Le Siècle daté du 12 décembre 1904
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La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE

Nous apportons aujourd'hui à notre enquête la contribution d'un document officiel encore inédit.
    Nous avons dit, il y a quelques jours, que le conseil central des Églises réformées de France s'était rendu auprès de M. le président du conseil et lui avait remis copie d'une délibération exposant les critiques et les doléances du Conseil central au sujet du projet de loi de séparation des Églises d'avec l'État.
    Il est intéressant de noter la composition du Conseil central des Églises réformées.:
    M. le général Coste, président ; MM. les pasteurs Louis vernes, président honoraire du Consistoire de Paris ; Couve, président du Consistoire de Paris ; DecoppetGroiz, président du Consistoire de Nîmes ; E. Schulz, Stapfer, doyen de la faculté de théologie protestante de Paris ; MM. G. Denis, sénateur ; Durand-GasselibJalabert, doyen honoraire de la faculté de droit de Nancy ; baron de Neuflize, baron F. de Schickler, A. Silhol, ancien sénateur ; C. de Will, ancien député; A. de Rouville, secrétaire.
    Nous publions ci-dessous le texte in extenso de la délibération remise à M? Combes par le Conseil central des Églises réformées de France.

    Le conseil central des Églises réformées de France, appelé par la loi qui l'a institué à représenter ces Églises auprès de gouvernement et du chef de l'État, a le devoir de faire connaître leurs sentiments à l'égard du projet de loi présenté à la Chambre des députés par M. le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes
     La cessation de l'union avec l'État n'est pas demandée par les consistoires, organes autorisés par ces Églises ; de grands progrès dans la vie religieuse ont été accomplis pendant le dix-neuvième siècle. L'organisation traditionnelle s'est progressivement reconstituée par la reconnaissance de la paroisse et l'élection des corps ecclésiastiques remise au suffrage universel des fidèles. Le rétablissement complet du régime presbytérien-synodal était unanimement demandé, et on pouvait espérer qu'il serait prochainement obtenu..
    Sans doute, il appartient au parlement de renoncer, si l'heure lui parait venue, à cette union. Mais le conseil central a le droit de constater que depuis 1802, rien dans l'attitude des Églises réformées n'a donné lieu à des conflits ou même à des plaintes. Les conseils presbytéraux, les consistoires, les synodes particuliers, le synode général, quand il est réuni, ont reconnu les attributions du pouvoir civil et se sont scrupuleusement renfermés dans l'exercice de leur mission religieuse, sans jamais intervenir dans l'œuvre politique.
    Les Églises réformée ne professent aucun principe contraire à la séparation, elles sont seulement unanimes à demander que la liberté de conscience et de culte leur soit pleinement garantie et que la loi sur la police des cultes ne porte aucune atteinte à leur organisation et à l'accomplissement de leurs devoirs. Elles constatent avec regret, mais sans incriminer les intentions, que le projet présenté aurait pour résultat, s'il n'était pas modifié, de compromettre de la manière la plus grave leur existence et leur développement.
    L'Église réformée de France est, en effet, depuis sa naissance, une Église nationale comprenant toute la pairie et rien que la pairie ; les communautés qui la composent sont liées entre elles par un faisceau ; c'est une pyramide s'élevant des paroisses à la base, au synode général au sommet. C'est ce qui a été reconnu de tout temps, comme le constate le conseil d'État, dans son avis des 13 et 15 novembre 1873, dont nous reproduisons les termes :
    "Considérant qu'il n'est point contesté que jusqu'en 1802, l'Église réformée était presbytérienne-synodale ;
    "Que le synode général était un organe essentiel de sa constitution ;
    "Considérant que les lois de l'an X n'ont pas fait table rase des institutions intérieures et traditionnelles des divers cultes dont elles rouvraient les temples ;
    "Que, dans les exposés des motifs et dans ses rapports au premier consul, Portalis déclare, à plusieurs reprises, que la tâche des législateurs est de régler les rapports des Églises avec le pouvoir civil, et non de refaire leurs lois religieuses.
    "Qu'il dit notamment : quand une religion est admise, on admet par voie de conséquence les principes et les règles par lesquels elle se gouverne."
    L'Église réformée de France est donc une, elle ne saurait être partagée en tronçons topographiques, quelle qu'en soit l'étendue; ce point est capital. Les députés de ces synodes particuliers doivent conserver le droit de se réunir en synode général périodique, chargé de maintenir les principes évangéliques et disciplinaires dans son sein et d'assurer l'entretien du culte par la création d'une caisse centrale. Toute loi contraire constituerait une atteinte des plus graves à son organisation tricentenaire.

    Un second point essentiel est le respect des droits reconnus aux consistoires et aux conseils presbytéraux par la législation de tous les régimes qui se sont succédé en France depuis un siècle. Ainsi le septième article organique constate que les Églises réformées possédaient des biens au moment de leur union avec l'État, et cette propriété a toujours été considérée comme incommutable. La personnalité civile de ces corps a été consacrée, et ils ont acquis, avec l'autorisation et sous la garantie de l'État des biens mobiliers et immobiliers dont ils ne sauraient être équitablement dépouillés. Sans doute, quand une personne morale est supprimée, elle cesse d'être propriétaire, mais cette suppression de propriété est summum jus, elle pourrait être la summa injuria dans certain cas. On sait d'ailleurs d'ailleurs que dans les statuts approuvés par l'État des établissements d'utilité publique, il leur est réservé, en cas de dissolution, la faculté de régler la transmission de leurs biens à d'autres établissements analogues de leur choix. En supposant que des associations pour l'entretien du culte soient substituées aux conseils presbytéraux et aux consistoires, ce qui ne parait pas nécessaire, encore devrait-elles être mises en leur lieu et place en ce qui concerne les biens, et ne pas subir des retranchements et des restrictions qui n'existent pas aujourd'hui, au point de vue de leurs possession et de l'emploi de leurs revenus. En ce qui concerne ceux des biens des consistoires et des conseils presbytéraux affectés par les auteurs des libéralités à des œuvres de bienfaisance, ces corps devraient avoir le droit de les attribuer à des établissements de bienfaisance publics ou reconnus d'utilité publique.

    Un troisième point est relatif aux temples, oratoires et presbytère. Quand, pour remplacer ceux qui avaient été confisqués ou démolis sous les persécutions et après la révocation de l'édit de Nantes, l'État, les départements, les communes ont, d'une manière expresse et indéfinie, affecté des édifices aux besoins du culte, il parait juste que cette que cette affectation ne soit pas retirée . Quand l'acquisition la construction de nouveaux édifices a eu lieu au moyen de souscription fournies par les fidèles, la propriété doit rester ou aux consistoires, aux conseils presbytéraux ou aux associations qui les remplacent, alors même que des sommes plus ou moins considérables auraient été versées par l'État, les département ou les communes. Ces subventions ne peuvent changer de caractère et devenir et devenir attributives de propriété ;  l'application du droit commun peut être invoquée.

    Un quatrième point se rapporte à la situation des pasteurs qui reçoivent actuellement des traitements de l'État et en seraient privés par la suppression du budget des cultes ; des mesures équitables s'imposent évidemment aux législateurs. On ne peut laisser dans la misère des citoyens français qui ont fait des études, conquis des grades, renoncé à toute autre profession, en vue d'une carrière qui leur étant ouverte par la loi et qui leur assurait, quoique dans les plus modestes proportions, des aliments pour eux et leurs familles. Ils peuvent légitimement attendre de l'État, sinon la conservation intégrale de leurs traitement pendant leur vie, au moins des pensions réglées avec la plus large équité et, pour leurs veuves, la continuation des secours qui leur ont toujours été accordés. Quant aux professeurs, chargés de cours, maîtres de conférences des deux facultés de Paris et de Montauban, ils appartiennent à l'enseignement supérieur de l'université ; leur traitement a été soumis à retenues ; il va de soi qu'ils ne pourraient être traités moins favorablement que ne l'ont été les professeurs des facultés de théologie catholique lors de la suppression de ces établissements.
    Le conseil central se borne aux points qui intéressent au plus haut degré les Églises réformées, dans le cas de séparation d'avec l'État. Il ne croit pas devoir entrer, dès maintenant dans le détail des dispositions secondaires du projet , sur lesquelles il serait toujours prêt à faire connaître ses observations, si M. le ministre des cultes le désirait.

    Paris le 27 novembre 1904


Le texte publié par le Siècle était sensiblement différent de par sa forme. Il m'a semblé que lors de la confection du journal des lignes s'étaient mélangées et je me suis efforcé de retrouver le sens du message, aidé en cela par les quatre points énonces.

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