précédent
13 avril 1905

    * Discussion des interpellations
    1° de M. Jules-Louis Breton sur le fonctionnement des établissements congréganistes d'assistance;
    2° de M. Leferre sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour mettre fin à l'exploitation de l'enfance dans certains établissements de bienfaisance privés;
    3° de M. Jules Coutant sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour faire cesser:
        - les faits scandaleux qui se commettent envers les enfants des enfants mineurs dans les établissements de bienfaisance privés;
        - le préjudice que cause au commerce, à l'industrie et à la main d'œuvre ouvrière l'exploitation desdits établissements;
    4° de MM. Steeg et Guleysse sur l'application de la loi du 24 juillet 1889 et de la loi du 2 novembre 1892 aux établissements de bienfaisance privés.

    * Communication d'une demande d'interpellation  de M. Paul Vigné sur les abus de notre politique coloniale à Madagascar. - Jonction aux interpellations relatives au Congo.

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(13° journée ; réduite et annotée)

M. le président : Il y a un amendement de M. Paul Beauregard, tendant à rédiger ainsi le premier alinéa [de l'article 2]:
    "La République ne reconnaît aucun culte. Toutefois, les conditions dans lesquelles l'État devra accorder son concours aux cultes pour assurer leur fonctionnement seront déterminés ci après." ...

M. Paul Beauregard : ...
    ...  Mon amendement porte seulement sur le concours éventuel que l'État aurait à donner à l'entretien des cultes.
...
    ... Puisque vous faites la séparation, je voudrais que celle-ci fût faite loyalement, de manière à ce que l'on n'eût rien à reprocher à l'État. Vous voulez supprimer le budget des cultes, cela m'est égal ; il n'est pas difficile de trouver une autre compensation. Séparez l'Église de l'État si vous voulez, mais faites cette séparation en soldant intégralement notre compte. Agissez de telle sorte que notre conscience soit tranquille et que nous soyons sûrs qu'ayant fait acte politique, nous l'avons fait en toute honnêteté. (Applaudissements au centre et à droite)
...
M. le rapporteur : Nous ne pouvons pas laisser dire, nous, républicains ... (Exclamations au centre et à droite. - Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

M. Georges Berger :  Nous aussi, nous sommes républicains.

M. le rapporteur : ... que l'opération réalisé par la Constituante, poursuivie et complétée par la Convention, que la consécration, en un mot, de la doctrine révolutionnaire constitue une spoliation et un vol. .....

(L'amendement de M. Beauregard sera repoussé par 350 voix voix contre 230)
...
M. le président : Nous arrivons à l'amendement de MM. Gailhard-Bancel, Savary de Beauregard, Dèche, de Saint-Pol, Théodore Denis, Pichat, de Chambrun, Flayelle, Paul Lerolle, Prache, Gervaize, qui tend à ajouter, après les mots : "ne subventionne aucun culte", un paragraphe ainsi conçu :
    " Toutefois, le budget des cultes sera maintenu jusqu'à ce que le règlement relatif aux biens de l'Église, arrêté dans la convention du 26 mesidor an IX, ait été revisé d'un commun accord entre les contractants  et qu'une entente soit intervenue entre l'État et les représentants des autres cultes", et, d'autre part, à supprimer les autres dispositions de l'article 2.
...
(Amendement repoussé par 345 voix contre 124)

M. Grousseau : Messieurs, avant le vote sur le 1er paragraphe de l'article 2, je désire poser trois questions pour lesquelles je demande des réponses aussi précises que possible, ...
    Le texte proposé ordonne que toutes les dépenses relatives à l'exercice des cultes seront supprimées des budget de l'État, des départements et des communes, toutes les dépenses "inscrites à un titre quelconque", déclare le rapport.
    Or, pour parler d'abord du budget de l'État, j'y trouve actuellement une dépense ainsi libellée :
    "Arrérages de cartelles appartenant à des établissements ecclésiastiques de la Savoie"
    Ce chapitre du budget des dépenses de l'État, est-il destiné à disparaître ? Telle est ma première question. Le rapport de M. Briand ne l'examine point et cependant il conviendrait de savoir quelle est la pensée des auteurs du projet de loi. (Très bien ! très bien ! à droite.)
...
    Lorsque la Savoie et le comté de Nice ont été réunis à la France, le clergé et les établissements ecclésiastiques y jouissaient d'une dotation spéciale qui avait le caractère d'une propriété. Des titres de rente nommé "cartelles", leur avaient été remis par le gouvernement sarde en représentation de leurs biens sécularisés. Peu après l'annexion, ces cartelles sont passés entre les mains du gouvernement français qui s'est chargé des traitements du clergé et de certaines dépenses du culte. Mais elle n'ont pas cessé de constituer, au profit du clergé et des établissements ecclésiastiques, une propriété véritable, à laquelle le ministre des cultes, depuis bientôt vingt ans, à cherché, mais en vain, à porter atteinte. Le conseil d'État s'y est toujours opposé.
...
    ... je passe à ma seconde question.
    L'article 2 qui va être soumis au vote porte que toutes les dépenses concernant les cultes seront supprimés des budgets des communes. Ce texte entraînera-t-il la suppression des charges de services religieux afférents aux dons et legs faits aux communes ?
...
M. Le rapporteur :  Il est évident qu'elles subsistent. Si la commune a reçu un don avec charges, elle est bien obligée de les subir, mais ainsi elle ne subventionnera pas le culte : elle ne fera que remplir une obligation.
...

M. Grousseau : Reste la troisième et dernière question que je voulais poser. Quelle est votre intention au sujet de l'indemnité de logement allouée aux ministres des cultes ?
    Je me permets de vous faire remarquer que vous proposez, par l'article 10, de laisser aux prêtres la jouissance gratuite des presbytères communaux pendant un certain temps.
    Ne vous paraît-il pas absolument logique et équitable que l'indemnité de logement qui, dans les communes où il n'y a pas de presbytère est accordée, soit maintenue pendant le même laps de temps ?
...

M. le rapporteur :  C'est une question qui se posera plus utilement à l'article 10, sur lequel il y a un certain nombre d'amendements visant ce point particulier.
...

M. Gayraud : Je désire demander un éclaircissement à M. le rapporteur.
    Le texte de l'article 2 indique que toutes les dépenses relatives à l'exercice des cultes seront supprimés du budget de l'État, des départements et de communes.
    J'ai reçu un certain nombre de lettres émanant d'aumôniers attachés à des établissements publics dont les traitements sont faits par les communes, les départements ou l'État. Je demande si ces traitements pourront encore être servis, malgré le texte de l'article 2.

M. le rapporteur :  Il y a deux amendements au premier paragraphe de l'article 2. La question que vous posez viendra mieux à sa place quand on discutera ces amendements.

(Le premier paragraphe de l'article 2 est adopté 337 voix contre 233)

M. le président : A la suite de ce premier paragraphe, viennent un certain nombre d'amendements ayant le caractère de disposition additionnelles. Le premier, déposé par M. Dansette, consiste à ajouter un paragraphe ainsi conçu :
    "Pourront néanmoins, les départements et les communes, voter aux associations prévues aux articles 12 et suivants, des subventions destinées à faciliter l'exercice d'un culte."

 M. Jules Dansette : Messieurs, l'article 2 que je vous demande de modifier, prouve dans quel esprit a été conçu le projet de loi de séparation des Églises et de L'État que nous discutons. Non seulement on proclame que le budget des cultes est supprimé, mais on interdit aux communes et au département de subventionner aucun culte.
...
    C'est l'intrusion brutale de l'État dans la vie locale ; c'est, une fois de plus, l'application de ce principe d'universelle domination, de ce besoin d'uniformité, de cette tyrannie des pouvoirs publics qui nous vient de la Révolution et qui, depuis plus d'un siècle, éteint tout foyer local d'énergie et, suivant une parole célèbre, fait de ce pays, qui devrait être un peuple de citoyens, un troupeau d'administrés (Applaudissements à droite. - Réclamations à l'extrême gauche.)
    De loin en loin, nous votons une loi destinée à donner à la France un peu d'initiative et de liberté : La loi organique de 1871 sur les conseils généraux, la loi municipale de 1884 sont de ce nombre ; mais dès qu'une question touchant la question religieuse est soulevée, l'esprit jacobin reparaît dominateur, centralisateur et despotique et, pour tout dire, haineux et sectaire. ( Très bien ! très bien ! à droite.)
...
    Au point de vue des intérêts matériels de l'Église, votre projet se résume en trois dispositions principales : suppression du budget des cultes ; mainmise de l'État, ...,  sur tous les édifices du cultes qui ne sont pas exclusivement construits par les ressources des particuliers, ..., contrôle administratif et surveillance étroite des associations cultuelles ...
...
(L'amendement est repoussé par 323 voix contre 254)

M. le président :  Nous passons à un paragraphe additionnel présenté par M. Edmond Lepelletier.
    Il tend à ajouter au premier paragraphe de l'article 2 la disposition suivante :
    "Toutefois, en cas d'insuffisance des ressources des associations cultuelles, les conseils municipaux pourront, à titre exceptionnel et comme allocation individuelle, accorder des subventions spéciales aux familles nécessiteuses ou momentanément gênées, pour leur faciliter l'accomplissement des cérémonies religieuses qui accompagnent le baptême, la première communion, le mariage et les funérailles.
    "Ces allocations n'auront que le caractère de secours occasionnel et personnel."
    La parole est à M. Edmond Lepelletier.

M. Lamendin :  C'est un ancien communard qui vient prendre la parole en faveur des congrégations !

 M. Edmond Lepelletier : Je vous remercie, mais l'épithète d'ancien communard que vous me lancez pourrait se changer tout à l'heure, car je vais soutenir les droits de toutes les communes. (Mouvements.)
    Messieurs, la disposition additionnelle que j'ai l'honneur de soutenir devant vous n'a pas un caractère d'obstruction.
    D'abord, j'ai voté l'article 2. ...
...
M. le rapporteur :  J'ai de l'Église une meilleure opinion que l'honorable M. Lepelletier : je ne lui fais pas l'injure de croire qu'elle pourra jamais refuser les secours de la religion aux nécessiteux et aux indigents.

M. Gayraud Et vous ne vous trompez pas, monsieur Briand. (Exclamations à l'extrême gauche.)
...
(L'amendement, mis aux voix, n'est pas adopté par main levée)

M. le président : Nous arrivons à trois dispositions additionnelles d'un même caractère.
    L'une, de M. Cazeneuve, est ainsi conçue :
    "Ajouter à la fin du premier paragraphe de l'article 2 la disposition suivante:
    "Toutefois seront exceptées de cette prohibition les dépenses du culte occasionnées pour assurer la liberté de conscience aux indigents enfermés dans les établissements publics dépendant de l'État, des départements ou des communes, tels que les asiles d'aliénés, les prisons et maisons de force, les maisons de retraites et dépôts de mendicité, les hôpitaux et hospices."

M. Cazeneuve :...
    ... Nous avons trouvé, la commission et moi, un terrain d'entente. L'honorable rapporteur a écrit ....
    "Lorsqu'un de ces établissements fera appel, dans l'intérêt privé d'un pensionnaire ou d'un membre du personnel, aux offices d'un ministre du culte, celui-ci pourra être légitimement rémunéré, mais comme le serait un fournisseur ordinaire, par exemple un médecin occasionnel."
...
    Trois autre de mes collègues ont déposé des additions qui gravitent en quelque sorte autour de la mienne ...
    La  première est signée de M. Auffray auquel l'honorable rapporteur vient de répondre; ...
    La disposition additionnelle de MM. Sibille et Jules Legrand ... [élargit] ma disposition ... en y faisant entrer les lycées et collèges et leurs pensionnaires. ...
    Dans tous les cas devant les déclarations que j'attends de l'honorable rapporteur et de M. le ministre des cultes, je retire ma disposition additionnelle.
...
M. le président : MM. Sibille et Jules Legrand présentent un paragraphe additionnel ainsi conçu :
    "Ajouter à la fin du premier paragraphe la disposition suivante :
    " Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.."
...
M. Maurice Sibille : ...
    Suivant moi, l'article 2 a une portée plus grande,  des conséquences encore plus graves que celles qui ont été énoncées et précisées par M. le rapporteur.
    Quand aux approches de la mort un détenu gravement malade ou un condamné à la peine capitale réclamera les secours de la religion, le directeur de l'établissement pénitentiaire aura le droit, je le reconnais, de faire appeler un ministre du culte. Mais il n'aura pas les moyens de donner à ce ministre du culte la rémunération qui d'après le rapporteur est légitime et qui sera bien due.
...
    Aucune ressource, en effet, ne sera jamais mise à la disposition de l'administration en vue des éventualités que je viens d'indiquer, aucun mandat ne pourra être délivré par un maire, un préfet ou un ministre.
...
    ... Tous les Gouvernements sans exception ont affirmé qu'une administration publique obligée de faire fréquemment appel aux ministres d'un culte avait intérêt, à lui donner le titre d'aumônier (Interruptions à l'extrême gauche.) intérêt à lui servir un traitement régulier, intérêt à acquérir ainsi sur lui une certaine autorité. (Applaudissement au centre et à droite.)
....

(L'amendement sera adopté par 287 voix contre 281 et la suite de la discussion repoussée au surlendemain à cause de la suite des discussions sur les  interpellations)
 
 
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3