LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Notre enquête
M. Eugène Fauche nous envoie les réponses suivantes que
nous lui avons posées sur les projets de séparation élaborées
par la commission et par le gouvernement
Quels sont les droits
et libertés que tout projet de loi
sur la "séparation" doit
garantir aux Églises en général, à la vôtre
en particulier ?
En ce qui concerne
leur organisation, la possession et la propriété des biens
ecclésiastiques ?
Pour être vraiment
profitable à notre pays, la séparation doit être une
séparation complète, faite une fois pour toutes, mettant
chacun chez soi, s'inspirant autant qu'il est possible du droit commun,
et suffisamment libérale pour permettre aux Églises de vivre
entièrement au grand jour, comme les Églises protestantes
voudraient déjà pouvoir le faire, et comme la plupart des
Églises le feront petit à petit si la possibilité
leur en est donnée.
La loi de séparation doit donc garantir aux
Églises aux Églises lers droits et liberté qui leur
sont indispensables pour vivre et sauvegarder, dans la plus large mesure
possible, pour chacune d'elles, l'organisation qui lui est propres : pour
les protestants, par exemple, l'organisation presbytérienne synodale
(démocratique et parlementaire).
En ce qui concerne la possession et la propriété
des biens mobiliers et immobiliers ecclésiastiques, il semble équitable
et en même temps plus simple de les distinguer en deux catégories
suivant que d'après la législation actuelle ils appartiennent
aux établissements publics religieux actuels ou bien bien à
l'État, aux départements ou aux communes. 1° La propriété
des premiers transmise par les établissements propriétaires
actuels, sans la perception d'aucun droit au profit du Trésor, à
telle ou telle association cultuelle que cet établissement choisira
parmi celles créées dans sa circonscription religieuse. 2°
Pour les seconds ( ceux qui d'après la législation actuelle
appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes
il semble équitable que, pendant un certain temps ( 10 ans ?) et
moyennant un loyer (voir art. 14 de la commission §2) l'usage en soit
concédé par qui de droit et sur avis de létablissement
religieux qui en a actuellement la jouissance, à l'association cultuelle
intéressée.
Au bout de ce laps de temps, l'État ; les
départements ou les communes rentreraient en possession entière
de ces immeubles qu'ils pourraient désaffecter ou vendre aux associations
cultuelles intéressées.
Quelles sont les
mesures de garantie, les droits de contrôle, surveillance et police
que doit prendre ou assurer l'État.
Il est du devoir de l'État de prendre toutes
mesures de ce genre compatibles avec la liberté du culte : les Églises
devant, pour le bien de tous, être mises dans l'impossibilité
d'exercer une action au point de vue politique et de s'immiscer dans les
affaires de l'État, mais l'État devant, de son côté,
garantir aux Églises toute la liberté nécessaire à
leur existence et à l'exercice de leur culte.
Quel régime
concevez-vous pour la période de transition ?
J'ai répondu plus haut à la partie
de cette question relative aux biens.
Pour les ministres du culte et les professeurs,
il est équitable que, comme tout fonctionnaire dont l'emploi est
supprimé, ils reçoivent une pension viagère. La loi
devra donner aux Églises un certain délai (6 mois, 1 an au
plus) pour s'organiser en associations cultuelles.
A ces points de vue
divers, comment appréciez-vous le projet
de la commission ?
Quelles sont les
dispositions de ce projet que vous voudriez voir maintenues ou modifiées
?
Sous réserve des observations suivantes,
le projet semble sauvegarder, dans la mesure du possible, les libertés
des Églises et les droits de l'État.
Art. 3.- L'article 294 du code pénal et les
décrets du 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 doivent être
ajoutés à la liste de eux abrogés.
Art. 7.- Le deuxième paragraphe devra être
supprimé
Art. 7bis.- Les établissements publics
des différents cultes doivent être autorisés à
attribuer à des associations déclarés charitables
la propriétés des biens en question.
Les articles 11, 12, 13 et 14 devront être
remplacés comme suite :
"Les édifices qui d'après la législation actuelle
appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes
et on été affectés à l'exercice des cultes,
au logement de leurs ministres ou comme séminaires, seront loués
pour une durée de dix années par qui de droit et sur avis
des établissements religieux qui en ont actuellement la jouissance,
à l'association cultuelle intéressée.
Le prix du loyer ne pourra être supérieur à 10% du
revenu annuel moyen de la circonscription religieuse intéressée
telle qu'elle se trouve actuellement constituée ou de l'établissement
religieux tel qu'il existe actuellement. Ce revenu sera calculé
sur la moyenne des cinq dernières années."
Au sujet de ces articles il y a lieu d'observer
qu'il est contraire au droit commun de faire payer au propriétaire
les grosses réparations.
Art. 17.- Le mot "fondation" pour les cérémonies
et services religieux (messes ?) semble n'avoir de sens que pour l'Église
romaine.
Art. 20, §3.- Les mots "après avis du
conseil d'État" devraient être supprimés : les associations
cultuelles doivent avoir toute liberté pour l'achat et la construction
et la réparation des immeubles, meubles qui leur sont strictement
nécessaires.
Art. 34.- Il semble vexatoire d'interdire sur les
édifices consacrés à la célébration
d'un culte, tout emblème particulier : la crois , par exemple, pour
les chrétiens.
Le projet
de gouvernement vous paraît-il préférable ?
Si moyennant ces modifications le projet de la commission
nous semble sauvegarder, dans la mesure du possible, les libertés
des Églises et les droits de l'État, il n'en est absolument
pas de même du projet de gouvernement, qui par ses articles 3 et
8, pour ne citer que ceux-là, rendront impossible le libre exercice
du culte.
Quelles vous en paraissent
les idées directrices ? Quels sont les articles dont vous désirez
le maintien ou la suppression ?
Les stipulations de ce projet paraissent avoir été
inspirées par le désir non pas de faire de la séparation
une séparation acceptable pour tous parce qu'elle serait équitable,
mais de supprimer le budget des cultes en maintenant autant que possible
les Églises sous le régime du bon plaisir de l'État.
Le vote d'un tel projet ne manquerait pas d'amener bientôt une réaction
déplorable qu'il faut tout faire pour éviter. Les objections
les plus graves portent sur :
L'article 6 qui, après avoir enlevé
aux établissement publics du culte la libre disposition des biens
qui leur appartenaient, remet en question au bout de dix années,
puis tous les dix ans ou plus souvent encore, la location des édifices
publics consacrés aujourd'hui au culte : cette disposition entretiendrait
dans notre pays une agitation malsaine.
L'article 7 semble n'autoriser que les quêtes
et collectes faites dans les édifices consacrés à
l'exercice public d'un culte et cela seulement pour les frais et l'entretien
dudit culte et interdire par conséquent les collectes qui se font
aujourd'hui à domicile pour les frais de culte.
On se demande même si, fort de cet article,
l'État ne pourrait pas interdire à une Église de réunir
les fonds nécessaires pour l'instruction et la préparation
de ses futurs ministres.
L'article 8 qui prive du droit de s'associer entre
elles des Églises qui ont joui de ce droit sous la République
et même sous l'Empire.
L'article 9 qui réduit d'une façon
dérisoire les fonds de réserve jusqu'à le rendre insuffisant
même comme fonds de roulement.
Néfaste pour les Églises, le vote
du projet du gouvernement le serait plus encore pour la France qu'il achèverait
de diviser en deux camps irréconciliables.
E. FAUCHE