LA SÉPARATION ET LES ÉGLISES
Si le Siècle a toujours
déclaré nécessaire la séparation des
Églises d'avec l'État, si nous avons toujours réclamé
de la timidité du gouvernement un projet définitif et précis,
nous avons, en même temps, toujours exprimé l'avis que cette
séparation, pour être complète, sincère et loyale,
devait être équitable et libérale.
Il nous a toujours paru que c'est précisément
dans ces transformations profondes de la législation que les gouvernements
doivent s'efforcer de réaliser les changements reconnus indispensables
en respectant avec le plus de scrupules les droits acquis et les
intérêts privés.
Ces ménagements ne sont point d'ailleurs
pour entraver l'oeuvre entreprise; au contraire, croyons-nous. C'est bien
plutôt en manifestant la volonté bien nette. de rendre la
liberté de tous plus large, plus vraie qu'on parviendra
plus aisément à réaliser cette séparation réclamée
par tous les esprits libres et clairvoyants.
La proposition de M.
Briand, révisée par la commission de la Chambre
des députés, le projet de loi du gouvernement,
déposé il y à quelques jours par le président
du conseil, soulèvent les plus graves problèmes.
Ici même, notre collaborateur et ami Raoul
Allier a commencé la critique de certaines de ces dispositions,
qui , si elles devaient être adoptées assureraient la mort
sans phrases des Églises protestantes et israélites. Le
projet du gouvernement est surtout remarquable à cet égard
: on a pu le comparer à sans exagération à la révocation
de l'Edit de Nantes.
Nous avons voulu réunir l'opinion des personnalités
les plus qualifiées dans les Églises reconnues par l'État
; nous avons demandé à celles qui nous paraissaient désignées
par leur situation, leur influence et leur savoir de nous dire ce qu'il
fallait penser des dispositions proposées par le gouvernement.
Sans parti pris, avec toute la réflexion
que méritent des aussi sérieuses, les critiques se sont fait
jour.
Nous nous bornons à les enregistrer.
L.J.
Voici le texte des questions que nous
avons posées. Nos lecteurs pourront ainsi suivre les réponses
qui y ont été faites.
- Quels sont les droits
et libertés que tout projet de loi sur la "séparation" doit
garantir aux Églises en général, à la vôtre
en particulier ?
En ce qui concerne leur
organisation, la possession et la propriété des biens ecclésiastiques
?
- Quelles sont les mesures
de garantie, les droits de contrôle, surveillance et police que doit
prendre ou assurer l'État.
- Quel régime
concevez-vous pour la période de transition ?
- A ces points de vue
divers, comment appréciez-vous le projet de la commission ?
- Quelles sont les dispositions
de ce projet que vous voudriez voir maintenues ou modifiées ?
- Le projet de gouvernement
vous paraît-il préférable ?
- Quelles vous en paraissent
les idées directrices ?
- Quels sont les articles
dont vous désirez le maintien ou la suppression ?
- Que pensez-vous en
particulier de l'article 3, concernant la reprise et la concession temporaire
par l'État des biens appartenant aux établissements du culte
?
- Que pensez-vous des
dispositions visant les biens ecclésiastiques ?
- Que pensez-vous de
l'article 8, concernant le droit de fédération ?
- Que pensez-vous de
l'article 9, concernant les fonds de réserve ?
M. le pasteur Benjamin Couve, président du Consistoire de
Paris, nous a fait parvenir la lettre suivante :
Église Réformée de Paris
Monsieur,
Vous voulez bien me demander ce que je pense du
projet de la commission parlementaire et du projet du gouvernement relatifs
à la séparation des Églises et de l'État. Voici
une réponse aux questions indiquées par vous. Vous ne vous
étonnerez pas si je me borne à noter les points que me semblent
essentiels en m'abstenant de développements dont vous n'auriez que
faire.
I.- Nous, protestants, nous désirons et demandons,
pour toutes les Églises, comme pour la nôtre, que le régime
nouveau qu'on se propose d'établir assure la pleine liberté
de conscience et la pleine liberté de culte, sans laquelle la liberté
de conscience n'existe pas.
II.- Notre organisation, à nous protestants
réformés français, a été, dès
le XVI° siècle, et n'a cessé d'être, a travers
les persécutions, l'organisation presbytérienne-synodale.
Si nos synodes ont été parfois interrompus, et si la loi
du 18 germinal an IV n'a pas mentionné le synode général
ou national, nous n'avons jamais cessé de le réclamer. Il
nous a été accordé en 1872, mais pas depuis 1873.
Nous ne pouvons concevoir pour nos Églises une organisation qui
supprimerait ou contredirait cette organisation traditionnelle : et, sur
ce point, nous ne voyons pas quel système pourrait être substitué
à celui-là.
Nous estimons qu'il serait contraire au droit et
à l'équité de dépouiller nos Églises
des biens qui leur appartiennent, des lieux de culte qu'elles ont construits
avec leur argent. La jouissance gratuite des temples et presbytères
ne serait qu'un faible dédommagement aux confiscations opérées
par Louis XIV et ses successeurs.
III.- Nous admettons sans difficulté que
l'État exerce un droit de police et de surveillance sur les ministres
du culte et les empêche de faire de leur ministère un moyen
d'opposition aux lois votées par le Parlement.
IV.- Pendant la période de transition, si
le traitement des pasteurs en exercice ne leur était pas maintenu
leur vie durant, il devrait, du moins, être alloué des pensions
suffisant à préserver de la misère des citoyens français
qui ont fait des études longues, ont conquis des diplômes
universitaires et ont embrassé une carrière peu lucrative,
mais en apparence assurée.
V.- Le projet de la commission pouvait recevoir
certaines modifications et tel quel il ne saurait nous agréer. Cependant,
il respectait notre organisation fondamentale et assurait la liberté
du culte.
VI.- L'article
20 de ce projet ne devrait pas subordonner la réunion du capital
nécessaire à la construction d'un temple à une autorisation
par décret.
L'article
11 en attribuant aux communes la propriété des édifices
construit sur un terrain appartenant au conseil presbytéral, si
la commune a versé une subvention quelconque pour l'achat de ce
terrain, est contraire aux règles du code civil. De même,
il est contraire au droit commun de mettre les grosses réparations
et les primes d'assurance à la charge du locataire (art.14)
les associations déclarées pour le
culte ne pourront pas réunir de capitaux suffisants, si la loi ne
leur confère pas le droit de recevoir des dons et legs.
Il est injuste de faire peser sur ces associations
l'impôt de 4% sur le revenu dont sont affranchies les associations
laïques. Il faudrait modifier l'article
34 qui exige l'enlèvement des emblèmes religieux placés
hors du territoire des édifices destinés au culte.
VII.- Le projet du
gouvernement est incontestablement plus défavorable aux églises.
Il a eu, dès son apparition, cet effet de réunir tous
les protestants sans distinction (de toutes les églises et de tous
les partis) dans une commune réprobation.
VIII.- Il a pour idée directrice de briser
l'organisation des Églises et, tout en prétendant les séparer
de l'État, de les assujettir à un contrôle sévère.
Il leur enlève leurs droits actuels et les prive des libertés
nécessaires, même de celles qu'elles possèdent actuellement.
IX.- Les articles les moins admissibles du projet
gouvernemental sont, en ce qui nous concerne :
1° L'art. 8, qui confisque les biens des établissements
publics du culte et les biens destinés à des fondations charitables;
2° L'art. 8, qui interdit les unions d'associations
hors des limites d'un département ( ce serait la ruine de notre
organisation prebytérienne-synodale et même la ruine de beaucoup
d'Églises, trop faibles en certains départements, pour constituer
une union et assurer les moyens d'existence).
Il y aurait de plus, à signaler les articles
7, 9, 10, 20 dont plusieurs dispositions : elles sont ou inquiétante
pour la liberté, ou préjudiciables à l'existence même
des Églises dont elles ruineraient les ressources.
X.- Les dispositions de l'art 3 consacrent une véritable
confiscation. Le système de concession enlève toute garantie
aux associations cultuelles. L'État pourrait, en accordant ou refusant
ces concessions, s'immiscer indirectement dans les affaires intérieures
et religieuse de l'Église.
XI.- Tandis que l'art. 19 de la commission accordait
aux associations le droit de s'unir ou de se fédérer, l'art.
8 du projet gouvernemental brise toute organisation et nous disperse en
tronçons séparés.
XII.- En limitant les fonds de réserve aux
1/3 des recettes annuelles on entrave le libre fonctionnement des associations
cultuelles : on les empêche de réunir les sommes suffisantes
pour assurer les frais du culte et le traitement des pasteurs.
Veuillez agréer ............