PROPOSITION DE LOI
tendant à l'abrogation du Concordat,
présentée par MM. Charles
Boysset, Charles Floquet, Clémenceau,
Louis
Blanc, Édouard Lockroy, Alfred
Naquet,
Germain Casse, Émile Deschanel,
Barodet, Georges Perin, Martin
Nadaud, Benjamin Raspail, Jules Maigne,
Ménard-Dorian, Alfred Talandier, Chavanne, Mathé, Bousquet,
députés,
(Séance du 30 juillet 1879.)
(suivi du rapport sommaire fait
au nom de la 15° commission d'initiative parlementaire chargée
d'examiner la proposition de loi
par M. Deluns-Montaud, le 8 mai 1880)
Ce texte sera à nouveau
déposé par M. Boysset le 17 novembre 1881
EXPOSÉ DES MOTIFS
I
II
III
IV
V
PROPOSITION DE LOI
Art. 1er
Art. 2
RAPPORT SOMMAIRE
fait au nom de la 15° commission d'initiative parlementaire
(MM. David (Indre), président; Labeze, secrétaire
; Boysset; Deluns-Montaud; Trouard-Riole; Loubet;
Lajanne; Anglade; Dreux; Giroud; Tondu; Sallard; Ganne; Tiersot; Mingasson;
David (Jean); Perras; Roudier; Duvaux; Bouteille; Ninard; Guyot
chargée d'examiner la proposition de loi de M.
Charles
Boysset et plusieurs de ses collègues,
tendant à l'abrogation du Concordat,
par M. Deluns-Montaud
le 8 mai 1880
Messieurs, MM. Charles Boysset, CH. Floquet, Clémenceau, Louis Blanc, Ed. Locroy et treize de leurs collègues ont déposé sur le bureau de la Chambre, dans la séance du 30 juillet 1879, le projet de loi suivant :
Art. 2
Votre commission d'initiative n'a pas
cru devoir conclure à la prise en considération de cette
proposition.
"La liberté
de conscience, disent les signataires,
étant
proclamée, toutes les doctrines ont un droit égal à
la protection de l'État. La religion catholique a perdu le caractère
de généralité et d'universalité dont elle a
pu se prévaloir ; elle ne saurait dès lors constituer un
service public. Avec la généralité du service la subvention
doit disparaître.
"Or, l'État
paye 50 millions aux ministres du culte catholique et leur confère
une sorte de délégation fonctionnelle qui commande le respect.
Il faut faire disparaître un état de choses si contraire à
la liberté de conscience et aux principes constitutifs des sociétés
modernes.
"Si, d'ailleurs, on considère
le Concordat comme une arme aux main du pouvoir civil pour contenir un
clergé rebelle, les faits démontrent que cette arme est impuissante.
L'appel comme d'abus est dérisoire, la déclaration de 1682
foulée aux pieds ; il faut rompre des liens demi-brisés"
Tout autres ont été les
les motifs qui ont déterminé votre commission.
Toutes les doctrines philosophiques
et religieuses ont dans un pays libre un droit égal à se
produire : c'est la liberté de conscience. Mais cette liberté,
comme toutes les autres, doit être limitée par les nécessités
de conservation de l'État.
Si donc, une religion, son dogme,
son enseignement, sa discipline, le nombre de ses adhérents, l'empire
qu'elle exerce, ses bienfaits, ses dangers exigent des mesures de conservation
et de défense, ces mesures entrent pleinement dans la catégorie
générale des fonctions de police qui sont un des des attributs
essentiels de l'État.
L'existence du catholicisme, sa foi
partagée par la majorité des habitants du territoire, sa
prédication, ses prétentions séculaires, sa domination
sur les consciences sont certaines. L'État peut-il ignorer des faits
aussi considérables et sous prétexte de liberté y
rester indifférent ? Évidemment non. Dans un pays comme le
nôtre, empreint depuis des siècles de tradition catholique,
en présence de l'adhésion formelle de fidèles nombreux
à une doctrine religieuse dont le chef réside à l'étranger,
la nécessité de régler les rapports entre l'autorité
civile et cette doctrine même s'impose encore comme elle s'est imposée
à tous les moments de notre histoire.
Le Concordat
et les lois organiques consacrent d'ailleurs le principe de la séparation
de l'Église et de l'État, en ce qu'ils délimitent
les attributions que ces deux puissances ont trop souvent confondues ;
l'Église, pour le service de ses ambitions théocratiques,
l'État, pour le plus grand préjudice de la liberté
de conscience. Ainsi, l'Église reste indépendante dans son
domaine spirituel, et l'État, dégagé de toute préoccupation
de dogme, demeure debout, puissant et armé dans son domaine temporel.
Voilà la vérité. Ces deux forces se sont rencontrées
; pouvaient-elles s'ignorer, rester indifférentes l'une à
l'autre ? L'une et l'autre ayant une invincible tendance à l'invasion
et à l'absorption, des rapports constants, des points de contact
permanents devaient s'établir entre elles ; de là, la légitimité,
la nécessité d'une règle de vie, d'un concordat, d'une
loi.
Le Concordat et les lois organiques,
sans blesser la foi des catholiques, assurent à l'État des
moyens efficaces de défense contre des prétentions et des
rebellions trop longtemps tolérées. L'appel comme d'abus
n'est pas le seul moyen de résistance contre l'esprit d'invasion
de l'Église. Le code pénal prévoit et punit les délits
et les crimes commis par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs
ministères. Enfin, une série de disposition législatives
met un sage obstacle à l'accroissement des richesses du clergé.
Ces mesures, il faut l'avouer, soit
négligence, soit complicité, sont souvent resté lettre
morte aux mains des pouvoirs qui ses ont succédé. De
là l'émotion publique et la raison de la proposition de nos
collègues. Mais il appartiendrait à un gouvernement décidé
à se défendre de relever ces dispositions et de les appliquer
à un clergé qui persisterait à les méconnaître.
Là est la vraie doctrine de l'État, là aussi est le
salut de nos institutions, qui ne peuvent que gagner à apparaître
aux yeux de tous avec leur caractère de légalité éprouvée
et forte.
Il n'est ni opportun ni prudent d'abandonner
cette législation tutélaire. Car si l'on veut la séparation
de l'Église et de l'État comme paraissent l'entendre les
auteurs de la proposition, il faut renoncer aux lois d'exception auxquelles
l'Église est soumise. Il faut, sans dommage pour la liberté
de conscience, sans injure à une foi ancienne et respectable, replacer
dans le droit commun les ministres du culte catholique. Il faut refaire
toute notre législation en matière d'enseignement (1882),
de droit de réunion (1881)
et
d'association (1901).
Il faut enfin permettre, si l'on supprime toute subvention, cet accroissement
de richesses qui a été pour les États catholiques
un si fréquent et si légitime sujet d'inquiétudes.
Si l'on veut la lutte ; si, n'ayant
foi que dans l'individu, dédaigneux du concours de l'État,
on n'appréhende pas l'organisation qui ne tarderait pas à
se former entre tous les fidèles, en vue d'assurer dans le cadre
d'une forte hiérarchie sacerdotale l'indépendance d'abord,
la domination ensuite ; n'y a-t-il pas lieu de rechercher si, dans notre
éducation nationale, dans nos moeurs, dans la pratique de la liberté
naissante, on pourra trouver des éléments suffisants de résistance
contre les tendances envahissantes de l'Église catholique.
Le moment parait mal choisi pour tenter
une telle expérience.
La subvention accordée aux
ministres du culte catholique est, aux yeux des croyants, obligatoires
pour l'État ; la retirer serait inquiéter sans profit les
consciences ; car on s'exposerait, d'autre part, au redoutable accroissement
des richesses d'un clergé qui exerce encore une puissance indéniable.
(Il s'agit ici du clergé séculier, soumis au Concordat ;
le clergé régulier des congrégations, "oublié"
par le texte, s'enrichissait de façon colossale.)
Tant
que l'éducation ne sera pas faite, tant que les moeurs publiques
n'auront pas dégagé la nation des influences religieuses,
la suppression du budget des cultes et la séparation de l'Église
et de l'État, au sens des auteurs du projet, conduiront à
une lutte, dangereuse toujours, fatale peut-être, pour l'État,
si on laisse à l'Église une pleine liberté.
Et si les subsides supprimés,
les mesures d'exceptions sont cependant conservées, mises hors du
droit et humiliée sans compensation, l'Église ne pourrait-elle
pas se plaindre d'une persécution bien faite pour soulever les coeurs
?
La subvention, d'ailleurs, n'est pas
une protection spéciale accordée à la doctrine catholique,
et comme il n'y a pas de religion d'État, il n'y a pas non plus
de délégation fonctionnelle attribuée aux ministres
du culte. Il y a simplement concordat, c'est à dire convention entre
deux puissances de fait, pour régler des rapports nécessaires.
La subvention est le prix de la soumission
de l'Église au temporel.
L'expérience a peut-être
indiqué des améliorations à apporter dans cet état
de choses ; le principe reste le même, le régime des concordats
ne semble pas prêt d'être abandonné. Le plus sage, à
l'heure présente est de s'en tenir au traité
signé entre la cour de Rome et la France, le 23 fructidor an IX,
et aux lois organiques qui l'assortissent.