Le Siècle daté du 24 novembre 1904
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LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES

    Si le Siècle a toujours déclaré nécessaire  la séparation des Églises d'avec l'État, si nous avons toujours réclamé de la timidité du gouvernement un projet définitif et précis, nous avons, en même temps, toujours exprimé l'avis que cette séparation, pour être complète, sincère et loyale, devait être équitable et libérale.
    Il nous a toujours paru que c'est précisément dans ces transformations profondes de la législation que les gouvernements doivent s'efforcer de  réaliser les changements reconnus indispensables en respectant avec le plus de scrupules  les droits acquis et les intérêts privés.
    Ces ménagements ne sont point d'ailleurs pour entraver l'oeuvre entreprise; au contraire, croyons-nous. C'est bien plutôt en manifestant la volonté bien nette. de rendre la liberté de tous  plus large,  plus vraie qu'on parviendra plus aisément à réaliser cette séparation réclamée par tous les  esprits  libres  et clairvoyants.
La proposition de M. Briand, révisée par la commission de  la Chambre des  députés, le projet de loi du gouvernement,  déposé il y à quelques  jours par le président du conseil, soulèvent les plus graves problèmes.
    Ici même, notre collaborateur et ami Raoul Allier a commencé la critique de certaines de ces dispositions, qui , si elles devaient être adoptées assureraient la mort sans phrases des Églises protestantes et israélites. Le projet du gouvernement est surtout remarquable à cet égard : on a pu le comparer à sans exagération à la révocation de l'Edit de Nantes.
    Nous avons voulu réunir l'opinion des personnalités les plus qualifiées dans les Églises reconnues par l'État ; nous avons demandé à celles qui nous paraissaient désignées par leur situation, leur influence et leur savoir de nous dire ce qu'il fallait penser des dispositions proposées par le gouvernement.
    Sans parti pris, avec toute la réflexion que méritent des aussi sérieuses, les critiques se sont fait jour.
    Nous nous bornons à les enregistrer.
                                                            L.J.



Voici le texte des questions que nous avons posées. Nos lecteurs pourront ainsi suivre les réponses qui y ont été faites.
    - Quels sont les droits et libertés que tout projet de loi sur la "séparation" doit garantir aux Églises en général, à la vôtre en particulier ?
    En ce qui concerne leur organisation, la possession et la propriété des biens ecclésiastiques ?
    - Quelles sont les mesures de garantie, les droits de contrôle, surveillance et police que doit prendre ou assurer l'État.
    - Quel régime concevez-vous pour la période de transition ?
    - A ces points de vue divers, comment appréciez-vous le projet de la commission ?
    - Quelles sont les dispositions de ce projet que vous voudriez voir maintenues ou modifiées ?
    - Le projet de gouvernement vous paraît-il préférable ?
    - Quelles vous en paraissent les idées directrices ?
    - Quels sont les articles dont vous désirez le maintien ou la suppression ?
    - Que pensez-vous en particulier de l'article 3, concernant la reprise et la concession temporaire par l'État des biens appartenant aux établissements du culte ?
    - Que pensez-vous des dispositions visant les biens ecclésiastiques ?
    - Que pensez-vous de l'article 8, concernant le droit de fédération ?
    - Que pensez-vous de l'article 9, concernant les fonds de réserve ?



M. le pasteur Benjamin Couve, président du Consistoire de Paris, nous a fait parvenir la lettre suivante :

Église Réformée de Paris

    Monsieur,
    Vous voulez bien me demander ce que je pense du projet de la commission parlementaire et du projet du gouvernement relatifs à la séparation des Églises et de l'État. Voici une réponse aux questions indiquées par vous. Vous ne vous étonnerez pas si je me borne à noter les points que me semblent essentiels en m'abstenant de développements dont vous n'auriez que faire.
    I.- Nous, protestants, nous désirons et demandons, pour toutes les Églises, comme pour la nôtre, que le régime nouveau qu'on se propose d'établir assure la pleine liberté de conscience et la pleine liberté de culte, sans laquelle la liberté de conscience n'existe pas.
    II.- Notre organisation, à nous protestants réformés français, a été, dès le XVI° siècle, et n'a cessé d'être, a travers les persécutions, l'organisation presbytérienne-synodale. Si nos synodes ont été parfois interrompus, et si la loi du 18 germinal an IV n'a pas mentionné le synode général ou national, nous n'avons jamais cessé de le réclamer. Il nous a été accordé en 1872, mais pas depuis 1873. Nous ne pouvons concevoir pour nos Églises une organisation qui supprimerait ou contredirait cette organisation traditionnelle : et, sur ce point, nous ne voyons pas quel système pourrait être substitué à celui-là.
    Nous estimons qu'il serait contraire au droit et à l'équité de dépouiller nos Églises des biens qui leur appartiennent, des lieux de culte qu'elles ont construits avec leur argent. La jouissance gratuite des temples et presbytères ne serait qu'un faible dédommagement aux confiscations opérées par Louis XIV et ses successeurs.
    III.- Nous admettons sans difficulté que l'État exerce un droit de police et de surveillance sur les ministres du culte et les empêche de faire de leur ministère un moyen d'opposition aux lois votées par le Parlement.
    IV.- Pendant la période de transition, si le traitement des pasteurs en exercice ne leur était pas maintenu leur vie durant, il devrait, du moins, être alloué des pensions suffisant à préserver de la misère des citoyens français qui ont fait des études longues, ont conquis des diplômes universitaires et ont embrassé une carrière peu lucrative, mais en apparence assurée.
    V.- Le projet de la commission pouvait recevoir certaines modifications et tel quel il ne saurait nous agréer. Cependant, il respectait notre organisation fondamentale et assurait la liberté du culte.
    VI.- L'article 20 de ce projet ne devrait pas subordonner la réunion du capital nécessaire à la construction d'un temple à une autorisation par décret.
    L'article 11 en attribuant aux communes la propriété des édifices construit sur un terrain appartenant au conseil presbytéral, si la commune a versé une subvention quelconque pour l'achat de ce terrain, est contraire aux règles du code civil. De même, il est contraire au droit commun de mettre les grosses réparations et les primes d'assurance à la charge du locataire (art.14)
    les associations déclarées pour le culte ne pourront pas réunir de capitaux suffisants, si la loi ne leur confère pas le droit de recevoir des dons et legs.
    Il est injuste de faire peser sur ces associations l'impôt de 4% sur le revenu dont sont affranchies les associations laïques. Il faudrait modifier l'article 34 qui exige l'enlèvement des emblèmes religieux placés hors du territoire des édifices destinés au culte.
    VII.- Le projet du gouvernement est incontestablement plus défavorable aux églises. Il a eu, dès son apparition, cet effet de  réunir tous les protestants sans distinction (de toutes les églises et de tous les partis) dans une commune réprobation.
    VIII.- Il a pour idée directrice de briser l'organisation des Églises et, tout en prétendant les séparer de l'État, de les assujettir à un contrôle sévère. Il leur enlève leurs droits actuels et les prive des libertés nécessaires, même de celles qu'elles possèdent actuellement.
    IX.- Les articles les moins admissibles du projet gouvernemental sont, en ce qui nous concerne :
    1° L'art. 8, qui confisque les biens des établissements publics du culte et les biens destinés à des fondations charitables;
    2° L'art. 8, qui interdit les unions d'associations hors des limites d'un département ( ce serait la ruine de notre organisation prebytérienne-synodale et même la ruine de beaucoup d'Églises, trop faibles en certains départements, pour constituer une union et assurer les moyens d'existence).
    Il y aurait de plus, à signaler les articles 7, 9, 10, 20 dont plusieurs dispositions : elles sont ou inquiétante pour la liberté, ou préjudiciables à l'existence même des Églises dont elles ruineraient les ressources.
    X.- Les dispositions de l'art 3 consacrent une véritable confiscation. Le système de concession enlève toute garantie aux associations cultuelles. L'État pourrait, en accordant ou refusant ces concessions, s'immiscer indirectement dans les affaires intérieures et religieuse de l'Église.
    XI.- Tandis que l'art. 19 de la commission accordait aux associations le droit de s'unir ou de se fédérer, l'art. 8 du projet gouvernemental brise toute organisation et nous disperse en tronçons séparés.
    XII.- En limitant les fonds de réserve aux 1/3 des recettes annuelles on entrave le libre fonctionnement des associations cultuelles : on les empêche de réunir les sommes suffisantes pour assurer les frais du culte et le traitement des pasteurs.

    Veuillez agréer ............



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