11 décembre 1911

    PROJET DE LOI tendant à prolonger de trois ans le délai fixé par l'article 57 de la loi de finances du 26 décembre 1908 pour le classement des objets conservés dans les édifices du culte, présenté au nom de M. Armand  Fallières, Président de la République française, par M, Steeg, ministre de l'instruction  publique et des beaux-arts, et par M.L.-L.  Klotz, ministre des finances.- (Renvoyé à la commission de l'enseignement et des beaux-arts.).

EXPOSE DES MOTIFS
    Messieurs, la loi de finances de l'exercice 1909 a, par un article additionnel (art. 57), prorogé pour une période de trois années l'application des dispositions de l'article 16 de la loi du 9 décembre 1905  prononçant le classement global et d'office des objets et immeubles par destination qui, mentionnés à l'article 13 de ladite loi, ne se trouvaient pas encore classés en vertu de la loi du 30 mars 1887.
    Bien que la loi du 2 janvier 1907 ait laissé ces objets à la disposition des fidèles, bien que la loi municipale de 1884 interdise leur aliénation sans autorisation, les arguments présentés en 1908 par M. Bienvenu-Martin n'ont pas aujourd'hui perdu de leur valeur. Aussi. quoi qu'ait été le résultat obtenu, et si considérable que soit le nombre des pièces placées en ces dernières années sous la sauvegarde du classement, ce classement gagnerait-il, en raison de la multiplicité et de la dispersion des objets, à pouvoir se poursuivre dans les mêmes conditions que précédemment.
    Il y aurait surtout le plus grand intérêt, en attendant la discussion et le vote du projet de loi actuellement soumis an Parlement "sur la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique ou artistique ", à pouvoir faire bénéficier ces objets des dispositions protectrices que l'article 17 de la loi du 9 décembre 1905 leur assure et qu'ils ne trouvent pas dans la loi de 1887.
    Dans ces conditions, le Gouvernement à l'honneur de soumettre au Parlement une disposition permettant de proroger pour  une période nouvelle de trois années le délai pendant lequel serait assurée d'office et globalement la sauvegarde des objets conservés dans les édifices affectés au culte.
PROJET DE LOI
    Article unique. - Les objets mobiliers et les immeubles par destination mentionnés à l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905, et à l'article 57 de la loi du 26 décembre 1908, et qui n'auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont ajoutés à cette liste rendant un nouveau délai de trois ans à dater de la promulgation de la présente loi. A l'expiration de ce nouveau délai. ceux de ces objets et immeubles par destination qui n'auraient pas été définitivement classés seront déclassés de plein droit.

    RAPPORT fait au nom de la commission de l'enseignement et des beaux-arts chargée d'examiner le projet de loi tendant à prolonger de trois ans le délai fixé par l'article 57 de la loi de finances du 26 décembre 1908 pour le classement des objets conservés dans les édifices du culte, par M. Théodore Reinach (Savoie), député.
    Messieurs, la loi de séparation du 9 décembre 1905 en supprimant, avec l'administration des cultes, la tutelle dont cette administration entourait le mobilier artistique des églises a exposé celui-ci à des dangers qui ont frappé le législateur. A la vérité, déjà 4.000 objets mobiliers de ce genre étaient classés en vertu de la loi du 30 mars 1887 sur les monuments historiques, mais ce classement avait été opéré en vertu d'une sélection rigoureuse dont le critérium était cherché dans l'intérêt national au point de vue de l'histoire ou de l'art. Beaucoup d'objets d'un intérêt secondaire, mais réel, qui garnissaient les églises, restaient en dehors de ce classement et se seraient trouvés désormais exposés à des aliénations irrégulières et à de multiples causes de dilapidation.
    Il importait, pour parer à ce danger, d'élargir la notion et les limites du classement et d'y comprendre désormais tous les objets d'église dignes par leur intérêt, non seulement national mais régional ou local, de la sollicitude des pouvoirs publics. La sauvegarde de ces objets ne pouvait plus résulter que de leur inscription sur la liste des monuments historiques. Toutefois, la nouvelle enquête nécessitée par ce classement réclamait nécessairement un long délai en raison de la multiplicité et de la dispersion des objets en cause. Comme le temps matériel manquait, pour y procéder avant la promulgation de la loi de séparation, le législateur de 1905  a pris le seul parti qui s'offrait à lui, à savoir de prononcer le classement global de tous les objets qui garnissaient les édifices servant à l'exercice public du culte, sauf à procéder ensuite à loisir à un examen minutieux, ayant pour effet de classer définitivement les uns et de déclasser automatiquement les autres, C'est ce qui résulte des dispositions suivantes de l'article 16 de la loi du 9 décembre 1905:
    " Les objets mobiliers ou les meubles par destination mentionnés à l'article 13 qui n'auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée on vertu de la loi du 30 mars 1887 sont. par l'effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé, par le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, dans le délai de trois ans, au classement définitif de tous ces objets dont la conservation présenterait un point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt suffisant. A l'expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit. "
    Ajoutons qu'en vertu de l'article 17 de la même loi do séparation, les effets attachés au classement étaient singulièrement élargis et renforcés en ce qui touche les objets d'église, par rapport aux dispositions de la loi de 1887. En particulier, la défense d'aliéner ou do restaurer ces objets sans une autorisation spéciale ôtait sanctionnée, non pas seulement par dos dommages-intérêts, mais par l'amende et la prison.
    Dès le lendemain de la loi de séparation, l'administration des beaux-arts s'est appliquée avec beaucoup d'activité à opérer le recensement et le classement de tous les objets visés par l'article que nous venons de rappeler. Dans les trois premières années de l'application de la loi, 3.000 nouveaux objets provenant de toutes les régions de la France venaient ainsi s'ajouter aux 4.000 objets déjà inscrits sur la liste des monuments historiques. Mais cette enquête, poursuivie avec un soin méticuleux par un très petit nombre de fonctionnaires compétents, s'avance nécessairement d'une allure fort lente. Aussi, après l'expiration du délai de trois ans imparti par la loi de séparation, l'œuvre était-elle loin de l'achèvement. Dans 1a discussion du budget de 1909, au Sénat, l'honorable M. Bienvenu-Martin appela l'attention sur cet état de choses :
    " Malgré tous les efforts qui ont été déployés,  dit-il, tant par les inspecteurs des beaux-arts , que par les commissions locales, il reste encore, cela n'est pas douteux, un certain nombre d'objets à classer; mais le délai de trois ans durant lequel ces objets ont été provisoirement classés sous la sauvegarde de la loi de 1887 est expiré depuis le 9 décembre dernier. Je crois qu'il est absolument nécessaire de le rétablir. "
    L'orateur expliquait ensuite que, sans doute, en vertu de la loi du 2 janvier 1907 (art. 5), les meubles garnissant les édifices affectés à l'exercice du culte étaient, à défaut d'associations, cultuelles, laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte. Il ajoutait que ces objets, étant tous désormais considérés comme propriétés communales, se trouvaient par cela même placés sous la protection de la loi municipale du 5 avril 1884 qui dispose ainsi dans son article 68 :
    " Ne sont exécutoires qu'après avoir été approuvées par l'autorité supérieure (c'est-à­dire, dans l'espèce, le préfet statuant en conseil de préfecture) les délibérations portant sur  ...
    " 2° Les aliénations et échanges de propriétés communales. "
    Mais il tombe sous le sens que ces dispositions, quelle qu'en soit la valeur, sont loin de constituer des garanties aussi efficaces que les prescriptions de la loi de 1887 renforcées par celles de 1905. En conséquence, M. Bienvenu Martin, appuyé par le sous-secrétaire d'État aux beaux-arts, demanda et obtint l'insertion dans la loi de finances du 26 décembre 1908 d'un article 57 ainsi conçu:
    " Les objets mobiliers et les immeubles par destination mentionnés à l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905 et qui n'auraient pas été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887 sont ajoutés à cette liste pendant un nouveau délai de trois ans, à dater de la promulgation de la présente loi. A l'expiration de ce nouveau délai, ceux des objets et immeubles par destination, qui n'auraient pas été définitivement classés, seront déclassés de plein droit. "
    Aujourd'hui, à l'expiration de ce second délai de trois ans, l'administration des beaux-arts nous demande une prorogation nouvelle. Ses raisons sont les mêmes que celles que faisait valoir , en 1908 l'honorable M. Bienvenu-Martin. Assurément le travail de classement a été poursuivi pendant ces trois années avec le même zèle intelligent qui fait si grand honneur à M. Frantz Marcou et à ses collaborateurs. Le nombre des objets d'église classés s'élève actuellement à plus do 14.000.  Dans certains départements, l'enquête peut être considérée comme terminée et ayant donné tous ses résultats, mais il n'en est pas de même dans tous; un nouveau délai s'impose pour pouvoir mener à bonne fin cette œuvre de sauvegarde nationale sans y laisser de regrettables lacunes.
    Ajoutons que si cette prorogation nouvelle n'était pas accordée, si, dés demain, les objets non classés définitivement venaient à être automatiquement déclassés, à l'avenir, lorsqu'on découvrirait, dans les églises non encore explorées à fond, des objets susceptibles de classement, on ne pourrait leur appliquer que les dispositions insuffisantes de la loi de 1887 et non les sanctions énergiques de la loi de 1905. Sans doute, un projet de loi dont le Parlement est actuellement saisi. "sur la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique ou artistique " étend à tous les monuments classés les garanties tutélaires que la loi de 1905 a réservées aux seuls objets d'église. Mais, si vif que soit notre désir de faire aboutir la plus promptement possible le vote de ce projet, dont le rapport nous a été confié, il faut prévoir cependant, jusqu'à son adoption par les doux Assemblées, un certain délai pendant lequel les nouveaux classements prononcés n'assureraient qu'une protection insuffisante. Des exemples récents et douloureux nous ont appris à quel point il importe de faire pénétrer dans l'esprit de toutes nos populations, à l'abri de sanctions sérieuses, le respect de cette fraction si intéressante de notre patrimoine artistique,
    Pour ces diverses raisons, votre commission est unanime à vous proposer d'accorder à l'administration le nouveau délai qu'elle sollicite, afin qu'elle puisse poursuivre tranquillement, en toute liberté d'esprit, ce vaste inventaire, dans les mêmes conditions que précédemment. Elle croit, toutefois, on vous recommandant le vote immédiat du projet de loi, devoir présenter à son sujet deux observations:
    En premier lieu, elle exprime la regret formel qu'elle ait été saisie tardivement, et pour ainsi dire à la dernière heure, de ce projet. Le délai de protection efficace, institué par la loi de finances de 1909 expire la 26 décembre 1911 ; or, le texte du projet gouvernemental, daté du 9 décembre, ne nous a, en réalité, été soumis que le 19, soit une semaine avant le terme fatidique. Il est évident que, dans ces conditions,  un examen approfondi on devenait impossible; votre commission se trouvait hors d'état d'obtenir en temps utile de l'administration et de placer sous les yeux de la Chambre, les renseignements précis, les statistiques détaillées qui constituent la véritable justification du projet. Ce procédé, peu respectueux des droits du Parlement mérite d'autant plus d'être signalé qu'il constitue une récidive : en effet, déjà en 1908, lorsque l'heureuse intervention de M. Bienvenu-Martin obtint la première prorogation du délai, il y avait douze jours que celui-ci était expiré.
    En second lieu, votre commission croit devoir exprimer le désir que cette seconde prorogation soit la dernière.  Il semble, en effet, qu'un délai total de neuf années soit amplement suffisant pour mener à bonne fin l'opération entreprise ; si la lenteur excessive en est due à l'insuffisance du personnel compétent, le Parlement ne refusera sans doute pas à l'administration des beaux-arts, les crédits supplémentaires nécessaires pour renforcer pendant quelques années l'effectif de ce personnel. Il ne faut pas oublier que le régime du classement global, sous lequel nous vivrons jusqu'en 1914, ne laisse pas de présenter les inconvénients: il y a quelque chose de ridicule et de gênant tout ensemble à devoir solliciter l'autorisation non seulement du préfet, mais du ministre de l'instruction publique, pour vendre une chaise de paille trouée ou restaurer un candélabre fracassé ; telle est pourtant la conséquence inéluctable de la loi de I905, combinée avec l'article 11 de la loi de 1887. Ce surcroît puéril de formalités, appliqué à des objets sans valeur, risquerait, en se prolongeant, de lasser les patiences les plus robustes et. de discréditer les garanties très légitimes dont le législateur a voulu entourer les seuls monuments qui intéressent réellement l'art ou l'histoire de notre pays.
    Sous le bénéfice de ces observations, nous avons l'honneur de proposer à l'adoption de la Chambre le texte de loi ci-après:
............................. inchangé ................

Le rapport de la commission des finances du Sénat, chargée d'examiner le même projet, présidée par M. Pierre Baudin, sénateur,  était déposé le 29 décembre 1911. Il était en tout point conforme à celui de la Chambre.