M. Vacherie : Messieurs, j'ai l'honneur de déposer
sur le bureau de la Chambre une proposition de loi tendant au vote d'un
secours pour les victimes des événements survenus à
Limoges dans la soirée du 17 avril 1905.
Je me propose de demander le bénéfice
de l'urgence et la discussion immédiate. Si vous le permettez, je
donnerai lecture du court exposé des motifs. (Lisez ! lisez!)
Messieurs, dans sa séance du 18 avril,
à la suite des interpellations sur les grèves de Limoges,
la Chambre, à l'unanimité de ses membres, votait l'ordre
du jour ainsi conçu :
" La Chambre, profondément émue par
le récit qu'elle vient d'entendre, adresse sa sympathie aux victimes,
aux familles des blessés ..."
Nous pensons, nous, que dans dans des circonstances
aussi pénibles, des paroles sont insuffisantes. Il est de notre
devoir d'ajouter à l'aide morale de nos sympathie un secours effectif
qui puisse atténuer la détresse matérielle des malheureuses
victimes du triste événement que nous déplorons tous
M. Jaurès : très bien !
M. Vacherie : Il est du devoir du Gouvernement, ainsi qu'il en
a pris l'engagement formel, de rechercher les fautes, de dégager
des responsabilités, aussi bien en ce qui concerne les origines
de la grève qu'en ce qui concerne les différents incidents
qui ont provoqué la catastrophe du 17 avril. Il lui appartient aussi
de trouver et d'apporter les éléments de pacification qui
contribueront au rétablissement de l'entente et de l'union.
Mais, en attendant que nous puissions être
exactement renseignés sur ces événements douloureux,
sur l'étendue du malheur qui a frappé notre grande cité
travailleuse, il faut faire face aux nécessité urgentes.
Un malheureux jeune homme de vingt ans a trouvé
la mort dans le conflit sanglant qui a si tristement marqué la soirée
du 17 avril, laissant derrière lui une famille éplorée
; d'autres ont été plus ou moins gravement atteints.
M. le lieutenant-colonel Rousset : Et les soldats !
M. Vacherie : Aux deuils des familles et de toute la population,
aux souffrances des blessés s'ajoute la misère des familles
privées de leurs soutiens.
C'est une œuvre de justice et d'humanité
que nous vous prions d'accomplir en votant d'urgence un secours nécessaire
pour soulager ces misères immérités, et nous espérons
bien que l'unanimité qui s'est faite dans l'expression de nos regrets
et de nos sympathies se retrouvera pour adopter la proposition que nous
avons l'honneur de vous présenter.
M. Jaurès : très bien !
M. Vacherie : Nous atténuerons dans un bien petite
mesure les conséquences d'événements qui ont si profondément
ému la démocratie, et nous espérons que votre décision
contribuera à produire un apaisement qui est dans les cœurs.
Nous vous prions d'adopter la proposition que je
remets entre les mains de M. le président.
M. Cachet : Le crédit s'appliquerait aussi bien à la population civile qu'aux militaires ?
M. Jean Codet : Il y a le pluriel ; les militaires y sont donc
compris.
...
M. Etienne, ministre de l'intérieur : Messieurs,
le gouvernement s'associe pleinement à la proposition déposée
par notre collègue et ami M. Vacherie. Il estime que, dans les circonstances
présentes, il est de son devoir de panser les plaies qui ont été
la suite des déplorables événements de la nuit du
17 au 18 avril à Limoges. (Très bien ! très bien
!)
Il est bien entendu que, dans le sentiment
de la Chambre et du Gouvernement, le crédit demandé s'applique
aussi bien aux familles des victimes appartenant à la population
civile qu'aux familles des militaires qui ont été blessés.
(Applaudissements.)
M. Jaurès : S'il y en a ! mais je crois qu'il n'y en a pas.
M. le ministre de l'intérieur : Je m'associe d'autant
plus volontiers à cette mesure de pacification, d'apaisement et
de soulagement que j'ai la grande, la profonde et vive joie d'annoncer
à la Chambre que le conflit de Limoges a pris fin depuis ce matin.
(Très bien ! très bien !)
Grâce à l'activité, au zèle
et à l'habileté du juge de paix de Limoges, grâce à
l'infatigable dévouement de M. Lami de La Chapelle, président
de la chambre de commerce, une convention a été signée
ce matin entre les patrons et les ouvriers. (Très bien
! très bien !)
Cette convention donne complète satisfaction
à tous les intérêts en cause. L'accord est complet
et définitif; (Vifs applaudissements)
...
(L'urgence est déclarée et la Chambre décide
de passer à la discussion de l'article unique)
M. le président : "Article unique. - Il est
ouvert au ministère de l'Intérieur, sur le budget de l'exercice
1905, un crédit extraordinaire de 20 000 fr. destiné à
être distribué aux victimes et aux familles des victimes des
événements qui sont survenus à Limoges dans la soirée
du 17 avril 1905.
"Ce crédit sera inscrit à un chapitre
52 bis qui sera ainsi libellé : "Secours aux victimes et
aux familles des victimes des événements de Limoges."
"Il sera pourvu à ce crédit au moyen
des ressources générales du budget de l'exercice 1905."
En raison de son caractère tout à fait
exceptionnel, cette propositions de loi va être mise aux voix immédiatement,
mais je dois faire remarquer que cette procédure ne peut constituer
un précédent ; les demandes de crédits ordinaires
doivent toujours, selon l'usage, être envoyées à la
commission du budget et faire l'objet d'un rapport avant d'être soumises
à la chambre. (Très bien ! très bien !)
...
( La Chambre a adopté par 523 voix contre : 0)