24- 29 mars Visite officielle d'Emile Loubet à Rome. Pie X refuse de le recevoir. Il s'ensuivra une tension qui aboutira le 29 juillet à la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican
Chambre des députés
24 novembre 1904

budget des cultes

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M. le président ..... MM. Marcel Sembat, AlIard, Bouveri, Chauvière,  Paul Constans, Jules Coutant (Seine), Dejeante, Delory, Jacques Dufour, Meslier, Piger, Thivrier, Vaillant, Walter, proposent de supprimer les chapitres 1 à 24 inclus du budget des cultes
    M. Ernest Roche a également déposé un amendement tendant  à supprimer les divers chapitres de ce budget.
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M. Maurice Allard. Messieurs, nous demandons purement et simplement, par notre amendement, la suppression du budget des cultes.
    Bien entendu , je ne veux pas ouvrir en ce moment une discussion de doctrine sur la question de la séparation des Églises et de l'État. cette discussion viendra à son heure, et bientôt, je l'espère, puisque M. le président du conseil et la commission de la séparation des Églises et de l'État sont d'accord pour hâter le dépôt du rapport ....
    Plusieurs voix au centre. Non, ils ne sont pas d'accord.

M. Cachet. Nous n'avons pas encore examiné le projet du Gouvernement.

M. Maurice Allard. La majorité de la commission de séparation a fait son possible pour que son rapport puisse être déposé vers le mois de janvier. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
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     En attendant cette discussion, je vous demande, comme nous l'avons fait l'année dernière et les précédentes, de voter dès aujourd'hui la suppression du budget des cultes, et d'accomplir ainsi contre la papauté et contre  l'Église  un acte  véritablement décisif. (Très bien! très bien!  à l'extrême gauche.)
    Pour motiver cette opinion il me suffit de prendre le rapport de l'honorable M. Morlot.
    J'y relève en effet les passages suivants :
    " Les nouvelles dispositions de la papauté à l'égard du Gouvernement de la République justifient singulièrement l'insistance mise par un grand nombre d'entre nous à réclamer la dénonciation du Concordat de 180I. "
    Et M. Morlot ajoute:
    " Dans l'état actuel de nos relations avec Rome, le moment nous semblait propice pour affirmer, une fois de plus, notre désir de dénoncer un contrat si peu respecté par la partie la plus intéressée  pour manifester  notre sentiment par  une nouvelle proposition de suppression du budget des cultes. Nous n'y avons pas manqué, mais la commission du budget a pensé qu'il était inutile cette année de se livrer à cette manifestation et de recourir à cette sorte de mise en demeure."
    Mais M. Morlot, dans une autre partie de son rapport, tout en déclarant qu'il votera la suppression du budget des cultes , affirme que, dans sa pensée, le vote émis en ce sens jusqu'à ce jour par les libres penseurs, n'est qu'une sorte de manifestation   platonique en faveur de la séparation des Églises et de l'État.
     Ici,  nous ne sommes d'accord, ni  avec M. Morlot,  ni surtout  avec la majorité de la  commission du budget. En vous demandant de supprimer le budget des cultes, nous n'entendons pas nous borner à une simple manifestation ; nous pensons que les deux questions, ne sont pas intimement liées, et que d'ailleurs, supprimer le budget des cultes, c'est préparer de la meilleure façon la séparation des Églises et de l'État.
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    A côté de ces raisons générales, nous en avons d'autres plus immédiates pour solliciter votre vote. Je vous demande la suppression du budget des cultes comme une déclaration de guerre à la papauté.

M. Dèche. Mais vous ne voulez pas qu'on la vote !

M. Maurice Allard. ...je vous la demande comme une réponse au dernier discours prononcé par le pape devant ses cardinaux en consistoire secret; ce discours contient une affirmation que vous ne pouvez pas tolérer; la meilleure manière de répondre à cette manifestation, c'est de voter aujourd'hui même la suppression du budget des cultes. (.Applaudissements à l'extrême gauche.)
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 M. Ernest Roche. messieurs, conformément au programme républicain, je viens vous demander de supprimer le budget des cultes.
    Ce n'est pas la première fois que pareille proposition, qui traîne depuis trente-cinq ans dans toutes les professions de foi démocratiques, est présentée à cette tribune, je le sais; mais ce que le pays à qui on l'a si souvent promise ignorait, et , je l'avoue, ce que moi-même je ne savais pas, c'est que c'est la première fois qu'elle y est portée avec l'intention   formelle d'aboutir. Je n'invente rien : cette constatation résulte des déclarations  mêmes de M. 1e rapporteur qui s'exprime ainsi dans son rapport:
    " Il n'est jamais entré dans l'esprit des membres du Parlement qui votent chaque année le budget des cuItes, que sa suppression pure et simple constituât une mesure suffisante à résoudre la question des relations des Églises et de l'État.. Ils ont trop conscience des dispositions multiples et successives qui devront être prises pour rompre avec un état de choses basé sur le Concordat, sur la tradition et sur les habitudes, pour avoir supposé un seul instant qu'un vote: budgétaire puisse en tenir lieu. Ils savent, aussi bien que quiconque, que la suppression  du budget des cultes ne peut être la préface de la séparation des Églises et de l'État et qu'elle ne pourra jamais être que la conséquence d'un régime nouveau solidement établi. Aussi, en votant contre les crédits des cultes, ont-ils simplement voulu apporter leur contribution au mouvement d'opinion qui se dessine de plus en plus  clairement."
    D'où il résulte, si j'ai bien lu, malgré toutes les précautions oratoires dont l'aveu est enveloppé, que ceux qui, chaque année, votaient assidûment la suppression du budget des cultes, entendaient uniquement faire une démonstration platonique qu'il serait plus exact de qualifier de démonstration électorale.

M. Maurice Allard. Cela n'a jamais été notre intention.

M Ernest Roche. .... qu'ils comptaient bien ne pas être suivis et que s'ils avaient cru l'être, ils auraient probablement changé d'attitude.
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     Vous savez  bien, messieurs, que si vous laissez entrer la séparation des Églises et de l'État dans l'engrenage parlementaire elle n'en sortira plus jamais.
    A supposer  même que vous réalisiez. la question avant les vacances de juillet, voire même avant les vacances de Pâques,  vous savez bien vous allez être aux prises avec les lenteurs et les modifications aussi inévitables qu'incalculables que le Sénat ne manquera pas d'y apporter. Comme fatalement il est des points sur lesquels vous ne vous voudrez certainement pas céder, et comme le Gouvernement - qui n'y sera pas obligé- ne voudra pas forcer la main du Sénat dans le sens que vous aurez indiqué, il est incontestable que l'éternel chassé-croisé d'une Chambre a l'autre recommencera pour une durée que le plus perspicace de  nous ne saurait déterminer. Durée illimitée hélas !
    Il n'en sera de cette question comme de la plupart des autres. C'est en vain que la démocratie attendra la solution.
    Faut-il vous citer des exemples ? Je n'en prendrai qu'un, mais il est éloquent : Qu'est devenue cette fameuse et malheureuse loi concernant les ouvriers et employés de chemins de fer. Cette loi qui dure depuis sept ou huit ans et que la Chambre a trois fois votée, sans que les braves et loyaux se. Il en est de même pour toutes les réformes sociales, ouvrières et démocratiques,
    C'est qu'en réalité  - et laissez-moi ici élever le débat - c'est qu'en réalité, on nous a donné, on nous a imposé, devrais-je plutôt dire, et vous avez la prétention de défendre, sans vouloir y apporter de modification aucune, une République où le  suffrage universel compte à peu près  pour rien. On peut, au Luxembourg, sabrer, biffer, supprimer, mutiler toutes  vos lois, on peut faucher en herbe  toutes vos initiatives sans obtenir de vous aucun mouvement de révolte, d'indignation ou seulement d'impatience.
    A l'extrême gauche. Grâce  à la puissance capitaliste.
    Cette puissance capitaliste, oui, est la plus redoutable que nous ayons à combattre. Nous ne savons que baisser la tête devant ses arrêts tout puissants. C'est la Constitution qui nous y contraint, et la Constitution, c'est l'arche sainte qui à laquelle il ne faut pas toucher ; c'est la raison principale pour laquelle  tant que cette Constitution nous étranglera et étranglera la République, je ne serai jamais du côté des satisfaits. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à l'extrême gauche.)
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    Il n'est qu'une chose dont nous ayons la possession complète et que nul ne saurait nous disputer, chose que nous pouvons sûrement et fièrement promettre, parce qu'elle nous appartient, chose que nous avons promise et que nous promettons tous les jours, c'est notre refus de voter certains budget, et en particulier le budget des cultes, sans craindre que personne l'inscrive d'office si nous ne le voulons pas.
    Cette promesse, messieurs, je viens vous prier de la réaliser non pas plus tard, non pas dans un an, à la veille de la consultation du suffrage universel, mais tout de suite, mais aujourd'hui même, puisque l'occasion nous en est offerte.
    J'ajoute que la séparation de l'Église et de l'État en sera le prix; elle en dépend : vous le sentez bien, elle en sera non seulement la conséquence inévitable, mais la conséquence  immédiate. Rien ne pourra plus s'y opposer, ni le Gouvernement, ni le Sénat ni personne. Au lieu d'être une Chambre d'enregistrement comme nous sommes, attendant pour agir qu'on veuille bien nous le permettre, nous devenons les arbitres  , décidant d'un point capital de la politique républicaine, dans la plénitude de notre droit, de la souveraineté que nous tenons des électeurs et du mandat qu'ils nous ont donné, sans que, je le répète, ni le Sénat, ni le Gouvernement, ni personne, me puisse s'opposer à ce qui sera la véritable volonté populaire. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à l'extrême gauche.)
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M. Émile Combes, président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. Je n'ai pas besoin de le dire à la Chambre ; je suis hostile à la suppression du budget des cultes, car cette mesure fait partie du projet de loi sur la séparation des Églises et de l'État et c'est parce qu'elle y est comprise que je demande à la Chambre d'attendre pour l'adopter la discussion de ce projet. Mais je tiens à mettre à l'aise toutes les consciences !
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    M. Ernest  Roche faisait appel à la droite de cette Assemblée, l'invitant il voter la suppression de ce budget. Les journaux m'ont appris également que la droite nationaliste s'était rangée à la même résolution.
  Je crois devoir prévenir loyalement la Chambre que si elle croit  l'heure venue  de supprimer  le budget des cultes et si, par un vote, elle consacre cette manière de voir, je suis absolument résolu à ne pas demander au Sénat le rétablissement de ce budget. (Applaudissements répété à l'extrême gauche et sur divers bancs bancs à gauche)
    Je tirerai naturellement de ce vote l'induction que la Chambre est pressée de voter la séparation des Églises et de l'État et, dès lors, j'extrairai du Projet déposé les trois ou quatre articles qui me paraissent plus particulièrement destinés à opérer la transition entre l'ordre de choses actuel, et l'ordre de choses à venir et, comme nous avons devant nous, avant le 31 décembre,  six bonnes semaines, j'inviterai la Chambre et le Sénat (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs à gauche et à l'extrême gauche) à adopter d'urgence ces quelques dispositions légales, en attendant qu'ils en votent le complément tel qu'il est indiqué dans notre projet de séparation.
    Et maintenant, si le cœur en dit aux nationalistes, qu'ils y aillent gaiement. (Nouveaux applaudissements et rires  à gauche et à l'extrême gauche. - Mouvements divers à droite et au centre.)
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Les amendements seront repoussés par 325 voix contre 232

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Le Figaro, journal qui se qualifiait sans doute encore de "non politique", publiait dans son numéro daté du 23 novembre "que les députés nationalistes de la Seine ont décidé de contre le budget des cultes. Ils expliqueront ce vote par une déclaration lue à la tribune, dans laquelle ils diront, en substance, que c'est le cabinet actuel qui a violé le Concordat, et qu'ils ne croient pas, dès lors, devoir lui accorder les crédits du budget des cultes"
La veille, dans son numéro daté du 22 le journal avait publié quelques unes des « Fiches » sur les militaires demandées par le général André, ministre de la Guerre. C'est ce qui causera la chute du cabinet Combes.

 l'Aurore du 25 novembre, journal de Clemenceau ,relatant la disussion du budget des cultes : "Parbleu s'est exclamé M. Ernest Roche, un nationaliste, la suppression du budget des cultes acquises, la séparation est comme faite. .... " Comme M. Combes avait dit que de toute façon il suivrait l'avis de la Chambre, il ne perdrait pas la partie, puisqu'il ne la jouait pas. Au nom des nationalistes, M. Gauthier de Clagny a déclaré que chacun de ses amis voterait selon ses sentiments. Les séparatistes , qu'ils viennent de droite ou de gauche, sont des séparatistes déterminés.

Ce journal publiait en feuilleton d'Eugène Sue "Les mystères de Paris"