Gazette
des Tribunaux
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
DE LA SEINE (9°
ch.)
Présidence de M. Toutin
Audience du 11 avril
1907
Poursuites contre M. l'abbé
Jouin, curé de Saint-Augustin -
Provocation de
résistance à l'exécution des lois ou aux actes
légaux de l'autorité publique -
Prévention
d'infraction à l'article 35 de la loi du 9 décembre
1905,
sur la séparation des Églises et de l'État
-
Complicité de Monseigneur Montagnini, ancien secrétaire
de la nonciature.
M. l'abbé Jouin: curé de Saint-Augustin,
était cité devant le Tribunal correctionnel , à
la suite d'une instruction confiée à M. Ducasse, pour
infraction à la loi du 9 décembre 1905 sur la
séparation des Églises et de l'État.
Le
réquisitoire définitif du parquet expose en ces
termes les circonstances dans lesquelles cette poursuite fut
exercée.
Dans les premiers
jours du mois de décembre 1906, une certaine effervescence
parut ,devoir se manifester dans quelques milieux catholiques,
tant à raison de le mise sous séquestre prévue
par l'article 8 de la loi du 9 décembre 1905 que du refus par
le clergé de sous soumettre aux prescriptions de la loi du 30
juin 1881 sur les réunions publiques.
Le 9 décembre, tous les curés de Paris donnèrent
lecture à leurs paroissiens des instructions pontificales
ordonnant au clergé de s'abstenir de la déclaration
prescrite par la loi précitée, et quelques-uns
accompagnèrent cette lecture de commentaires plus ou moins
provocateurs. C'est dans ces conditions qu'une information a été
ouverte contre les abbés Richard, Jouin et Leclercq, en vertu
de l'article 35 de la loi du 9 décembre 1905.
En ce qui concerne MM. Richard et Leclercq, l'instruction n'a pas
établit qu'ils eussent, dans leur église, prononcé
des discours ou fait distribuer des écrits tombant sous le
coup de cet article.
Il n'en est pas de même
pour cc qui concerne M. Jouin. L'information a, en effet, établi
que, le dimanche 9 décembre, ce prêtre, tout en donnant
lecture des instructions pontificales, avait fait distribuer, dans
l'église Saint-Augustin, une brochure imprimée
contenant l'annonce d'une messe de deuil pour le mercredi suivant,
dont voici les passages les plus militants :
« Cette
semaine doit voir se commencer l'apostasie de la France
officielle et sa rupture avec l'Église, qu'elle ne connaît
plus que pour la persécuter. Nos biens sont confisqués.
Nos églises sont livrées au séquestre, au
maire ou au commissaire de police. La lutte est commencée:
soutenons-la vaillamment, chrétiennement, et laissez-moi vous
le redire comme au jour des inventaires de janvier : il faut que
notre deuil, si triste et si profond qu'il puisse être, soit un
deuil armé. Garder la foi ne suffit plus : nous devons la
défendre (signé : abbé Jouin). »
Les termes de cet écrit, surtout si on se reporte aux
circonstances dans lesquels il a été distribué
et aux incidents du début de l'année 1906, auxquels il
se réfère, ne paraissent pas devoir être
envisagés comme de simples métaphores, mais bien
constituer la provocation et l'excitation prévue par l'article
35 de a loi du 9 décembre 1905.
Plusieurs
journaux les avaient reproduits sous forme de sermons prononcé
par l'abbé Jouin, mais celui-ci a nié les avoir tenus,
soit en chaire, soit dans son église. Il reconnaît
seulement avoir fait distribuer, à l'église, la
brochure où ils figurent sous sa signature.
L'attitude du clergé dans les circonstances auxquelles il a
été fait allusion, révélant plutôt
l'obéissance à un mot d'ordre que l'exécution
d'une décision spontanée, il a paru nécessaire
de rechercher s'il n'y avait lieu de relever la complicité
d'intermédiaires à l'occasion des provocations
reprochées aux prévenus.
C'est dans ces
conditions que, sur le vu d'indices certains de son ingérence
dans ces provocations, l'inculpation de complicité a été
relevée à la charge de M. Montagnini, agent secret du
Vatican.
L'examen des nombreux documents saisis à
son domicile n'a fait que corroborer les charges qui pesaient contre
lui.
Toutefois, l'instruction n'ayant pu être
faite contradictoirement, avec lui, et l'affaire, en ce qui le
concerne, n'étant pas encore en état de recevoir une
solution définitive, il y a lieu de requérir la
disjonction à son égard.
Ce réquisitoire
a été suivi d'une ordonnance du juge d'instruction
disjoignant l'affaire de Mgr Montagnini, déclarant n'y avoir
lieu de suivre contre les abbés Richard et Leclercq et
renvoyant M. l'abbé Jouin devant le Tribunal correctionnel en
vertu de l'article 35 de la loi du 9 décembre 1905.
Le 11 avril 1907, l'audience s'est ouverte au milieu d'une affluence
considérable de public. Le Tribunal est composé de MM.
Toutin, président; Lévy-Fleur et Rémy-Pamart,
assesseurs.
Les bancs de la Presse avait été
réservé aux membres de la commission d'enquête
nommée par la Chambre des députés pour examiner
les pièces saisies à la nonciature; des chaises
confortables avaient été substituées au banc
traditionnel.
MM. Salis et Bourély
représentaient à l'audience cette commission.
M. l'abbé Jouin a comparu, assisté de Me Danel, ancien
bâtonnier, et de Me Henri Danet, avoué, lequel a déposé
sur le bureau du Tribunal des conclusions conçues en ces
termes :
«Plaise au Tribunal;
« En droit:
« Dire et juger qu'une condamnation ne peut être
prononcée contre un ministre du culte, par l'application de
l'article 35 de la loi du 9 décembre 1905, qu'à une
triple condition : 1° que les discours prononcés ou les
écrits affichés ou distribués dans le lieu du
culte contiennent une provocation; 2° que cette provocation soit
directe, c'est à dire qu'il y ait un lien étroit entre
la provocation et le fait punissable déterminé qui en
aurait été le but; 3° que ce fait punissable, but
de la provocation, consiste, soit dans la résistance à
l'exécution à l'exécution des lois ou aux actes
légaux de l'autorité publique, soit dans le soulèvement
d'une partie des citoyens les uns contre les autres, c'est à
dire dans la rébellion (art. 200 à 221 du Code pénal;
ou dans la guerre civile (art. 91 et suivant du Code pénal);
« En fait :
« Dire et juger
qu'en convoquant ses paroissiens à une messe de deuil pour le
mercredi 12 décembre et qu'en employant les expressions
suivantes et relevées par le ministère public : « La
lutte est commencée : soutenons-la vaillamment et
chrétiennement; et laissez-moi vous le redire, comme au jour
des inventaires en janvier; il faut que notre deuil, si triste et si
profond qu'il puise être, soit un deuil armé. Garder la
foi ne suffit plus, il faut la défendre. » l'abbé
Jouin ne les a pas provoqué directement à un acte
criminel ou délictueux, soit de résistance à
l'exécution de la loi ou d'un acte de l'autorité
publique, soit de sédition;
« En
conséquence, par ces motifs :
« Relaxer
M. l'abbé Jouin des fins de la poursuite, sans dépens. »
Me Roger de Bouillanc, avocat de Mgr Montagnini, assiste aux
débats.
M. le président procède
à l'interrogatoire de M. l'abbé Jouin, né en
1844, à Angers :
D.
Vous êtes inculpé d'avoir, étant ministre du
culte, prononcé ou publié un discours tendant à
armer les citoyens les uns contre les autres.
Vous
avez expliqué à l'instruction qu'il s'agissait d'un
écrit et non d'un discours prononcé en chaire. Vous
avez établi que l'article de journal qui y avait fait allusion
était postérieur à cet écrit et le
reproduisait. Il ne s'agit pas d'un discours, mais d'un écrit
paru au bulletin de Saint-Augustin.
M. le
président donne lecture du passage incriminé de l'écrit
annonçant une messe de deuil :
Tout le
commencement, continue M. le président, contient des
récriminations, mais ne semble pas tomber sous le coup de la
loi, le législateur n'ayant voulu punir que les
provocations et non les récriminations.
La fin contient l'élément de l'inculpation. Le
ministère public prétend que vous avez poussé
les fidèles à la révolte et que vous les avez
excités à s'armer. Vous avez un style rappelant celui
des anciens oracles. Je ne vous fais pas l'injure de dire que ce soit
intentionnellement de votre part; je vous félicite au
contraire pour votre franchise. Quelles explications avez-vous à
fournir ?
R. J'ai voulu dire que la loi
se met en opposition avec nous. M. Clemenceau lui-même l'a
reconnu en disant : « Le premier coup de canon a été
tiré. » Il y a d'ailleurs eu une victime, Régis
André.
En parlant des inventaires, j'ai
fait allusion à celui de Saint-Augustin qui s'est passé
sans trouble. Dans mon bulletin, je rappelle la messe de deuil qui a
été célébrée. J'ai toujours été
dans la légalité. C'est la police et l'agent des
Domaines qui étaient dans l'illégalité.
Par « deuil armé », j'ai entendu un
deuil qui n'est pas désespéré. Ces paroles sont
prises dans un sens figuré. Aucun de mes paroissien n'est venu
en deuil et armé : ils ont suffisamment compris le français
pour cela. J'ai certains paroissiens qui ne pensent qu'à mener
une vie facile. A ceux-là je dis : vous devez garder le deuil.
J'ai aussi quelques découragés. A ces derniers j'ai dit
qu'il ne fallait pas désespérer.
M. Allard, qui n'est pas de nos amis, a fait lui-même cette
distinction. Moi je dis que quand on est catholique, il faut être
en deuil dans les circonstances actuelles. Je ne veux pas qu'on
prenne les armes. J'ai de bonnes raisons pour désapprouver
l'emploi de la force contre ceux qui nous combattent : d'abord, ainsi
le veut le Souverain Pontife. Et puis, je ne saurais pousser les
autres à faire ce que moi-même je ne puis faire à
raison de mon caractère sacerdotal.
Le
deuil armé, c'est la cuirasse de la foi dont parle Saint
Paul.
Je demande l'action, une action
catholique jusqu'au bout, alors même qu'il faudrait briser son
épée ou sa carrière. Je demande aux autres
catholiques de soutenir ceux que leur conscience a pousser à
sacrifier leur carrière. Malheureusement, il n'en est pas
toujours ainsi, et certains magistrats démissionnaires sont
morts de faim, faute d'avoir été soutenus par les
catholiques.
Lors des inventaires, on est
venu me trouver et me demander quand on pourrait faire l'inventaire.
J'ai refusé de livrer mon église. On nous a pris nos
biens; mais il nous reste nos âmes.
J'ai été
inculpé également à raison des perquisitions
faites à la nonciature.
Or, je n'ai
jamais été appelé au dépouillement des
papiers. On ne m'a produit aucune pièce. M. le juge
d'instruction m'a dit qu'il n'y avait rien contre moi. S'il y a des
pièces qui me concernent, qu'on me les montre.
M. le substitut. - Il n'y en a pas.
R.
Je demande alors qu'on en produise aucune; je ne veux pas être
le chaperon du manque de courage de M. Clemenceau.
M. le président.- Je ne vous interrogerai pas non plus sur
les papiers de Mgr Montagnini. La première raison est qu'il
n'y a pas de pièce vous concernant; la seconde est que
l'affaire de Mgr Montagnini est disjointe.
La
parole est ensuite donnée à M. le substitut Mornet :
Ce n'est pas pour l'emploi d'une métaphore que M. l'abbé
Jouin est sur ces bancs. Nous avons estimé que les paroles de
de M. l'abbé Jouin constituent moins une invitation à
la piété qu'une excitation à la violence.
Vous rappelez-vous les incidents qui marquèrent décembre
1906.
Un nouveau régime allait être
substitué à l'ancien. Une certaine agitation s'est
manifestée dans quelques milieux catholiques. Il m'est arrivé
de voir sur certaines églises des appels adressés aux
hommes résolus pour la défense de ce qu'on appelait les
libertés religieuses.
Le 6 décembre, le
pape défendit au clergé de faire pour des réunions
publiques la déclaration prévue par la loi. Aussitôt,
les curés adressent à des citoyens français de
véritables provocations à la rébellion. On avait
exploité la mise sous séquestre : on exploite aussi la
question de la déclaration. Le moment était mal choisi
pour un homme d'église d'exciter les passions d'une clientèle
trop facilement irritable.
M. le substitut donne
de nouveau lecture de l'écrit de M. l'abbé Jouin. Puis
il continue :
Je dis que l'abbé
Jouin aurait mauvaise grâce à dire qu'il ne s'agit que
d'une métaphore. Ce qu'il a fait, c'est bel et bien d'adresser
une provocation directe à des réalités
tangibles. Mais ce qui éclaire la fin de ce passage, c'est
l'allusion aux inventaires.
J'imagine que ce n'était
pas des métaphores, les scènes de Sainte-Clotilde et du
Gros-Cailloux. Rappelez-vous, à Saint-Augustin même, ces
rondes de nuit, ces veilles destinées à annoncer
l'arrivée du fonctionnaire de l'enregistrement. Même à
Saint-Augustin, l'inventaire ne put se faire que très tard et
par surprise. La résistance qu'on prêche, c'est bien la
résistance matérielle, armée, comme au jour des
inventaires.
Je vous demande de condamner M. l'abbé
Jouin, parce qu'on ne saurait tolérer la provocation d'où
qu'elle vienne; dans quelle mesure, vous apprécierez. La loi
de de 1905 se réfère à l'article 463. je ne
m'oppose pas aux circonstances atténuantes.
Car il y a, dans ce procès, des circonstances dont il faut
tenir compte. Les prêtres n'auraient pas eu l'idée de
résister s'ils n'avaient cri obéir à des ordres
venus d'ailleurs. Ils ont été des instruments
conscients entre les mains des hommes du Vatican. Ils n'ont fait
qu'obéir aux ordres donnés par l'homme de confiance du
Saint-Siège, Mgr Montagnini.
On savait depuis
longtemps qu'un prêtre italien avait été installé
à l'ancienne nonciature comme intermédiaire, comme
agent secret. Là, était le principal foyer de
résistance à l'application de la loi de 1905. De là
partaient les instructions et les ordres. Quand une information fut
ouverte contre quelques prêtres, on jugea qu'il n'en sortirait
rien si on n'inculpait pas M. Montagnini.
A l'heure
actuelle, la publication de ces papiers a été presque
entièrement faite. Il me faudra faire passer les principales
pièces sous les yeux du Tribunal. Ces pièces vous
feront apprécier les faits relatifs à l'abbé
Jouin et vous montreront que les prêtres sont des comparses
bien modestes en comparaison de cet agent du Vatican. Il vous faut,
dans tout procès, connaître les mobiles. Le clergé
français eût accepté la loi si le prêtre
romain n'eût fini par absorber le citoyen français. Ce
n'est pas dans la conscience catholique, mais dans le mot d'ordre
venu de Rome qu'il faut chercher l'explication de ces faits.
Un mot d'abord sur la saisie qui fut faite à l'ancienne
nonciature et autour de laquelle on a accumulé les sophismes.
On nous accusé de je ne sais quelle violation du droit
international, alors que, depuis le 1er août 1904, il n'y a
plus de relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège.
Il n'y a plus ni nonce ni nonciature. La France n'a reconnu à
personne, depuis la rupture, la qualité de représentant
du Saint-Siège. Depuis le 1er août 1904, on a pu
franchir le seul de l'ancien hôtel de la nonciature. Par
prudence même, les magistrats s'étaient fait accompagnés
d'un délégué des affaires étrangères
: Ils n'ont perquisitionné qu'en un endroit et n'ont saisi
aucune pièce susceptible d'avoir un caractère
diplomatique. Un pareil tri n'a pu se faire sans erreur. Aussi, le
premier soin du juge d'instruction a-t-il été
d'extraire les pièces ayant un caractère diplomatique
et de les mettre sous scellés jusqu'au jour où elles
ont été restituées à M. l'ambassadeur
d'Autriche-Hongrie.
Nous allons commencer l'examen
des principales pièces saisies.
Tout d'abord,
voici une dépêche adressée par Mgr Merry del Val
à Mgr Montagnini. Elle est ainsi conçue:
3
août 1904
Merry del Val à
Montagnini
Votre Seigneurerie devait
continuer à rester à rester dans cette capitale pour
tout ce dont aura besoin le S.S.. Il a été décidé
que, pour ce service réduit et à titre d'allocation
personnelle, vous recevrez mensuellement du S.S. Mille francs que
vous pourrez prélever sur la caisse de l'obole de
Saint-Pierre.
Il reste cependant entendu que chaque
trimestre vous enverrez au secrétaire d'Etat la note de vos
petites dépense de bureau que vous aurez effectuées.
Montagnini a été
l'homme de confiance absolu du Saint-Siège, l'agent le plus
qualifié de la politique romaine. Il n'a même pas été
admis à venir assister aux derniers moments de son père
tant sa présence était nécessaire à
Paris. La lettre suivante, écrite par Mgr Canali, en est la
preuve :
23
octobre 1906
Lettre de Canali à
Montagnini
.... Vu votre délicate
position, si vous êtes obligé de vous absenter, ne
fût-ce que pour quelques heures seulement, S.E. Vous prie de
lui envoyer un télégramme chiffré.
Son importance résulte également de la
lettre suivante, relative à une réunion organisée
par M. des Houx
22 septembre 1906
Montagnini à
Merry del Val au sujet d'une réunion organisée par M.
des Houx
... Pendant cette
réunion, on voulut garder le secret sur le nom de l'abbé
X..., qui, certainement, ne devait pas être fier de s'y
trouver, mais un de mes indicateurs m'assure l'avoir reconnu.
Mgr Montagnini n'a pas été sans
jouer un rôle dans nos relations étrangères.
Des démarches ont été faites pour empêcher
la visite du roi d'une nation voisine en France. Écoutez cette
lettre de Mgr Montagnini :
7
août 1904
Montagnini à Merry
del Val
« ... Un brave personnage
d'ici, qui est très attaché au S.S. Et qui est très
versé dans la haute politique depuis le premier conflit pour
le voyage de Loubet à Rome, s'était proposé
d'agir afin d'empêcher le voyage projeté du roi
d'Espagne à Paris; mais l'activité de cette même
personne s'est beaucoup plus déployé depuis la rupture
des relations diplomatiques entre la France et le S.S. . Ce même
personnage ayant beaucoup de rapport avec les hommes du gouvernement
actuel de l'Espagne, a toujours insisté pour que Alphonse XIII
ne se prêtât pas, par sa présence à
Paris, à la consécration d'un gouvernement aussi ennemi
de la religion et du S.S. Et, en somme, on ne voit pas ce qui en est
résulté. Il paraît que le voyage déjà
annoncé par le gouvernement pour octobre n'aura plus lieu.
Ce registre de correspondance de Montagnini apporte la preuve
que Montagnini et Merry del Val ont poursuivi la conversation sur le
futur voyage du roi d'Espagne à Paris. On y relève, en
effet, les annotations suivantes : 4 octobre 1904. Lettre de Merry
del Val à Montagnini : « Sub viaggio del re
d'Ispagae à Pariggi ». Le 13 octobre 1904,
Montagnini écrit à Merry del val sur l'éventualité
de la visite d'Alphonse XIII à Paris.
Le 24 novembre 1904, Montagnini écrit à
Merry del Val sur le même sujet ;
La lettre
suivante de Montagnini atteste la même ingérence :
13
décembre 1904
Montagnini à
Merry del Val
Les journaux d'hier matin
reproduisaient un télégramme du journal Le Libéral,
de Madrid, sur la fixation du voyage d'Alphonse XIII à Paris
pour février prochain, et dans la même journée,
M. Manra remettait entre les mains du Roi la démission du
cabinet entier. La cause de ces démissions est attribuée
aux questions militaires, mais cette coïncidence est étrange
et digne de remarque, au moins pour l'histoire. En attendant, ce ne
sera pas avec Maura que ce voyage aura lieu.
Le document suivant ne laisse pas de doute sur les
intelligences que Montagnini avait su se ménager jusqu'au
ministère des affaires étrangères :
29 février 1905
Montagnini à
Merry del val
Depuis que Mgr Lorenzelli a
quitté Paris, je n'avais plus rencontré moi-même
M. Delavaud, chef du cabinet et du personnel au quai d'Orsay; mais
l'ayant vu aujourd'hui, il me racontait avec plaisir qu'auprès
de M. de Courcelles et de M. Boléro, il avait obtenu un
nouveau poste à la légation de Madrid pour le vicomte
de Sariges. En faisant signer cette dernière nomination par M.
Delcassé, il a dit au ministre qu'il restait à pourvoir
un autre membre de l'ambassade au Vatican, M. de Navenne. M. Delavaud
me disait en outre que le loyer du palais sainte-Croix continuait à
courir à la charge de la France et qu'il faisait des voeux
pour le rétablissement de l'ambassade.
Il me
disait enfin que la visite d'Alphonse XIII à Paris était
désormais certaine pour le commencement de mai et que le jeune
souverain demeurerait dans cette capitale cinq jours. La secte a
réussi également dans ce projet.
Les lettre suivantes font allusion à certaines
indiscrétions que mettait à profit l'agent du Saint
Siège :
12
juillet 1906
A Merry del Val
... Au quai d'Orsay, M. Denys-Cochin a pu lire, grâce à
l'indiscrétion d'un secrétaire, un rapport de M.
Harrère ayant trait à l'entretien que le cardinal
Mathieu a eu au sujet du délégué apostolique en
Syrie et du fameux protectorat du patriarche latin à
Jérusalem.
16 août 1905
Montagnini a recherché copie adressé en
1889 au pape. Il n'a pas trouvé le document ....
Pendant
que je rédigeais un télégramme, j'ai reçu
la visite d'un chanoine de Notre-Dame qui connaît un chef du
ministre des affaires étrangères, personne très
sûre. Je lui ai dit que j'avais besoin de la copie de cette
réponse et il s'offrit de suite à aller la demander
pour son compte dît quai d'Orsay. Il partit et s'adressa à
un sous-directeur des affaires politiques, excellent catholique, qui
promit de lui donner satisfaction si possible, en lui recommandant le
secret, mais comme j'ai reçu votre télégramme
qui me dispense de faire des nouvelles recherches nouvelles
recherches, le document étant retrouvé, il fut entendu
que le chanoine n'insisterait pas davantage. Cependant, j'ai
rencontré ce matin le même sous-directeur des
affaires des affaires étrangères. Il m'a raconté
lui-même qu'il avait reçu la visite du chanoine en
question et qu'il lui avait facilité l'accès des
archives secrètes de la cour de Vienne, car, il était
alors chargé de l'ambassade de France là-bas. Le
chanoine lui demandant la réponse en question; il répondit
qu'il n'avait pas encore pu enlever secrètement la copie.
Voilà les complicités auxquelles avait recours
Montagnini.
Mais ce qui est intéressant, c’est son
rôle dans notre politique intérieure et dans l’agitation
religieuse. II intriguait, intriguait, intriguait, tel est le résumé
de sa conduite. Il envoie députés et sénateurs à
la tribune. Mais ce que je tiens à montrer en lui, c’est
l’intermédiaire entre la papauté et le clergé.
Il mettra tout en oeuvre pour empêcher les catholiques et le
clergé de se soumettre à la loi sur la séparation.
Le rôle de l’abbé Jouin a donc été
bien modeste, ainsi que celui des autres prêtres à la
charge desquels pourraient être relevés des actes de
même nature.
Voici en quels termes le secrétaire des
affaires ecclésiastiques s’adressait à Montagnini
:
12
août 1904
Le secrétaire des affaires
ecclésiastiques à Montagnini.
Très
illustre Seigneur,
Dans le but d’établir d’une
façon péremptoire la vérité des choses,
on a cru nécessaire et opportun de publier un exposé
documenté tant en italien qu’en français sur les
fais qui amènent la rupture des relations diplomatiques entre
le Saint-Siège et le gouvernement de cette République
... Je vous transmets plusieurs exemplaires du susdit opuscule,
auquel il est intéressant que la plus grande publicité,
soit donnée. D'une façon générale, vous
aurez soin d'en donner un exemplaire aux membres du corps
diplomatique et aux personnages importants qui peuvent, tant dans le
Parlement qu'au dehors, exercer une certaine influence sur l'opinion
publique.
Et Mgr Montagnini répond
en ces termes :
Paris
le 16 août 1904
Montagnini au secrétaire des
affaires ecclésiastiques au Vatican
Je m'empresse
de vous accuser réception de votre honoré du 12
courant, laquelle a été suivie des quatre paquets de la
publication annoncée. Ce matin, conformément à
vos ordres, j'aurai soin de répandre ce très important
document de la façon la plus large parmi les personnes que
vous m'avez indiquées, mais comme le corps diplomatique est
très nombreux dans cette capitale, il absorbera en majeure
partie lesdits exemplaires en français. C'est pourquoi je prie
votre excellence de m'en faire une expédition supplémentaire,
parce qu'il est énormément nécessaire que cette
publication, si bien rédigée, si bien annotée,
disposée avec autant d'ordre et de clarté, soit connue
et en possession de tous ceux qui pourront porter en notre faveur des
paroles de défenses et des justifications pour le saint-Siège
... Je profite de cette lettre pour vous dire que vous pouvez
absolument compter sur moi.
Nous le
voyons morigéner les chefs de la droite. Écoutons ces
lettres écrites au sujet de la suppression par la Chambre du
Crédit de l'ambassade au Vatican :
6
décembre 1904
Montagnini à Merry del Val
Le bon député
Grousseau m'a informé hier que les chefs de la droite
n'avaient pas pris la parole parce que si l'un d'eux l'avait fait, on
aurait eu un vote en grande partie favorable au gouvernement. J'ai
dit à Grousseau que la droite n'aurait pas dû se laisser
entraîner par cette considération et qu'elle
aurait dû agir auprès des progressistes. J'ajoutais que
le vote n'aurait pas pu être plus mauvais que celui par lequel
la Chambre approuvait la rupture, ni surtout que celui qui approuva
les crédits du voyage de Loubet à Rome. Quant aux
arguments à fournir au Sénat contre la suppression des
crédits de l'ambassade, j'ai chargé une personne de
s'informer des sentiments des bons sénateurs.
Paris le
2 décembre 1904
Montagnini à Merry del Val
Il semble qu'une
revanche pourrait être prise au sénat et la personne qui
se montrait prête à cela est M. de Lamarzelle, qui
prendrait la parole quand le budget des affaires étrangères
viendra en discussion. Pour cela, je vous prie de me télégraphier
si vous approuvez ce projet pour que je puisse faire de suite les
démarches dans ce sens.
Et
les intrigues se sont poursuivies. Nous arrivons à la
discussion sur la loi de séparation. Écoutons cette
correspondance :
22
mars 1905
.... Ribot a disposé hier son amendement ...
et il m'a promis qu'il travaillerait de son mieux au cours de tout ce
débat.
24 mars 1905
Montagnini
à Merry del Val
M. Piou pense que le seul moyen
pour lasser la majorité et lui faire voter le renvoi du
projet, serait de travailler en vue d'obtenir le vote de l'amendement
proposé par M. Ribot sur les associations cultuelles.
4
avril 1905
Montagnini à Merry
del Val
Je vous envoie le discours de M. Ribot à la
Chambre. M. Ribot a eu la bonté de tenir compte de l'entrevue
que j'ai eue avec lui il y a deux ou trois semaines; ce matin, je me
suis empressé de le féliciter en votre nom; le vénérale
( je suppose que c'est une faute de typographie; on doit lire
vénérable) député en sera très
honoré et très touché et il se sentira encore
plus disposé à nous aider jusqu'à la fin.
Voilà
qui vous édifie pleinement sur le rôle de Mgr
Montagnini. Nous le retrouvons sur le champs électoral. Mais
auparavant, je veux vous montrer quel était son rôle au
regard du clergé français.
C'est lui qui est chargé
de faire parvenir au clergé les instructions les plus secrètes
:
Rome,
14 octobre 1905
Mgr
Gaspari à Montagnini
Je suis encore chargé
par mon très éminent supérieur de vous
transmettre deux lettres, l'une pour le cardinal de Paris, l'autre
pour celui de Bordeaux. La remise de la première n'offre pas
de difficulté, mais la seconde est confiée à
votre perspicacité et à votre prudence pour la faire
parvenir à bon port. Dans le cas où vous n'auriez pas
sous la main une occasion sûre de la faire parvenir, je vous
prierais de la faire recouvrir par une enveloppe écrite en
français; ainsi on ne pourra pas soupçonner que la
lettre vient de Rome.
22 juillet 1906
Gaspari à Montagnini
Faites parvenir par la poste au
besoin les lettres ci-jointes à destination. On tient à
ce que ces lettres ne partent pas de Rome afin de n'éveiller
aucun soupçon ni aucune curiosité.
Il
n'était pas seulement un agent de transmission; il recevait
les évêques.
23
novembre 1904
Montagnini à Merry del
Val
Le bon évêques de Troyes, arrivé à
Paris hier de son voyage à Rome, a appris de source sûre
qu'il serait aujourd'hui surveillé par la police au cours de
ses visites. Il a cru plus prudent de m'envoyer par l'intermédiaire
de son secrétaire particulier le pli contenant votre lettre du
15 courant, avec les lettres pour l'archevêque de Toulouse, les
évêques de Tulle, Luçon, La Martinique, Angers,
puis deux autres pour l'archevêque de Bourges et l'évêque
de Rodez. L'évêque de Troyes, qui cependant désirait
me voir, m'a fait demander un rendez-vous pour demain par le curé
de saint-Augustin. Le bon évêque de Beauvais, venu à
Paris, m'a fait visite hier et m'a renouvelé toute sa
reconnaissante admiration pour l'allocution pontificale qui, à
son avis, en plus du bien qu'elle ne peut manquer de produire, aura
de plus l'avantage de de démontrer la mauvaise foi du
gouvernement et de faire peur à ce gouvernement, parce que,
ajoutait ce distingué prélat, ces gens sont vils et il
m'assurait que lorsqu'il avait à souffrir des autorités
administratives ou politiques d'une injustice ou d'une supercherie,
il répondait immédiatement par un procès et
alors on cédait de suite.
Il
ne recevait pas seulement les évêques; il leur donnait
des conseils. Mgr Merry del Val lui écrit en effet :
3
août 1906
Merry del Val à
Montagnini
Il est nécessaire que vous fassiez
connaître prudemment aux nouveaux évêques qu'il
convient d'activer la consécration et particulièrement
la prise de possession de leur diocèse.
11 août
1906
Merry del Val à
Montagnini
Avec ce même courrier, on a expédié
les brefs pontificaux à Mgr Dubourg et Mgr Lobbeday. On
a écrit à Mgr Dubourg et Mgr Lobbeday, récemment
nommés, de s'adresser à vous pour les instructions qui
doivent les guider dans leur façon de procéder
vis-à-vis des autorités
gouvernementales.
Confidentiel
Chamonix, le 16 septembre 1906
A l'archevêque
d'Avignon
Très vénéré monseigneur,
M'étant
empressé de transmettre, ainsi que V.G. Me l'avait demandé,
la petite note qu'elle avait bien voulu me laisser, je me hâte
de lui faire savoir que qui de droit ne trouve pas opportun d'aucun
prélat se rende chez aucun ministre. Une semblable démarche
avait déjà été proposée et la
réponse a été également négative,
à savoir que l'on ne trouvait pas la chose secrète
entre elle et ceux de ses collègues au nom desquels elle
m'avait fait cette démarche, de même que, de mon côté,
j'en fais autant, selon le désir de Votre Grandeur. Je garde
un reconnaissant souvenir de la visite que V.G. A bien voulu me faire
et je la prie, etc ...
Parfois, il
arrive que les instructions à donner aux prélats soient
particulièrement délicates, alors notamment qu'il
s'agit de faire modifier des instructions déjà données
par des évêques :
13
février 1906
Lettre de Gaspari, secrétaire
de Merry del Val, à Montagnini.
Monseigneur,
Vous savez que le bon évêque de Beauvais
a cru devoir défendre aux prêtres de son diocèse,
sous peine de suspension, de demander les pensions qui leur sont
dévolues par la force de l'inique loi de séparation. Le
Saint-Père ne croit pas que cette défense soit
prudente. Aussi, je vous charge avec prudence et tact, de préférence
de vive voix, de faire connaître cela à l'excellent Mgr
Donais et de l'amener à lever sa prohibition de la façon
qu'il jugera la plus opportune.
Le
cas échéant, il distribue l'éloge ou le blâme
:
11
octobre 1906.
Montagnini à Merry del
Val
Mgr Sarvonnet mérite des louanges pour sa façon
de s'exprimer contre les idées modernistes. Il n'est pas trop
cependant que le bon archevêque fasse une telle amende
honorable, car ce fut à Bourges qu'il permit il y a quelques
années la réunion du Congrès ecclésiastique
qui fut le point de départ des abbés démocratiques
du Sillon et des autres abbés critico-libéraux
innovateurs et ayant tendances à s'affranchir de l'obéissance
aux évêques et à Rome.
Il
nous faut maintenant parler des rapports de Mgr Montagnini avec les
congrégations :
Paris,
14 octobre 1904
Montagnini à Merry del
Val
... Je me suis transporté à
Saint-Sulpice pour exprimer au nom du saint-Siège et en mon
nom la sympathie que nous ressentons pour toutes les congrégations
à cette heure douloureuse où elles sont victimes des
persécutions de Combes
15 novembre 1904
Merry del val à Montagnini
Le saint-Père
m'a donné l'ordre d'envoyer aux évêques français,
dont les séminaires sont confiés aux prêtres de
la Compagnie de Saint-Sulpice, une lettre pour les inscrire jusqu'à
l'année prochaine dans l'ordre de leur diocèse, ceux de
leurs prêtres qui en sont originaires, bien qu'ils résident
autre part. De la sorte, si par aventure, les odieuses mesures dont
on menace la Compagnie sont malheureusement appliquées, ces
prêtres pourront retourner dans leur diocèse d'origine
et y prendre la direction des séminaires. J'ai eu soin de
faire parvenir la plus grand partie des lettres à leurs
destinataires. Il reste celles pour l'archevêque de Toulouse et
pour les évêques de Tulle, Luçon, Nantes et
Angers; je vous les transmets ci-jointes par le canal de l'évêque
de Troyes et vous prie de faire parvenir d'une façon très
sûre à leurs adresses respectives.
24
novembre 1904
Montagnini à Merry del
Val
J'ai remis ce matin les lettres en question au
Supérieur des Sulpiciens. Il les enverra à des tierces
personnes sûres et de confiance pour qu'elles parviennent en
main propre aux destinataires respectifs ... Le bon Supérieur
m'a prié de faire parvenir au Saint-Père par votre
intermédiaire ses remerciements les plus chaleureux pour la
sollicitude dont il entoure sa congrégation.
Mais
Montagnini est avant tout un agent de sécularisation des
congrégations dissoutes. Le saint-Siège s'institue à
leur égard personne interposée dans le sens juridique
du mot :
Paris,
19 août 1904
Montagnini à Merry del
Val
... Il se présente une bonne occasion d
de louer la maison de l'avenue Beaucourt aux religieuses chanoinesses
de l'avenue Hoche, qui vont être expulsées et désirent
transférer là leur internat. Aussi, je me permets de
solliciter de vous l'autorisation de faire cette location.
1er
septembre 1904
Montagnini à Merry del
Val
Dès la réception de votre dépêche,
je me suis empressé de faire part aux bonnes religieuses
chanoinesses de Saint-Augustin de l'avenue Hoche du concours que vous
avez daigné accorder pour faire un contrat de location pour la
cause de 6.000 francs
27 octobre 1904
Montagnini à Merry del Val
Les religieuses
chanoinesses de saint-Augustin de l'avenue Kléber ont retourné
un des deux exemplaires authentiques du contrat de location qui a été
enregistré; de sorte que, tout étant en règle
maintenant, je me fais un devoir de vous transmettre cet exemplaire
pour les archives.
Sans date
Couvent du Roule.
Monseigneur
Je
viens vous prier de m'accorder la faveur d'une audience demain ... Je
serai accompagnée de mon assistante; toutes deux nous serons
habillées en séculières, afin de ne pas attirer
l'attention.
Il me reste,
messieurs, à vous donner un aperçu de toute une
catégorie de mentions concernant des fonds reçus :
16
novembre 1904
Reçu 10.000 francs sur les fonds du diocèse
de Paris
9 décembre 1904
Reçu 500 francs pour
l'obole
21 décembre 1904
Reçu 5.000 francs du
diocèse de Meaux
30 décembre 1904
Reçu
2.500 francs pour décoration de commandeur de
saint-Grégoire-le-Grand.
20 janvier 1905
Reçu la
somme de 3.050 francs recueillie dans le diocèse de
Chartres
13 février 1905
Reçu 2.300 francs pour
décoration de commandeur
Même date
Reçu 155
francs pour décoration de chevalier.
6 juin 1905
Reçu
2.000 francs pour l'obole par le premier vicaire de Saint-Augustin.
8
juin 1905
Reçu 10.000 francs pour l'obole du diocèse
de Paris.
8 août 1905
Reçu 1.300 francs pour
décoration de chevalier.
1er décembre 1905
Reçu
5.400 francs de l'évêque de Meaux
18 décembre
1905
Reçu 3.000 francs à l'occasion de
l'anniversaire du Saint-Père
13 août 1906
Reçu
2.800 francs de l'évêque d'Autun.
19 août
1906
Reçu 3.400 francs de l'évêque de
Rennes
20 août 1906
Reçu 2.400 francs de l'évêque
de Moulins.
30 août 1906
Reçu 20.000 francs de
l'archevêque de Paris.
3 septembre 1906
Reçu 2.800
francs du nouvel évêque de Périgueux.
29
novembre 1906
Reçu 4.900 francs du diocèse de
Meaux.
22 octobre 1906
Reçu 40.000 francs du diocèse
de Laval
On s'explique ainsi le
placement de 100.000 francs que le saint-Siège faisait à
la banque Rothschild.
Les élections de 1906 avaient une
importance capitale. Depuis 1904, l'agent du Saint-Siège
s'unit à l'action libérale.
30
novembre 1904
Montagnini à Merry de Val
... En face du mal qui se fait, l'Action libérale
populaire ne reste pas inactive. Dans son congrès ont été
indiquées les questions qui devaient être traitées
au siège des diverses régions, et M. Piou croit que ces
manifestations seront profitables pour assurer sa force. Un autre
monsieur du Nord, généreux pour toutes les oeuvres
catholiques, dépense beaucoup pour l'Action libérale;
en vue de mettre de plus en plus la presse à profit en notre
faveur dans ces temps difficiles, M. Féron Vrau va s'occuper
pour que la province puisse avoir quelques journaux biens pensants. A
Limoges, il a l'oeil sur un bon publiciste ... On est pour acheter
l'Eclair, ce serait un coup de maître.
28
décembre 1904
Montagnini à
Merry de Val
... S.E. Le cardinal Richard m'a parlé
avec satisfaction du résultat obtenu par le congrès de
l'Action libérale populaire et peut-être que deux mots
de félicitation de votre part à M. Piou, que je
pourrais moi-même lui transmettre, seraient une grande
satisfaction pour lui.
30 juin 1905
Montagnini à Merry de Val
Bien des fois, j'ai eu
l'idée d'inviter les députés de l'Action
libérale: ils ne répondent pas à l'appel; sur
quatre-vingt personnalités invitées, vint présentées,
vingt et encore au lieu de prendre part aux importantes questions qui
sont en discussion, elles sont toujours occupées
ailleurs.
Parfois, cependant, Mgr
Montagnini se plaint de la tiédeur des membres de l'Action
libérale. Son rôle est de ramener l'union entre les
diverses fractions de l'opposition :
13
février 1906
Gaspari à
Montagnini
Je vous transmets une note envoyée au
Saint-Siège par Mgr Chapon, évêque de Nice,
relative aux difficultés qui existent entre le parti
progressiste et l'Action libérale populaire. Avec votre
prudence bien connue, vous en ferez l'usage que vous jugerez
nécessaire. Il est bien certain qu'il est grandement à
désirer que tous les partis antiblocards se donnent la main
dans la prochaine lutte électorale. Pour cela, il faut que
toutes les difficultés et tous les malentendus disparaissent
entre eux.
30 janvier 1906
Gaspari
à Montagnini
Je n'ai pas besoin de vous dire
l'importance pour l'Église des prochaines élections en
France. A Orléans, le candidat du bloc est le fameux Rabier,
rapporteur de la loi contre les congrégations, et il serait
important certainement si vous pouviez empêcher sa réélection;
sa défaite aurait une signification particulière. Or,
il a été rapporté au Saint-Siège que cela
serait parfaitement possible si toutes les forces antiblocardes se
réunissaient pour un seul candidat antiblocard ... Ayant
l'occasion de voir Mgr Touchet, recommandez-lui de vive voix de faire
tout son possible pour tenir unies toutes les forces de son
diocèse.
29 avril 1906
Gaspari à Montagnini
S.E. Vous prie de faire
parvenir par un moyen sûr, rapide et secret la présente
lettre au cardinal Couillé.
24 avril 1906
Gaspari au cardinal de Lyon
On appelle toute votre
attention sur l'importance capitale des prochaines élections
en France. A cause de cela, pour avoir la conscience tranquille, il
est nécessaire d'employer tous les moyens pour les rendre
meilleures, même si ces moyens sont un peu énergiques.
Il a été rapporté au Saint-Siège que la
Ligue des femmes françaises, qui a son siège principal
à Lyon, entend s'occuper aussi des prochaines élections,
non seulement en recueillant de l'argent, ce qui est digne de
louanges, mais en le distribuant à des candidats de son choix,
ce qui ne peut être approuvé. Si la Ligue choisit ses
candidats et les soutient avec l'argent recueilli, elle va introduire
la confusion et fera, en réalité, plus de mal que de
bien au camp catholique. Pour éviter cela, il est nécessaire
que Votre Éminence persuade ces dames qu'il est bien de
recueillir l'argent, mais qu'il faut ensuite le remettre à
Votre Éminence en pleine confiance, leur promettant que vous
l'emploierez au seul but électoral, selon le mode que vous
jugerez le plus prudent et le plus avantageux. Votre Éminence
s'entendra avec M. Piou pour le choix des candidats et la
distribution de l'argent. Je ne puis supposer que ces bonnes dames
refusent cela à Votre Éminence, car elles feraient un
acte éclatant de défiance. Dans ce cas, Votre Éminence
leur dirait clairement qu'elles n'agissent pas en bonnes
catholiques.
6 janvier 1905
Montagnini à
Merry del Val
... L'Eclair est entré
dans sa nouvelle phase et le manifeste du nouveau rédacteur en
chef, Judet, publié hier, est rédigé avec une
grand habileté. Rien ne fait entrevoir les patrons qui sont
derrière, de sorte que ceux-ci pourront toujours régler
la marche du journal selon leur bon plaisir, sans aucun
préjudice.
En matière
électorale, on ne va pas loin sans la presse. A Rome, on ne
dédaigne pas sa force, ainsi qu'en font foi les documents
suivants :
1er
janvier 1905
Montagnini à Merry del Val
A
propos des élections générales, le bon Féron
Vrau s'occupe très activement de fonder de bons journaux dans
tous les départements français. Il commencera par en
lancer trois dans le Midi où la bonne presse n'existe pas.
28
novembre 1905
Montagnini à Merry del
Val
... L'acquisition la plus importante a été
celle de la Patrie et de la Presse, tous deux journaux
du soir très populaire, ce qui constitue une grand force à
la disposition de l'Action libérale populaire; leur seule
acquisition a coûté 600.000 francs.
15 août
1905
Montagnini à Merry del
Val
Samedi dernier a été constituée à
Paris, par acte notarié, une Société pour la
fondation des bons journaux en province, au capital de 1 million
versé par ces chers messieurs de l'Action libérale
populaire ... Outre l'Eclair, on a déjà acheté
un autre journal de Grenoble, un de Rouen et on espère en
avoir un troisième à Lyon.
28 décembre
1904
Montagnini à Merry del Val
De
plusieurs côtés m'arrivent des éloges et des
expressions d'admiration pour le grand bien qu'a fait Mgr Turinaz,
évêque de Nancy, avec les associations d'hommes
organisées par lui ... Au moyen de ces associations, on a
gagné beaucoup sur le terrain électoral et si cet
exemple était suivi par les autres diocèses, on
pourrait certainement obtenir de grands résultats. Pour cela,
le Saint-Siège devrait, toutes les fois que l'occasion se
présente, recommander ces associations à beaucoup
d'évêques connus déjà pour leur zèle.
31
décembre 1904
Montagnini à
Merry del Val
.... La manière de voir de Mgr
Fuzet n'est pas la même que celle de l'évêque de
Périgueux, ni non plus que celle de l'évêque de
Nancy; elle tend absolument à empêcher que le clergé
exerce son droit d'électeur ou qu'il s'insère de
n'importe quelle façon dans les élections, laissant les
mains libres au pouvoir qui, de nos jours, est synonyme de
persécution catholique.
Vous
parlerai-je maintenant de l'élection de M. Piou ? Ce fut
l'oeuvre du Saint-Siège :
30
juin 1905
Montagnini à Merry del
Val
... Une combinaison a été trouvée
pour faire élire M. Piou; elle est exposée dans une
feuille ajoutée ... Si vous vouliez la prendre en
considération et trouver un moyen pour écrire au
cardinal-archevêque de Rennes en faveur de M. Piou, la chose
réussirait certainement et il en résulterait de grands
avantages. Je prie Votre Éminence de me répondre pour
que je puisse tranquilliser M. Piou.
Réponse de Merry del val
Je
m'empresse de vous transmettre ci-joint une lettre confidentielle que
j'adresse au cardinal-archevêque de Rennes, conformément
à votre demande. Elle est rédigée dans le sens
que vous m'avez indiqué. Vous garderez le plus grand secret et
vous assurerez confidentiellement M. Piou que le Saint-Siège
ne manquera pas de faire tout son possible en sa faveur
La
candidature de M. Piou éprouve certaines difficultés.
Écoutons la correspondance suivante :
19
août 1905
Rapport à Merry del
Val
Deux ou trois autres candidatures ont été
proposées à M. Piou, mais elles présentent des
difficultés et sont offertes dans des conditions qui devraient
être vérifiées. M. Piou ne veut pas s'exposer à
un échec et son peu de courage, lorsqu'il s'agit de mettre sa
personne en avant, lui ferait une défaite encore plus
sensible.
12 septembre 1905
Montagnini
à Merry del Val
Je m'empresse de vous transmettre
ci-joint une note qui m'a été remise par un ami de M.
Piou et concernant sa candidature à la Chambre, pour le cas où
vous jugerez à propos de faire quelque autre démarche à
ce sujet et me donner des ordres.
Réponse
de Merry del Val
Je vous transmets ci-joint une
lettre pour le cardinal Labouré, conformément à
ce qui était suggéré par la note à vous
remise par un ami de M. Piou et que vous m'avez envoyée.
Vous
retiendrez, messieurs, qu'à l'époque où la
plupart des lettres ont été écrites, on était
encore sous le régime concordataire. Tous ces hauts
dignitaires ecclésiastiques étaient des fonctionnaires
de la République, lancés à l'assaut du
gouvernement qui les payait.
Il me reste à vous montrer le
but poursuivi par Montagnini. C'était d'empêcher le vote
de la loi de séparation, puis d'empêcher les catholiques
d'accepter cette loi et d'encourager une résistance morale,
dogmatique, mais aussi affective. D'abord, il s'agit d'amener la
masse des fidèles à repousser la loi de séparation
comme contraire à la conscience des catholiques.
23
juillet 1905
Montagnini à Merry del Val
....
Vous connaissez déjà le plan conçu en vue de
l'éventualité de la Séparation par M. Émile
Ollivier, avec lequel j'ai eu l'occasion de parler l'autre soir. Il
me propose de le développer et de m'en faire connaître
mieux les détails pour que je puisse vous tenir au courant.
Immédiatement après le vote définitif, il
voudrait la protestation énergique du Saint-Siège. En
outre, les catholiques devraient, au moyens de manifestes affichés,
éclairer les électeurs sur les pièges et les
inconvénients même économiques de cette loi. Tous
les évêques devront s'unir et assistés d'un
représentant du Saint-Siège, lequel prendra en sa
grande responsabilité de les représenter aux nouvelles
Chambres, si elles sont meilleures. Alors, on pourra dire si la loi
devra être acceptée ou non.
L'attitude
des évêques n'était pas sans inquiéter le
Saint-Siège. Merry del Val s'attache à persuader à
l'épiscopat que le pape n'acceptera jamais l'application même
praticable de la loi de séparation. On s'adresse au plus
vénéré, au cardinal Richard :
27 février 1906
de Merry del Val à
Montagnini
Veuillez dire au cardinal
Richard dans le secret le plus absolu qu'il ne doit pas croire que,
jusqu'à aujourd'hui, le Saint Père ait voulu ou ait cru
accepter la formation des associations, donnant ainsi raison à
ceux de toute la presse libérale et maçonnique du
monde, lesquels s'en vont disant que la protestation est seulement
doctrinale et platonique et que le pape, après avoir parlé
fort, acceptera tout dans la pratique.
Sur ce
point aussi existe parmi nous ce courant qui subit l'influence de
l'école Brunetière, et on travaille pour arriver à
ce but.
Je ne vais pas développer les
très graves raisons d'ordre général qui militent
contre l'application même praticable de la loi néfaste.
Le cardinal pourra entendre ces raisons de la bouche des 14 évêques
nouveaux auxquels le pape a parlé en secret.
Je suis très soucieux, parce que je vois clairement que nous
sommes à un tournant de l'histoire pour l'Église
universelle. Il s'agit de la lutte de toutes les forces du mal, de la
maçonnerie internationale contre l'Église, et dans
cette lutte, dans ce moment, la France se trouve au premier rang. Ce
qui se fera en France servira d'exemple à tous. C'est
pourquoi, la décision qu'on prendra sera de la plus grande
importance; il est évident que si la majorité des
évêques est d'avis de subir la loi, en pratique il sera
difficile que le pape puisse leur commander d'agir contrairement à
leur conviction, bien qu'il soit assuré de leur obéissance;
mais il est faux que le pape ne soit pas prêt à
proclamer la résistance s'il est appuyé par un bon
nombre d'évêques; le fait d'avoir demandé une
étude sur les associations éventuelles possibles ne
signifie pas du tout que le pape ait déjà plus ou moins
décidé qu'il sera nécessaire de les
accepter.
Par les évêques
nouveaux, le cardinal pourra connaître les sentiments de la
pensée du pape, lequel pourrait attendre le jugement des
évêques pour prononcer le dernier mot.
(Personne en dehors d'eux, pas même mes collaborateurs, ne sait ce que pense le pape jusqu'ici.
Chacun aura son propre avis
Détruisez
cette lettre après avoir parlé au cardinal –
l'Autorité du 7 avril 1907 a publié cette lettre, mais
avec ces phrases en plus)
Quelques jours plus tard, Montagnini écrit
à Merry de Val pour l'aviser des dispositions
conciliantes du Conseil d'Etat dans l'élaboration du règlement
d'administration publique. Ainsi, le Conseil d'Etat dans
l'élaboration de ce règlement a décidé
que les Associations cultuelles seront maîtresse de leur
constitution et aussi du choix de leurs membres.
Écoutez la réponse de Merry del Val : elle est
intéressante :
5
mars 1906
de Merry del Val à
Montagnini
J'ai reçu ce matin
votre télégramme concernant des concessions faites par
le Conseil d'Etat. Je dois cependant vous affirmer que cela ne
modifie pas du tout, comme j'ai eu l'occasion de vous l'écrire
il y a peu de jours, les dispositions de celui qui nous commande.
Prenez cela pour votre gouverne. Intelligent pauca
MERRY DEL VAL
On apprend la
constitution de trois associations cultuelles près de Paris.
Aussitôt des ordres sont donnés de Rome :
18
mars 1906
Merry del val à Montagnini
Si
la note du gouvernement aux Débats est exacte, note disant
qu'il a été constitué trois associations
cultuelles près de Paris, je vous prie d'inviter le
cardinal-archevêque de procéder de suite avec la plus
grand énergie pour arrêter une initiative non autorisée
par le Saint-Siège.
Lorsqu'il s'agit pour l'Église
de l'attitude à prendre quant à la loi de séparation,
la majorité des évêques est favorable à
l'acceptation des associations cultuelles.
Mgr Amette partage cet
avis:
Paris, 7 novembre 1905
...... J'ai vu hier Mgr
Amette qui arrivera à Rome vendredi pour rendre visite à
Votre Éminence. Il est partisan de l'acceptation de la
loi.
27 novembre 1905
Montagnini à
Merry del Val
L'opinion de la majorité des évêques
est pour l'acceptation des associations cultuelles.
6 mai
1906
Montagnini à Merry del
Val
Amette, toujours pour les associations cultuelles.
7
juin 1906
Montagnini à Merry
del Val
Véritable pression de la majorité
contre la minorité. La première est venue avec le siège
tout fait et parti pris ... Tarentaise et Bousquet ont une attitude
irrévérencieuse ... Eux deux seuls applaudirent quand
la majorité se prononça ... Plainte sur la Commission,
qui ne comprend aucun membre de la minorité. Tous restèrent
cependant persuadés que chacun obéira.
12
juillet 1906
Montagnini à Merry
del Val
Il y a quelques jours, j'ai reçu la visite
de M. Émile Ollivier, qui m'a dit être toujours pour la
résistance à la loi de séparation. Bismarck,
a-t-il ajouté, a commencé à battre en retraite
le jour où les catholiques allemands résistant au
Kulturkampf, et, du reste, en faisant le contraire de ce que
désirent et veulent nos ennemis, nous sommes sûr de ne
pas nous tromper. Mon interlocuteur m'a également assuré
qu'il avait entendu de la bouche même de certains députés
blocards que si le pape repoussait la loi, ils étaient perdus
... Enfin, concluait M. Émile Ollivier, le pape a condamné
récemment cette loi, et il ne pourrait admettre aucun
correctif, sans compromettre le prestige pontifical.
Le
15 août 1906, est publié l'encyclique du pape déclarant
qu'il refuse d'accepter les associations cultuelles. Le même
jour, M. Émile Ollivier écrit à Montagnini :
15
août 1905
Cher Monseigneur
Je viens de lire le
document; il est superbe, plein de force et de tact. Pas de
déclamation, une résistance incroyable; c'est admirable
d'un bout à l'autre
Bien
cordialement
EMILE OLLIVIER
Ainsi, Rome condamne
la loi jusque dans son application pratique. A tous les essais
conciliation, à toutes les initiatives, on répond par
un veto absolu. Ce qu'on veut, c'est une conversation officielle, une
reprise des relations diplomatiques :
3
septembre 1906
Merry de Val à Montagnini
Il faudra cependant faire comprendre à Gayraud qu'il ne
devrait pas prendre des initiatives pour lesquelles il n'a reçu
aucun mandat du Saint-Siège. Je ne voudrais pas qu'il nous
contraignit à le désavouer. Sa question est ingénue;
on ne demande pas au gouvernement de faire profession de foi, mais
qu'il fasse au moins ce que font les gouvernements athées,
protestants et le Sultan lui-même, qu'il reconnaisse au moins
le fait indiscutable de l'existence d'une société
internationale qu'on nomme l'église romaine, et qu'il ne
reconnaisse pas des individus et des associations comme appartenant
légitimement et légalement à cette société
s'ils ne sont pas reconnus par la susdite société, qui
a comme chef un directeur général qu'on nomme pape et
des chefs locaux qu'on appelle évêques. Le gouvernement
doit reconnaître comme seule légitimes et légales
les associations composées de seuls individus inscrits sur les
registres du pape et des évêques auxquels revient
naturellement le droit de renvoyer ceux qu'ils ne veulent plus
conserver; que cela soit assuré légalement, puis on
verra.
Tout essai d'accommodement
avec la loi est sévèrement repoussé. Ainsi les
associations cultuelles qui se sont constituées ont reçu
la dévolution des biens. Plusieurs députés
proposent de déférer ces actes au Conseil d'Etat.
Écoutons la réponse de Merry del Val :
Merry
del val à Montagnini
Au sujet des attributions de
biens aux associations cultuelles de Culez et de Puymasson.
...
Ce que dit M. Dernys Cochin, à savoir que l'arrêt de
principe du Conseil d'Etat fixant la jurisprudence vaudra mieux
qu'un texte de loi, est contestable ... M. Dernys Cochin en voulant
faire trancher ces questions par le Conseil d'Etat, donne raison à
l'article 8 de la loi, lequel institue juge en l'espèce le
même conseil d'Etat, ce qui précisément fait
injure aux droits de l'Église ... Ce bon député
incline toujours malgré tout à un accommodement d'une
façon ou d'une autre avec la loi en dehors de laquelle,
dit-il, on ne peut pas marcher. C'est ce même esprit
d'insoumission qui est entretenu par la Revue des Deux Mondes.
On
cherche un accord au moyen de la loi de 1901. Là se produit la
fameuse dépêche :
11
novembre 1906
Montagnini à Merry del Val
(Chiffré)
Député Piou demande que
dire si demain dans la discussion parlementaire on venait offrir avec
garanties légales le droit commun en matière
d'associations cultuelles.
Voici la
traduction très exacte de la réponse de Merry del Val
:
Merry
del val à Montagnini (Chiffré)
Repousser,
parce qu'elle est absurde garantie légale si elle est offerte
par le gouvernement. L'exercice du droit commun, Piou peut l'admettre
comme pour soi, mais évidemment non comme solution de la
question religieuse.
On
ne veut pas user des textes des lois françaises en dehors de
la reprise des relations diplomatiques. Ce qu'on veut encore, c'est
que la loi de séparation ne soit pas exécutée
:
25
février 1905
Montagnini à Merry del
Val
Piou m'a raconté que, dans un de ses derniers
discours, il lui a suffit de dire qu'une semblable loi devra être
violée pour électriser les quatre ou cinq mille
personnes qui l'écoutaient et se faire applaudir
frénétiquement.
17 mars 1905
Montagnini à Merry del Val
... Je profite
de l'occasion pour vous transmettre un manifeste imprimé qui a
été affiché hier dans les principales rues et
places de la capitale et au sujet duquel plusieurs sont venus me
parler. Le promoteur de ce manifeste est l'abbé Garnier, aidé
pécunièrement par le cardinal Richard.
Voici quelque chose de plus topique encore. C'est la
fameuse lettre du 12 août 1905. C'est un acte qui, ainsi que sa
date l'indique, n'a pas été écrit à
l'occasion des inventaires. Il a été écrit à
l'occasion de manifestations qu'on a essayé d'organiser un peu
partout pour faire pression sur les Conseils généraux
qui venaient alors d'entrer en cession:
Rome,
12 août 1905
Merry del Val à Montagnini.
J'ai
reçu votre rapport relatif aux manifestations publiques qui se
produisent en France contre la loi de Séparation de l'Église
et de l'état; en vous remerciant des détails contenus
dans ce rapport, je vous engage à faire en sorte que des
manifestations semblables se multiplient pendant la période
actuelle qui est pour ainsi dire une période de transition. Il
est toutefois inutile d'ajouter qu'en agissant ainsi, il faut que
vous usiez d'une prudence extrême, afin que vous n'ayez pas à
vous compromettre.
Voilà
bien indiquée, dès le mois d'août, quelle va être
l'attitude du saint-Siège : ne point se compromettre, tout en
fomentant l'agitation et en multipliant les manifestations publiques,
dans le but d de faire échec à la loi.
Au reste, à cette époque, ceux qui savent le
mieux lire et interpréter les documents romains ne se sont pas
trompés, et le 23 octobre 1905, M. Montagnini écrit à
M. Merry del val :
23
octobre 1905
Montagnini à Merry del
Val
La lettre si grave et si digne du
saint-Père à Son Éminence le cardinal Richard
publiée dans les journaux de la capitale, n'a été
jusqu'à présent que très peu commentée
par la presse même modérée. Le silence, qui ne
peut être attribué qu'à un mot d'ordre, ne
diminue en rien la grandeur et l'importance de ce document ...Le
Gaulois et la Libre Parole déduisent des paroles du
saint-Père le présage des résistances
futures.
Ces résistances
futures, vous savez sous quelle forme elles se sont manifestées.
Cela a été des troubles à l'occasion des
inventaires. Ici, nous trouvons brusquement une lacune dans les
papiers de M. Montagnini; lacune dont à mon sens il n'est
peut-être pas bien difficile de trouver la cause; car j'ai
peine à croire que le Ministre et le diplomate qui plusieurs
fois par jour prennent soin de s'entretenir des sujets les plus
insignifiants, aient tout à coup cessé la
correspondance au moment le plus intéressant. Je ne trouve à
ce silence sur des événements aussi important que les
inventaires, qu'une explication : pour une fois – ce n'est de
ma part qu'une hypothèse, mais qui est à considérer
– il est vraisemblable que ce bon Montagnini aura été
prudent, et que conformément aux instructions qui lui avaient
été données, il aura brûlé les
pièces trop compromettantes. Il en est resté cependant
quelques unes, assez pour permettre de préciser quelle fut en
cette affaire l'attitude de Rome, et pour permettre de constater
qu'elle fut conforme à celle qui était préconisée
dans la lettre du 12 août 1905, c'est à dire : provoquer
des manifestations, tout en faisant en sorte de ne point se
compromettre:
Rome,
18 décembre 1906
Merry del val à
Montagnini
J'ai reçu régulièrement
votre rapport et les pièces annoncées, me
rapportant à ce que vous communiquez sur les décisions
prises par les évêques au sujet de l'attitude que
devront prendre les fabriques et les prêtres au moment des
inventaires. Je m'empresse de vous faire savoir que ces décisions
sont conformes aux pensées du Saint-Siège et que, par
la suite, on doit les approuver.
Rome, 16 février
1906
Merry del val à Montagnini
Dites
de nouveau au cardinal de Paris que le saint-Siège approuve
les instructions données par lui en ce qui concerne les
inventaires, soit dans les églises, soit dans les sacristies.
Priez aussi le même cardinal d'écrire confidentiellement
et avec sollicitude à l'archevêque de Cambrai, en lui
faisant connaître ces pontificales approbations, ainsi qu'à
d'autres évêques.
Ajouté de la main de
Montagnini:
J'ai donné diverses instructions.
Cause
catholique a perdu du terrain depuis 10 jours
Évènements
de Versailles. – Jeunesse catholique à l'archevêché,
puis chez moi. - Disposée à cesser si la chose ne
convient pas à Rome.
Archevêque de cambrai. -
Inventaires. - résistance organisée. Peut être
utile de télégraphier immédiatement à
l'archevêque.
Arrivons à
décembre 1906, c'est à dire aux événements
ayant précédés le procès actuel. Les
églises resteront ouvertes. Toutefois, il y à une
formalité : la déclaration. Elle est si simple
que déjà les déclarations affluent. On pouvait
espérer une ère de calme. Cela ne faisait pas l'affaire
de Rome. Montagnini demande des instructions :
Paris,
3 décembre 1906.
A Merry del val
En
considérant la circulaire Briand, les prêtres
peuvent-ils faire la déclaration exigée ?
Avant
de répondre, Mgr del Val demande à connaître
quelques avis :
Rome,
4 décembre 1906
Merry del Val à
Montagnini
Avant de répondre sur la déclaration,
je désirerais connaître l'opinion personnelle de S.E.
Richard. Télégraphiez aussi l'impression d'autres
personnes ayant la confiance du Saint-Siège.
Voici
les réponses demandées :
4
décembre 1906
A Merry del Val
Archevêque
de Paris inclinerait personnellement à refuser la déclaration
sans abandonner les églises; mais criant que, sous influence
de l'entourage, les catholiques ne comprennent pas ce refus, ayant la
perspective de voir fermer les églises et d'être réduit
au culte privé.
Ici se
placent quelques précautions, quant à l'envoi de la
réponse du pape :
5
décembre 1906
Merry del Val à
Montagnini
Je désire connaître s'il serait
suffisant au cardinal de Paris de recevoir la réponse du
Saint-Siège par lettre partie aujourd'hui, ou s'il est
nécessaire de l'envoyer par télégramme.
Télégraphiez encore si le cardinal a le moyen de
communiquer la réponse du Saint-Siège dans l'épiscopat
pour avoir l'uniformité.
2 décembre 1906
Montagnini à Merry del Val
Cardinal de Paris
préfère avoir réponse par lettre. Son Éminence
aura le moyen de communiquer cette réponse à tous les
évêques.
Le pape
envoie sa réponse. Elle est négative :
Rome,
6 décembre 1906
Merry del Val à
Montagnini
Tout considéré, saint-Père
répond négative-ment et ceci pour se conformer à
la circulaire connue de l'autorité ecclésiastique
« Debet passive se habere ». Je
prie votre Seigneurerie d'en aviser de suite l'épiscopat.
Lettre suit.
« Communiqué le même jour une
copie au cardinal Richard. »
Et
Montagnini répond au cardinal Merry del Val :
Rome,
7 décembre 1906.
Montagnini à Merry
del Val
Le coadjuteur très attristé qu'on ne
fasse pas la déclaration qu'il regarde comme une formalité
sans importance; très ennuyé aussi qu'on ne sache quoi
faire, ni où aller.
Encore
quelques pièces sur la question des déclarations
:
Paris
, 7 décembre 1906
Merry del Val à
Montagnini
Curé Decalmon, du diocèse de
Toulouse, télégraphie que son archevêque a
prescrit la déclaration. Veuillez prévenir le cardinal
de Paris pour qu'il fasse connaître de suite à
l'archevêque de Toulouse que Sa sainteté n'autorise pas
la déclaration et veut l'uniformité épiscopale.
Laissé
une copie au cardinal Richard le 8 décembre au matin.
Paris,
8 décembre 1906
Montagnini à
Merry del Val
Amette est mécontent qu'on ait
réclamé l'avis du cardinal et dit qu'à Rome tout
se fait d'après le jugement de Richard. Richard a dit que
Delamaire était également pour les
déclarations.
Toulouse et le cardinal Richard
Paris,
le 9 décembre 1906
Montagnini à
Merry del Val
Encore contre les déclarations,
l'archevêque de Paris a communiqué en retard.
Rouen,
Bordeaux et Toulouse se sont rétractés.
J'ai
terminé la lecture de ces extraits par ceux se rapprochant le
plus du procès actuel. C'est un épisode de la lutte
engagée par Rome contre la loi française. Les plus
hauts dignitaires de l'Église ont été obligés
de faire amende honorable. Quoi d'étonnant que le clergé
inférieur ait quelquefois poussé le zèle plus
loin ? Vous savez maintenant à qui incombe la plus lourde
responsabilité.
Puisque la publication donnée à
ces pièces convaincre les hommes de bonne foi qu'il ne faut
jamais, quelles que soient les convictions religieuses, oublier le
respect de la loi française.
Après le réquisitoire de M. Mornet, substitut,
l'audience est suspendue à deux heures et demie.
Elle est reprise à deux heures cinquante, et, sur la demande
de Me Danet, la parole a été donnée à M.
l'abbé Jouin, qui s'est exprimé ainsi :
M. Le substitut a parlé des inventaires de Saint-Augustin. Je
tiens a rappeler que ces inventaires n'ont donné lieu à
aucun incident. J'avais dit à l'agent des domaines : « Vous
n'avez rien à craindre des paroissiens de
Saint-Augustin ».
On m'a reproché
d'avoir établi une garde autour de mon église. C'est
vrai, c'était mon droit. Je l'avais établie contre la
police qui, pour inventorier chez moi, a dû recourir à
la surprise, ce qui n'est ni légal, ni français.
J'ai célébré une messe de deuil à cause
de l'apostasie officielle du gouvernement.
Vous
avez voulu commenter certaines paroles de M. Clemenceau affirmant
qu'il a la preuve que les ordres ont été donnés
par Rome aux curés de Paris. Où sont ces curés ?
Vous n'en avez trouvé qu'un seul, celui de Saint-Augustin, et
encore vous avez dû changer deux fois, vis-à-vis de lui,
de système d'accusation.
Dans cette
poursuite, il n'y a qu'un prétexte. Je ne veux pas servir de
prétexte à M. Clemenceau.
Prêtres, nous n'avons qu'un chef, l'évêque,
au-dessus de l'évêque, le pape. Il y a eu les ordres du
pape, nous avons obéi. Ces ordres constituent notre loi.
Il ne faut pas de respect égal pour la loi laïque et la
loi de Dieu. Notre chef, à nous, pasteurs d'âmes, c'est
le pasteur des âmes, le Christ et celui qui parle en son nom,
le pape.
M. Briand a dit que le pape
est partout chez lui là où il y a des catholiques. Il
est chez lui en France. Il l'est plus que bien d'autres, et c'est
dans le coeur des prêtres français que vous retrouverez
peut-être bientôt l'image et l'amour de la patrie
française.
Me Danet a présenté ensuite la défense dans les termes suivants :
L'abbé Jouin a bien voulu se souvenir de l'amitié qui nous unit et m'a demandé d'être à ses côtés à l'heure grave où il comparait devant vous. Toute plaidoirie pour lui devrait être superflue, sa déclaration devrait suffire. Elle part d'un coeur droit et bien français. Après sa déclaration, le débat eût pu être clos. Telle était mon intention. Mas après le réquisitoire, je ne puis plus prendre cette attitude, et vous devez savoir toute la vérité. Qui trompe-t-on ? Quel est l'accusé ? Est-ce Montagnini ou le pape ? De qui suis-je le défenseur ? L'avocat du ministère public a requis contre un absent, qu'on a expulsé, qui ne peut se défendre et répondre aux objections qui lui sont faites. La justice ne gagne rien à de tels réquisitoires.
Le 11 décembre 1906, M. le substitut Grandjean signe son réquisitoire introductif. Il faut le rapporter, puisque nous plaidons devant une juridiction de répression, non devant un Parlement, comme la présence de quelques-uns de ses membres pourrait le laisser croire.
J'aurais pu faire déclarer l'instruction nulle; M. l'abbé Jouin n'a pas consenti. En vertu du réquisitoire, M. Ducasse se transporte à la nonciature, interroge Montagnini, qui proteste à la foi de son innocence et contre la perquisition dans l'hôtel de la nonciature; on y saisit tous les dossiers, qui sont portés au greffe et Montagnini est expulsé. Cette saisie a soulevé des protestations légitimes. On a voulu publier; mais que la commission d'enquête publie tout, car s'il y a des lacunes, je les ferai rectifier.
Vous n'aviez pas le droit de faire cette perquisition. L'hôtel de la nonciature était inviolable. Le concordat n'avait pas été dénoncé à Rome; les relations diplomatiques étaient donc suspendues et non rompues.
Auriez-vous admis que le pape saisisse les papiers diplomatiques de la nonciature à Rome ? Si vous êtes allés là, c'est que le pape n'a pas un canon et que vous ne courriez aucun danger. Vous êtes hypnotisés que par une chose : la soutane d'un prêtre ou la cornette d'une religieuse. Voilà pour le point de vue diplomatique.
Au point de vue judiciaire, vous avez violé tous les articles du Code d'instruction criminelle sur la saisie (art. 36, 37, 38 et 39). Le juge d'instruction peut saisir, mais les pièces saisies sont un dépôt sacré, garantie du prévenu ! Vous avez supprimé la défense du prévenu. Les opérations doivent être faites en présence du prévenu (art. 39). L'avez-vous fait ? Non. Rien n'est plus monstrueux. Ces scellés, que sont-elles devenu ? Montagnini, qu'en avez-vous fait ? Il a commis un crime, dites-vous, et il est le grand coupable ? Vous n'aviez qu'à le faire mettre en prison. Vous ne lui donnez même pas un sauf-conduit pour revenir. Vous avez fait des choses extraordinaires. Si M. l'abbé Jouin l'avait voulu, l'instruction était annulée. On a fait un tri de ces dossiers, on a retiré ce que l'on voulait. Le monde diplomatique s'en est ému et le ministère des affaires étrangères a envoyé retirer certaines pièces du dossier. La preuve est là, cote 11 du dossier, M. Gavarry est venu chez le juge d'instruction, les dossiers se sont ouverts, on a retiré des pièces, on a mentionné sur chaque scellé les documents extraits et remis au ministère des affaires étrangères. Voir scellé n°1. La pièce 15 en a été restituée aux affaires étrangères, pas de signature, pas de date. De même au scellé 26. Vous pouviez le faire à une condition, c'est que le prévenu ait été présent. Vous ne l'avez pas convoqué.
Vous avez, en outre, prononcé une ordonnance de disjonction avec l'affaire Montagnini, et, malgré cela, vous lisez des documents dont pas un seul ne lui a été communiqué, et vous en faites tout le procès.
Vous avez fait des traductions d'italien en français: par qui ces traductions ont-elles été faites ? Elles n'ont aucune authenticité.
M. le substitut : Nous avions six experts.
Me Danet : Vous en aviez nommé même neuf. Je ne sais où vous les aviez choisis, pas un ne figure sur la liste des traducteurs-juré, et, cependant, ils ont prêté serment pour traduire l'italien. Ces experts ont eu une attitude singulière. Ils ont prêté serment de traduire fidèlement. Ce sont eux qui se sont faits juges de l'importance des pièces à traduire. On trouve au milieu de ces traductions des mentions des experts : « passage sans intérêt », et d'autres du même genre.
Lorsque quelque chose gène, on dit « illisible » (cote 360. Lettre de Montagnini à Merry del Val relatant les propos de Millerand et Fallières, à la fin on met : illisible. D'autre part, une main mystérieuse a ajouté certaines mentions aux travaux des experts. (Voyez scellé n°3, cote 39.) Je serais curieux de savoir qui peut corriger un travail de traducteur-juré ? Et de même dans beaucoup d'autres pièces.
Je me résume et fais appel aux souvenirs de ceux qui assistent à ces débats comme l'a fait M. l'avocat de la république, et je dis que cette instruction à violé les articles du Code de procédure. Aussi, avec une grand justice, M. le président a-t-il dit : S'il y a dans ces documents un seul qui se rapproche de l'inculpation de M. l'abbé Jouin, le moment est venu de le produire et vous avez répondu : pas « un ».
Alors, c'est un procès de tendance; la poursuite des curés est un prétexte; le but, les papiers.
Et vous saviez que personne ne viendrait réclamer les papiers pris à l'ambassade ! Et pendant deux heures se sont passées pendant lesquelles vous avez lu ces papiers.
Et, maintenant, revenons à M. l'abbé Jouin, car il faut se souvenir qu'il est là. La preuve qu'il n'était qu'un prétexte est que le 11 seulement eut lieu la perquisition; le 12 seulement, on signifie un mandat de comparution à l'abbé Jouin.
On le poursuit pour avoir prononcé un sermon le 6 décembre. « C'est inexacte, a dit M. Jouin, je n'ai pas fait de sermon, mais j'ai fait paraître un article dans une brochure que je remets depuis huit jours à mes paroissiens. » On a alors fait un second réquisitoire introductif pour changer la nature et le jour du délit. Si tout cela a été fait, on le doit à l'abbé Jouin, qui n'a pas voulu se retirer derrière un faux-fuyant. C'est donc peut-être sa franchise qui vous a permis de faire le déballage de vos papiers.
Je n'ai pas voulu alourdir un procès de cette nature par une discussion de droit : je connais vos sentiments, nous vous connaissons comme vous nous connaissez, et vous direz au ministère public : « Vous avez voulu faire dévier le débat; nous acquittons en droit et en fait. » Aussi, sur cette question de l'article 37, j'ai prié Me Hannotin de rédiger une consultation; vous la méditerez comme elle mérite de l'être.
Quand j'entendais M. l'avocat de la République dire qu'il fallait tenir compte des circonstances extérieures, c'est là une erreur et vous en avez fait justice en acquittant l'abbé Bréa. La résistance aux lois doit avoir un lien formel avec les faits reprochés, la résistance doit être directe. Il faut un appel à la force, une excitation formelle à l'acte matériel. Sur tous ces points, vous avez une consultation, dont vous adopterez les motifs en droit et en fait ...
L'article reproché a été lu; cinq lignes sont retenues, depuis. « La lutte est commencée ... « jusqu'à garder sa foi ne suffit plus, il faut la défendre. » Deux expressions peuvent être retenues : 1° deuil armé, dans armé, le mot « arme » est-il une provocation directe ? Je ne discute pas ce point, ce serait trop puéril. L'accusation cherche un mot pour faire un réquisitoire de trois heures. S'il avait conseillé le combat, pet être le sang aurait-il été versé ! Ces expressions avaient été reproduites en décembre 1906 dans la même brochure, et vous n'avez pas poursuivi, parce que vous n'aviez pas besoin à ce moment de prétexte. D'ailleurs, au figuré, vous connaissez les différents sens du mot armé. Armé – à en croire le dictionnaire de l'Académie – est employé métaphoriquement, même dans le langage courant. On s'arme de courage; on s'arme d'un manteau contre le froid. Voltaire qui n'est pas suspect de cléricalisme, a dit : « La philosophie nous arme contre les préjugés. »
Ne dit-on pas : le bouclier de la foi, le casque du salut; la cuirasse de la justice ?
M. Le curé a expliqué ce qu'il voulait dire : « Certains adversaires prétendent que nous sommes à terre, j'ai voulu donner du courage aux catholiques et leur donner une foi plus agissante. C'était un langage imagé. » M. le président du conseil disait bien : « Je tire le premier coup de canon. » C'est un procès lamentable.
Si le mot « deuil armé » est enlevé, il reste « nous devons défendre la foi ». Ce n'est pas une provocation, c'est une défense. Vous n'avez qu'une pensée : déchristianiser le pays; nous nous croyons encore à la foi de nos pères, nous sommes soucieux de lui être fidèles, et quand nous nous rappelons les conseils qui nous ont été donnés, vous pouvez nous faire la lutte, nous sommes de ceux que vous ne vaincrez jamais. Il faut donc une foi militante et affirmée.
Vous avez parlé de la complicité avec Montagnini, cependant aucun document ne le concerne dans votre volumineux dossier ; il y est question de tout le monde, excepté de lui et je m'abrite derrière M. le président du conseil: « Dans ce dossier, mais il n'y a que des pièces à décharge pour l'abbé Jouin .» Ce que vous avez voulu démontrer, c'est l'ingérence de Rome dans les affaires de la France. Non, le pape n'est pas un danger, M. Briand l'a dit lui-même à la tribune.
Ce sont nos adversaires qui ont recours à l'étranger et l'on voit leurs journaux employer pour leurs campagnes l'or de l'étranger. L'Humanité n'a-t-elle pas recours à l'or allemand et la Justice ne fut-elle pas commanditée par Cornélius Hertz ? N'est-ce pas avec l'or de l'étranger qu'on fait les élections chez nous ?
M. le substitut. - Je ne puis laisser dire que les élections sont faites en France avec l'or de l'étranger.
Me Danet. - En parlant de l'Humanité et de la Justice , je n'ai fait qu'user de mon droit.
Les sentiments de la papauté ne sont pas ceux d'un étranger : Le Saint-Siège (est-il dit dans les lettres de Merry del Val au dossier) ne veut pas créer d'agitation; il est disposé à entrer en relations avec le cabinet Rouvier, pour les négociations relatives au Concordat.
J'en veux pour preuve cette note trouvée au dossier et ainsi conçue :
Cardinal Merry del Val à Monseigneur Montagnini
« Si Rouvier veut rétablir les relations diplomatiques nous sommes prêts. »
Dans le même sens, vous pouvez lire la lettre du cardinal Merry del Val à Monseigneur Montagnini. Elle s'exprime ainsi :
Rome, 19 février 1905
« M. Denis Guibert peut rassure M. Rouvier de vive voix plutôt que par écrit.
Le Saint-Siège n'a pas l'intention pour l'instant de faire un acte quelconque de protestation contre le cabinet actuel.
Il serait peut logique, après avoir subi en silence les insultes de Combes, que le saint-Siège élevât la voix contre un cabinet qui a commencé à peine l'offensive dans la séance du 10 courant.
Le Saint-Siège serait très heureux si, au contraire, il pouvait s'entendre avec le gouvernement pour aplanir les difficultés existantes et épargner à la France une dangereuse situation religieuse. »
Et dans une autre lettre du cardinal Merry del Val à Montagnini en date, à Rome, du 28 mars 1905, le premier s'exprime ainsi :
« Vous pouvez dire à M. Cochin que le Saint-Père, malgré les difficultés de l'heure présente, considère toujours la grand nation comme la fille aînée de l'Église, l'aime tendrement, et n'a aucunement l'intention de la punir en Orient pour les fautes de son gouvernement en France. »
D'ailleurs, il y a vingt-cinq ans que la lutte est ouverte contre la religion du Christ. Le 28 mars 1882, alors que les premiers coups étaient portés aux écoles chrétiennes et aux congrégations religieuse, le vénérable cardinal Guibert, archevêque de Paris, au moment de terminer sa longue et sainte carrière, adressait au président de la république ces graves et patriotiques paroles qu'il est utile de rappeler aujourd'hui :
« En continuant dans la voie où elle s'est engagée, la République peut faire beaucoup de mal à la religion ; elle ne parviendra pas à la tuer.
l'Église a connu d'autres périls, elle a traversé d'autres orages, et elle vit encore dans le coeur de la France.
Ce n'est pas le clergé, ce n'est pas l'Église qu'on pourra accuser de travailler à la ruine de l'établissement politique dont vous avez la garde : vous savez que la révolte n'est pas une arme à notre usage.
Le clergé continuera de souffrir patiemment; il priera pour ses ennemis; il demandera à Dieu de les éclairer et de leur inspirer de plus justes sentiments, mais ceux qui auront voulu cette guerre impie s'y détruiront eux-mêmes, et de grandes ruines auront été faites avant que notre bien-aimé pays revoie des jours prospères.
Les passions subversives, dont plus d'un indice fait redouter le prochain réveil, créeront des périls autrement grave que les prétendus abus que l'on reproche au clergé.
Et Dieu veuille que, dans cette affreuse tempête où les appétits déchaînés ne trouveront plus devant eux aucune barrière morale, on ne voie pas sombrer la fortune et jusqu'à l'indépendance de notre Patrie.
Parvenu à l'extrémité de ma longue carrière, j'ai voulu, avant d'aller rendre compte à Dieu de mon administration, dégager ma responsabilité à l'égard de pareils malheurs.
Mais je ne me résous pas pas à clore cette lettre sans exprimer l'espoir que la France ne se laissera jamais dépouiller des saintes croyances qui ont fait sa force et sa gloire dans le passé, et lui ont assuré le premier rang parmi les nations. »
Cette lettre remonte à vingt et un ans. Quel beau langage et quelle prescience de l'avenir. Le cardinal Merry del Val écrivait, le 28 mars 1905 à M. Cochin « quels étaient les sentiments du pape à l'égard de la nation française, autrefois la première nation du monde. » Nous nous sommes endormi depuis. Nous ne voyons la gloire de la France qu'en images. Elle était autrefois à la tête des nations, elle qui faisait trembler l'Europe, elle qui faisait l'envie de tous nos ennemis. Que sont devenues les qualités de notre race; la loyauté a fait place à la délation. Voilà où nous en sommes, et la révolution monte, et les journaux nous apprennent que le lendemain peut être un terrible réveil. Quelle responsabilité assument ceux qui font de telles choses. L'inquiétude est partout; pas un père qui ne soit soucieux de l'avenir de ses enfants et ne pense au peu de garantie qu'offre le lendemain. Tous les jours, les journaux font de la provocation répréhensible. La voilà bien la violation de l'article 37, et on tolère et on laisse faire. N'est-ce pas scandaleux de voir un président de syndicat dire à un ministre: « Je vous mets au défit de me révoquer ! » Et le fonctionnaire qui a tenu ce langage est encore en place.
Je ne veux pas terminer sur une parole de tristesse : Que ferez-vous de cette révolution ? Quant à nous, ce que nous voulons, c'est laisser à nos enfants un patrimoine d'honneur; qu'ils soient tous honnêtes et religieux. Ce qu'il faut, ce ne sont pas des paroles de haine et de discorde, mais l'union de toutes les forces vives pour la grandeur de notre patrie. Vous pouvez la faire par un jugement d'acquittement. J'ai fini; je remercie M. l'abbé Jouin de m'avoir fait venir à ses côtés. Je vous remercie de cette attention dont vous m'avez honoré. Vous avez écouté un vieil avocat et un bon Français, et ce sont de vrais magistrats qui m'ont entendu.
A l'audience du 13 avril 1907, le Tribunal
correctionnel de la Seine (9° chambre) « déclare l'abbé
Jouin coupable d'avoir,à Paris, le 9 décembre 1906,
commis le délit prévu et puni par l'article 35 de la
loi du 9 décembre 1905, en distribuant publiquement à
ses paroissiens, dans l'église Saint-Augustin, une brochure
contenant une provocation directe à résister à
l'exécution de ladite loi; et , lui faisant application dudit
article, le condamne à 16 francs d'amende et aux dépens. »
Le garde des sceaux donna immédiatement l'ordre
au procureur général de déférer ce
jugement à la Chambre criminelle de la Cour de cassassion, en
lui demandant d'annuler plusieurs attendus qui constituaient, selon
lui, un abus de pouvoir.
Par arrêt en date du 17 mai 1907, la Cour a cassé et
annulé le jugement aux raisons que parmi les considérants
du jugement, se trouvaient les motifs suivants : "attendu qu'il
y a lieu d'admettre l'existence de circonstances atténuantes,
le prévenu s'étant trouvé atteint dans ses
sentiments intimes les plus respectables par certaines conséquences
de la loi contre laquelle il s'est élevé".
Mais la cour a laissé subsister l'attendu où il est dit
que la loi du 9 décembre 1905 apparaît comme une loi
d'exception exorbitante du droit commun.
La
suppression de cet attendu était également demandé
par le ministre; et il y tenait encore plus qu'à l'autre, mais
la Cour de cassassion estima n'avoir point a y toucher : le terme
"exorbitant du droit commun" ayant été pris
non dans un sens critique, mais dans son acception purement
juridique.
Enfin, la Cour décida la
transcription de son arrêt en marge du jugement critiqué.
"E finitia la comédia" commenta le quotidien
L'Action
|
Des membres de la commission parlementaire chargée d'étudier les « papiers Montagnini » assistèrent au procès.
Les journaux, au lendemain de l'arrêt de la cour de cassation, ont rendu compte des réunions de la commission ... pendant deux jours; et puis plus rien. Je n'ai pas plus trouvé de rapport de commission - s'il y en eût un – que de dossier d'instruction du procès Jouin – Il n'est pas répertorié aux Archives de Paris. L'inventaire des dossiers de la cour de Cassation n'était pas réalisé au 31/12/2005
Quant au procès Jouin,le dossier BB18/2309 des Archives nationales le concernant est VIDE.