23 novembre 1883
Chambre des députés

DISCUSSION DU BUDGET DES CULTES

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion da budget des cultes.
    La parole est à M. Lockroy.

M. Édouard Lockroy. Je n'ai que deux mots à dire à la Chambre, et je ne retarderai pas la discussion importante qui va s'engager. Je veux seulement, au nom de quelques-uns de mes amis et au mien, constater à cette tribune que, cette fois encore. nous sommes contraints de discuter le budget des cultes avant qu'ait eu lieu une discussion qui en était la préface naturelle, nécessaire et obligée, et qui avait été tant de fois solennellement promise : je veux dire la séparation des Églises et de l'État. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche. - Bruit au centre.)
    Je dis qu'elle avait été souvent et solennellement promise. Elle me l'avait été à moi­même par M. le président du conseil...
    Un membre à gauche. Et aux électeurs!
     ...un jour qu'il me faisait l'honneur de me répondre. M. le président da conseil m'a dit alors : " Quand vous voudrez, nous sommes prêts pour ce débat." Depuis, il a été déposé une proposition de loi sur la séparation des Églises et de l'État; depuis, cette proposition a été prise en considération par la Chambre; depuis, une commission a été nommée, et depuis un rapport a été déposé sur le bureau par notre collègue M. Paul Bert.
    M. le président du conseil nous a renouvelé sa promesse, et la discussion n'est pas encore venue. De sorte que nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'un Gouvernement qui nous dit:" Nous sommes prêts à soutenir cette discussion." et d'une discussion qui ne vient jamais! (Très bien ! très bien ! à gauche.)
    Je veux maintenant demander, soit à M. le président du conseil, soit à M. le ministre de la. justice et des cultes s'il pense que, à un moment donné, - je ne dis pas maintenant, parce que nous sommes pressés par la discussion budgétaire - mais au commencement de l'année prochaine, au retour des vacances, au mois de janvier, soit avant, soit après la discussion des lois militaires, nous pourrons enfin aborder cette question qui tient en suspens tous les esprits dans le pays. (Marques d'assentiment à l'extrême gauche. ­ Dénégations sur divers bancs.)
    Je lui demanderai encore s'il ne pense pas qu'il serait bon que cette discussion vint dès les premiers jours de notre rentrée, car elle est devenue extrêmement importante, plus importante qu'on ne le croyait autrefois.
    J'ai entendu M. le président du conseil la traiter " d'académique". Je pense qu'elle serait beaucoup moins académique et plus pratique qu'il ne le disait Nous devons, en effet, constater qu'un grand nombre de députés ont inscrit dans leur programme la. séparation des Églises et de l'État...

M. Clémenceau. Même des sous-secrétaires d'État !

M. Édouard Lockroy. .. .et que, depuis ce temps, cette doctrine a fait sur les bancs de cette Chambre un grand nombre de prosélytes, (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche. )
    En résumé, nous protestons donc contre le budget des cultes, et pour que notre protestation puisse trouver une formule, nous voterons contre ces crédits. (Nouveaux applaudissement sur les mêmes bancs.)
......
M. Jules Ferry, président du conseil, ministre des affaires étrangères. Messieurs, il est bien évident qu'il ne s'agit pas de fixer, en ce moment. l'ordre du jour du mois de janvier prochain.; mais, quand viendra la discussion sur les principes généraux engagés dans la question que résume celte formule: " la séparation des Églises et de l' État," nous ne ferons aucune difficulté pour dire notre opinion. qui est connue . .. (Interruptions à gauche), tout au moins dans ses lignes générales.
    J'ai exposé notre manière de voir dans une séance de la précédente assemblée, à laquelle l'honorable M. Lockroy a fait allusion, et je continue à croire que, pour tout le monde, pour le pays, pour le corps électoral, pour tous ceux, trop nombreux à notre a vis. qui estiment que cette formule est une solution, une réforme, un progrès réel, - ce que nous ne pensons pas - il est extrêmement utile, nécessaire même, qu'une discussion à fond s'engage quelque jour, et le plus tôt possible, devant vous.
    Nous ne la fuirons pas, pas plus que nous n'avons fui aucune autre discussion; seulement, ceux qui m'entendent reconnaîtront, comme mon honorable collègue M. Lockroy le reconnaît lui-même, que, dans le cours de la session actuelle, qui doit le terminer vers la fin de décembre, il n'est guère possible que ce débat vienne en ordre utile.
    Cette réforme, quoi qu'en dise l'honorable M. Lockroy, a, d'ailleurs, un caractère un peu académique; elle n'a guère de conséquences pratiques, et on ne trouverait pas dans cette Chambre une majorité pour la réaliser du jour au lendemain. (Protestations sur divers bancs à gauche.)
    Mais, qu'on lui reconnaisse, ou non, ce caractère académique, cette discussion est une des plus utiles auxquelles on puisse se livrer devant la démocratie française.
    Voilà mon sentiment sur votre projet. (Très bien ! très bien !)
......................
M. René Goblet. Messieurs, ce n'est pu un discours que je veux faire, mais à mon tour une déclaration; et, bien que je parle en mon nom personnel, je suis convaincu que cette déclaration répondra au sentiment d'un certain nombre de mes collègues.
    Je veux expliquer pourquoi, contrairement aux conclusions de M. Lockroy, je voterai, cette année encore, le budget des cultes, bien que je sois dès à présent un partisan décidé de la séparation des Églises et de l'État. (Marques d'approbation à gauche.)
    Messieurs, nous avons entrepris une œuvre nécessaire et logique, celle de la restitution, en toute matière, à l'État, de son caractère purement laïque. Mais je dis que, plus nous allons avant dans cette voie, plus il devient contradictoire et plus il est impossible d'admettre que l'État intervienne dans la matière des religions pour reconnaître des cultes et les salarier.
    Nous avons décidé que désormais l'enseignement dans les écoles serait purement laïque, et que l'enseignement religieux serait renfermé dans les temples. Nous avons, il y a quelques jours encore, voté une loi qui établit la neutralité des funérailles, tout en respectant le droit des citoyens, qui restent libres d'ajouter au service organisé par l'autorité municipale tels emblèmes, religieux ou autres, qu'il leur convient. Vous allez voter définitivement dans quelques jours la loi qui fera disparaître du serment judiciaire toute formule religieuse. Je dis que, quand vous faites cela, vous faites une chose contradictoire avec la reconnaissance d'un culte et avec la rémunération des ministres de ce culte.(Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)
    Un membre à gauche- Alors vous voterez avec nous la séparation ce l'Église et de l'État ?
    Eh, messieurs, il n'y a pas seulement là une contradiction qui heurte le sentiment public; il en résulte un état permanent de lutte et de conflit qui, à mon sens, n'est plus tolérable. Que l'Église soit hostile à nos institutions et à nos lois, je le comprends, puisque ces institutions et ces lois ont précisément pour objet d'affranchir la société civile de la domination de l'Église. Mais que cette hostilité soit plus longtemps tolérable de la part de fonctionnaires reconnus et salariés par l'État, voilà ce que je ne peux pas comprendre. (Très bien! très bien! à gauche.)
    Cette hostilité existe, et vous n'en pouvez pas méconnaître le caractère aigu. S'il y avait sur ce point une contestation possible, je vous mettrais sous les yeux un seul document: c'est la lettre répondue à M. le garde des sceaux par l'évêque de Tulle, défendant des prêtres qui avaient interdit certains manuels scolaires, d'ailleurs irréprochables, mais condamnés par la congrégation de l'Index.
    L'évêque de Tulle répondait à M. le garde des sceaux que ces prêtres n'avaient fait que leur devoir, et il lui tenait un langage qui est incontestablement le langage de la. révolte. (Applaudissements à gauche)
    Voix à gauche. Lisez! lisez!
    Voix à droite. Parlez donc des réclamations des pères de famille.
     M. le garde des sceaux ne le contestera certainement pas.
    Quel remède avez-vous contre une situation pareille? Vous avez l'appel comme d'abus! Mais vous savez bien que c'est une arme absolument dérisoire et que les évêques, aujourd'hui, ne sont pas plus effrayés par l'appel comme d'abus prononcé contre eux, que nos fonctionnaires par une menace d'excommunication. (Très bien ! à gauche.)
    L'appel comme d'abus pouvait avoir sa valeur sous le premier Empire, alors que tous s'inclinaient devant le maître, vivaient de sa faveur et ne redoutaient rien tant que d'encourir sa disgrâce. Mais aujourd'hui, sous la République, en quoi voulez-vous que les évêques se soucient d'un blâme du conseil d'État? Je ne dis pas qu'ils s'en rient, je dis qu'ils s'en font honneur.
    Je sais très bien que la conseil d'État a récemment découvert qu'il y avait une sanction possible à l'appel comme d'abus. C'est la suppression ou la suspension du traitement des évêques et des curés, comme des simples desservants ; le conseil d'État a fait cette découverte. S'il ne l'avait pas faite, on avait une loi toute prête à vous présenter pour vous demander d'établir cette pénalité et d'ajouter cette sanction au Concordat.
    Je ne veux pas  examiner la question de légalité, mais je vous demande si nous pouvons considérer qu'il y ait dans une mesure pareille un véritable remède à la situation que je viens d'indiquer. Comment! nous reconnaissons aux ministres des cultes le caractère de fonctionnaires publics ; nous les considérons comme chargés d'un service public, et quel service! Il faut voir les choses comme elles sont; c'est le plus grand, le plus auguste et le plus respectable des services. Nous les reconnaissons comme les représentants de la divinité auprès des hommes comme ses ministres...
    Une voix à l'extrême gauche. Ce sont eux qui le disent!
    C'est là le caractère qu'ils s'attribuent, que les fidèles leur reconnaissent et que nous leur reconnaissons nous-mêmes, en admettant la légalité des cultes, et en les rémunérant. Et ce sont ces hommes, investis d'an caractère pareil, que vous voulez traîner devant les tribunaux de police correctionnelle!

Et vous ne vous contentez pas de les soumettre à la loi générale. Non seulement vous maintenez contre eux dans notre législation pénale des pénalités spéciales. Il y a plus : vous voulez les soumettre à un traitement humiliant, que vous n'appliquez pas aux autres fonctionnaires; vous voulez leur retenir leur traitement!
    Je dis qu'il y a là un spectacle profondément affligeant, et aussi contraire à la dignité de la religion et des cultes qu'à la dignité et à l'autorité de l'État. (Très bien! très bien ! sur divers bancs.)
    Il n'y a pour moi qu'un remède à cela ; que la question soit académique ou pratique, peu m'importe. (Très bien ! très bien! à gauche.) Je dis que la question doit être résolue, je dis qu'il y a là une question qu'il faut absolument trancher; je dis qu'il y a là une situation fausse et contradictoire dans laquelle un Parlement et un pays ne peuvent demeurer plus longtemps. (Marques d'assentiment sur divers bancs. )
    Et j'ajoute que, selon moi, il n'y a qu'une solution, c'est que, puisque les Églises ne peuvent pas vivre en bonne intelligence avec l'État, chacun reprenne sa liberté.
    Je comprends très bien que cette liberté ne va pas sans des garanties nécessaires à l'ordre social.
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     Il n'y a pas de libertés sans ces garanties, car elles conduiraient forcément au désordre et à l'anarchie. Je comprends très bien que si toute liberté doit être laissée aux associations qui se forment pour l'exercice d'un culte, la personnalité civile, le droit d'acquérir et de posséder ne peuvent jamais être concédés que par l'État.
    J'ai soutenu cette doctrine en matière de syndicats professionnels: A plus forte raison l'appliquerai-je dans la. matière dont nous nous occupons en ce moment.
    Je comprends aussi très bien que la capacité d'acquérir et de posséder ne pourra jamais être accordée que moyennant certaines conditions et avec certaines limites.
    Je ne veux pas plus qu'aucun de mes collègues contribuer au rétablissement du biens de mainmorte.
    Je comprends parfaitement, d'autre part, que la transition ne peut pas se faire brutalement, qu'il y a là une situation qu'il faut dénouer. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs. )
    Je comprends qu'elle ne peut l'être sans des ménagements pour les droits acquis pour les intérêts engagés, pour les croyances, et, si vous le voulez, pour les habitudes de nos populations. Je comprends qu'il n'est pas possible d'arriver à 1a liberté sans avoir laissé à la liberté le temps de s'organiser et de se préparer à suppléer à la protection de l'État.
    II y a donc un modus vivendi à trouver et à réaliser, il y a des mesures transitoires à prendre. Et dès lors, - et c'est en quoi je combats la conclusion de l'honorable M. Lockroy - la suppression du budget des cultes est une conséquence; elle ne peut pas être un commencement. Nous ne pouvons pu supprimer le budget des cultes tant que ces mesures préparatoires n'auront pas été prises. Nous risquerions, sans cela, de violenter une chose que je considère comme respectable par dessus toutes choses, la liberté des consciences, et des consciences religieuses comme des autres.
    Je veux que l'État s'affranchisse de la domination de l'Église, mais je ne veux pas tyranniser l'Église ni les consciences religieuse; ce ne sont même pas les nécessités financières du budget qui pourraient me déterminer à entrer dans cette voie.
    Il faut donc organiser ce modus vivendi. Quant à présent, prononcer la suppression du budget des cultes, revenir sur les crédits qui y sont proposés, rogner encore sur ce budget,  quand nous l'avons déjà soumis à tant de rédactions. .. (Vives exclamations  à gauche,) Messieurs, j'ai l'habitude de dire ma pensée tout entière et je ne recule pas devant ses conséquences. Je ne voterai pas les réductions qui nous sont proposées aujourd'hui par l'honorable M. Jules Roche. Voici en deux mots mes raisons :
    Je considère que, tant que l'État, à tort selon moi, reconnaît aux cultes le caractère d'un service public, il doit les rémunérer convenablement et qu'il n'est pas possible de venir marchander à leurs fonctionnaires les traitements dont ils sont en possession.
    Nous ne pouvons pas continuer à reprendre chaque année cette discussion de sous et deniers; nous ne pouvons chaque année nous demander s'il y a lieu de maintenir ou non un ambassadeur auprès du pape.
    Cette politique, ainsi comprise, me parait, quant à moi, - c'est mon sentiment personnel que j'exprime - une politique de vexation et de tracasserie mesquine, qui n'est digne ni d'un parlement, ni d'un pays républicain. (Très bien ! très bien! sur divers bancs)
    Pour cette raison, je voterai cette année encore le budget des cultes tel qu'il nous est proposé par la commission, tout en souhaitant, - et j'avoue que je ne l'espère pas beaucoup, malgré les nouveaux engagements qui viennent d'être pris ici - que, d'ici à la fin de cette législature, la Chambre aborde enfin la question des rapports des Églises et de l'État et parvienne à résoudre ce problème, le plus grave peut être et le plus urgent de ceux qui simposent à cette Assemblée. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. Bourgeois. La Chambre n'aborderai rien du tout !
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M. Freppel. Messieurs, je n'ai pas l'intention de suivre l'honorable préopinant dans tous les développements qu'il a donnés à sa pensée ; mais je ne puis pas lui laisser dire, sans protester immédiatement, que les ministres du culte sont des fonctionnaires publics.
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   Qu'est-ce qu'un fonctionnaire public? J'emprunte ma définition à M. Dupin aîné, qui, de son temps, pouvait être un grand clerc, mais qui n'a. jamais passé pour un grand clérical (Sourires.) " Un fonctionnaire public, disait­il, est celui qui détient une portion, une parcelle de la. puissance publique, par délégation de la loi ou du gouvernement, dans l'ordre judiciaire, administratif, militaire. "
    Messieurs, c'est là une définition qui a toujours été admise par tout le monde,
    Eh bien, je vous demande quelle est la portion, la parcelle, si minime soit-elle, de pouvoir administratif, judiciaire, militaire, en un mot de puissance ou d'autorité civile, dont l'évêque, dont le prêtre est le dépositaire. Il n'y en a aucune. (Très bien! très bien ! à droite.)
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     Je disais, messieurs, qu'il en était tout autrement à l'époque où le prêtre était officier de l'état civil, alors que les jugements ecclésiastiques avaient force obligatoire au for extérieur, alors que les évêques intervenaient dans l'administration de 1a chose publique, par délégation de la loi ou du. Gouvernement,
    Alors vous pouviez dire, avec quelque apparence de raison, que les ministres du culte étaient des fonctionnaires,. Mais aujourd'hui qu'il n'existe plus rien de pareil ...

M. Germain Casse. Ce sont des agents de police!

M. Freppel ...aujourd'hui votre théorie de l'évêque ou du curé fonctionnaire est un anachronisme. L'évêque est un fonctionnaire de l' Église et non pas un fonctionnaire de l'État .... (Très bien ! très bien ! à droite.)
    Plusieurs voix à gauche. Rendez l'argent, alors!
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    Et le traitement ? me dira-t-on. Car voilà l'argument ordinaire que l'on met en avant pour établir que les ministres des cultes reconnus par l'État sont des fonctionnaires publics.
    Messieurs, je ne discuterai pas en ce moment la. nature et le caractère particulier de ce traitement. Je ne m'étendrai pas là-dessus parce que je l'ai déjà fait à cette tribune et que j'aurai probablement l'occasion d'y revenir plus tard. Je n'examinerai pas si ce traitement n'est pas une simple indemnité en compensation des biens dont l' Église a été dépossédée à la fin du siècle dernier- (Interruptions gauche. - Très bien ! très bien! à droite.}
......................
    je prends,  pour  un moment, le mot  " traitement. dans le sens où vous l'entendez vous­mêmes, et je dis que le traitement n'est pas la caractéristique du fonctionnaire public; car si le traitement était la caractéristique du fonctionnaire public, les maires et les adjoints qui ne reçoivent pas de traitement cesseraient d'être des fonctionnaires publics. (Très bien! à droite, - Interruptions à gauche.)
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    Si le traitement était la caractéristique de la. fonction publique, de la fonction d'État, les juges des tribunaux de commerce, qui ne reçoivent pas de traitement, ne seraient plus des fonctionnaires publics.
    Est-ce que vous acceptez cette conséquence?
    Et par contre, tous les pensionnaires de l'État, tous ceux qui émargent au budget, à un titre quelconque, deviendraient à l'instant même autant de fonctionnaires publics. (Très bien! très bien ! à droite.)
    Est-ce que vous adoptez cette conclusion ?
....................
    Déjà, au siècle dernier, pendant 1a période révolutionnaire, qui est si chère à quelques membres de ce côté de l'Assemblée (l'orateur désigne l'extrême gauche,.)....
    Plusieurs membres à gauche. A tous!
     ...Le tribunal de cassation, à peine installé, déclara, dans un arrêt resté célèbre, que les ministres du culte ne sont pas des fonctionnaires publics. Et, à quarante ans de là, je trouve à la cour de cassation, dans le mémorable arrêt de 1831, la même doctrine qu'au tribunal de cassation de 1793......
    Je résume .... La théorie de l'évêque ou du prêtre fonctionnaires publics .... est absolument impossible à accepter.
.........
M. Jules Roche. Messieurs, l'année dernière, vous avez repoussé par 344 voix contre 128 la proposition que nous vous avions faite de supprimer le budget du cultes dans sa totalité. Je vous ai démontré ensuite que le Concordat n'avait pas eu pour objet de constituer, à vrai dire, un budget des cultes, mais de restituer à l'Église l'usage exclusif des bâtiments consacrés au culte; que l'interprétation exacte, juridique, loyale, du Concordat devrait vous conduire à réduire le budget des cultes au chiffre indiqué par le traité lui-même, accepté par l'Église, mis en pratique jusqu'à la fin de l'empire, et que ce calcul vous conduirait à supprimer du total du budget des cultes plus de 40 millions, (Très bien ! très bien !)
    Vous avez condamné ce système. Cependant, vous avez adopté plusieurs amendements partiels ayant pour objet de réduire ou de supprimer certains crédits du budget des cultes.
    Depuis lors, vous avez voté, ainsi qu'on l'a rappelé tout à l'heure, les amendements que j'ai eu l'honneur de vous proposer au cours de la discussion de la loi municipale et qui ont eu pour objet de supprimer le caractère obligatoire de toutes les dépenses municipales afférentes aux cultes. Vous ayez adopté l'amendement de l'honorable M. Paul Bert rendant aux communes le droit de disposer de ceux de leurs immeubles affectés au culte en dehors des prescriptions concordataires. Vous

avez supprimé le monopole concédé aux fabriques. De telle sorte que si vous n'avez pu encore exprimé d'une façon catégorique et positive votre politique dans la question du rapports de l'Église et de l'État, - et vous ne l'avez pas pu, parce que le débat au fond sur la proposition de séparation de l'Église et de l'État, rapportée par la commission spéciale dont l'honorable M. Paul Bert a été l'organe n'est point encore venu, - cependant il est possible de dégager des différents votes que je viens de rappeler une politique qui me parait très précise et très claire : il me parait certain que vous êtes, en l'état, hostiles à la. séparation de l'Église et de l'État, ou du moins à la suppression du budget des cultes, avant d'avoir abrogé la loi de l'an X; que vous êtes également hostiles l'interprétation du Concordat telle que je vous l'ai présentée.
    Mais vous avez déclaré par vos votes répétés concordants, que vous voulez supprimer tous les privilèges concédés au clergé en dehors des prescriptions concordataires et, en ce qui concerne le budget des cultes, que vous êtes disposés à supprimer ou à réduire les crédits qui ne sont pas exigés par la loi de l'an X, en tant que des raisons de politique contingente ne vous paraissent pas s'opposer à ces suppressions ou à ces rédactions.
    Voilà, me semble-t-il, les considérations de politique qui ont dirigé la majorité de cette Chambre,
    Pour ma part, je réserve mon entière liberté d'action dans les votes qui pourront avoir lieu sur l'ensemble des crédits du budget des cultes ; je me réserve de discuter l'opinion qui s'était tout à l'heure exprimée à cette tribune par l'honorable président du conseil; de vous démontrer qu'à mon sens la séparation de l'Église et de l'État est une nécessité politique dans ce pays ... qu'elle est exigée par la doctrine supérieure de la République, qui fait de la liberté de conscience le principe essentiel de l'Etat moderne........
    En attendant ce débat, j'abandonne aujourd'hui devant vous, dans la. discussion du budget des cultes, au point de vue financier, les théories qui me sont personnelles et que vous n'avez point approuvées; je fais céder mes propres conceptions de l'interprétation de la loi devant les vôtres, je me place sur le terrain que vous avez choisi et déterminé vous­mêmes, et, adoptant les règles de conduite générale que vous avez proclamées et appliquées, je vous dis: Appliquons les ensemble au budget des cultes. J'examinerai devant vous quels sont les crédits qui ne sont point concordataires ...... et qui, en même temps, ne sont point plus ou moins justifiés par ces considérations de politique contingente qui vous dirigent.
    Si nous examinons ainsi le budget des cultes, messieurs, je crois pouvoir vous démontrer d'une façon décisive que vous pouvez, que vous devez supprimer dans le total des crédits qui vous sont demandés cette année des sommes dont l'ensemble atteint au minimum 3 ou 4 millions et pourraient s'élever jusqu'à 5 à 6 millions. Je m'efforcerai de prouver très rapidement, quand la discussion spéciale viendra.....
    .................
    Il y a un budget qui est intimement lié au budget des cultes, qui est en quelque sorte, comme diraient les mathématiciens, fonction de ce budget : c'est le budget de l'instruction publique, et ce n'est pas sans des raisons philosophiques profondes, tenant à la nature même des choses, que le budget de l'instruction publique a été si longtemps associé et d'abord subordonné au ministère des cultes.
    Ces deux budgets, en effet, suivant la conception qu'on se fait des lois qui président au développement moral et intellectuel des sociétés, ont un même but. Les dépenses pour la religion et les dépenses pour 1a science, ce sont, en définitive, suivant les deux systèmes opposés, des dépenses qui ont pour objet la culture morale et intellectuelle de la nation. Pendant de longs siècles, c'est, en effet, aux religions que l'humanité a demandé son éducation et les lois de la morale; mais le monde moderne repose sur une conception philosophique différente; la Révolution française a créé un droit nouveau, le droit de l'homme;
elle a proclamé l'indépendance de la conscience, la souveraineté de la raison éclairée par la science (Vifs applaudissements à gauche); et tous les progrès accomplis depuis quatre-vingts ans dans ce pays, autour de nous, non seulement dans l'ordre industriel et économique, mais dans l'ordre moral, au point de vue de l'élévation de la conscience publique et de la marche de plus en plus rapide et ascendante vers l'idée de justice, vers la liberté, vers le sentiment de la dignité individuelle de l'homme, tous ces progrès sont dus à 1a science. (Vives marques d'approbation sur divers bancs à gauche.)
    Vous le voyez donc bien, les deux budgets, les deux services généraux ne peuvent coexister.

M. Paul Bert. Si! comme la lumière et l'ombre !

M. Jules Roche. L'un doit diminuer à mesure que l'autre augmente, puisque tout ce que la science gagne, elle le conquiert sur le surnaturel. Tontes les fois que vous voulez faire faire des progrès à l'instruction publique et à la science, il faut donc demander les ressources nécessaires au budget destiné à l'institution essentiellement hostile à ces progrè de la science. (Applaudissements sur les mêmes bancs à gauche. - Rumeurs à droite.).
    Je ne veux pas examiner en détail les besoins et l'état des services de l'instruction publique. La commission du budget vous les a exposés dans le rapport du budget de l'instruction publique ; certes, tout le monde sait quels sont les progrès accomplis.
.........
    Depuis que la République est devenue la loi souveraine du pays, depuis que les assemblées de 1876 et les suivantes ont remplacé l'Assemblée nationale, vous ou vos prédécesseurs avez augmenté le budget de l'instruction publique de 100 millions. Les réformes les plus profondes ont été accomplies; une foule de services nouveaux ont été créés, et jamais à aucune époque, dans aucun pays, ni chez aucun peuple, on n'a fait autant pour le développement de l'éducation d'un peuple. (Applaudissements à gauche et an centre.)
    Mais il n'en est pu moins vrai qu'il reste encore beaucoup à faire; et que si vous exminiez le détail des services, vous verriez sur pl usieurs points se manifester les besoins les plus urgents et les plus étendus.
..................
    l'instruction publique exige absolument une augmentation de plusieurs millions. Eh bien, messieurs, ces millions, je vous les offre, je vous les apporte. (Exclamations à droite.­ Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche.) Je vous apporte des propositions de suppression de crédits s'appliquant à des objets absolument en dehors des prescriptions concordataires, entendues de la façon la plus large et la plus généreuse; je vous propose la suppression de dépenses qui ont été instituées, non pas par 1e premier Empire, mais par la Restauration, se rendant complice de véritables usurpations de l'Église sur l'État.
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    Je vous demande la suppression ou la. diminution du traitement des vicaires, que le Concordat n'a jamais reconnus, qui n'ont jamais été payés sous le premier Empire, qui sont une création de la Restauration. Je demande la suppression des bourses des séminaires, la. suppression des crédits afférents aux mobiliers des évêchés et aux dépenses mobilières des fabriques; la suppression de certains crédits employés en Algérie d'une manière inutile et pour le maintien desquels on ne peut fournir aucune raison politique.
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M. Martin-Feuillée,garde des sceaux, muinistre de la justice et des cultes....... lorsque viendra cette grande discussion de la séparation des Églises et de l'État, nous l'examinerons et nous prendrons parti. Je crois qu'à l'heure actuelle la majorité du pays ne la veut pas. (Exclamations et interruptions à l'extrême gauche. ­ Très bien! très bien ! au centre.)
    Et je suis persuadé que le nombre de ses partisans diminuera encore lorsque, au lieu de s'en tenir à une affirmation facile, on entrera dans l'examen des détails et des difficultés d'application. (Nouvelles interruptions à l'extrême gauche.)
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    Tant que nous sommes sous le régime du concordat - et nous y sommes pendant cette discussion - je vous demande s'il est possible de trancher en partie, indirectement et en quelque sorte subrepticement, cette grande question de la séparation. Je vous demande si, tant que nous sommes sous l'empire du traité concordataire, il ne faut pas l'appliquer, l'interpréter comme tons les contrats, c'est-à-dire dans sa lettre et dans son esprit. Je vous demande s'il n'y, pas lieu d'appliquer les règles du droit commun qui ont été tracées par le code civil, qui disposent qu'il faut que les conventions s'exécutent de bonne foi, et qu'on doit rechercher la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'attacher au sens littéral des termes (Murmures l'extrême gauche. )
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Seuls 133 députés s'opposeront au budget des cultes, face à 367 qui le voteront.