Le Siècle daté du 3 décembre 1904
A la Une : Lycée gratuit – La délation et ses victimes
 


LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Notre enquête

Nous avons interrogé plusieurs des personnes israélites les plus notoires ; quelques-unes nous ont adressé des réponses écrites que nous publierons ultérieurement.
    D'autres nous ont traduit verbalement leurs opinions ; nous les résumons fidèlement.

    Sur la question du principe, les israélites n'ont rien à dire. Si le gouvernement et le parlement juge qu'il a des raisons capitales de faire la séparation et que le moment est venu, il n'y a pas de protestation a élever. Les juifs n'ont pas de concordat à invoquer. Tout ce que les croyants israélites peuvent demander, c'est qu'on ne leur rende pas la vie impossible et que, sous prétexte de liberté, on ne tue pas leur culte. Une loi de liberté ne doit pas être une loi d'oppression.
    Il est permis toutefois et il est facile de faire une critique du projet du gouvernement. Sans même entrer dans le détail, il apparaît que ce projet n'est pas le produit d'une documentation suffisante et d'une réflexion sérieuse.
ARTICLE II
    Il légalise la spoliation
    Exemple :
    La communauté israélite de Paris a construit de compte à demi avec la ville les deux grands temples de la rue de la Victoire et de la rue des Tournelles. Malgré les trois ou quatre millions de contribution fourni par les israélites, c'est la ville qui, après deux ans, devient propriétaire de ces édifices. Supposons un conseil municipal antisémite, il peut enlever aux israélites parisiens la jouissance des temples élevés pour moitié à leur frais.
    Second exemple :
    A Sedan, on a construit, il y a trente ans environ, une synagogue qui coûta 102.000 francs. La commune donna un terrain estimé à 17.000 francs. Elle fournit en outre 6.000 francs en espèce. Les israélites eux-mêmes ont donc fourni 73.000 francs sur 102.000. Il est par trop abusif de leur enlever toute part de propriété dans cette synagogue.
ARTICLE III
    Moins libéral que l'article correspondant du projet Briand, cet article fait des biens appartenant aux consistoires une concession temporaire par l'État. Comment l'État peut-il concéder ce qu'il reconnaît appartenir à d'autres ?
ARTICLE VIII
    Il est évident que les rédacteurs de cet article ne se sont pas suffisamment préoccupés du fonctionnement et de l'organisation actuel du culte juif.
    S'il est interdit à l'union de franchir les limites d'un département, c'est la mort pure et simple de toutes les petites communautés, des communautés pauvres, c'est à dire de la plupart des communautés.
    Paris, nancy, Bordeaux, Marseille, Lyon pourront seuls subsister.
    Prenons Châlons, Sedan, Avignon, Nîmes, Saint-Étienne, etc. ,- villes où il y a des rabbins, - ou Orléans, Tours, etc., - villes où il n'y a que des ministres officiants.
    Dans ces communautés, on trouve de de trente de trente à quinze familles, et le tiers des communautés françaises ne compte pas plus de trente familles.
    Pour boucler leur maigre budget, ces communautés reçoivent des communautés riches dont elles relèvent une subvention qui s'élève à quelques centaines de francs ; en outre l'État accorde une petite subvention aux ministres officiants.
    Privées de ces ressources venues du dehors, ces communautés ne pourront plus vivre.
    Et les conséquences financières ne sont pas seulement à examiner. Il y a le côté moral.
    Qu'est-ce qu'une petite communauté de vingt familles, par exemple, ne se rattachant à rien, ne pouvant s'associer à aucune autre pour une œuvre commune, isolée, perdue dans un vrai désert moral ?
    La situation deviendra d'autant plus pénible pour la pluralité des croyants israélites, qu'ils doivent l'organisation actuelle à la volonté de l'État et à la loi française. C'est elle qui a voulu que toutes les communautés françaises formassent une union, chose qui n'a donné lieu à aucun inconvénient.
    En outre, l'État n'a-t-il pas intérêt à ce que l'enseignement religieux et la prédication reçoivent l'impulsion venue du centre le plus éclairé et soient dirigés dans le sens de certaines idées larges et modernes ?
    On peut prévoir à coup sûr que l'application de la loi en projet serait le triomphe des orthodoxies fanatiques et outrancières.
    ARTICLE IX
   La réserve totale ne peut pas excéder le tiers des revenus annuels. Comment, dans ces conditions,  pourra-t-on fonder quoi que ce soit d'important ? Aucune construction d'édifice ne sera possible : on ne pourra même pas songer à des réparations importantes

......................

    En résumé, nous déclarent nos interlocuteurs, le projet de loi du gouvernement, s'il ne manifestait en toute évidence une étude hâtive et superficielle du problème apparaîtrait comme une conception injuste, oppressive et spoliatrice.



Suite