On a encore beaucoup parle de la séparation
de Églises et de l'État, l'autre semaine, à la Chambre,
à propos de diverses interpellations roulant sur les nombreux incidents
politico-ecclésiatiques de ces derniers temps. M. Combes, le président
du Conseil n'a pas paru aussi désireux que précédemment
d'opérer le divorce entre ces deux puissances qui vivent, depuis
que la République existe, c'est-à-dire trente ans passés,
en si mauvais ménage, bien qu'un Concordat vieux de plus d'un siècle
ait réglé leurs relations. En somme, ce qui ressort de ces
débats mouvementés et où furent échangées
ces aménités qui sont le sel des discussions parlementaires,
c'est que c'est l'Église seule, avec son tempérament altier,
envahissant, ses instincts de domination, survivance d'une souveraineté
plusieurs fois séculaire, qui avait à son service et le bras
séculier et les foudres spirituelles, qui impose ce problème
aux préoccupations du monde politique. Et un mot ou plutôt
l'emploi du singulier au lieu du pluriel dans le discours de M. le président
du Conseil, d'ailleurs relevé aussitôt et qui n'a pas échappé
à la presse, indiquait bien que le conflit n'existe en réalité
qu'entre le culte catholique et l'État.
Parmi ces solutions au désordre moral existant,
M. Combes signalait en premier lieu la séparation de l'Église
et de l'État, et M. Congy, en bon antisémite corrigeait :
Des Églises
!
Et M. le président du Conseil poursuivait
en montrant qu'il ne 'agissait pas là d'un lapsus, mais d'un
terme intentionnellement employé
:
... la
séparation de l'État et de l'Église catholique.
De deux côtés à la fois, dans
la presse, on a fait grief à M. Combes de cette substitution du
singulier au pluriel. La Lanterne n'entend pas qu'on fasse de distinction
entre les différents cultes qui, à son avis, se valent, ou
plutôt ne valent rien. Quand au Temps, relevant cet incident,
il s'écrie :
"Qu'est-ce
à dire ? Le président du Conseil a-t-il cru très habile
de rassurer les protestants et le juifs, en dévoilant que les catholiques
seuls sont visés ? S'il avait le temps de parcourir les publications
protestantes ou juives, s'il avait simplement lu dans nos colonnes quelques
lettres de pasteurs réclamant la liberté pour toutes les
confessions, il saurait que les communautés religieuses, dont il
essaie de gagner les faveurs par l'appât de ses promesses un peu
frustes n'acceptent pas ce cadeau suspect. La tolérance religieuse,
elle aussi, est un bloc".
Il
ne faut pas chercher dans la phrase du Président du Conseil nous
ne savons quelle arrière pensée machiavélique.
Répondant
à des interpellations qui visaient spécifiquement l'Église
et ayant à justifier les mesures dirigées contre ses empiétements
et ayant pour but de vaincre sa résistance à de justes lois,
le chef du cabinet n'avait pas fait état dans sa discussion des
cultes protestant et israélite qui se sont toujours fait remarquer
par leur loyalisme républicain et le dévouement de leurs
ministres aux institutions du pays. L'attitude correcte des représentants
de ces confessions vis-à-vis de l'État, absolument respectueuse
de ses droits, ne donnant lieu à aucun des reproches que s'est attiré
l'Église par le mépris qu'elle lui marque, explique assez
que M. Combes ait cru devoir les laisser de côté.
Et pendant que
le Temps et la Lanterne se plaignaient des ménagements
de M. Combes à l'égard du protestantisme et du judaïsme,
ils auraient pu faire un grief analogue à M. Allard, député
socialiste révolutionnaire. dans le discours où il réclamait
en termes véhéments la séparation des Églises
et de l'État, M. Allard s'est exprimé ainsi :
Il
y a un cléricalisme protestant comme il y a cléricalisme
catholique : le cléricalisme protestant est tout aussi actif que
le cléricalisme catholique, mais il est moins dangereux, pour des
causes qui tiennent à la façon dont s'exerce et vit la religion
protestante.
On remarque que
cette fois-ci, M. Allard a mis hors de cause le judaïsme, que, dans
un discours précédent, il avait nettement incriminé
de cléricalisme. Il aura sans doute réfléchi depuis
que cette imputation, comme nous le lui avons fait observer, est absolument
sans fondement aucun.
Ce qui peut entraîner
une Église dans les voies dangereuses de la politique, c'est l'esprit
de prosélytisme qui l'anime. Or, le zèle convertisseur, la
Synagogue l'ignore complètement. Elle n'entretient pas de missions
en France ou à l'étranger ayant pour objet de gagner à
sa foi, par tous les moyens, et souvent répréhensibles, les
fidèles des autres confessions.
Chaque fois qu'on
nous parle du cléricalisme juif, nous ne pouvons nous empêcher
de hausser les épaules. Seule, la presse antisémite, dans
l'intérêt que nous savons entretient pieusement cette légende
qui fait sourire.
Maintenant il
est évident que le jour qui ne semble pas prochain - comme en témoigne
le vote de la Chambre repoussant l'ordre du jour de M. Hubbard - où
s'accomplira le divorce de l'État avec l'Église, la séparation,
par analogie, s'imposera à l'égard des autres cultes.
Il y aura pour
toutes les confessions un régime commun, celui de la liberté,
remplaçant la tutelle de l'État, liberté bien entendu
tempérée par des règlements de police. Nous avons,
plus d'une fois, dit que l'éventualité d'une rupture des
liens de dépendance avec l'État n'avait rien qui nous effrayât.
Au contraire, à ne considérer que l'intérêt
du développement religieux interne de nos communautés, nous
ne pouvons qu'appeler de tous nos vœux le moment où le souci de
pourvoir à l'entretien du service des Synagogues et des autres organes
du culte privés désormais de la provende gouvernementale,
stimulera leur zèle et les réveillera de cette apathie périlleuse
où elles végètent depuis si longtemps.
H. Prague