29 mars 1880 : décret contre les congrégations non autorisées.
6 juillet : le 14 juillet est choisi comme fête nationale.
11- 14 juillet : Grâce et amnistie des communards

Chambre des députés
20 juin 1880
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Budget de cultes

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M. de La Bassetière. Messieurs, dans ce rapport il y a un certain  nombre de crédits supprimés et un certain nombre d'autres diminués; j'aurai tout à l'heure à insister sur l'importance de ces crédits, mais, si regrettables que soient ces modifications ... il y a quelque chose d'infiniment plus regrettable, quelque chose de plus significatif, qu'il faut mettre en lumière avant tout : c'est le langage du rapporteur, le ton qui règne sur l'ensemble du rapport ; surtout, messieurs, si l'on a soin de le rapprocher de celui d'un autre rapport déposé très récemment à cette tribune sur la proposition de M. Boysset, relative à l'abrogation du Concordat.
    Du langage des deux honorables rapporteurs, organes de deux grandes commission, de cette Assemblée, il ressort clairement pour nous, comme il ressortira pour le pays, que le service du budget des cultes n'est plus à leurs yeux non seulement l'exécution d'un contrat solennel auquel sont attachés la parole et le crédit de la nation tout entière, une indemnité  légitime, sacrée, équivalant à un droit de propriété ... (Bruyantes exclamations à gauche.) ... mais qu'il n'est plus même regardé comme un  des grands services de l'État, comme le service qui devrait être le premier, à raison de sa sphère morale élevée; qu'il est assimilé, au contraire au dernier de tous.
    Tous les chapitres en sont contestés, discutés; toutes les dispositions en sont d'avance moralement supprimées,  et  ce n'est que par grâce pour ainsi dire, qu'on laisse subsister,  et pour l'heure seulement, ce qu'on  n'ose pu  encore toucher.
    Il est évident que la religion aujourd'hui, devant la majorité de la Chambre ou du moins  de votre commission, est considérée comme  une ennemie, que vous ne lui laissez absolument que ce que vous ne pouvez lui refuser sans abolir le Concordat; et le Concordat lui même,  ce grand contrat, la charte morale et religieuse de notre génération, sur lequel reposent toutes nos relations entre l'Église et l'État  , vous avez le courage de déclarer ne vouloir le conserver que parce que vous n'avez pas trouvé de meilleure arme contre l'indépendance de l'Église, de meilleur moyen de peser sur ses délibérations,  et que ce que  vous redoutez avant tout, c'est ce jour où, dépouillée, non de ses privilèges, mais de cette légitime indemnIté qui la rattache encore à l'État par ce lien précis, l'Église se verrait restituer les biens ou  tout au moins sa complète liberté.
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    Messieurs, je comprends l'Église aux catacombes... (Interruptions à gauche); il y a là, d'un côté une société païenne qui a pour elle une longue possession, un passé, une civilisation qui n'est pas sans gloire, malgré ses misères et ses hontes, et qui, se voyant attaquée tout à coup, cherche à se défendre; de l'autre, une société morale nouvelle qui se sent capable de braver la  persécution au nom de la vérité qu'elle apporte à l'humanité.
    Je comprends, dans un autre milieu, l'Église et l'État parfaitement unis, les deux cités se donnant mutuellement la main. : c'est l'idéal de la société chrétienne poursuivie par nos pères, idéal qu'ils ont quelquefois réussi à réaliser autant que le comporte le caractère contingent. et mobile de l'humanité. (Interruptions à gauche. Très bien ! à droite.) Mais, messieurs, une société restée, a fond, profondément chrétienne quoiqu'elle soit gouvernée d'aventure par des hommes qui font profession de ne l'être pas, mais qui le sont, en réalité, plus qu'ils ne le pensent  eux-mêmes.. (Exclamations ironiques à gauche.)
    Oui, messieurs, je crois que vous l'êtes plus que vous ne paraissez l'être quelquefois ; il y a au fond de vos cœurs des sentiments que vous n'osez peut-être pas vous avouer, qui vous honorent en réalité, des sentiments qui touchent aux traditions, au passé, à votre enfance, à votre foyer, et il ne faudrait pas beaucoup d'effort pour les faire chez vous vibrer. (Très bien ! très bien ! à droite)
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     Pour me renfermer dans les termes de notre budget des cultes, voyez, je vous prie, le chemin que nous avons parcouru depuis la fondation de la République, de cette République qui devait rester toujours aimable, toujours ouverte, protégeant tous  les intérêts sociaux, la religion, le premier de tous !
    La première année, le budget des cultes, le budget normal, fut voté intégralement, sans discussion, sans opposition: nous étions trop près de l'avènement du régime nouveau, du berceau de la jeune République, on était trop près des promesses conservatrices, religieuses même, qu'elle avait faites; on craignait à juste titre d'éveiller trop tôt de funèbres souvenirs
    Mais, messieurs, dès l'année dernière, après quelques réductions sur les allocations votées les années précédentes, vous vous attaquiez aux crédits les plus importants, vous retranchiez immédiatement le tiers du traitement de nos évêques, et cela à l'époque où vous reconnaissiez vous-mêmes qu'il était urgent d'augmenter, à raison de l'avilissement du prix de l'argent et du renchérissement de toutes les choses nécessaires à la vie, d'augmenter les traitements de tous les fonctionnaires, à l'époque où vous les augmentiez en réalité, et à la. veille d'une année qui s'annonçait comme malheureuse et lorsque vous saviez bien que nos évêques, qui sont, au bout du compte, les pères des pauvres..- (Exclamations à gauche- Très bien! très bien ! à droite.)
    Vous savez bien, messieurs, qu'ils sont les pères des pauvres ! Qui a jamais frappé à leur porte et l'a trouvée fermée?
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    Cette réduction du traitement de nos évêques, votée l'année dernière, elle a été maintenue cette année et vous avez trouvé bon dans la commission de n'en faire même pas mention.
    Vous y avez ajouté la suppression du traitement de nos cardinaux .
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    Et vous, qui vous tenez si souvent au courant de l'opinion qui règne au delà des mers, dans cette république américaine qui est votre mère, ou votre sœur si vous voulez... (Rires à gauche.)
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    Un membre à gauche. Il y a, en Amérique, ni légitimistes, ni orléanistes, ni bonapartistes. C'est quelque chose.
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    A côté de notre dignité, que vous avez ainsi méconnue, arrivons à notre intérêt que vous avez sacrifié dans la première de nos colonies sur cette terre africaine qui nous est chère à tant de titres, où l'apostolat chrétien a été et restera toujours le premier et le meilleur agent de notre colonisation. A nos évêques africains dont les ressources, toujours insuffisantes en face des immenses besoins auxquels ils ont à satisfaire, demanderaient bien plutôt à être augmentées.......
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    Eh bien, qu'est-ce qu'un évêque sur notre terre africaine? Et, à cet égard, je fais appel à cette brave armée qui, elle aussi, a fécondé cette terre de ses sueurs et de son sang, il est à la fois un missionnaire, un tuteur des peuples, une providence, un père; il est dans la situation de ces grands évêques qui au cinquième et sixième siècle ont fait la France et l'ont enfantée au milieu des guerres, des ruines, et de la barbarie.
    Tout est à faire sur ce territoire: partout ce sont des écoles à créer, des églises à édifier; des orphelinats, des colonies pénitentiaires ou agricoles auxquels il faut venir en aide: mille œuvres chrétiennes et nationales à 1a fois, dont nos évêques sont les premiers promoteurs et les défenseurs naturels.
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    Il n'y a pu eu jusqu'aux maîtrises de nos cathédrales, qui n'aient été l'objet de réductions mesquines et peu justifiées : nos maîtrises, ces véritables conservatoires de la grande musique religieuse et du plain-chant, cette portion de l'art national à laquelle sont si sensibles nos populations chrétiennes; et cela, messieurs, quand vous prodiguez les millions aux subventions théâtrales... (Ah! ah !) qui, au bout du compte, ne profitent qu'à quelques privilégiés. (Très bien ! très bien! à droite.)
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M. Talandier. Je ne monte pas à la tri hune pour répondre à l'honorable orateur qui vient d'en descendre. Mais assurément il n'y aurait pas de meilleure réponse à lui faire que d'adopter ma proposition qui consiste à rejeter totalement le budget des cultes. (Très bien ! sur quelques bancs à gauche.)

M. de la Bassetière  En accordant une pleine liberté ! Ce que vous ne ferez pas.

M. le président  N'interrompez pas, monsieur de la Bassetière; on vous répond !

M. Talandier. M. le rapporteur de la commission du budget a pour ainsi dire négligé la question de la séparation de l'Église et de l'État. Il a tout simplement mis en avant le concordat, qui est, en effet, selon un grand nombre de mes collègues, une loi qui nous oblige. Pour moi, le concordat n'est qu'un traité d'esclavage contracté par Napoléon 1er avec l'Église au détriment de la France.
    Je ne reconnais absolument aucun caractère d'obligation ni morale ni légale au concordat, et je ne m'étonne que d'une chose: c'est que le Gouvernement du 4 septembre ne l'ait pas dénoncé immédiatement. C'était, selon moi, un acte logique qui devait être fait par le gouvernement. Il n'en a rien été, et c'est pour cela que nous nous trouvons aujourd'hui divisés en concordataires et en anti­concordataires, et que nous en sommes à discuter actuellement cette question.
    Selon moi, il est absolument vain, d'entretenir l'espérance dont se bercent nos amis concordataires. Ils se figurent qu'ils pourront tenir l'Église en la salariant. Eh bien ! non: on ne tient pas l'Église, c'est l'Église qui vous tient; et elle vous tiendra tant que vous n'aurez pas rompu ce lien du budget qui vous attache à elle. (Marques d'approbation à gauche.) Je crois que le meilleur moyen d'arriver à ce que le Gouvernement de la République française dénonce le Concordat serait celui que je vous propose: le refus complet du budget des cultes. Alors il faudrait bien que le Gouvernement se décidât.
    Il y une autre raison qui été donnée en 1876 par M. Dufaure et qui va un plus au cœur de la question. M. Dufaure disait: "Avec le système de nos honorables collègues, - c'est à nous qu'il s'adressait, - il n'y a plus de budget possible; vous n'avez qu'à décomposer, je ne dis pas tout, mais une bonne partie des articles du budget; vous trouverez à tout moment quelqu'un qui vous dira: Mais cet article du budget ne m'intéresse pas ; c'est une tyrannie que de me demander de le payer, de salarier un service qui m'est étranger."
    Voilà bien posée la question du salariat des cultes.
    Et en effet, je crois que si la commission du budget s'inquiétait sérieusement de rechercher quels sont les services qui méritent d'être appelés publics et qui sont de nature à être salariés par l'État, elle ferait une œuvre extrêmement utile et intéressante.
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     Je voudrais donc qu'on supprimât le budget des cultes, parce qu'il répond à des besoins totalement imaginaires et mauvais. (Rumeurs à droite.)
    Aussi, tous les ans, soit moi, soit quelqu'un de mes amis, nous monterons à la tribune pour renouveler cette proposition jusqu'au moment où l'Assemblée des représentants du pays finira par se rendre compte de la situation absolument fausse où nous nous trouvons, situation qui consiste à regarder le cléricalisme comme l'ennemi, et puis à. lui fournir le nerf de la guerre, à l'entretenir d'argent, d'églises, de presbytères, etc., enfin à prendre le plus grand soin de le réconforter et de l'armer contre nous.
    Je trouve que cette situation est absolument ridicule, et je ne doute pas, je le répète, qu'il vienne un jour où le pays tout entier en aura tellement le sentiment que ses représentants seront forcés de proposer comme une chose nécessaire la suppression du budget des cultes
    En tont cas, jusqu'à ce moment, nous ne manquerons pas, mes amis et moi, à ce que nous considérons comme un devoir, et c'est pour cela, quelque peu de chance qu'elle ait de passer, que j'ai l'honneur de vous faire dès aujourd'hui la. proposition de supprimer le budget des cultes. (Approbation sur plusieurs bancs à gauche.)
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M. Ferdinand Boyer. J'ai lu avec beaucoup de soin le rapport de l'honorable M. Gatineau, et j'ai constaté, avec plaisir, que, depuis trois années, la commission du budget renonçait à ses excursion dans le domaine de la théologIe. Il y a cependant dans ce nouveau rapport, comme dans les précédents, quelques affirmations erronées, qu'il importe de redresser au point de vue des idées vraies et des principes conservateurs.
    Si je l'ai bien compris, le rapport de l'honorable M. Gatineau se compose de deux parties : Un exorde et quelques affirmations.
    L'exorde, suivant les règles de la tradition classique, procède par insinuation : il est destiné à calmer les impatients, sans cependant les décourager. La question de la séparation y est posée dès le début.
    M. Gatineau commence ainsi : " Le pays est-il mûr pour la séparation de l'Église et de l'État? " Ce n'est pas la pensée du rapporteur. Mais comme il ne faut pas décourager les impatients de la commission et du Parlement, il les invite à attendre.
    La commission renfermait une minorité dont le chiffre n'est pas indiqué, qui était favorable à la séparation de l'Église et de l'État et qui espérait y arriver au moyen de la mesure brutale de la suppression du budget des cultes.
    L'honorable rapporteur fait à cette demande trois réponses : l'une juste, l'autre prudente, la troisième toute politique.
    Il dit, avec infiniment de justesse : Nous ne pouvons, accessoirement au vote du budget des cultes, résoudre, nous commission du budget, une question aussi grave que celle-là. On a beaucoup écrit sur cette question; il existe des opinions fort divergentes ; il ne nous appartient pas de décider. Et, comme il est mon confrère en même temps que mon collègue, il répond par une exception d'incompétence: la commission n'aurait pas une compétence suffisante pour l'examiner.
    La seconde réponse est prudente: Si vous osiez présenter à la tribune une proposition qui aurait pour objet la suppression du budget des cultes et, comme conséquence, la séparation de l'Église d'avec l'État, vous obtiendriez, comme en 1877, 62 voix, pas une de plus.
    Enfin, messieurs, voici la raison politique: l'honorable rapporteur rappelle que " au moment où la République travaille à ramener sous le joug des lois de l'État - le mot est bon à retenir - les congrégations religieuses, il est d'une bonne politique de proposer de voter la budget des cultes, c'est-à-dire d'assurer l'exécution, par l'État, du Concordat et des articles organiques qui règlent les rapports des Églises et de l'État,. C'est, si je comprends bien, la thèse du respect du contrat qui lie la société civile avec la société religieuse.
    Telles sont les rations que donne M. le rapporteur pour repousser la. suppression du budget des cultes.
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    Il faut, messieurs, remonter à l'origine du contrat, et sur ce point mes observations se résument en un mot: c'est une dette qui a été souscrite au profit du culte catholique, de l'Église; c'est la dette la plus légitime dont l'État s'est chargé dès 1789.
    Considérons le point de départ et le point d'arrivée, ce sera la meilleure réponse à faire à la thèse, non pas nouvelle, mais très hardie de l'honorable M. Talandier.
    Le point de départ, c'est la confiscation, - non, je ne me servirai pu de ce mot, ­ c'est la. mise à la. disposition de la nation de tous les biens de l'Église.
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    M. de Talleyrand demanda d'abord à l' Assemblée constituante de décider que l'État s'emparerait des biens du clergé: c'était la première motion, le 10 octobre 1789. Deux jours après, le 12 octobre, Mirabeau proposa à l'Assemblée de déclarer les biens du clergé propriété de la nation.
    L'Assemblée nationale 1e servit d'une expression moins hardie. Son décret des 2-4 novembre 1789 dispose, article 1er, que, " tous les biens ecclésiastiques sont mis à la disposition de la. nation, à la charge " - le mot est à noter - " de pourvoir .d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ". Voilà bien l'engagement, en échange de 1a mainmise sur les biens.
    Et, comme s'il fallait plus de clarté, le décret des 20-22 avril 1790, après avoir réglé le mode d'administration des biens mis à la disposition de la nation, 1e décret ordonne, (article 2) que 1e payement des traitements ecclésiastiques aura lieu en argent, et l'article 5 ajoute:
    " Dans l'état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte de la religion catholique, apostolique et romaine, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres et aux pensions ecclésiastiques tant séculières que régulières. "
    Le budget du culte catholique est créé; la dette de l'État établie, la. créance du clergé garantie assurée.
    Et, m'arrêtant à ce point, je fais remarquer l'honorable M. Talandier qu'il est impossible de prendre les biens du clergé et de ne lui rien donner en échange- Tel est le contrat qui remonte à quatre-vingt-dix ans et qui, les mauvais jours exceptés, a toujours été respecté, exécuté par la nation.
    Au début, on ne portait pas atteinte à la propriété; les biens du clergé devaient servir de gage aux créanciers de l'État. Mais bientôt ils furent vendus et les anciens propriétaires dépossédés n'avaient point ratifié les ventes.
    La ratification vint; elle est écrite dans le Concordat. C'est le point d'arrivée.
    Les acquéreurs étaient loin d'être rassurés; le Concordat vint calmer leurs craintes.
    On y lit :
    " Art. 13. - Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'honneur du rétablissement de la religion catholique, déclare que, ni elle, ni ses successeurs ne troubleront, en aucune manière, les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains et celles de leurs ayants cause. "
    Et voici le contrat, la. stipulation réciproque de l'État :
    " Art. 14. - Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription nouvelle. "
    Croyez-yous que ce soit simplement à titre de déclaration purement obligeante qu'on ait fait écrire par le pape la stipulation de l'article 15?
    Le rapporteur du Concordat, Portalis, va nous donner une explication, indiquer le motif de la clause que je viens de vous lire. Il commence par dire - je ne sais pas si c'est bien vrai - que les ventes étaient parfaitement régulières et que les propriétaires n'avaient rien à craindre. Que "l'intervention du pape n'était certainement pas requise pour consolider et affermir les propriétés des acquéreurs des biens ecclésiastiques ".
    " Mais, ajoute-t-il prudemment, il était utile que la voix du chef de l'Église, qui n'a point à promulguer des lois dans la société, pût retentir doucement dans les consciences et y apaiser des craintes ou des inquiétudes que la loi n'a pas toujours le pouvoir de calmer. "

M. Leconte (Indre). Depuis ce temps-là l'esprit humain a fait des progrès !

M. Ferdinand Boyer. Dans quel sens?
    Je lis encore cette déclaration que je recommande à toute votre attention, et j'aurai fini sur ce point.
    Le pape va ratifier le Concordat, - et soit à la sollicitation du gouvernement français, ce qui est plus que probable, soit de son propre mouvement et sous l'empire d'une pensée toujours charitable, Pie VII s'exprime ainsi dans sa bulle du 18 septembre 1801 :
    "Persévérant dans notre résolution de faire pour le bien et l'unité tous les sacrifices que la religion pourrait permettre et de coopérer autant qu'il était en nous à la tranquillité des Français, qui éprouveraient de nouvelles secousses si l'on entreprenait de redemander les biens ecclésiastiques, voulant surtout que l'heureux rétablissement de la religion n'éprouve aucun obstacle, nous déclarons à l'exemple de nos prédécesseurs, que ceux qui ont acquis des biens ecclésiastiques en France ne soient troublés ni par nous ni par nos successeurs dans leurs possessions et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les revenus et droits y attachés demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayants cause.
    " Mais les églises de France étant, par là même, dépouillées de leurs biens, il fallait trouver un moyen de pourvoir à "l'honnête entretien" des évêques et des curé ;- aussi le Gouvernement a-t-il déclaré qu'il prendrait des mesures pour que les évêques et les curés de la nouvelle circonscription eussent une subsistance convenable à leur état. "
    Rien n'est plus précis, plus utile, suivant l'expression de Portalis, que d'aussi solennelles déclarations. Et à ceux qui nous proposeront de supprimer le budget du culte catholique je répondrai: Prenez garde, vous ne pouvez déchirer le contrat à deux points de vue. Il faut d'abord le concours des deux volontés, le consentement des deux parties, qui ont traité, l'État et le pape représentant l'Église catholique de France. Vous ne pouvez d'ailleurs vous contenter de dire au clergé catholique : le budget des cultes est supprimé; à l'avenir les fidèles entretiendront leur clergé comme ils l'entendront.
    Que penseriez-vous d'un homme qui, après , avoir reçu un capital considérable, après avoir exactement servi la rente de ce capital durant plusieurs années, dirait un jour à son créancier : Ce service me fatigue, je ne veux plus continuer? Votre bon sens se révolterait, votre justice le condamnerait.
    N'oubliez pas que la situation de l'État est celle de ce débiteur; il ne peut donc supprimer le budget des cultes et déchirer le contrat, sans restituer le capital.
    Cette considération est trop évidente pour que j'insiste davantage. La position est absolument la même, et la réponse devra être la même aussi toutes les fois que la. suppression du budget du culte catholique sera proposée.
    Je n'ai pas trouvé cette réponse sous la plume de l'honorable M. Gatineau, dans le rapport, d'ailleurs très sommaire, sur ce point, et j'ai cru devoir remettre les textes anciens sous vos yeux pour vous rappeler l'origine et le caractère de la dette de l'État vis à vis de l'Église catholique. J'ai réfuté ainsi la proposition et le discours de l'honorable M. Talandier.
    Mais que pourrait-on faire, si le contrat était déchiré ! Quelle serait l'obligation de l'État? Devrait-il rendre les biens? C'est impossible. Heureusement le droit commun donne le moyen de régler une situation pareille: c'est le rachat de la redevance ou de la rente.
    Le rachat devrait aboutir au payement, à la restitution de la valeur des biens aliénés, tout au moins du capital que représente l'indemnité annuelle inscrite au budget.
    Cette perspective du rachat a fait reculer les esprits les plus ardents, les plus décidés à supprimer le budget des cultes.
    Je voudrais avoir convaincu l'honorable M. Talandier. Permettez-moi d'ajouter cette observation :
    J'ai lu avec infiniment d'intérêt un grand discours prononcé, il y a deux mois, par l'un des chefs de la gauche dans une réunion populaire. Notre collègue rendait compte à ses électeurs du dix-huitième arrondissement de Paris de l'exécution de son mandat; il leur faisait part de ses critiques sur les actes du Gouvernement et de ses projets d'avenir.
    L'honorable M. Clémenceau - car c'est de lui que je veux parler -  s'étonnait de ce que tous les hommes qui sont au pouvoir, après avoir inscrit sur leur drapeau la séparation de l'Église et de l'État et la suppression du budget des cultes, s'en tinsent au régime du Concordat. Mais ce qui peut surprendre, c'est l'étonnement de mon honorable collègue.
    Le fait qu'il signale est celui de la vie de tous les jours. Les hommes que les événements ont fait arriver au pouvoir, quels qu'aient pu être leurs programmes ou leurs souhaits anciens, sur la question qui nous occupe, ces hommes politiques se sont trouvés placés en face du difficile problème que j'ai posé; ils ont alors oublié leurs thèses d'antan, trop heureux qu'ils ont été de s'abriter derrière le Concordat. Je suis surpris seulement que l'honorable M. Clémenceau ne se joigne pas à M. Talandier pour demander ici  la suppression du budget du cultes.,

M. Clémenceau. Mais je me joins à lui. calmez vos inquiétudes. (On rit.)

M. Ferdinand Boyer. J'en suis fort aise, la. netteté du débat ne pourra qu'y gagner. Notre honorable collègue avait, en effet, montré le mal et indiqué le remède. Le mal, c'était le péril clérical; le remède, c'était la séparation de l'Église et de l'État.
    " En quoi consiste, disait-il, le péril clérical? La péril clérical consiste dans l'union de deux forces non-seulement dissemblables, mais antagonistes, absolument ennemies : l'Église et la société civile; c'est l'union de ces deux principes ennemis qui fait le conflit perpétuel entre l'Église et l'État, et c'est la puissance énorme que l'État donne à l'Église qui fait que, dans cette lutte, l'État est toujours vaincu. .
    "Je ne développerai pu cette thèse; je l'ai développée cent fois ici même. Ce qui en résulte, c'est qu'il n'y a qu'une manière de résoudre définitivement la question cléricale : c'est de séparer l'Église de l'État. "
    Après avoir cité les noms de tous ceux qui, dans l'opposition, avaient demandé la séparation, et qui, une fois au pouvoir, oublient leurs affirmations d'hier; après avoir établi que la séparation est "en réalité la doctrine républicaine elle-même", l'honorable M. Clémenceau s'étonne de voir l'honorable président du conseil des ministres, M. de Freycinet, défendre aujourd'hui, au nom de ses collègues et au sien, une doctrine contraire.
    " Que prouvent ces citations ? s'écrie-t-il : que l'opinion défendue par nous a toujours été celle du parti républicain, et que ce n'est pas une utopie, une chimère, mais bien la doctrine républicaine elle-même. Malheureusement, le ministère s'est placé à un autre point de vue, et là, je vais démontrer encore que nous ne sommes pas sur la point d'aboutir et que nous tournons le dos à la véritable solution.
    " Le ministère défend la doctrine de l'union de l'Église et de l'État et prétend, grâce à son habileté, maintenir l'alliance de deux principes qui s'excluent. "
    Eh bien, messieurs, encore une fois, quand on parle ainsi dans de grandes réunions populaires, on arrive à la. tribune.

M. Clémenceau. Je vous demande la permission de choisir mon temps.
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M. Ferdinand Boyer. Je reviens, messieurs, à la vérité des faits. Il y a là un contrat solennel formé entre l'Église catholique et l'État, contrat formulé dans nos lois, au nom de l'État, dès 1789, et accepté par le Concordat, au nom de l'Église. Si vous déchirez le traité, si vous arrivez à rompre le contrat, il faut, si vous êtes loyaux, d'une manière ou d'une autre, rendre au clergé une portion au moins des biens qu'on lui a enlevés.
    Un membre à gauche. On ne lui a jamais enlevé de biens! Ces biens appartenaient aux pauvres.
    C'est votre thèse ; la mienne est différente et elle a l'avantage d'être basée sur des textes de loi.
    Messieurs, j'ai là le rapport de M. Deluns­Montaud, sur la. proposition de M. Boysset et de plusieurs de ses collègues, qui demandent l'abrogation du Concordat. C'eût été la question bien posée. Mais la commission d'initiative a repoussé la prise en considération pour du raisons toutes politiques. J'aurais aimé à y voir ajouter quelques raisons de droit.
    La discussion s'ouvrira bientôt et tous pourrez juger du mérite des arguments invoqués de part et d'autre.
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    Si les commIssions du budget ont été jusqu'à présent trop parcimonieuses à l'égard de l'Église catholique, le Parlement a le devoir, il aura l'honneur, de tenir loyalement envers elle la parole de la nation. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite.)
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M. Gatineau, rapporteur. M. de 1a Bassetière s'est plaint que le budget des cultes était l'objet de réductions successives et que nous marchions pas à pas vers 1a suppression complète du budget des cultes. (Très bien! à gauche.)
    Eh bien, messieurs, c'est là une affirmation qui est démentie par les chiffres du budget. (Assentiment sur plusieurs bancs à gauche.)
    Un membre à gauche. Malheureusement!
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M. le président. MM. Talandier, Margue, Benjamin, Raspail, Clémenceau, Germain Casse, Brelay, Greppo, Girault (Cher), Rathier, Brelay, Greppo, Barodet, Saint-Martin, Naquet, Georges Perin, Gaillot, Menard-Dorian, Chavanne, Bertholon, Dethou, Dumas ,ont signé une demande de scrutin public sur la proposition de M. Talandier relative à la suppression des chapitres du budget des cultes.
    Il va être procédé au scrutin.
(Le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis.
    Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :

Nombre des votants:..... 438
Majorité absolue: ......... 220
Pour l'adoption .............. 63
Contre ........................ 375
La Chambre des députés n'a pas adopté.