Nous trouvons dans un des derniers numéros de l'Univers israélite un article dont il nous parait utile d'extraire quelques passages ; les initiales de la signature dissimulent une des personnalités les plus autorisées du monde israélite qui a traduit, dans cet article, l'opinion presque générale de ce milieu à l'endroit du projet de M. Combes :
Le projet de loi ne contient pas la moindre trace
de ces dispositions conciliantes. C'est tout au plus s'il améliore
d'une façon quelque peu appréciable le régime des
pensions de retraite à accorder aux ministres du culte, en abaissant
à quarante ans la limite d'âge que le projet de la commission
fixait à quarante-cinq ans et en allouant une pension temporaire
de 350 francs par an, dans les communes pauvres, aux ecclésiastiques
âgés de moins de quarante ans. Quant à établir
une distinction entre les curés, qui sont obligés au célibat,
et les pasteurs et rabbins, qui sont généralement mariés
et père de familles nombreuses, ou à rendre les pensions
réversibles, en cas de décès, sur la veuve et les
orphelins, M. Combes n'y a pas plus songé que la commission. Combien
nous sommes loin des intentions généreuses que nous avait annoncé
le discours d'Auxerre ! Si ce sont là les effets d'une bienveillance
envers les personnes qui doit désarmer toutes les défiances,
on se demande vraiment quelles mesures la malveillance aurait pu inspirer.
Il est d'autres points sur lesquels le
projet de M. Combes se montre beaucoup moins libéral que celui
qui, au nom de la commission avait été présenté
par M. Briand. La proposition
de M. Briand autorisait les associations formées pour assurer
l'entretien du culte à constituer des unions avec direction centrale.
Nous avons montré, il y a plusieurs semaines, combien une pareille
disposition pouvait être féconde en heureux résultats,
puisqu'en permettant à nos communautés de se fédérer,
elle ne les mettait pas seulement à même de s'aider les unes
les autres, mais qu'elle nous laissait l'espoir de maintenir dans son unité
dans son unité et dans sa force l'organisation qui s'appelle le
judaïsme français.. Cet espoir, le
projet Combes vient de le briser. Dans son article 8, en effet, il interdit,
entre les associations cultuelles, les unions dépassant les limites
d'un département. M. le grand-rabbinZadoc
Kahn s'est, dans une lettre que nous avons reproduite, élevé
contre cette prohibition étrange. Si elle acquérait force
de loi, elle entraînerait la suppression de nos consistoires, qui
tous sans exception ont juridiction sur plusieurs départements,
et empêcherait tout lien de solidarité de se créer
entre les juifs de France, en même temps qu'elle condamnerait les
communautés pauvres à disparaître, faute de pouvoir
faire appel, pour les besoins du culte, au concours des communautés
plus opulentes .....
.... ce qui est plus grave encore que l'interdiction
faite aux associations religieuses, contrairement aux règles du
droit commun, d'unir leurs efforts quand leur action ne s'exerce pas dans
le même département, ce sont les dispositions financières
du projet de M. Combes. L'article 7 enlève aux consistoires, au
profit de l'État, tous les biens mobiliers et immobiliers qui sont
actuellement la propriété des établissements publics
du culte. Le projet de M. Briand avait, au contraire, respecté cette
propriété en autorisant les consistoires à opérer eux-même
la dévolution de ces biens aux associations destinées à
les remplacer. N'y a-t-il pas là une inadmissible dérogation
aux principes du droit, pour ne pas dire une véritable spoliation
? D'autre part, l'article 9, après avoir prescrit aux associations
religieuses de tenir un état de leurs recettes et de leurs dépenses
ainsi que de dresser chaque année un compte financier et un inventaire,
leur est défense de constituer un fonds de réserve supérieur
au tiers de leurs dépenses annuelles, lequel fonds de réserve
devra être placé à la caisse des dépôts
et consignations ou en titre nominatifs de valeurs garanties par l'État.
Il nous semble déjà exorbitant que l'État puisse s'immiscer
dans la gestion financière des assemblées cultuelles, alors
que toutes les autres espèces d'associations s'administrent comme
elles l'entendent et échappent à son contrôle. mais
que dire de la limite imposée à ce fonds de réserve
? Le maximum assigné à ce fonds et qui ne saurait être
dépassé même pour les plus petites communautés
n'est-il pas réellement dérisoire ? Il ne suffit pas, parait-il,
de mettre les centres religieux dans l'impossibilité de se garantir
réciproquement leur existence par la pratique de la solidarité.
On veut encore les empêcher, en leur interdisant l'économie
et la prévoyance, d'assurer eux-même
leur avenir. En vérité, on ne s'y prendrait pas autrement,
si on était résolu à les frapper de mort.
Non seulement nous ne pouvons supposer que des dispositions
aussi draconiennes, aussi oppressives, aussi attentatoires à la
liberté religieuse, puisse être sanctionnées par le
Parlement ; mais il nous est même impossible de croire que M. Combes
se fasse la moindre illusion sur leur sort. M. le président du conseil,
qui se demandait, il n'y a pas longtemps encore, s'il aurait une majorité
à la Chambre pour la séparation étendue de la façon
la plus conciliante, ne peut pas s'imaginer qu'il en trouverait une pour
la séparation telle qu'il la propose, c'est-à-dire subordonnant
le libre exercice des cultes à des restrictions abusives et à
une surveillance blessante. Il ne saurait même se flatter de recueillir
du groupe socialiste, puisque M. Briand, le représentant de ce groupe
au sein de la commission, a tenu, dans le projet rédigé par
lui, à faire preuve de modération et de libéralisme.
Comment s'expliquer dès lors l'attitude de M. Combes ? Comment comprendre
la divergence si profonde qui existe entre les vues qu'il a développé
à Auxerre et celles qui ont prévalu dans son projet de loi
? Comment, après avoir promis toutes les "concessions raisonnables"
et tous les "sacrifices conformes à la justice", a-t-il pu présenter
une loi qui est non pas, comme il le disait, un instrument de "concorde
sociale" mais une véritable arme de combat ? Faut-il supposer, comme
d'aucun l'affirment, que M. Combes, n'espérant ni ne désirant
peut-être faire voter sa loi avant la dissolution de la Chambre actuelle,
a cru pouvoir sans inconvénient en accentuer les tendances, afin
d'être certain, au cas où il serait renversé du pouvoir,
de tomber à gauche ? Nous ne savons. Ce dont nous sommes persuadés,
c'est que le projet déposé par le gouvernement ne pourra
que contribuer, par les graves et multiples objections qu'il fait naître,
à prolonger le débat et à retarder la solution et
que, comme nous le disions au début de cet article, la séparation
des Églises et de l'État n'est pas à la veille de
se réaliser.
B.-M.