une lettre de M. de Narfon aujourd'hui rendue publique, a peu à envier sous ce rapport à son digne successeur.


    L'œuvre de M. Montagnini, gardien des archives du Saint-Siège, chargé d'affaires religieuses en France est un monceau d'iniquités.


    Ce camérier secret opérait à la manière des bandits siciliens; il frappait dans l'ombre ses victimes. Nul ne pouvait espérer échapper à ses coups; sa langue vipérine s'attaquait aussi bien au cardinal qu'au plus modeste des curés et tels ecclésiastiques, les Duval. les Robert, Vicaires généraux d'Avignon et de la Basse-Terre, désignés par lui aux vengeances du Saint-Office, ne se relèveront jamais de ses venimeuses attaques. De cette main qui a pris le pain offert par l'amitié, il abîme l'abbé Lemire au sortir de table. L'intérieur privé de la famille ne l'arrête pas et il ne ménage ni les médisances ni les calomnies sur le compte de M. Lefas, député pourtant catholique, et de sa famille. De l'hôtel de la Nonciature il fait un rendez-vous d'espionnage et cote la bonté des hommes au poids et au nombre de leurs malices. Durant plus de deux années l'argent des dévotes, l'obole des catholiques au denier de Saint Pierre ont entretenu ce faiseur de fiches. La maçonnerie et le temple n'ont jamais connu pareil vénérable, et le sympathique abbé Hemmer, professeur à l'Institut catholique de Paris, a exprimé une grosse vérité en écrivant que tous les délateurs ne sont pas pas au Grand-Orient. Celui que M. Fava, - mort évêque de Grenoble, appelait le Grand-Occident, le pape, aura eu son Bidegain. .


    Dans cette œuvre de potins, de mensonges et de perfidies, la responsabilité monte assurément de l'ouvrier au maître qui dirigeait, ordonnait et récompensait par une haute prélature ( Dépêche du 21 mai 1906.) les travaux que nous connaissons. C'est M. Merry del Val qui écrivait à son agent à Paris: "Tâchez d'écouter beaucoup, de me rendre compte de tout et de parler peu " (C. 1388.). C'est M. Merry de Val, qui, pour n'être pas privé de ses misérables rapports, infligeait à Montagnini la privation de voir d'abord son père mourant, ensuite sa mère ( Lettres d'octobre 1905 et du 23 octobre 1906 ; le Matin Jeudi 4 avril 1907)..

. La justice demande que dans une certaine mesure l'ouvrier en service commandé - mais quel service! - soit déchargé d'autant.


    Dans l'intérêt du bien public il était important de fixer dans un livre spécial des papiers qui ont droit à une publication autre que celle des feuilles volantes du journal. Ces petits papiers nous en disent beaucoup sur l'hypocrisie, la malignité et la perfidie de certaines gens: en nous les faisant connaître ils nous avertissent de nous mettre vis-à-vis. d'eux sur nos gardes. L'histoire elle-même qui ne méprise parles petits et les mystérieux côtés peut profiter de ces documents ; c'est dans ce but qu'aux notes Montagnini on a ajouté des renseignements non dépourvus d'intérêt.


    Les papiers Montagnini sont loin d'être ici au complet; on ne trouvera que ceux qui offrent la marque de l'espionnage, de la délation, de la médisance ou de la calomnie, les papiers-fiches. Le texte a été généralement emprunté, ainsi que les démentis provoqués, au journal qui le premier a publié. En groupant toutes les fiches d'abord par catégories de personnes soit ecclésiastiques soit laïques, puis pour chaque personne d'après l'ordre chronologique, nous avons pensé rendre la connaissance des choses plus facile. Puissions-nous avoir réussi


        L'ouvrage se présente de cette façon :

    première partie : personnel ecclésiastique : 1 – Les archevêques ; 2 – Les évêques

    deuxième partie : personnel laïque : 1 – homme d'état et de gouvernement ; 2 – catholiques divers


        La source des fiches est ce qui paru dans les journaux et ce qui a été dit au procès de l'abbé Jouin. La sélection a été faite en fonction des critères de la ci-dessus table des matières. En ce qui concerne ce site internet, ce qui s'est dit au procès Jouin est bien sûr plus intéressant que le contenu de l'ouvrage.


    En 2007, soit 100 ans après le procès, le dossier d'instruction contenant l'intégralité des fiches sera à la disposition de tous. Y aura-t-il quelqu'un pour les relire ?