Chambre des députés
15 février 1878
M. Allain-Targé. Le clergé va-t-il vouloir nous donner les biens qu'il a acquis depuis ce temps-là ? (Exclamations à droite.)
M. de La Bassetière. Si j'avais entendu l'interruption,
je me ferais un plaisir d'y répondre.
Il y a un autre grief que je voudrais relever encore
au compte de la commission des cultes.
Je veux parler du recensement de toutes les congrégations
et maisons religieuses qu'elle avait demandé déjà
l'année dernière, et qu'elle poursuit avec une persévérance
infatigable cette année, au risque de préparer, - contre
ses intentions bien évidemment, je le reconnais, - de dresser elle-même
la future liste des spoliations et des proscriptions futures. (rumeurs
à gauche.)
N'est-il pas à craindre, en effet. qu'en
face de ces nombreux monuments créés par la charité
de nos pères et confiés par eux à la garde du dévouement
religieux, n'est-il pas à craindre qu'un public, égaré
par la presse impie ne prenne pour des richesses réalisables, utilisables,
si je puis m'exprimer ainsi, ce qui n'est en réalité que
la dotation inaliénable de la souffrance et de la misère,
en un mot, le patrimoine de la charité? (T'rès bien !
très bien! à droite)
....................
Voilà, messieurs, ce qu'a fait la commission
du budget des cultes. Elle a attaqué l'Église dans son dogme,
dans sa discipline, dans son enseignement ; par la. réduction de
crédits, elle a diminué les ressources nécessaires
à sa vie dans la société ; elle a poursuivi, dénoncé
de zélés et fidèles auxiliaires de l'Église,
et, bien que toutes les institutions qu'elle a attaquées, que toutes
les libertés qu'elle a menacées ne soient pas l'Église
elle-même, c'est en réalité l'Église que l'on
a attaquée en elle. En sorte que l'on peut dire que c'est elle qui
est désormais livrée, dénoncée, c'est elle
que vous abandonnez à la foule comme autrefois le Christ son divin
auteur, pour qu'elle vous épargne vous et vos institutions et la
société que vous avez la conscience d'avoir imprudemment
ébranlée. (Très bien ! à droite.)
......................
Un homme que vous aimez, que vous avez aimé
du moins, dont vous honorez le souvenir, M. Thiers, disait en parlant de
la République qu'il avait bien le droit d'apprécier, puisqu'il
avait, je crois, assez contribué à la fonder, M. Thiers disait:
Elle sera conservatrice ou elle ne sera pas.
Eh bien! j'ajouterai - et je suis convaincu que
ceux qui l'ont connu intimement ne me contrediront pas, - que M. Thiers
aurait ajouté avec moi, parce que c'était le fond de sa pensée:
La République sera religieuse ou elle ne sera pas.
M. Vernhes. Religieuse, mais pas ultramontaine!
M. de La Bassetière. Remarquez, messieurs, que je ne dis
pas cela par suite de ma situation politique. Je ne parle pas ainsi parce
, que je pense que toute nation, comme tout être organisé,
nait avec un tempérament qu'il ne peut modifier profondément
sans périr, que la. France a un passé et des traditions qu'elle
ne peut oublier, que 1a France est affamée à la fois d'autorité
et de liberté, et que la royauté peut seule, dans une juste
proportion, les lui assurer. Je fais abstraction, en ce moment. de mes
convictions profondes. Je parle de ceux - et ils sont nombreux.- qui, après
tant de ruines, de difficultés, de déceptions et d'espérances
ajournées ou déçues, seraient tentés de se
rallier au gouvernement nouveau, au fait établi, s'ils avaient cru
pouvoir y rencontrer les éléments nécessaires à
la vie d'un grand peuple. Eh bien, ces conditions, messieurs, en dehors
de l'ordre moral et religieux dont vous paraissez vouloir sortir aujourd'hui,
vous ne les avez pas, vous ne pouvez pas les offrir.
(Approbation à droite.)
Certes, je suis loin de mépriser pour mon
pays les avantages matériels. Je suis fier de voir mon pays placé
à la tête de la civilisation, sous le rapport du développement
des richesses, du génie, des sciences et des arts, et ce n'est pas
moi que vous détournerez de ce grand tournoi du commerce et de l'industrie,
où la France a convié toutes les nations. Sur ce terrain,
nous sommes tous d'accord et Français; mais, messieurs, quand il
s'agit de fonder une grande nation, et les fondements jetés, pour
retenir solidement liées les unes aux autres les grandes assises
sociales il faut, messieurs, ce jour-là, autre chose qu'une pensée
d'un jour, un autre ciment que celui que celui que peuvent apporter le
culte des intérêts, la passion du bien-être et
de la. richesse...
Un membre à gauche. Le ciment romain!
(On
rit)
Je réponds à vos rires, messieurs...
Il faut autre chose que le calcul même de la raison et que cette
morale indépendante dont vous vous dites si fiers: il faut cet élan
fécond de l'âme et des cœurs, ce ciment divin du dévouement
et du sacrifice poussé jusqu'à l'oubli de soi-même,
jusqu'au mépris de la vie. Et ces grandes choses où les trouvez-vous,
dans la même mesure au moins, messieurs, en dehors de la foi religieuse,
de la. certitude d'une patrie plus haute dont les immortelles espérances
doivent vous récompenser un jour des sacrifices que vous aurez faits
pour la patrie terrestre ? (T'rès bien ! très bien!
à droite)
..........
Certes, pour les créateurs de l'Union américaine,
venus à une heure où la philosophie proclamait bien haut
que la raison humaine est un guide insuffisant pour les peuples comme pour
les individus, où la science était annoncée comme
devant remplacer la foi, où l'intolérance religieuse qui
venait de chasser ces émigrants de 1a Grande-Bretagne, semblait
devoir les prédisposer à chercher une autre cause que l'élément
religieux à leur société naissante , il y avait bien
des motifs apparents pour leur faire oublier les enseignements de l'histoire
et de l'autorité des anciens législateurs. Messieurs, il
n'en fut rien cependant.
Écoutez le plus grand d'entre eux, Washington,
écoutez-le à l'époque la plus solennelle de sa vie,
lorsque quittant le pouvoir pour la seconde fois, et ne devant plus y remonter,
il adresse à ses concitoyens une sorte de testament politique dans
lequel il rappelle les grands principes sur lesquels a été
fondée l'Union dont il est à la fois le père et le
héros :
M. Cantagrel. Il était protestant!
M. de La Bassetière. Il était protestant, je le sais bien.
M. Cantagrel. A-t-il jamais proposé un budget des cultes
?
.................
M. de La Bassetière. Je puis donc évoquer
sans crainte ici le nom de Washington; son titre de protestant ne fait
qu'ajouter chez moi un mérite; je ne peux pas être accusé
d'exclusivisme ou de partialité.
A droite. Très bien ! très
bien !
Voici les quelques paroles de l'illustre patriote
que vous non plus ne pourrez désavouer:
" La religion et la morale sont les appuis nécessaires
à la prospérité des États. En vain prétendrait-il
au patriotisme celui qui voudrait renverser ces deux colonnes de l'édifice
social "
A droite. Très bien ! très
bien!
M. Clémenceau. Il n'y a pas de budget des cultes aux États-Unis!
..........................
M. de La Bassetière. Messieurs, il y a des prophéties
qui sont faciles, il suffit pour cela d'être logicien. Eh bien, écoutez
ma. logique.
Vous avez dit: " Guerre au cléricalisme!
" Eh bien, pour le peuple, le cléricalisme, sachez-le bien, ce n'est
plus déjà le catholique, c'est le conservateur. (Exclamations
à gauche. - C'est vrai! à droite.)
Reportez-vous aux élections dernières,
qu'avons-nous vu ? Nous avons vu dénoncer comme clérical
un prince de la finance israélite. Etait-il catholique, celui-là?
non, il était conservateur... (Interruptions et rires à
gauche.)
........
M. Albert Joly. On est clérical sans être catholique.
M. de La Bassetière. Eh bien, le clérical ne sera
plus bientôt, même l'illustre personnage dont je viens d'évoquer
1e souvenir, le clérical ce sera tout ce qui possède, tout
ce qui a autorité, qui a charge d'âmes... (Interruptions
à gauche), qui a droit au respect, tout ce qui s'élève
au-dessus de la foule.
Une voix à gauche. Ce n'est pas sérieux!
Cela est plus sérieux que vous ne croyez,
mon cher collègue, et je demande au ciel que vous n'ayez à
rendre à mes paroles un trop prompt et trop involontaire hommage.
Oui, le clérical, tout ce qui a droit au respect, à la protection
de la société;
le clérical, laissez moi le dire, demain ce sera vous !
..................
Dans une discussion, en 1844, Dupin aîné
disait: "La France est religieuse; mais elle ne veut pas la domination
du clergé. " (Très bien ! très bien ! au centre
et à gauche.)
Messieurs, j'accepte cette parole. L'Église
ne cherche pas, ne veut pas la domination. (Oh. ! oh ! à gauche).
Mais nous demandons pour elle, sinon cette protection légitime,
ce secours que, dans toute société bien ordonnée,
les deux grandes cités qui se partagent le monde, se doivent donner
l'une l'autre, nous demandons pour la cité de Dieu avec le respect
qui lui est dû, cette liberté de se dévouer à
l'humanité sous toutes les formes, liberté qui est son honneur
et son droit, comme sa reconnaissance est pour nous un devoir. (Très
bien ! très bien! à droite. - Mouvements divers.)
Et ce que vous aurez donné ainsi à
l'Église, vous l'aurez donné, croyez-le bien, vous l'aurez
donné de la même main à la France, à cette France,
ne l'oubliez pas, dont l'Église a protégé le berceau,
dont elle avait fait la chose la plus grande, la plus noble qui fut sous
le soleil; qu'elle n'a pas oubliée aux jours du délaissement
et des ingratitudes, qui ne lui fut jamais plus chère que dans les
jours de deuil... (Interruptions.)
Vous savez comment elle est montrée dans
nos derniers jours de deuil, ce qu'elle fut sur nos champs de bataille,
dans nos hôpitaux, dans nos prisons d'Allemagne. (Nouvelles interruptions
à gauche)
M. Allain-Targé. Ne parlez pas de cela!
M. de La Bassetière. Comment? Ne parlez pas de cela !
Partout où la charité chrétienne se porte, il y a
honneur à la fois pour l'Église et honneur pour la. France.
(Applaudissements sur quelques bancs à droite.) Partout où
il y avait un soldat à relever, un blessé à panser...
(Interruptions à gauche), partout où il y avait une victime
à consoler, elle était là... (Applaudissements
à droite.)
.........
L'histoire est là, et je défie les
contradicteurs. Oui, partout, il y avait là un prêtre ou un
religieux français.
(Approbation à droite.)
M. Dethou. Pour échapper à l'obligation de servir
comme soldat !
..............
Plusieurs membres à gauche. Vous n'avez
pas le monopole du patriotisme ! - On n'a pas besoin d'aller chez les jésuites
pour se faire tuer à l'ennemi !
.............
M. Guichard, rapporteur.... Il faut avouer que M. le
Comte de La Bassetière est ingrat envers la Révolution française,
car il lui doit des progrès précieux. Vous l'avez entendu
citer comme deux: grands exemples à suivre, deux hérétiques:
Washington et le général Graham. Avant la Révolution,
partisan dévoué du gouvernement monarchique, il aurait applaudi
au serment que, depuis cinq siècles, tout roi de France, à
son avènement, prêtait d'exterminer les hérétiques,
de bonne foi et de toute sa force, dans tout son royaume et les terres
de son obéissance. (Très bien! très bien ! à
gauche.)
Quand on doit un aussi précieux progrès
à la Révolution française, et par conséquent
à Voltaire qu'on insultait tout à l'heure, il me semble qu'on
devrait se montrer plus reconnaissant. (Très bien! à gauche.)
M. de La Rochette. Voltaire était un ami de la Prusse.
N'en parlez pas : c'est un mauvais exemple.
.................................
M. le rapporteur. .... La commission que vous avez chargée
de 1a tâche délicate d'examiner la budget du ministère
des cultes, a compris dans toute son étendue les droits et les devoirs
que lui imposait votre confiance.
Oui, je puis le dire, nous avons mis de côté
tout esprit de parti, nous avons mis de côté, ce qui était
peut-être plus difficile, tout système personnel et nous nous
sommes uniquement attachés à répondre aux sentiments
de la France.
Eh bien, vous, messieurs, vous qui êtes de
votre époque et qui y vivez de la vie do la France, dites-nous,
est-ce que nous somme dans l'erreur lorsque nous affirmons que la France
veut la plus large liberté de conscience, de religion et de culte.
(Très bien! très bien ! à gauche )
Oui, nous le disons, la France est religieuse, elle
est religieuse dans la large limite de la liberté de conscience;
elle respecte le prêtre dans l'exercice de son ministère,
mais elle le blâme lorsqu'il se sert de son ministère pour
intervenir dans les affaires politiques ou civiles; elle le blâme
et elle le plaint surtout lorsqu'il est opprimé par une société
qui vient faire peser sur lui cette horrible prétention qu'il est
sujet du pape et qu'l n'est plus Français. (Applaudissements
à gauche et au centre.)
Oui, messieurs, la religion respectée et
les ministres de la religion respectueux de la société et
de ses lois; voilà le sentiment de la France et voilà la
base de notre droit public dans tous les temps et non pas seulement du
temps des prétendus évêques complaisants de Louis XIV.
Dans tous les temps de notre histoire, comme le disait M Dupin que vous
avez rappelé, la France a voulu la religion, mais non, sous prétexte
de religion, qu'on lui imposât la domination pontificale. (Approbation
à gauche et au centre)
Voilà le droit public de la France à
toutes les époques et surtout depuis la Révolution de 1789.
C'est ce qui résulte de nos déclarations de droit, de nos
constitutions nationales, de nos chartes constitutionnelles, de toutes
les lois qui régissent les rapports de l'Église et de l'État?
C'est là l'idée que nous avons voulu faire prévaloir,
et lorsque nous avons vu comment ces lois si françaises étaient
aujourd'hui pourtant méconnues, inexécutées, nous
avons partagé l'émotion et les inquiétudes du pays,
nous avons cru qu'il était de notre devoir de vous signaler l'opportunité
d'arrêter des envahissements toujours plus menaçants, et de
nous préparer à rentrer dans la légalité.
(Très bien! très bien !)
Ce devoir, nous l'avons accompli; nous l'accomplirons
avec une extrême modération, car nous ne venons pas réclamer
ici des innovations, des réformes, nous prétendons rester
dans la législation existante. Qu'est-ce que nous demandons? Nous
ne demandons que le respect de la loi. Et, remarquez-le, nous nous bornons
à rappeler la loi, la jurisprudence; nous ne mettons pas même
le Gouvernement en demeure d'appliquer cette loi immédiatement;
nous nous en rapportons à sa prudence, à son patriotisme,
pour prendre des mesures qui permettent au pays d'espérer que, dans
un avenir prochain, il n'y aura plus en France, ni de congrégations,
ni de partis assez puissants pour braver la loi. (Applaudissements à
gauche.)
Oui, nous sommes le parti de la modération
et de la loi, et je demande si nous pouvons en dire autant de nos contradicteurs.
Il faut bien pourtant poser cette question, car
avant de vous livrer un budget de 50 millions. nous avons bien le droit
de voir si le clergé remplit ses obligations envers l'État,
lorsque l'État remplit les siennes largement en vers lui.
Messieurs, vous savez que la législation
qui règle les rapports de l'Église et de l'État reposent
sur deux actes d'une nature essentiellement différente: le Concordat,
traité intervenu entre le Gouvernement français et le pape,
puis des lois émanées du Gouvernement français, entre
autres, celle du 8 avril 1802 et celle du 25 février 1810, qui n'obligent
pas le pape, souverain indépendant, mais qui obligent les évêques
et archevêques comme tous les autres Français. (Très
bien ! très bien ! à gauche.)
Cependant, les lois émanées du Gouvernement,
celles de 1802 et de 1810, sont complètement méconnues et
violées par le clergé.
Mais ce qu'on ne sait pas, c'est comment est observé
le Concordat de 1801. Dans le Concordat, le Gouvernement français
s'engageait à reconstituer une partie des anciens diocèses,
à assurer le traitement du clergé, enfin à faire tous
les frais du culte catholique. D'autre part, le pape reconnaissait l'indépendance
complète du pouvoir civil. Cette reconnaissance était tellement
absolue que les évêques et les archevêques prêtaient
serment à la Constitution française, laquelle Constitution
reposait sur la souveraineté nationale, et proclamait la liberté
de conscience et l'égalité de tous les cultes .
Vous voyez donc que, dans le Concordat, ce que le
pape rendait en compensation des avantages matériels que le Gouvernement
français lui assurait, c'était la reconnaissance de l'indépendance
du pouvoir civil, et même de sa suprématie dans les matières
mixtes.
Eh bien, l'État a pleinement exécuté
ces conventions; Il les a exécutées dans des limites bien
plus larges qu'il ne s'y était engagé, car les lois organiques
qui accompagnaient le Concordat n'accordaient pour les 120 départements
français de cette époque que 50 évêques et 10
archevêques, tandis que maintenant, pour nos 86 départements
français - Je ne recherche pas 1a causes de nos désastres,
- Il y a 17 archevêques et 73 évêques. Ainsi, au moment
du Concordat, il n'y avait qu'un évêque pour deux départements,
et maintenant, nous avons plus d'un évêque par département.
Voilà comment l'État a rempli ses
engagements,
L'État, en même temps, disait qu'il
rendrait au culte catholique tous les édifices religieux; il ne
s'engageait pas à les entretenir, à les compléter,
à les reconstruire. Dans le Concordat, il était dit que les
évêques auraient le droit d'avoir des séminaires; l'État
ne s'engageait pas à leur donner des édifices pour ces séminaires
et à doter ces séminaires. Vous savez ce qui en est aujourd'hui.
Ainsi, vous voyez qu'en tout l'État a rempli trois ou quatre fois
ce qu'il s'était engagé à donner.
Comment le clergé, lui, a-t-il rempli
ses engagements?
On n'a pas dit que le Concordat est un traité
nul; car c'eût été donner un démenti à
un acte du pape et en même temps déchirer un titre précieux
qui assurait une rente de 50 millions- (Ah ! ah ! - Rires à gauche.)
Non! on s'y est pris autrement; on a dit: Au dessus des droits de l'État,
il y a le droit de Dieu! Et le droit de Dieu, vous savez, messieurs, ce
que c'est dans la doctrine catholique : c'est le droit du vicaire infaillible
de Dieu, c'est le droit du pape. Et puis, on a ajouté: Le droit
de Dieu est la source unique d'où découle toute autorité
légitime pour les hommes.
Eh bien, avec cette doctrine, qu'est-ce qui reste
du Concordat ? qu'est-ce qui reste de l'indépendance du pouvoir
temporel à l'égard du pouvoir spirituel? La distinction des
deux pouvoirs est anéantie par cette doctrine du parti ultramontain;
je dis le parti ultramontain parce que nous devons croire qu'il y a deux
partis dans l'Église. Je dis que la doctrine prêchée
par le parti ultramontain est inconciliable avec le Concordat.
Donc, messieurs, d'un côté les lois
françaises de 1802 et de 1810 sont complètement inexécutées,
de l'aveu même de M. de La Bassetière, qui les a si vivement
attaquées à celle tribune.
Et, d'un autre côté, le Concordat est
anéanti en fait, par la doctrine que je viens de vous exposer, -
doctrine, messieurs, qui n'est pas autre chose que la traduction voilée,
mais la traduction fidèle, de l'ultramontanisme le plus absolu,
tel que le proclamaient Grégoire VII et Boniface VIII, qui disaient:
Il faut qu'un glaive soit soumis à l'autre, c'est-à-dire
la puissance temporelle à la. puissance spirituelle.
Ainsi nos contradicteurs ne laissent rien subsister
du Concordat, pas plus que des lois de 1802 et de 1810.
Mais maintenant, messieurs, si ces lois leur paraissent
ne plus répondre aux besoins de la. France et de l'Église,
qui leur a donné le droit de les abroger de leur propre autorité?
N'avons-nous pas entendu les hommes les plus autorisés et eux-mêmes
nous dire que, lorsque la loi existe, il faut l'observer tant qu'elle n'est
pas annulée? Eh bien, qu'ils viennent nous proposer l'abrogation
des lois qui régissent les rapports de l'Église et de l'État!
qu'ils viennent nous en demander l'abolition! Nous verrons les bonnes raisons
qu'ils nous donneront.
Est-ce que les lois qui ont protégé
pendant des siècles la. France contre les usurpations et les envahissements
de la cour pontificale n'ont plus de raisons d'être aujourd'hui ?
Est-ce que l'on peut venir nous soutenir que les
congrégations et l'ultramontanisme sont moins entreprenants que
du temps de Louis XIV, et que du temps de l'Empire et la Restauration,
où déjà on réclamait contre leurs envahissements?
Peut-on nous dire que 1a. France a besoin de moins de tranquillité
et d'unité qu'autrefois? Encore une fois, qu'on vienne demander
l'abolition ou l'amélioration de ces lois, et nous verrons les raisons
qu'on nous donnera.
Nos contradicteurs nous reprochent d'attaquer leurs
dogmes et leur foi,
Je mets M. de La Bassetière au défi
de nous désigner un seul mot dans le travail de la commission où
il y ait la moindre atteinte aux dogmes ou à la foi catholique.
On nous dit: " Mais vous demandez que l'enseignement
se donne d'après les termes de fa déclaration de 1682 ! "
Eh, messieurs! la déclaration de I682 ne date pas que de 1682, elle
date du 25 février 1810. C'est une loi contemporaine.
Ah ! maintenant si le clergé observait fidèlement
toutes les autres dispositions des lois et qu'il vint vous dire: Il y en
a une que nous ne pouvons pas observer, c'est la disposition qui exige
que nous enseignions les articles 2 et 3 de la déclaration de 1682,
disposition qui trouble nos consciences; certes, si toutes les autres dispositions
de la loi étaient exécutées par le clergé,
je vous avoue que, pour ma part, je serais très disposé à
m'incliner devant un scrupule de conscience.
Mais quand nous voyions que toutes les autres dispositions
de la loi ne sont pas plus exécutées que celle-là,
alors je ne vois plus de scrupule de conscience, je ne vois plus que la
doctrine du droit du pape supérieur au droit de l'État et
la résolution de ne pas se soumettre aux lois nationales.
N'est-ce pas une chose étrange que ce soit
nous qui défendions ces lois, alors que les auteurs de ces lois
sont nos contradicteurs eux-mêmes; car c'est la gouvernement dont
ils sont les représentants et les ayants-cause qui les a décrétées.
Non-seulement les partisans de 1a monarchie, mais les partisans de l'empire;
peuvent-ils oublier que ce sont leurs gouvernements de prédilection
qui ont fait ces lois de 1802 et de 1810, et que jusque dans les derniers
temps de l'empire, c'est-à-dire en 1865, le Sénat, dans sa
réponse au discours de l'empereur, déclarait que les articles
organiques, c'est-à-dire la loi de 1802, "constituent un des attributs
essentiels de la souveraineté. Ils ne sont qu'une défense
contre les abus possibles du dehors et du dedans- La France ne les laissera
pas périmer-"
Comment se fait-il qu'à si peu de distance,
vous, partisans de ces deux monarchies, vous oubliiez. que c'est vous qui
avez fait ces lois? que c'est vous qui les défendiez comme des lois
qui importaient au plus haut degré à la dignité et
à l'indépendance du pays? Que s'estil donc passé
depuis qui vous a fait changer d'idée? La puissance et les prétentions
du parti ultramontain ne sont- elles pas plus grandes, plus menaçantes
que jamais? Qu'estce qui vous empêche donc de soutenir ces lois
qui sont votre œuvre?
Ah ! depuis ce temps il s'est passé un grand
événement: c'est que la France est en République-
Et alors peut-être, - oh ! je dis peut-être, - ne vous croyez-vous
pas aussi obligés à défendre les intérêts
de la France quand elle est sous un gouvernement qui n'a pas vos sympathies.
(Applaudissement
à gauche, Dénégations à droite.)
Eh bien, il y a un point sur lequel nous devons
être tous d'accord: c'est que quand les gouvernements tombent, la
patrie survit, et le devoir survit avec la patrie ! (Vives marques d'adhésion
à gauche.)
..........
Les gouvernements sont tombés pour
ne plus se relever, et les peuples ont perdu leur rang dans le monde au
profit des peuples qui ont su défendre leur liberté religieuse,
première condition de la liberté politique. (Nouveaux
applaudissements à gauche.)
Aussi, messieurs, sommes-nous heureux de dire que
la France a toujours suivi cette grande tradition nationale de la résistance
à l'influence du parti ultramontain et de la Cour pontificale qui,
sons prétexte de religion, voulaient faire peser leur domination
sur la France comme sur tous les autres gouvernements.
Oui, nous avons suivi cette tradition nationale
lorsque, le 4 mai dernier nous avons signalé à 1a France
le danger des manifestations ultramontaines et la nécessité
de rentrer dans l'application des lois. Et aux élections du 14 octobre,
c'est la. France entière qui a voté
l'ordre du jour du 4 mai! (Approbation à gauche et au centre.)
Aujourd'hui, forts des précédents
les plus mémorables de notre histoire, forts de l'arrêt souverain
du suffrage universel, nous venons dire avec confiance aux ministres de
la République : L'État remplit et veut remplir ses obligations
envers le clergé, mais l'Église doit remplir ses obligations
envers l'État, et la première de ces obligations, c'est le
respect, c'est l'observation des lois, c'est la fidélité
au pays ! (Applaudissements répétés à gauche
et au centre.)
.........
Après l'annonce des obsèques
de Claude Bernard, l'Assemblée se séparera pour examiner
à la séance suivante les chapitres. personne n'en demandera
l'annulation.