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Sénat
Session extraordinaire de 1905

10 novembre 1905
Suite de la 1ère délibération
sur le projet de loi concernant
la séparation des Églises et de l'État
(2° journée, réduite et annotée)

M. Gourju : Lorsqu’en 1877, sous l’impulsion des 363 et l’inspiration suprême d’Adolphe Thiers mourant, l’entreprise insensée du 16 Mai eut été définitivement vaincue par l’effort fraternel de tous les républicains, sans distinction de nuance ni d’étiquette, il fut permis d’espérer que, désormais, l’ère des temps héroïques, celle des difficultés vitales était close pour la République triomphante, que jamais plus à l’avenir nulle folie aussi redoutable ne compromettrait ni sa sécurité ni son existence même.
     C’était l’époque où Gambetta, dans son discours du  21 décembre 1878, disait à l’association nationale : « Il n’y a plus que deux choses qui puissent mettre en péril notre établissement républicain : une guerre continentale ou la suppression  du budget de cultes ». Et sa robuste familiarité , dans une autre circonstance contemporaine, ajoutait que la dénonciation du Concordat serait la fin du monde. (9 ans plus tôt, en 1869, quand il définissait le programme républicain dit programme de Belleville, la séparation des Églises et de l’État y était en bonne place !)
....
     C’est qu’en effet, ..., si le 16 mai - qu’un si grand nombre d’entre nous, quelquefois divisés aujourd’hui, ont combattu  - si le 16 mai a été une de ces tentatives que personne n’a le droit de reprocher à la République, qui ne laisse, ..., subsister contre elle aucun grief, parce qu’il est de notoriété publique qu’elle a été effectué contre elle par ses ennemis, il n’en est malheureusement pas de même pour le péril en travers duquel nous cherchons à nous mettre : cette dénonciation du Concordat qui ne serait l’œuvre des ennemis de la République, mais d’un certain nombre de ses amis, et qui engagerait la responsabilité de la république bien autrement, en vertu même de cette circonstance aggravante, que ne l’avait fait l’aventure du 16 mai 1877.
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    ... ; nous savons ce que pensait aussi  Jules Ferry ... :  « Dans ma conviction profonde, cette substitution d’un régime absolument nouveau, absolument contraire aux croyances d’un grand nombre de Français, aux habitudes, aux traditions de la race, à l’instinct populaire lui-même, cette séparation serait la guerre religieuse apportée non seulement dans la commune par la rivalité plus vive que jamais du maire et du curé, mais encore la guerre religieuse au foyer domestique. »
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     En  1899, c’est M. Waldeck-Rousseau qui est au pouvoir. Une motion de M. Charles Bernard est présentée et combattue par lui, le 7 décembre 1899. Cette motion tendait à ce que la Chambre invitât le Gouvernement à lui présenter dans un bref délai un projet de loi de séparation des Églises et de l’État.
 .... M. Waldeck-Rouseau avait repoussé la motion Charles Bernard, parce qu’il lui semblait que toute espèce de tentative pour écarter le Concordat et le faire disparaître devait être précédée d’une législation spéciale sur le contrat d’association.                   (M . Waldeck-Rousseu était peut-être contre la séparation, mais en homme d'État qui sait prévoir l'avenir, il sentait bien que cela allait arriver et qu'il fallait préparer le terrain;)
     Si vous passez à la discussion des articles, je reviendrai ici vous démontrer qu’après avoir fait une loi sur le contrat d’association, pour aboutir ainsi à la séparation des Églises et de l’État, dès qu’il s’agit de cette séparation vous foulez aux pieds la loi d’association pour infliger au clergé une législation d’exception. (Applaudissement à droite et au centre..)
     Mais M. Waldeck-Rousseau n’est pas historiquement le dernier qui se soit prononcé contre la séparation des Églises et de l’État. Il eu pour successeur M. Combes.
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     J’aime à croire, ..., que j’ai le droit de citer M. Combes (Il est dans la  salle, à son banc de sénateur); les ministres, même quand ils sont tombés, sont encore responsables .... (Mouvements divers)
Un sénateur à droite : Ils ne le sont même pas quand ils sont au pouvoir !
... « Si vous supprimez le budget des cultes par un vote improvisé ... » - c’était le 27 janvier 1903, et déjà les querelles avec Rome étaient commencées   - « ... vous jetteriez le pays dans le plus grand embarras qui puisse s’imaginer. Cet embarra, que vous ne semblez pas prévoir, affecterai non seulement les consciences, que vous auriez troublées, mais jetterait la République dans un véritable péril .
 « Un peuple n’a pas été nourri en vain, pendant une longue série de siècles (Très bien ! au centre et à droite ) d’idées religieuses, pour qu’on puisse se flatter de pouvoir y substituer en un jour, par un vote de majorité (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.) , d’autres idées contraires à celle-là. Vous n’effacerez pas d’un trait de plume les quatorze siècles écoulés. » (Très bien ! très bien ! vifs applaudissements au centre et à droite.)
(Sauf qu’il ne s’agit pas, ici , d’un vote improvisé, à la sauvette, en un jour, ...)
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     « J’aspire comme vous tous du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que voudrais même immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige d’ajourner à quelques temps ... » (Ah ! ah ! à gauche.)  « ... où la libre pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie. Tant que ce moment n’est pas venu, vous ne pouvez pas, du jour au lendemain, faire, par un simple vote, de la société actuelle une société solidement assise sur les bases de la raison. »
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     Rome, nous dit-on, a voulu la séparation. Rome, dans tous les cas, si elle ne l’a pas voulu, s’est conduite de telle manière que la France est obligée de la lui infliger, non comme un pensum -...- mais comme un châtiment.
     Il s’agirait, messieurs, de punir Rome.
     De punir Rome ? de punir plutôt le clergé français, de punir les clergés français, les différentes confessions de France, même protestantes, même israélite (Très bien ! très bien ! à droite.) de punir tout le monde en France, excepté ceux qui ne pratiquent aucune religion, parce que Rome aurait commis - et à commis en effet - des erreurs.
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M. Charles Dupuy :... pourquoi n’a-t-on pas discuté avec le cardinal Merry del Val et avec le pape ? Pourquoi l’ultimatum ? Pourquoi le retrait de l’ambassadeur et de l’ambassade ?
     En sorte que nous sommes le seul peuple important aujourd'hui qui n'ait pas de représentant à Rome, auprès du Saint-Siège, Les États protestants, comme l'Angleterre et l'Allemagne, y sont représentés; la Russie orthodoxe y a un ambassadeur, Le Brésil même, si je ne me trompe, quoi qu'il ait fait la séparation, y a un ministre plénipotentiaire et on annonce que la Chine lointaine va en envoyer un, de telle façon que nous avons rompu tous les liens et tous les rapports, nous qui sommes, quoi qu'on en dise, en fait, une nation de clientèle catholique, suivant le mot de Gambetta et de  Spuller, (Marques d'approbation au centre et à droite )
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     Il y a un argument qu’on a mis en avant et sur lequel j’ai été étonné qu’on n’insistât pas d’avantage pour expliquer la séparation. On a dit : Mais maintenant que la loi des associations est faite, la séparation en est la conséquence naturelle. Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Ce n’était pas l’avis de Waldeck-Rousseau. Oserais-je dire que ce n’a jamais été le mien, ..., j’ai toujours dit que la loi des associations est la préface nécessaire à la séparation, mais il n’en résulte pas que la séparation soit la conséquence nécessaire de la loi sur les associations.
     C’est une question d’honnêteté et de loyauté, car si la loi sur les associations n’est pas faite et que la séparation se fasse, les Églises tombent immédiatement sous l’arbitraire et sous le pouvoir discrétionnaire de la police. .....
     Un jour, à Saint-Étienne  -...- l’honorable M. Briand, celui sans lequel, ..., la loi n’aurait peut-être pas été votée à la Chambre - ... - M. Briand disait : « La séparation, mais c’est déjà du passé ! »
     Il parlait en homme pressé, comme le sont les socialistes. Nous ne sommes pas aussi pressés, nous ; et comment peut-on dire de la séparation ,c’est déjà le passé alors qu’on pourrait à peine le dire logiquement de la loi des associations dont nous voyons tous les jours naître des difficultés et des conflits, et qui est loi de ce moment d’accoutumance et de tassement qui permettrait de le dépasser ?
     J’ai entendu un jour, dans une commune du Midi, un orateur populaire qui résumait la situation en trois mots et qui, lui aussi, était aussi pressé que M. Briand, bien que sa mentalité ne fût pas égale à celle de l’honorable député. Il disait :
 « L’année dernière, on nous a servi les moines ; cette année, on nous servira les curés ; l’année prochaine, la propriété et le capital. » (Très bien ! très bien ! au centre et rires à droite.)
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Êtes- vous aussi pressé ?

M. le rapporteur : Monseigneur Fuzet a dit la même chose.

M. Charles Dupuy : Monseigneur Fuzet a été, dit-on, l’inspirateur d’un des moins mauvais texte de la loi, à mon avis, même un très bon texte ; celui de l’article 4 ; et en l’appelant très bon, je suis sûr de ne pas être d’accord avec une très grande partie de mes collègues de ce côté. (L’orateur désigne la gauche.)
     Non, je ne cherche pas les autorités épiscopales ; je suis un républicain et un citoyen qui se demande en républicain et en citoyen ce que deviendra ce pays et le régime avec la séparation.
     L’opinion des évêques est très respectables, mais ce n’est pas à leur point de vue que je parle.

M. le rapporteur :  Mais ils se rencontrent avec les socialistes en question.

M. Charles Dupuy : Oh! les pères de l’Église pourraient fournir beaucoup de copie à nos socialistes contemporains. (Rires .)

M. le président de la commission : Tout était en commun dans la primitive Église

M. Charles Dupuy :Il y a bien longtemps, monsieur Vallée ; le code civil a passé là-dessus, et bien d’autres choses encore ...
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     Un service publique est, ..., celui que l’ensemble des citoyens, que l’État organise lorsqu’il répond à un besoin réel, à un besoin général ... et que les individus, isolés ou associés, ne peuvent pas parvenir à constituer et à faire vivre. (Très bien ! - Applaudissements au centre et à droite.)
...
     Il faut donc à ce besoin ce besoin une satisfaction, et, cette satisfaction, le culte, actuellement, la lui donne, tout au moins en ce qui concerne la grande majorité des Français.
     Si le culte ne la leur donne plus, ils chercheront ailleurs ; et où croyez-vous qu’ils la trouveront ? Croyez-vous que ce sera dans cette religion de la raison, dont on a parlé, et qu’on a mise sous le vocable de Condorcet ? Non, messieurs, ce n’est pas ce qu’ils chercheront : Ils iront du côté des doctrines qui sont à la fois les plus simples dans leur expression et les plus avancées dans leurs tendances ; ils iront vers ces doctrines qui s’enveloppent d’un certain mysticisme que nos idées scientifiques et philosophiques ne peuvent leur présenter ; ils iront vers les doctrines sociales, vers la Jérusalem nouvelle que prêchent les apôtres de ces doctrines, au péril et sur les ruines de l’État social tout entier. (Vifs applaudissements à droite et au centre.)
 C’est là qu’ils iront : Vous aurez travaillé pour ceux de nos ennemis politiques et sociaux. (Nouvelle et vive approbation sur les mêmes bancs.)

M. Destieux-Junca : Toujours le spectre de la révolution !
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M. Charles Dupuy : Je disais, ..., que ces doctrines ont une attirance extraordinaire ; et lorsque tout à l’heure, l’honorable président de la commission signalait l’analogie qui existe entre la doctrine de l’Église primitive et la doctrine à laquelle je fais allusion, il était tout à fait dans le vrai, ..., car il y a une ressemblance singulière entre les deux langages, qui tous deux ont quelque chose de très prenant et d’extrêmement séduisant pour les masses.
     Qu’il me permette, rappelant cette belle image d’un grand orateur (Jaurès ), de dire qu’à mesure que l’écho de la vieille chanson qui berçait la misère humaine s’affaiblira dans les âmes, celles-ci s’ouvriront à une chanson nouvelle, dont nous entendons déjà le prélude, et qui a pour caractère, celle-là, d’aigrir la souffrance, d’aviver la misère et d’exaspérer la revendication. (Très bien ! très bien ! - Vifs applaudissements à droite et au centre.)
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 Après avoir envisagé le point de vue moral et social de la séparation, permettez-moi, ..., de dire quelques mots de ce que j’appellerai le point de vue administratif et politique et de me demander quelles seront, placées en face l’une de l’autre, les attitudes respectives de l’État et de l’Église. .....  la hiérarchie catholique se trouve fortifiée par la loi.
...
     L’article 4 ... fait que l’évêque de demain ne relève plus que du pape et le curé de l’évêque ; nous n’y sommes plus pour rien.
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©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1