"Archives Israélites"
Jeudi 22 septembre 1904

Les Élections Consistoriales
et la séparation

    Les prochaines élections consistoriales ne semblent pas devoir présenter une grande animation, ce qui ne les différenciera guère de la plupart des précédentes.
    Il y a bien l'éventualité de la Séparation qui, en imposant de nouveaux devoirs aux fidèles israélites, pourraient réveiller un intérêt pour les choses du culte qui sommeille depuis tant d'années. Mais l'imprévoyance étant le péché mignon d'Israël, en matière d'administration religieuse, ce n'est que quand il sera aux prises, par suite de l'accomplissement de la réforme projetée, avec les difficultés brutales de l'existence du culte, quand il lui faudra assurer son fonctionnement, le faire vivre, qu'il se préoccupera de la question qu'il envisage aujourd'hui avec cette sereine indifférence que le régime de la manne officielle lui a comme inoculée et qui le tient éloigné de l'urne consistoriale.
    Aussi les élections du 16 octobre, au cas même où elles sonneraient le glas de l'organisation que nous devons à Napoléon, et c'est pour cette raison même, n'arracheront pas vraisemblablement nos coreligionnaires à leur torpeur invétérée.
    D'ailleurs le régime électoral dont on avait doté le Judaïsme n'était guère fait pour passionner le scrutin, pour susciter des brigues ardentes, des rivalités de personnes et d'intérêts, souvent si fécondes. Les noms qui sortaient de l'urne ne variaient guère.
    Ce n'étaient pas les mêmes, suivant le mot légendaire, qui se faisaient tuer comme à la guerre, mais qui plus pacifiquement, se faisaient renommer.
    Par suite de la rééligibilité indéfinie inscrite dans l'ordonnance fondamentale de 1844, le scrutin consistorial se trouvait pour ainsi dire frappé d'une infirmité congénitale.
    Le renouvellement périodique des Consistoires - et encore eût-on dû le prescrire plus fréquent - était une sage mesure en vue de mettre en mouvement le corps électoral et en contact mandataires et mandants. Mais ses bienfaits se trouvaient annulés par la clause malheureuse de la rééligibilité qui a équivalu pour certains à une sorte de pérennité des fonctions consistoriales, et cela, au grand dam des intérêts du culte.
    Le terme renouvellement implique tout naturellement l'idée du renouveau. Or, la plupart du temps, les membres sortants se représentant au scrutin voyaient leur mandat régulièrement, on peut dire automatiquement, confirmé.
    Qu'avait voulu le législateur en prescrivant le renouvellement quadriennal ? Apparemment que l'atmosphère consistoriale fut renouvelée, cette atmosphère si favorable à la routine et que l'air du dehors vint fouetter le sang de cet organisme administratif, voué autrement à l'immobilisation et à l'ankylose.
    Or, la rééligibilité contrecarrait fatalement ce pouvoir de régénération, le rendait absolument illusoire. Elle avait pour but évidemment de donner plus d'assiette à l'administration, plus de fixité à son fonctionnement, d'y faire régner l'esprit d'ordre et de suite, d'empêcher le bouleversement dans les idées et les choses qu'un changement intégral du personnel consistorial aurait provoqué. Mais la crainte de cet abus, comme ce fut le cas de Gribouille, a fait tomber le culte israélite dans un autre encore beaucoup plus grave à notre avis. Les mandats consistoriaux étant la plupart des fois confirmé par les électeurs, le scrutin de renouvellement est devenu une pure formalité, au lieu d'être une consultation publique sur les questions concernant l'avenir du culte. Le corps électoral s'en est généralement désintéressé et a marqué par une abstention de plus en plus complète que la chose lui était totalement indifférente. Et c'est trop souvent, seulement au second tour de scrutin et à une majorité dérisoire, que les membres sortants voyaient leur mandat renouvelé.
    La lassitude des électeurs les avait gagnés. Ils n'avaient pas besoin de se mettre en campagne pour se faire renommer, ni de sortir un programme nouveau, ni de faire des promesses. On ne leur demandait rien; ils ne jugeaient pas nécessaire de rien offrir. Ils reprenaient leur siège le lendemain de l'élection, comme si rien ne s'était passé dans l'intervalle. la séance continuait, suivant le mot devenu légendaire, sans grande animation, d'ailleurs, se traînant dans l'expédition banale des affaires courantes; on écartait toutes les propositions qui auraient pu troubler la paix des délibérations qui se poursuivaient d'année en année avec la même régularité monotone, sans échappée sur l'avenir, sans préoccupation sérieuse des besoins qui pouvaient se faire jour. D'ailleurs fatalement l'activité décroît à mesure que s'allonge une carrière et le zèle se relâche en raison directe de la durée du mandat. L'idée d'un changement dans les habitudes adoptées, pouvant déranger la conception qu'on s'est faite de son mandat, vous a tout l'air d'une utopie dangereuse et c'est le cas de dire, quand il s'agit du Consistoire, qu'on a son siège fait.
    Il entrait parfois au Consistoire, à la suite d'un décès ou d'une plus rare démission, un homme nouveau, animé du plus beau zèle, doué d'une initiative intelligente, qui rêvait de secouer la torpeur de la Communauté, d'intéresser ses coreligionnaires aux affaires du culte, mais zèle et initiative s'éteignaient bien vite dans cette lourde atmosphère. Et la sacro-sainte routine qui rouille tous les ressorts, perpétue les abus et fait un sort si heureux à l'inertie administrative, continuait à prospérer, laissant en suspens une foule de questions dignes d'occuper l'attention publique et de passionner les esprits, d'enflammer les cœurs, de donner de la vie au Judaïsme.
    Supposez que le législateur, mieux inspiré ou mieux conseillé, eut interdit la rééligibilité immédiate des membres sortants, et la situation que nous dépeignons sous de si tristes, mais si vraies couleurs, eût changé d'aspect.
    Chaque renouvellement partiel du Consistoire y eut amené des membres nouveaux qui, sans rompre radicalement avec les traditions auxquelles leurs collègues non soumis à la réélection les auraient initiés, eussent apporté avec eux un programme contenant des desiderata, des innovations, que leur zèle néophyte n'aurait pas laissé dormir dans les cartons. D'ailleurs, ce programme aurait préalablement été l'objet d'une discussion avec les électeurs qui, sachant qu'il leur fallait pourvoir à la vacance de plusieurs sièges, auraient compris quel puissant moyen d'action un tel nombre de vacances à combler leur aurait donné sur la marche des affaires consistoriales et l'orientation de la communauté.
    Le renouvellement du Consistoire serait devenu une vérité au lieu d'être, comme maintenant, une pure formalité. Un plus grand nombre de dévouements aurait eu accès aux fonctions consistoriales et leur influence se serait exercée de la façon la plus la plus heureuse pour les intérêts généraux du culte. Nous comprenons que lorsqu'une personne a rendu des services éclatants au Judaïsme, on lui maintienne, pour une longue période, la confiance qu'elle mérite, mais l'exception justifiée par des titres tout à fait exceptionnels ne doit pas devenir une règle.
    L'on ne se rend pas compte du tort considérable fait au culte par cette pérennité consistoriale. Elle a, par la force même des choses et de la nature humaine, par l'inertie qu'elle produit, tari toutes les sources d'initiative, barré le chemin à de nécessaires réformes administratives.
    La vie de nos Communautés s'en est trouvée comme paralysée, les ressorts ont été faussés et le Judaïsme français n'a pas, par suite de cette organisation irrationnelle du mandat consistorial, connu les destinées glorieuses auxquelles il était promis.
    Ces considérations, en raison de la proximité de la séparation des Églises et de l'État n'ont plus qu'un intérêt rétrospectif. cependant, dans l'organisation future des administrations du culte sur des bases nouvelles, il ne faudrait pas les perdre de vue, si l'on ne veut pas piétiner sur place et persister dans de fâcheux errements. A défaut des COnsistoires qui, sous leur forme actuelle, auront cessé de fonctionner, on aura à constituer des conseils d'administration, des Commissions, pour gérer les affaires du culte. Que l'on ait soin d'y introduire le principe de la non rééligibilité, tempérée si l'on veut par quelques exceptions d'un caractère bien spécifié, si l'on ne veut pas, qu'à leur tour, ils traînent une existence sans gloire ni grand profit pour la Communauté.
    Il faudra à ces conseils, pour que leur activité ne finisse pas par s'amortir, le stimulant des éléments nouveaux qui, périodiquement, viendront apporter un concours exempt des préjugés ambiants, dégagé des habitudes du lieu, leur infuser un sang jeune, riche en puissance d'initiative et de travail. A cette seule condition, ces Conseils ne suivront pas les errements de Consistoires et ils seront pour les Communautés des centres d'action religieuse, au lieu dêtre des bureaux d'enregistrement, et une communication plus intime, féconde, en raison des échanges d'idées et de projets qui se produiront, s'établira entre mandants et mandataires, pour le plus grand bien et le plus heureux développement des institutions religieuses.
                                H. Prague
EN RUSSIE
    Sur les troubles antisémites de Sméla, ville de 25 000 habitants dont 10 000 Israélites que nous avons annoncés dans notre dernier numéro le Klévlanine donne les détails suivants : .....

UN INCIDENT DU YOM KIPPOUR A LONDRES
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    Les banquets organisés le jour de Kippour - banquets d'ailleurs peu courus - ne suffisent plus aux libres penseurs né dans le jadaïsme, pour manifester leur prétendue affranchissement des traditions religieuses. Fanatiques à rebours, apportant dans l'expression de leur opinion l'intolérance sectaire qu'ils reprochent aux croyants, ils se plaisent à outrager ceux-ci dans leurs convictions, à les provoquer, sans rime ni raison.
    C'est ainsi, que lundi dernier, à Londres, dans le quartier de l'East End, habité par une population juive si dense, une bande de ces énergumènes de la libre pensée, promena une voiture chargée de victuailles, dans les rues où l'on jeûnait et l'on priait. Les israélites pratiquant furent indignés, scandalisés à juste titre, de cette bravade et une mêlée s'engagea à laquelle prirent part des milliers de personnes.
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