La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE
Nous apportons aujourd'hui à notre
enquête la contribution d'un document officiel encore inédit.
Nous avons dit, il y
a quelques jours, que le conseil central des Églises réformées
de France s'était rendu auprès de M. le président
du conseil et lui avait remis copie d'une délibération exposant
les critiques et les doléances du Conseil central au sujet du projet
de loi de séparation des Églises d'avec l'État.
Il est intéressant
de noter la composition du Conseil central des Églises réformées.:
M. le général
Coste, président ; MM. les pasteurs Louis vernes, président
honoraire du Consistoire de Paris ; Couve, président du Consistoire
de Paris ; Decoppet, Groiz,
président du Consistoire de Nîmes ; E. Schulz, Stapfer,
doyen de la faculté de théologie protestante de Paris ; MM.
G. Denis, sénateur ; Durand-Gasselib, Jalabert,
doyen honoraire de la faculté de droit de Nancy ; baron de Neuflize,
baron F. de Schickler, A. Silhol,
ancien sénateur ; C. de Will, ancien
député; A. de Rouville, secrétaire.
Nous publions ci-dessous
le texte in extenso de la délibération remise à
M? Combes par le Conseil central des Églises réformées
de France.
Le conseil central des Églises réformées
de France, appelé par la loi qui l'a institué à représenter
ces Églises auprès de gouvernement et du chef de l'État,
a le devoir de faire connaître leurs sentiments à l'égard
du projet de loi présenté à la Chambre des députés
par M. le président du conseil, ministre de l'intérieur et
des cultes
La cessation de l'union avec l'État
n'est pas demandée par les consistoires, organes autorisés
par ces Églises ; de grands progrès dans la vie religieuse
ont été accomplis pendant le dix-neuvième siècle.
L'organisation traditionnelle s'est progressivement reconstituée
par la reconnaissance de la paroisse et l'élection des corps ecclésiastiques
remise au suffrage universel des fidèles. Le rétablissement
complet du régime presbytérien-synodal
était unanimement demandé, et on pouvait espérer qu'il
serait prochainement obtenu..
Sans doute, il appartient au parlement de renoncer,
si l'heure lui parait venue, à cette union. Mais le conseil central a
le droit de constater que depuis 1802, rien dans l'attitude des Églises
réformées n'a donné lieu à des conflits ou
même à des plaintes. Les conseils presbytéraux, les
consistoires, les synodes particuliers, le synode général,
quand il est réuni, ont reconnu les attributions du pouvoir civil
et se sont scrupuleusement renfermés dans l'exercice de leur mission
religieuse, sans jamais intervenir dans l'œuvre politique.
Les Églises réformée ne professent
aucun principe contraire à la séparation, elles sont seulement
unanimes à demander que la liberté de conscience et de culte
leur soit pleinement garantie et que la loi sur la police des cultes ne
porte aucune atteinte à leur organisation et à l'accomplissement
de leurs devoirs. Elles constatent avec regret, mais sans incriminer les
intentions, que le projet présenté aurait pour résultat,
s'il n'était pas modifié, de compromettre de la manière
la plus grave leur existence et leur développement.
L'Église réformée
de France est, en effet, depuis sa naissance, une Église nationale
comprenant toute la pairie et rien que la pairie ; les communautés
qui la composent sont liées entre elles par un faisceau ; c'est
une pyramide s'élevant des paroisses à la base, au synode
général au sommet. C'est ce qui a été reconnu
de tout temps, comme le constate le conseil d'État, dans son avis
des 13 et 15 novembre 1873, dont nous reproduisons les termes :
"Considérant qu'il n'est point contesté
que jusqu'en 1802, l'Église réformée était presbytérienne-synodale
;
"Que le synode général était
un organe essentiel de sa constitution ;
"Considérant que les lois de l'an X n'ont
pas fait table rase des institutions intérieures et traditionnelles
des divers cultes dont elles rouvraient les temples ;
"Que, dans les exposés des motifs et dans
ses rapports au premier consul, Portalis déclare, à plusieurs
reprises, que la tâche des législateurs est de régler
les rapports des Églises avec le pouvoir civil, et non de refaire
leurs lois religieuses.
"Qu'il dit notamment : quand une religion est admise,
on admet par voie de conséquence les principes et les règles
par lesquels elle se gouverne."
L'Église réformée
de France est donc une, elle ne saurait être partagée en tronçons
topographiques, quelle qu'en soit l'étendue; ce point est capital.
Les députés de ces synodes particuliers doivent conserver
le droit de se réunir en synode général périodique,
chargé de maintenir les principes évangéliques et
disciplinaires dans son sein et d'assurer l'entretien du culte par la création
d'une caisse centrale. Toute loi contraire constituerait une atteinte des
plus graves à son organisation tricentenaire.
Un second point essentiel est le respect des droits reconnus aux consistoires et aux conseils presbytéraux par la législation de tous les régimes qui se sont succédé en France depuis un siècle. Ainsi le septième article organique constate que les Églises réformées possédaient des biens au moment de leur union avec l'État, et cette propriété a toujours été considérée comme incommutable. La personnalité civile de ces corps a été consacrée, et ils ont acquis, avec l'autorisation et sous la garantie de l'État des biens mobiliers et immobiliers dont ils ne sauraient être équitablement dépouillés. Sans doute, quand une personne morale est supprimée, elle cesse d'être propriétaire, mais cette suppression de propriété est summum jus, elle pourrait être la summa injuria dans certain cas. On sait d'ailleurs d'ailleurs que dans les statuts approuvés par l'État des établissements d'utilité publique, il leur est réservé, en cas de dissolution, la faculté de régler la transmission de leurs biens à d'autres établissements analogues de leur choix. En supposant que des associations pour l'entretien du culte soient substituées aux conseils presbytéraux et aux consistoires, ce qui ne parait pas nécessaire, encore devrait-elles être mises en leur lieu et place en ce qui concerne les biens, et ne pas subir des retranchements et des restrictions qui n'existent pas aujourd'hui, au point de vue de leurs possession et de l'emploi de leurs revenus. En ce qui concerne ceux des biens des consistoires et des conseils presbytéraux affectés par les auteurs des libéralités à des œuvres de bienfaisance, ces corps devraient avoir le droit de les attribuer à des établissements de bienfaisance publics ou reconnus d'utilité publique.
Un troisième point est relatif aux temples, oratoires et presbytère. Quand, pour remplacer ceux qui avaient été confisqués ou démolis sous les persécutions et après la révocation de l'édit de Nantes, l'État, les départements, les communes ont, d'une manière expresse et indéfinie, affecté des édifices aux besoins du culte, il parait juste que cette que cette affectation ne soit pas retirée . Quand l'acquisition la construction de nouveaux édifices a eu lieu au moyen de souscription fournies par les fidèles, la propriété doit rester ou aux consistoires, aux conseils presbytéraux ou aux associations qui les remplacent, alors même que des sommes plus ou moins considérables auraient été versées par l'État, les département ou les communes. Ces subventions ne peuvent changer de caractère et devenir et devenir attributives de propriété ; l'application du droit commun peut être invoquée.
Un quatrième point se rapporte à la
situation des pasteurs qui reçoivent actuellement des traitements
de l'État et en seraient privés par la suppression du budget
des cultes ; des mesures équitables s'imposent évidemment
aux législateurs. On ne peut laisser dans la misère des citoyens
français qui ont fait des études, conquis des grades, renoncé
à toute autre profession, en vue d'une carrière qui leur
étant ouverte par la loi et qui leur assurait, quoique dans les
plus modestes proportions, des aliments pour eux et leurs familles. Ils
peuvent légitimement attendre de l'État, sinon la conservation
intégrale de leurs traitement pendant
leur vie, au moins des pensions réglées avec la plus large
équité et, pour leurs veuves, la continuation des secours
qui leur ont toujours été accordés. Quant aux professeurs,
chargés de cours, maîtres de conférences des deux facultés
de Paris et de Montauban, ils appartiennent à l'enseignement supérieur
de l'université ; leur traitement a été soumis à
retenues ; il va de soi qu'ils ne pourraient être traités
moins favorablement que ne l'ont été les professeurs des
facultés de théologie catholique lors de la suppression de
ces établissements.
Le conseil central se borne aux points qui intéressent
au plus haut degré les Églises réformées, dans
le cas de séparation d'avec l'État. Il ne croit pas devoir
entrer, dès maintenant dans le détail des dispositions secondaires
du projet , sur lesquelles il serait toujours
prêt à faire connaître ses observations, si M. le ministre
des cultes le désirait.
Paris le 27 novembre 1904