Le Siècle daté du 10 décembre 1904
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La Séparation et les Églises
Notre enquête

    M. le pasteur E. Brugnière, de Marseille, nous adresse la lettre suivante en réponse aux questions que nous lui avons posées :

            Marseille,  26 novembre 1904
            Monsieur
    Vous m'avez fait l'honneur de m'adresser votre questionnaire relatif à la séparation des Églises et de l'État (projet de la commission parlementaire et projet du gouvernement) en me demandant d'y répondre.
    Je vous indique ci-dessous les points principaux qui me semblent devoir être relevés - en m'attachant à l'ordre même que vous m'indiquez, sans toutefois reproduire le texte des questions formulées.
    je suis, pour mon compte, partisan de la séparation des Églises et de l'État, mais je ne voudrais à aucun prix l'asservissement des Églises à l'État, pas plus que je n'accepterais une solution inverse du problème. Le premier article du projet sur la séparation devrait être celui du projet Briand : "La République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes". Comme protestants, nous serons les premiers à réclamer cette liberté pour toutes les Églises aussi bien que pour la nôtre. celle-ci, quant à son organisation, est prebytérienne-synodale. Le gouvernement, le conseil d'État l'ont toujours reconnu. Ce serait porter la plus grave atteinte à la liberté que de détruire cette constitution même.
    En ce qui concerne les bien ecclésiastiques, comment admettre que l'État s'empare des biens qui appartiennent aux Églises, puisqu'ils ont été acquis avec l'autorisation et la garantie de l'État, ainsi que des Églises, temples, presbytères, construits le plus souvent avec les deniers des fidèles ? Peut-on d'ailleurs, oublier que nos Églises, trop longtemps persécutées, et surtout au lendemain de la Révocation, durent subir les confiscations les plus iniques ?
    - On ne saurait contester au pouvoir civil le droit de contrôle, de surveillance et de police des cultes. Les ministres des différents cultes doivent donner l'exemple de la soumission aux lois et du respect pour l'autorité publique, mais les articles se rapportant à la police des cultes édictent des pénalités dont quelques-unes paraissent bien rigoureuses et hors de proportion avec les contraventions ou le délit à réprimer.
    - Pour que la séparation fût faite équitablement, elle devrait se faire sans violence. L'État procédant par extinction, les traitements de tous les pasteurs en exercice devraient être maintenus jusqu'à l'âge de la retraite (60 ans) pour être remplacés ensuite par une pension dont le chiffre serait assez élevé pour assurer aux titulaires une existence convenable et digne. Il y a sur ce point engagement de la part de l'État, qui, avant de confirmer les nominations, exigé des candidats des études, des grades déterminés.
    - Le projet de la commission laissant subsister l'organisation traditionnelle de nos Églises, il est sur certains points d'un véritable libéralisme, mais sur beaucoup d'autres, des amendements devraient y être apportés.
    - L'article 5 fixe au "1er janvier qui suivra la promulgation de la loi" l'application de celle-ci. le délai n'est-il pas un peut court ? J'en dis autant des articles 6, 7, 7 bis qui se rapportent à l'usage gratuit des édifices religieux, à la répartition des biens mobiliers et immobiliers, dans les six mois qui suivent la promulgation de la loi. Quel inconvénient y aurait-il à ménager davantage la transition ?
    Serait-il équitable, serait-il conforme à notre droit civil que l'État ou les communes, ainsi que le veut l'article 11, fussent déclarés propriétaires d'immeubles acquis avec les deniers des fidèles par cela seul que les communes ou l'État auraient fourni une subvention quelconque ? Tout au plus comprendrait-on que les Églises fussent dans l'obligation de restituer la somme allouée.
    Nous ne réclamons ni faveur ni privilège. Mais il serait contraire au droit commun, après avoir concédé aux associations cultuelles seulement ****** locataires toutes les réparations locatives, d'entretien et de grosses réparation, comme le veut l'article 14.
    L'article 10 devrait être maintenu. "Les associations cultuelles pourront, dans les formes déterminées par l'article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions avec administration ou direction centrale."
    Il faudrait modifier l'article 20 concernant les valeurs mobilières disponibles. Il y est dit que "le revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et entretien du culte." Cette disposition, qui, du reste, manque de clarté, n'assurerait pas l'existence et ne permettrait pas le développement de ces associations.
    Quant aux manifestations et signes extérieurs du culte, l'article 34 peut prêter à des interprétations diverses. "Aucun signe ou emblème particulier d'un culte, est dit, ne peut être élevé, érigé, fixé et attaché en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception de l'enceinte destinée aux exercices du culte, des cimetières." L'érection d'une croix sur un char funèbre qui traverse la rue ou la place publique, le port de la robe par le pasteur seront-ils, de ce fait, interdits ?
    - Pour ce qui est du projet du gouvernement, il est évidemment bien plus encore en opposition avec les principes constitutifs de nos Églises. Le conseil central s'est, à bon droit, prononcé à l'unanimité contre son adoption.
    - Ce projet semble avoir été dirigé avant tout contre l'Église romaine, dont la puissant organisation a son centre de direction à l'étranger ; il risque fort d'être à cet égard inefficace. Tandis que son application atteindrait mortellement le protestantisme tout entier, qui, après avoir été le véritable initiateur du régime parlementaire et démocratique, se verrait dépouillé des avantages, des bienfaits de ce régime lui-même.
    L'article 3 est inadmissible. Malgré la réserve de l'intervention du conseil d'État ou d'un arrêté préfectoral, suivant la valeur des biens( inférieure ou supérieurs à dix mille francs), il constituerait une véritable confiscation.
    - Les auteurs du projet, en restreignant par l'article 8 à la limite d'un département les unions d'associations, ont-ils eu la pensée de briser l'organisation de nos Églises ? Nous ne le croyons pas, mais elle serait la conséquence certaine de son application. Et nous n'avons pas de peine à comprendre les protestations unanimes soulevées parmi nous contre cette disposition.
    - Le fond de réserve, "dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l'ensemble des recettes annuelles", serait absolument insuffisant.
    Enfin, comme dans le projet de la commission, les peines édictées par l'article 10 contre les directeurs ou administrateurs d'une association cultuelle qui aurait contrevenu aux dispositions des articles 6, 7, 8 et 9 ne sont-elles pas excessives ?
    Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, l'assurance de mes sentiments respectueux et dévoués.
                E. Brugnière


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