LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Notre enquête
Nous
avons interrogé plusieurs des personnes israélites les plus
notoires ; quelques-unes nous ont adressé des réponses écrites
que nous publierons ultérieurement.
D'autres nous ont traduit verbalement leurs opinions ; nous les résumons
fidèlement.
Sur la question du principe, les israélites
n'ont rien à dire. Si le gouvernement et le parlement juge qu'il
a des raisons capitales de faire la séparation et que le moment
est venu, il n'y a pas de protestation a
élever. Les juifs n'ont pas de concordat à invoquer. Tout
ce que les croyants israélites peuvent demander, c'est qu'on ne
leur rende pas la vie impossible et que, sous prétexte de liberté,
on ne tue pas leur culte. Une loi de liberté ne doit pas être
une loi d'oppression.
Il est permis toutefois et il est facile de faire
une critique du projet du gouvernement. Sans même entrer dans le
détail, il apparaît que ce projet n'est pas le produit d'une
documentation suffisante et d'une réflexion sérieuse.
ARTICLE II
Il légalise la spoliation
Exemple :
La communauté israélite de Paris a
construit de compte à demi avec la ville les deux grands temples
de la rue de la Victoire et de la rue des Tournelles. Malgré les
trois ou quatre millions de contribution fourni par les israélites,
c'est la ville qui, après deux ans, devient propriétaire
de ces édifices. Supposons un conseil municipal antisémite,
il peut enlever aux israélites parisiens la jouissance des temples
élevés pour moitié à leur frais.
Second exemple :
A Sedan, on a construit, il y a trente ans environ,
une synagogue qui coûta 102.000 francs. La commune donna un terrain
estimé à 17.000 francs. Elle fournit en outre 6.000 francs
en espèce. Les israélites eux-mêmes ont donc fourni
73.000 francs sur 102.000. Il est par trop abusif de leur enlever toute
part de propriété dans cette synagogue.
ARTICLE III
Moins libéral que l'article correspondant
du projet Briand, cet article fait des biens appartenant aux consistoires
une concession temporaire par l'État. Comment l'État peut-il
concéder ce qu'il reconnaît appartenir à
d'autres ?
ARTICLE VIII
Il est évident que les rédacteurs
de cet article ne se sont pas suffisamment préoccupés du
fonctionnement et de l'organisation actuel
du culte juif.
S'il est interdit à l'union de franchir les
limites d'un département, c'est la mort pure et simple de toutes
les petites communautés, des communautés pauvres, c'est à
dire de la plupart des communautés.
Paris, nancy, Bordeaux, Marseille, Lyon pourront
seuls subsister.
Prenons Châlons, Sedan, Avignon, Nîmes,
Saint-Étienne, etc. ,- villes où
il y a des rabbins, - ou Orléans, Tours, etc., - villes où
il n'y a que des ministres officiants.
Dans ces communautés, on trouve de de trente
de trente à quinze familles, et le tiers des communautés
françaises ne compte pas plus de trente familles.
Pour boucler leur maigre budget, ces communautés
reçoivent des communautés riches dont elles relèvent
une subvention qui s'élève à quelques centaines de
francs ; en outre l'État accorde une petite subvention aux ministres
officiants.
Privées de ces ressources venues du dehors,
ces communautés ne pourront plus vivre.
Et les conséquences financières ne
sont pas seulement à examiner. Il y a le côté moral.
Qu'est-ce qu'une petite communauté de vingt
familles, par exemple, ne se rattachant à rien, ne pouvant s'associer
à aucune autre pour une œuvre commune, isolée, perdue dans
un vrai désert moral ?
La situation deviendra d'autant plus pénible
pour la pluralité des croyants israélites, qu'ils doivent
l'organisation actuelle à la volonté de l'État et
à la loi française. C'est elle qui a voulu que toutes les
communautés françaises formassent une union, chose qui n'a
donné lieu à aucun inconvénient.
En outre, l'État n'a-t-il pas intérêt
à ce que l'enseignement religieux et la prédication reçoivent
l'impulsion venue du centre le plus éclairé et soient dirigés
dans le sens de certaines idées larges et modernes ?
On peut prévoir à coup sûr que
l'application de la loi en projet serait le triomphe des orthodoxies fanatiques
et outrancières.
ARTICLE IX
La réserve totale ne peut pas excéder le
tiers des revenus annuels. Comment, dans ces conditions, pourra-t-on
fonder quoi que ce soit d'important ? Aucune construction d'édifice
ne sera possible : on ne pourra même pas songer à des réparations
importantes
......................
En résumé, nous déclarent nos interlocuteurs, le projet de loi du gouvernement, s'il ne manifestait en toute évidence une étude hâtive et superficielle du problème apparaîtrait comme une conception injuste, oppressive et spoliatrice.