Le Siècle daté du 7 décembre 1904
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LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Notre enquête

Nous recevons de M. Ch. Gide, professeur à la faculté de droit de Paris, la réponse suivante aux questions que nous lui avons posées

Paris le 29 novembre 1904
    Messieurs,
    A votre première question : " Quels sont les droits et libertés que tout projet de loi doit garantir aux Églises en général", je voudrais pouvoir répondre, comme l'ont fait d'autres de vos correspondants : Le droit commun.
    Malheureusement, il n'y a pas en France de doit commun en matière d'association ; il y a un droit spécial d'association pour les mutualistes, un autre pour les syndiqués, un autre pour les établissements d'utilité publique, etc. . Quant à la loi, soit-disant générale, sur le droit d'association, de 1901, le législateur l'a faite tout exprès telle que les associations religieuses ne pussent s'en servir, il faut donc aussi une loi spéciale pour ces associations qui s'appellent des Églises, et c'est là le mal.
    État donnée cette fâcheuse nécessité d'une loi spéciale, il faut du moins que cette loi garantisse à toutes les Églises, grandes ou petites, à celles déjà vieilles comme à celles qui pourraient naître, ce minimum de droits qui consiste non seulement dans l'exercice du culte mais dans la faculté d'enseigner et de propager leur foi.
    Il le faut, parce que, si la loi n'accorde pas ce minimum, les Églises le prendront tout de même et aucun moyen de coercition ne pourra l'empêcher.
    D'ailleurs, cette liberté de  propagande est indispensable à l'État lui-même, je veux dire à l'État laïque et républicain, car elle constitue la garantie la plus efficace, la seule efficace, contre la domination de cette Église qu'il redoute et qui, elle, pourrait au besoin se passer de la liberté de propagande, parce qu'elle a déjà, pour adhérents, au moins nominalement, presque tous les français.
    Or cette liberté de propagande ne me paraît pas suffisamment garantie par les projets de loi, et je crois que c'est là une erreur, même en me plaçant au point de vue de ceux qui les ont présentés.
    Je vois, en effet, dans ces projets, et surtout dans celui du gouvernement, diverses mesures qui, dirigées intentionnellement contre l'Église romaine, ne frapperont, en réalité, que les Églises dissidentes et peut-être même, un jour ou l'autre, les associations de la libre-pensée, car ce sont aussi des Églises.
    Je citerai surtout : l'article 8 qui réserve le droit de fédération des Églises aux limites d'un département ; l'article 6 qui interdit le ministère d'un étranger (Que l'on exige la nationalité française des administrateurs de l'association, d'accord , mais, ceux qui prêchent ou prient ou administrent les sacrements, pourquoi ? Pourquoi un étranger n'aurait-il pas le droit de parler ou de confesser, ou de dire la messe en France ? ; l'article 24 qui maintient la direction la direction des cultes même après la séparation, c'est à dire qui constitue une sorte de préfecture de police des cultes et enfin le luxe de pénalité des article 14-20.
    En ce qui concerne surtout l'interdiction de constituer des fédérations dépassant les limites d'un département, autrement dit l'interdiction de créer des des Églises nationales ; catholiques ou protestantes. Impossible de mieux servir les intérêts  de Rome et des ultramontains. L'administration de l'Église catholique reste intacte puisque chaque diocèse peut s'accommoder le mieux du monde de la circonscription d'un département et que toute la fédération nationale serait serait non seulement inutile mais schismatique, l'Église n'ayant qu'un seul chef qui est à Rome. Quant aux Églises dissidentes, elles seraient réduites à l'état d'archipels, une poussière d'îlots ... , mais elles ne s'y résigneront pas et, si le projet de loi devait être appliqué, elles seront tentées d'imiter leur grand sœur aînée en transportant à l'étranger le siège de leur gouvernement ecclésiastique.
    En ce qui concerne les biens, la question est moins grave parce qu'il ne s'agit plus d'une question de de conscience.
    Pour les biens possédés actuellement, le projet de la commission en reconnaissait la propriété aux églises ; le projet du gouvernement les leur enlève. Il est vrai qu'il les leur restitue aussitôt sous forme de concession, mais cette concession à titre temporaire et précaire n'empêche pas qu'il n'y ait expropriation en droit. J'ai écrit ailleurs qu'il m'eût paru légitime de laisser aux Églises non seulement la propriété de leurs biens propres, mais aussi celle des édifices consacrés au culte, car, évidemment, ces édifices dans l'intention de ceux qui les avaient élevés, (et alors même que parmi ceux qui avaient fourni des fonds se trouvaient l'État ou la commune), ne devaient ni ne pouvaient recevoir d'autre destination. D'ailleurs, contrairement à ce qu'on croit (et à la différence des biens des congrégations), ces biens ne représentent qu'une valeur vénale très modique.
    Si pourtant les Églises sont dépouillées sont dépouillées de leurs biens, elles n'en mourront pas : elles en ont l'habitude. Elles feront comme l'araignée patiente, qui refait sa toile. Mais au moins faut-il leur permettre de la refaire.
    Je crois que l'État a le droit de limiter le patrimoine des Églises au montant des biens nécessaires à l'exercice du culte, comme d'ailleurs de limiter les biens de n'importe quelle association à la satisfaction du besoin spécial pour lequel elle a été crée. Seulement il faut être un peu large dans l'application de cette règle, d'autant plus qu'en fait il est impossible à l'administration, même ma plus inquisitoriale, de la contrôler. Par exemple, la limitation du fonds de réserve à 1/3 du revenu annuel (article 9) est dérisoire et par la suite inapplicable. Une association quelconque qui ne constituerait pour fonds de réserve qu'une somme égale au tiers de ses revenus, c'est-à-dire qui n'aurait de garanties que pour quatre mois de vie serait considérée comme non viable, et jamais le conseil d'État, au cas où elle solliciterait la reconnaissance légale, ne la lui accorderait. Le projet de la commission qui admettait la propriété d'un capital dont l'intérêt fût suffisant pour couvrir les dépenses moyennes d'une année, me paraît acceptable. Soit une Église qui dépense 10.000 francs par an : dans le projet de la commission, elle pourra se constituer un capital de 250.000 à 300.000 francs, suivant qu'il produira 3 ou 4% ; dans le projet du gouvernement, elle ne pourra se constituer qu'un capital de de 3.333 francs, presque cent fois moins !
    Enfin, en ce qui concerne les indemnités aux ministres des cultes, l'État devra penser qu'à raison de la modicité de leurs traitements ils n'ont pas pu faire d'économies et qu'un certain nombre d'entre eux se trouveront sans situation parce que leurs Églises n'auront pas les ressources suffisantes pour les garder à leur service. La meilleure solution,, je veux dire celle qui réduirait au minimum les souffrances et la gêne des dépossédés serait que l'État alloue aux Églises pendant dix ans la moitié des sommes inscrite au budget pour le traitement de leurs ministres, à charge pour les Églises de répartir cette somme au mieux des besoins et d'en justifier l'emploi.
    Si l'État répugne à confier ce soin aux Églises et celles-ci peut-être à s'en charger, alors il pourrait tout simplement attribuer à chaque membre du clergé une pension égale à la moitié de son traitement pour un nombre d'années égal à celui durant lequel il a été en fonctions

    Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués
                Charles Gide


Le journal rendait également compte du duel Déroulède-Jaurès( à l'époque ce n'était pas purement verbal !!!!)

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