La République et les cultes

Avant-propos de : L’Islam dans la République
Rapport de Roger FAUROUX pour le
HAUT  CONSEIL  A  L’INTEGRATION
en l'an 2000

L’Etat et les Eglises en France

     Le régime français de séparation des Eglises et de l’Etat est un modèle peu fréquent en Occident et son enracinement en France même est encore récent. Conséquence de la constitution de la Nation en tant que corps politique autonome soucieux de maîtriser ses relations avec les autres pouvoirs spirituels et temporels, ce régime a succédé à une longue période d’imbrication de l’Etat et de l’Eglise et est le fruit des ajustements parfois violents qui intervinrent à compter de la période révolutionnaire et jusqu’au vote de la loi du 9 décembre 1905.

     Pendant huit cents ans, de 987 à 1789, la question religieuse est marquée par le primat du catholicisme, religion d’Etat. Deux problèmes récurrents dominent cette longue période : la gestion du rapport de dépendance réciproque entre Rome et le Royaume de France ; et celle de la place qu’il convient d’accorder aux autres religions (religion juive et, à partir du XVIème siècle, religion réformée).

     La rupture révolutionnaire bouleverse cette situation, pour des raisons tant philosophiques que politiques. Au plan philosophique, les idéaux de liberté civile et d’égalité rendent désormais inacceptable l’idée d’une religion officielle et sa contrepartie, l’oppression des autres cultes. Au plan politique, la réaction violente de Rome et de l’Europe aux événements révolutionnaires précipite la rupture. 1789 inaugure une période d’incertitude qui voit se succéder plusieurs formes de relations entre les Eglises et l’Etat.

     Commencée dans la liberté, poursuivie dans l’oppression, la Révolution s’achève, pour les Eglises, par un gallicanisme rénové et autoritaire. L’article 10 de la déclaration du 26 août 1789 souligne la rupture voulue par ses rédacteurs : il proclame que “nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses”. La liberté et l’égalité religieuses trouvent rapidement une traduction. L’émancipation des juifs est acquise en trois étapes : décret du 28 janvier 1790 pour les juifs portugais et espagnols, décisions locales à Avignon dans les autres villes du Comtat en juin-juillet 1791, décret du 27 septembre 1791 pour tous les autres juifs. Devenus électeurs et éligibles depuis 1789, les protestants avaient recouvré un état civil depuis un édit de 1787.

     Intervenue à la fin de 1789, la nationalisation des biens du clergé met à la charge de la nation le fait “de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres”. Suivent la suppression des congrégations (février 1790) sauf pour les ordres enseignants et hospitaliers, qui seront abolis en août 1792 et surtout la Constitution civile du clergé (juillet 1790). Cette dénonciation unilatérale du concordat de 1516 bouleverse la carte des diocèses et des paroisses, prévoit l’élection des évêques, curés et vicaires. Le serment des clercs est exigé en janvier 1791. Après la condamnation par le Pape (mars-avril 1791), il en résulte un schisme. Les prêtres réfractaires sont bientôt contraints d’émigrer, quand ils ne sont pas incarcérés ou assassinés. En septembre 1792, au moment de la proclamation de la République, l’état civil est retiré au clergé, première mesure de laïcisation d’un service public. Sous le régime du comité de salut public, une politique inédite de déchristianisation est engagée, qu’illustrent notamment l’adoption du culte de l’Etre suprême et du calendrier révolutionnaire, l’instauration du baptême et de l’enterrement républicains ou la “ reconversion ” des lieux de culte.
     La convention thermidorienne et le Directoire appliquent une politique religieuse nuancée. Trois tendances coexistent :

- la séparation. Le décret du 18 septembre 1794 dispose que “la Nation ne salarie aucun culte”, supprimant ainsi le salaire du clergé constitutionnel, disposition reprise par les décrets des 21 février et 29 septembre 1795 ;

- le libre exercice des cultes ;

- la surveillance étroite des autorités. Un serment de “soumission et obéissance aux lois de la République” est exigé des ministres du culte. Les cérémonies extérieures et le port du costume ecclésiastique sont interdits.

     L’autoritarisme pragmatique de l’Empire se traduit, pour les cultes, par la maintien de la liberté religieuse assorti d’un contrôle rigoureux sur les hiérarchies ecclésiastiques. Guidé par le souci de préserver les principaux acquis de la révolution mais aussi de mettre un terme aux querelles religieuses, le concordat de 1801, conclu entre Bonaparte et le pape Pie VII, procède d’une ambition clairement gallicane. Promulgué le 8 avril 1802, le concordat fixe le statut de l’Eglise catholique et définit la religion catholique, apostolique et romaine comme “la religion de la grande majorité des Français”. Des lois postérieures donneront un statut aux églises protestantes et au culte israélite. L’organisation du culte protestant est ainsi calquée sur le modèle catholique, les pasteurs étant salariés et placés sous le contrôle de l’Etat en 1804.

     Le régime concordataire affirme le principe de la liberté des cultes. Certains bénéficient d’une reconnaissance officielle : catholicisme, protestantismes calviniste et luthérien et judaïsme ; les autres sont simplement licites. Le Concordat assure le maintien de l’héritage révolutionnaire (état civil, divorce, égalité entre les cultes) et le clergé, à nouveau pensionné par l’Etat, doit prêter un serment de fidélité : les évêques sont désormais nommés par le gouvernement, cependant que les évêques réfractaires doivent abandonner leur charge. En rupture avec l’héritage révolutionnaire, les principales fêtes chrétiennes et le dimanche recouvrent leur caractère chômé. Les congrégations féminines, dissoutes le 18 août 1792, sont intégrées au concordat en raison de leur utilité sociale.

     En ce qui concerne le judaïsme, Napoléon convoque successivement une assemblée des notables (1806) et un Grand Sanhédrin (1807), tous deux composés de rabbins et de laïcs. Il s’agit de tester et d’attester la capacité et la volonté d’intégration des juifs à la société française (mariages mixtes, primat des lois de l’Etat sur les lois religieuses) et de réorganiser le culte et l’enseignement religieux. Sont créés en 1808 une structure hiérarchisée, le consistoire central, à Paris, et des consistoires départementaux. Un autre décret de 1808, dit “décret infâme” édicte, pour dix ans, plusieurs mesures discriminatoires envers les juifs, à l’exception de ceux de Bordeaux, de la Gironde et des Landes. Divers cas de réduction ou d’annulation de leurs créances sont prévus. Les commerçants juifs doivent fournir, chaque année, une patente du préfet subordonnée à un certificat du conseil municipal constatant que l’intéressé ne s’est livré ni à l’usure ni à un trafic illicite ainsi qu’un certificat du consistoire local attestant sa “bonne conduite et sa probité. L’immigration des juifs dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin est interdite. Leur installation dans les autres départements est subordonnée à l’acquisition d’une propriété rurale et à l’exercice d’une activité agricole sans qu’il soit possible de se mêler à aucun commerce, négoce ou trafic, sauf autorisation spéciale. Les conscrits juifs ne peuvent, contrairement aux autres, payer un remplaçant.

     Il faut attendre 1831 pour que les rabbins soient salariés et 1846 pour que le serment soit aboli par la Cour de cassation.

    De 1815 à 1905, la question scolaire est l’occasion de nouvelles luttes entre l’Etat et les Eglises.

 A partir de la Restauration, la situation des cultes semble stabilisée autour d’un modèle libéral dans son esprit et gallican dans son organisation. Mais la question de l’école, enjeu symbolique autant que politique, va cristalliser les oppositions entre républicains et catholiques, et mener à une série de crises que seule la loi de 1905 permettra de résoudre.

     De 1830 à 1850, la question de la liberté de l’enseignement fait l’objet d’un important débat. Cette liberté est acquise pour l’enseignement primaire grâce à la loi Guizot (1833) et, pour l’enseignement secondaire, par la loi Falloux (1850). Cette dernière loi institue un outre une présence et un contrôle de l’Eglise catholique sur l’enseignement public. Elle limite enfin les subventions des collectivités locales aux établissements d’enseignement privés.

     Le Second Empire, soucieux de préserver de bonnes relations avec Rome, multiplie les autorisations aux congrégations religieuses et encourage le développement de l’enseignement confessionnel, ce qui conduit l’opposition républicaine à réclamer la laïcisation de l’enseignement et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que le syllabus de 1864, catalogue pontifical des “ principales erreurs de notre temps ”, condamne explicitement.

     L’absence de reconnaissance par les catholiques de la forme républicaine du gouvernement, adoptée à une voix de majorité en 1875, accrédite l’hypothèse d’une volonté de revanche de la part de l’Eglise. La consolidation de la République conduit à partir de 1880 à l’adoption de mesures emblématiques : retrait des crucifix des salles de classe, loi du 28 mars 1882 n’autorisant l’enseignement religieux qu’en dehors des heures de classe et substituant l’instruction morale et civique à la morale religieuse, loi du 5 avril 1884 interdisant la séparation entre cultes dans les cimetières municipaux, abolition du repos obligatoire du dimanche, rétablissement du divorce.

     Après qu’en 1890, le cardinal Lavigerie, évêque d’Alger, eut porté un toast à la République, l’encyclique Au milieu des sollicitudes  invite en 1892 les catholiques au ralliement, sans que celui-ci devienne pour autant effectif. Après l’affaire Dreyfus, une nouvelle offensive laïque se développe, visant essentiellement à lutter contre l’enseignement congrégationniste. En 1900, la congrégation des assomptionnistes est dissoute et en 1901 est votée la loi sur les associations, qui soumet les congrégations à un statut spécial et les oblige à demander une autorisation aux deux chambres. Le 7 juillet 1904, une loi interdit l’enseignement aux congrégationnistes, tandis que les relations diplomatiques sont rompues entre le Vatican et la République française.
 
 


Chapitre I :
la loi du 9 décembre 1905, une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes




 Faisant suite à plus d’un siècle de tensions, la loi de 1905 se présente comme une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes.

1-1  Les principes de la loi de 1905 : liberté religieuse et séparation des Eglises et de l’Etat

     Le cadre juridique actuel de l’exercice des religions est défini par la loi du 9 décembre 1905, et  par les lois qui l’ont suivie pour décliner les principes qu’elle a posés. L’adoption de la loi du 9 décembre 1905 a lieu dans un contexte difficile, marqué par la crispation croissante, après la rupture des relations diplomatiques, du camp laïque et des autorités vaticanes autour des questions de l’école et de la nomination des évêques. Il  apparaît alors, même aux radicaux modérés, qu’une loi de séparation qui laisserait intacte la liberté religieuse proclamée à la Révolution serait le seul moyen de résoudre la crise. Novatrice par son contenu, la loi de 1905 l’est aussi par sa méthode : elle marque la fin de l’esprit concordataire et la volonté de l’Etat de décider désormais unilatéralement du statut des Eglises - ce qui n’exclut pas la concertation comme le montrent les échanges de lettres de 1923-1924 avec le Vatican sur la question des associations diocésaines.

     La loi de 1905, issue d’un conflit entre la République et l’Eglise catholique, est devenue le socle durable de l’exercice de tous les cultes en France, sans que ses principes soient fondamentalement remis en cause. Pour la réception d’une religion nouvelle en France comme l’Islam, cette loi offre un cadre libéral mais pose aussi des contraintes qui sont la contrepartie de la laïcité de l’Etat.

 La loi de 1905 est en effet avant tout une loi de liberté. Enracinant dans le droit positif la liberté religieuse, elle a été, depuis son adoption, confortée par des dispositions constitutionnelles et de droit international. La liberté religieuse affirmée par cette loi et les textes qui l’ont suivie comprend trois composantes, dont tout adepte d’une religion peut revendiquer le respect.

     La première est la liberté individuelle de conscience, qui permet à tout individu d’avoir la croyance de son choix. Elle est affirmée de façon particulièrement nette à l’article 1er de la loi : “La République assure la liberté de conscience”.

     La deuxième est la liberté collective d’exercice du culte, qui implique que la pratique de la religion puisse s’exprimer sans entrave dans un espace social et public, et qui est également affirmée à l’article 1er de la loi. Les retouches apportées à la loi de 1905 ont visé à renforcer l’effectivité de cette liberté : si l’exercice du culte était initialement autorisé dans le seul cadre d’une association créée conformément à la loi de 1905, la loi du 2 janvier 1907 l’a rendu possible dans le cadre d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou simplement sur le fondement d’initiatives individuelles.

 La troisième composante de la liberté religieuse reconnue par la République est le principe d’égalité et de non-discrimination entre les religions. Implicitement contenu dans la loi de 1905, qui traite des “cultes” de façon indifférenciée, il est explicitement énoncé par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : “La République respecte toutes les croyances”. Ce principe est d’ailleurs repris par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Un projet de protocole additionnel à cette convention contient en outre une clause générale de non-discrimination.

     L’autre caractéristique de la loi du 9 décembre 1905 est d’être, ainsi que l’indique son titre, une loi de séparation. L’égalité des cultes implique, dans la conception française, une abstention identique à l’égard de tous. Ainsi la loi implique, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, que l’Etat ne puisse s’immiscer dans l’organisation interne des Eglises. Il est tenu de prendre acte des décisions de celles-ci concernant par exemple la dévolution des biens ou la perte de la qualité d’aumônier.

     Ne pouvant intervenir directement dans les affaires des Eglises, l’Etat s’est borné à définir les structures juridiques utilisables pour l’exercice du culte : ce sont les associations prévues par la loi de 1901 (associations de droit commun) ou par la loi de 1905 (associations ayant exclusivement pour objet l’exercice d’un culte). L’Etat a également défini un cadre juridique pour la création de communautés religieuses (loi sur les congrégations du 8 avril 1942, assouplissant considérablement le régime initial de la loi de 1901).  Ces lois offrent un cadre libéral à l’exercice des religions : les associations régies par la loi de 1901 se créent librement sans nécessité d’un aval administratif ; le régime issu de la loi de 1905 ouvre en outre aux associations cultuelles des droits spécifiques, à savoir la possibilité de recevoir des dons et legs (art. 19 de la loi de 1905)  et l’exonération d’impôt foncier pour les édifices du culte qu’elles possèdent (art. 1382 du code général des impôts). La contrepartie de ces droits est un contrôle financier par l’Etat.

     L’aspect le plus visible de la séparation instituée par la loi de 1905 est la séparation immobilière entre les Eglises et l’Etat.  Le schéma retenu en 1905 prévoyait, d’une part, que les immeubles affectés à l’exercice du culte et nationalisés sous la Révolution restaient la propriété des collectivités publiques et étaient mis à disposition des associations cultuelles et, d’autre part, que les immeubles possédés par les Eglises avant le vote de la loi de 1905 étaient attribués en pleine propriété aux associations constituées conformément à cette loi. Dans le premier cas, l’entretien des immeubles est à la charge de la collectivité, dans le second à la charge de l’association propriétaire. Devant le refus de l’Eglise catholique de créer des associations cultuelles, la loi du 13 avril 1908 a prévu le retour aux collectivités publiques des immeubles dont cette Eglise ne demandait pas l’attribution.

     Enfin le principe de séparation implique l’absence de soutien financier des collectivités publiques aux Eglises (article 2 de la loi de 1905 : “La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte”). A ce principe législatif, il ne peut être dérogé que par la voie législative,  comme cela a été le cas lorsque le Parlement vota la loi du 19 août 1920 autorisant le versement d’une subvention de 500.000 F pour la construction de la Mosquée de Paris. Ce principe est appliqué strictement par la juridiction administrative.

     Sont interdites les subventions directes aux cultes, comme le versement d’un traitement au ministre du culte, l’attribution d’une subvention à une association régie par la loi de 1905, ou à une association régie par la loi de 1901 qui a à la fois des activités cultuelles et des activités à caractère social et culturel. Sont également prohibées les subventions indirectes, comme la location d’un édifice à un prix inférieur à la valeur locative réelle. La loi crée toutefois quelques  dérogations à cette interdiction : les collectivités publiques peuvent participer aux dépenses d’aumônerie (art. 2 de la loi de 1905), aux dépenses de réparation, d’entretien et de conservation des édifices du culte leur appartenant (art. 13 et 19 de la loi de 1905) et aux dépenses de réparation des édifices du culte appartenant à des associations régies par la loi de 1905 (art. 19 de la loi).

1-2 La mise en œuvre de la loi de 1905 : des traductions différentes selon les religions et les territoires

     Alors que la loi de 1905 était censée créer un statut unique pour toutes les religions sur l’ensemble du territoire, sa mise en œuvre s’est traduite historiquement par des différences de fait et de droit entre les cultes.

     La “crise” de la séparation s’est manifestée de la façon la plus visible lors du transfert des biens immobiliers. Devant l’absence de réponse uniforme des Eglises, les pouvoirs publics ont dû adapter la loi, créant des situations différentes qui perdurent encore. Près d’un siècle après le vote de la loi, trois situations différentes peuvent ainsi être distinguées :

- les Eglises qui avaient accepté la logique initiale de la loi (religions juive et protestante) et créé des associations cultuelles dès 1906 sont propriétaires de leurs édifices religieux dont elles doivent assurer l’entretien ;

- l’Eglise catholique, qui a refusé jusqu’en 1924 de se couler dans le moule des associations cultuelles, a la jouissance de bâtiments religieux dont les collectivités publiques doivent assurer l’entretien ;

- quant aux “ministres du culte” et fidèles des religions nouvellement apparues, ils construisent et gèrent leur parc immobilier exclusivement selon les règles du droit privé et avec leurs propres moyens.

     Un deuxième élément de différence tient à l’exclusion de certaines régions françaises du champ d’application de la loi de 1905. Si, en vertu de décrets de 1911 et 1913, la loi de 1905 est applicable en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, la Guyane et les autres collectivités d’outre-mer relèvent de régimes particuliers. Mais le particularisme n’est pas réservé à l’outre-mer.
 

     Le retour à la France des départements d’Alsace-Moselle s’est accompagné du maintien dans ces trois départements du régime des cultes appliqué entre 1870 et 1918, c’est-à-dire du concordat de 1801 et des articles organiques édictés par Napoléon, combinés au droit allemand des associations. Ce régime se distingue sur plusieurs points du régime de séparation issu de la loi de 1905. Il ne s’applique pas à l’ensemble des cultes, mais seulement aux “cultes reconnus”, c’est-à-dire expressément agréés et réglementés par l’autorité publique. Depuis l’origine, quatre cultes reconnus existent en Alsace-Moselle : catholique, luthérien, calviniste et juif. L’Islam n’y figure pas. La reconnaissance implique notamment la rémunération des ministres du culte par l’Etat et la participation des collectivités publiques aux dépenses du culte. En outre, le principe de laïcité de l’enseignement ne s’applique pas comme sur le reste du territoire national : l’enseignement religieux des cultes reconnus est assuré pendant les heures de cours, et deux facultés théologiques publiques, une catholique et une protestante, existent à Strasbourg.

     Un troisième exemple d’application inégale de la loi de 1905 concerne plus particulièrement l’Islam : il s’agit de la politique suivie par les pouvoirs publics en Algérie avant la décolonisation, caractérisée par ce que F. Frégosi, chercheur à l’université Robert Schuman de Strasbourg, appelle une “exception musulmane à la laïcité”.
     L’absence d’application de la loi de 1905 aux départements algériens (1905-1962)   Malgré l’extension des dispositions de la loi de 1905 aux trois départements algériens par le décret du 27 septembre 1907, l’Etat n’a jamais cessé d’exercer en fait un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février 1933).   Les milieux musulmans locaux réagirent en exigeant de bénéficier de la même liberté que les cultes métropolitains. L’Emir Khaled adressa le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Edouard Herriot, président du Conseil. Par la suite, l’Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis formula un ensemble de propositions destinées à appliquer à l’Islam algérien le statut de droit commun des religions, qui furent reprises par la plupart des formations politiques musulmanes dès les années 1930 : création d’associations cultuelles et d’un Conseil supérieur islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir l’organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces initiatives ne trouvèrent aucun écho auprès des autorités métropolitaines.
    Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie ait réaffirmé l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’Etat dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu’à l’indépendance. L’attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l’Etat pour mieux en contrôler l’exercice.
    Cet épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté comme symptomatique de l’incapacité de la République française à considérer l’Islam sur un pied d’égalité avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve encore les traces aujourd’hui.
 

 Le régime issu de la loi de 1905 et des lois qui l’ont complétée a donc deux faces. D’un côté, un régime juridique uniforme caractérisé par une grande permanence et qui a permis l’enracinement sur la plus grande partie du territoire de principes reconnus comme au fondement du pacte républicain : liberté religieuse et non-intervention de l’Etat dans les affaires des Eglises. De l’autre, des situations de fait et de droit hétérogènes, selon le sort réservé aux différentes Eglises à l’époque de la séparation, selon le lieu où sont situés les édifices, selon l’époque.
......

L'intégrité du texte est sur le Net