Le Siècle daté du 4 décembre 1904
A la Une : Hommage à Waldeck-Rousseau

LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Notre enquête

M. Eugène Fauche nous envoie les réponses suivantes que nous lui avons posées sur les projets de séparation élaborées par la commission et par le gouvernement
    Quels sont les droits et libertés que tout projet de loi sur la "séparation" doit garantir aux Églises en général, à la vôtre en particulier ?
    En ce qui concerne leur organisation, la possession et la propriété des biens ecclésiastiques ?
  Pour être vraiment profitable à notre pays, la séparation doit être une séparation complète, faite une fois pour toutes, mettant chacun chez soi, s'inspirant autant qu'il est possible du droit commun, et suffisamment libérale pour permettre aux Églises de vivre entièrement au grand jour, comme les Églises protestantes voudraient déjà pouvoir le faire, et comme la plupart des Églises le feront petit à petit si la possibilité leur en est donnée.
    La loi de séparation doit donc garantir aux Églises aux Églises lers droits et liberté qui leur sont indispensables pour vivre et sauvegarder, dans la plus large mesure possible, pour chacune d'elles, l'organisation qui lui est propres : pour les protestants, par exemple, l'organisation presbytérienne synodale (démocratique et parlementaire).
    En ce qui concerne la possession et la propriété des biens mobiliers et immobiliers ecclésiastiques, il semble équitable et en même temps plus simple de les distinguer en deux catégories suivant que d'après la législation actuelle ils appartiennent aux établissements publics religieux actuels ou bien bien à l'État, aux départements ou aux communes. 1° La propriété des premiers transmise par les établissements propriétaires actuels, sans la perception d'aucun droit au profit du Trésor, à telle ou telle association cultuelle que cet établissement choisira parmi celles créées dans sa circonscription religieuse. 2° Pour les seconds ( ceux qui d'après la législation actuelle appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes il semble équitable que, pendant un certain temps ( 10 ans ?) et moyennant un loyer (voir art. 14 de la commission §2) l'usage en soit concédé par qui de droit et sur avis de létablissement religieux qui en a actuellement la jouissance, à l'association cultuelle intéressée.
    Au bout de ce laps de temps, l'État ; les départements ou les communes rentreraient en possession entière de ces immeubles qu'ils pourraient désaffecter ou vendre aux associations cultuelles intéressées.
    Quelles sont les mesures de garantie, les droits de contrôle, surveillance et police que doit prendre ou assurer l'État.
    Il est du devoir de l'État de prendre toutes mesures de ce genre compatibles avec la liberté du culte : les Églises devant, pour le bien de tous, être mises dans l'impossibilité d'exercer une action au point de vue politique et de s'immiscer dans les affaires de l'État, mais l'État devant, de son côté, garantir aux Églises toute la liberté nécessaire à leur existence et à l'exercice de leur culte.
    Quel régime concevez-vous pour la période de transition ?
    J'ai répondu plus haut à la partie de cette question relative aux biens.
    Pour les ministres du culte et les professeurs, il est équitable que, comme tout fonctionnaire dont l'emploi est supprimé, ils reçoivent une pension viagère. La loi devra donner aux Églises un certain délai (6 mois, 1 an au plus) pour s'organiser en associations cultuelles.
    A ces points de vue divers, comment appréciez-vous le projet de la commission ?
    Quelles sont les dispositions de ce projet que vous voudriez voir maintenues ou modifiées ?
    Sous réserve des observations suivantes, le projet semble sauvegarder, dans la mesure du possible, les libertés des Églises et les droits de l'État.
    Art. 3.- L'article 294 du code pénal et les décrets du 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 doivent être ajoutés à la liste de eux abrogés.
    Art. 7.- Le deuxième paragraphe devra être supprimé
    Art. 7bis.- Les établissements publics des différents cultes doivent être autorisés à attribuer à des associations déclarés charitables la propriétés des biens en question.
    Les articles 11, 12, 13 et 14 devront être remplacés comme suite : "Les édifices qui d'après la législation actuelle appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes et on été affectés à l'exercice des cultes, au logement de leurs ministres ou comme séminaires, seront loués pour une durée de dix années par qui de droit et sur avis des établissements religieux qui en ont actuellement la jouissance, à l'association cultuelle intéressée.
    Le prix du loyer ne pourra être supérieur à 10% du revenu annuel moyen de la circonscription religieuse intéressée telle qu'elle se trouve actuellement constituée ou de l'établissement religieux tel qu'il existe actuellement. Ce revenu sera calculé sur la moyenne des cinq dernières années."
    Au sujet de ces articles il y a lieu d'observer qu'il est contraire au droit commun de faire payer au propriétaire les grosses réparations.
    Art. 17.- Le mot "fondation" pour les cérémonies et services religieux (messes ?) semble n'avoir de sens que pour l'Église romaine.
    Art. 20, §3.- Les mots "après avis du conseil d'État" devraient être supprimés : les associations cultuelles doivent avoir toute liberté pour l'achat et la construction et la réparation des immeubles, meubles qui leur sont strictement nécessaires.
    Art. 34.- Il semble vexatoire d'interdire sur les édifices consacrés à la célébration d'un culte, tout emblème particulier : la crois , par exemple, pour les chrétiens.
    Le projet de gouvernement vous paraît-il préférable ?
    Si moyennant ces modifications le projet de la commission nous semble sauvegarder, dans la mesure du possible, les libertés des Églises et les droits de l'État, il n'en est absolument pas de même du projet de gouvernement, qui par ses articles 3 et 8, pour ne citer que ceux-là, rendront impossible le libre exercice du culte.
    Quelles vous en paraissent les idées directrices ? Quels sont les articles dont vous désirez le maintien ou la suppression ?
    Les stipulations de ce projet paraissent avoir été inspirées par le désir non pas de faire de  la séparation une séparation acceptable pour tous parce qu'elle serait équitable, mais de supprimer le budget des cultes en maintenant autant que possible les Églises sous le régime du bon plaisir de l'État. Le vote d'un tel projet ne manquerait pas d'amener bientôt une réaction déplorable qu'il faut tout faire pour éviter. Les objections les plus graves portent sur :
    L'article 6 qui, après avoir enlevé aux établissement publics du culte la libre disposition des biens qui leur appartenaient, remet en question au bout de dix années, puis tous les dix ans ou plus souvent encore, la location des édifices publics consacrés aujourd'hui au culte : cette disposition entretiendrait dans notre pays une agitation malsaine.
    L'article 7 semble n'autoriser que les quêtes et collectes faites dans les édifices consacrés à l'exercice public d'un culte et cela seulement pour les frais et l'entretien dudit culte et interdire par conséquent les collectes qui se font aujourd'hui à domicile pour les frais de culte.
    On se demande même si, fort de cet article, l'État ne pourrait pas interdire à une Église de réunir les fonds nécessaires pour l'instruction et la préparation de ses futurs ministres.
    L'article 8 qui prive du droit de s'associer entre elles des Églises qui ont joui de ce droit sous la République et même sous l'Empire.
    L'article 9 qui réduit d'une façon dérisoire les fonds de réserve jusqu'à le rendre insuffisant même comme fonds de roulement.
    Néfaste pour les Églises, le vote du projet du gouvernement le serait plus encore pour la France qu'il achèverait de diviser en deux camps irréconciliables.

                                                                        E. FAUCHE



Suite