Chambre des députés
24 juin 1881
M. Talandier. Messieurs,
il y a un an, ou un peu moins d'un an, -car c'est l'année passée,
au mois de novembre ou de décembre, que nous avons discuté
le budget des cultes, j ai eu l'honneur de dire à la Chambre que
tous les ans, jusqu'à ce que nous fussions arrivés au succès
complet, c'est-à-dire au refus du budget des cultes, j'aurais l'honneur
de représenter l'amendement que j'avais déjà présenté.
Je sais, messieurs, que, si nous avions voulu suivre
une marche logique, nous aurions dû vous proposer l'abrogation du
Concordat avant de vous proposer la suppression du budget des cultes; mais
vous devez tenir compte de ce que nous ne sommes pas maîtres de la
procédure à suivre devant la Chambre.
Il y a deux ans que M. Boysset, en son nom et au
nôtre, a déposé sur le bureau de la Chambre une proposition
tendant à abroger le Concordat. Qu'est devenue cette proposition
? Je n'en sait absolument rien pour ma part; mais il y a une chose que
je sais bien : c'est qu'il n'y a aucune chance qu'elle soit discutée
en temps utile devant la Chambre actuelle.
Dans trois ou quatre mois, ceux qui auront l'honneur
de faire partie de la Chambre nouvelle seront obligés de prendre
cette procédure depuis A, pour la continuer plus utilement que nous,
je l'espère, jusqu'à Z. Aujourd'hui, il ne nous reste d'autre
manière de procéder que celle que je suis en ce moment, c'est-à-dire
de vous proposer de refuser tous les crédits demandés par
le Gouvernement pour le service des cultes.
Sans doute, au point de vue diplomatique, je comprends
parfaitement que le Gouvernement aimerait mieux que la. Chambre décidât
d'abord de ce qu'elle veut faire quant au Concordat; ce serait la manière
logique, raisonnable, de procéder; mais vous n'avez aucun reproche
à nous faire si nous ne le faisons pas, puisque cette voie nous
est interdite par ce fait que la commission a réussi à ne
pas rapporter devant la Chambre le projet dont nous l'avions saisie.
Cela. ne dépend donc pas de nous, si nous
ne pouvons discuter la. question du Concordat avant celle du budget des
cultes. Nous n'avons pas le choix, et nous prenons la seule voie qui nous
soit laissée, faute de pouvoir en prendre une meilleure.
D'un autre côté, je crois me rappeler
que M. le président du conseil nous a dit, il n'y a pas bien longtemps,
qu'il ne demandait pas mieux que d'avoir une discussion, je ne dirai pas
solennelle; mais, selon son expression, une discussion platonique...
Un membre à droite. Académique
!
...sur la séparation de l'Église et de l'État.
Je vous avoue que je n'ai pas beaucoup de goût
pour les discussions platoniques, et je tâcherai de réduire
ma discussion à ses termes les plus simples et de la rendre aussi
brève que possible, sans oublier cependant les points sur lesquels
il est de mon devoir d'insister.
M. le président du conseil disait, il y a
quelques jours, qu'il était opposé à la révision
de la Constitution, parce que la révision amènerait la division.
J'en suis bien fâché pour M. le président du conseil,
mais il ne dépend pas plus de lui que de nous de décider
ce que fera le pays: s'il adoptera ou s'il n'adoptera pas une politique
révisionniste. Mais ce que je puis dire ici, dès maintenant,
c'est que, quant à moi, je suis absolument pour cette politique
révisionniste, et que c'est en vain qu'on cherchera à couper
cette queue révolutionnaire dont je suis; on ne la coupera pas,
parce qu'elle est comme l'hydre de Lerne, à laquelle
Je reprocherais volontiers à M. le président
du conseil de n'a voir pas donné assez d'attention à un certain
aspect de la question. Il pourrait arriver,....., qu'un jour, lorsque nous
reproduirons devant vous cette motion annuelle du refus du budget des cultes,
nous fussions par hasard en majorité ; ou plutôt, non ! par
par hasard, mais parce que le pays l'aurait voulu.
Et je crois que ceux qui ont l'oreille fine, et
qui ne sont pas sourds volontaires, peuvent entendre déjà
la voix du pays et savoir que le pays désire la suppression du budget
des cultes.
A droite. Allons donc !
Plusieurs membres à gauche.
Mais oui !
Eh bien, cela, malgré la coalition involontaire,
je le veux, mais très réelle, du ministère avec la
droite... (Rumeurs à droite) sur cette question religieuse,
il peut arriver qu'un jour nous ayons la majorité pour refuser au
ministère les crédits qu'il demande pour le service des cultes,
et je me permets de faire observer au ministère qu'il se trouverait
alors fort embarrassé.
Oui, ces choses-là peuvent arriver. Ainsi,
la Chambre a refusé je ne sais combien de fois l'amnistie,
(Pour les communards) et il s'est trouvé
que, du soir au lendemain, cette question est imposée à tout
le monde et que le ministère lui-même a été
forcé de se rendre à ce désir du public; il pourrait
arriver également qu'il se trouvât un jour en présence
d'une volonté populaire assez énergique pour exiger à
la fois et l'abrogation du Concordat et la suppression du budget des cultes.
J'appelle l'attention de MM. les ministres sur cette
question, parce que je ne crois pas qu'ils veuillent être jetés
par surprise dans une position difficile, à laquelle ils n'auraient
pas pensé.
Or, je crois pouvoir leur affirmer que cette possibilité
n'est pas très éloignée; qu'un jour ou l'autre, elle
se réalisera, et MM. les ministres doivent songer aux moyens qu'il
leur faudra employer pour faire face aux difficultés qu'elle leur
créera.
M. Georges Perin. Très bien ! très bien!
M. Talandier. M, le président du conseil ne veut pas de
révision, pas de division; cela est bientôt dit, on comprend
que ceux qui sont au ministère ne veuillent pas de division, (Très
bien! et rires à droite,)
Messieurs, je suis très fâché
de ne pas avoir la forte voix de mon ami M. Nadaud; si je l'avais, il y
a longtemps que j'aurais forcé la Chambre à m'entendre; mais,
comme je ne l'ai pas, je suis obligé d'en appeler à l'attention
de mes collègues.
.........
Je dis donc que, dans cette question du budget
des cultes, nous nous trouvons profondément divisés, et que
nous ne pouvons pas ne pas être divisés.
Un membre au centre. Heureusement !
En effet, il y a deux vérités, l'une
celle d'hier, et l'autre, celle de demain, qui se disputent le gouvernement
du monde. Ces deux vérités sont celles au nom desquelles
parle, d'une part, l'Église, et, de l'autre, la Révolution
française.
Il n'est pas possible d'être tout à
la fois pour l'Église et pour 1a Révolution française.
(Très bien! très bien ! sur divers bancs à droite
et à gauche.)
Il faut que vous fassiez votre choix! Le mien est
fait: je vous invite à faire le vôtre; mais il n'est pas possible
de rester entre les deux; il n'y a pas de moyen terme: il faut que vous
soyez pour l'une ou pour l'autre.
Je sais bien qu'il existe une erreur, qui consiste
à croire qu'il y a une différence entre la religion et le
catholicisme. M. le président du conseil est venu nous dire à
celte tribune qu'il avait attaqué le cléricalisme, mais que
jamais il n'avait attaqué la religion. En bien, je prétends
que c'est une pure imagination que de croire qu'on peut attaquer le cléricalisme,
sans attaquer la religion. (Très bien ! très bien ! à
droite et sur divers bancs à gauche.)
Le cléricalisme et la religion ne
se sont jamais montrés en dissentiments l'un envers l'autre, la
religion est identique à elle même, toujours et partout, et,
si vous en voulez une preuve, je la prendrai dans les écrits de
l'homme qui a été le père de l'Église gallicane,
de Bossuet.
Voici ce que Bossuet disait, lorsqu'il eut appris
l'anéantissement da 466 villages des Cévennes :
Il applaudissait; il appelait cette destruction
" le plus bel usage de l'autorité! " il canonisait l'auteur de ces
férocités:
" Poussons jusqu'au ciel nos acclamations et disons
à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Charlemagne ce que
les six cents pères de l'Église disaient autrefois dans le
concile de Chalcédoine: Vous avez affermi 1a foi, vous avez exterminé
les hérétiques ; c'est le plus digne ouvrage de votre règne
! "
Voilà comment ont parlé tous les hommes
religieux, qu'ils fussent de l'Église gallicane ou de l'Église
ultramontaine. Bossuet ne parle pas autrement que les autres, et il ne
pouvait pas parler autrement que les autres.
La lutte est entre cette l'Église, qu'elle
soit inspirée par Bossuet ou par Pie IX, et 1a Révolution.
Pour nous, nous acceptons cette lutte, et nous l'acceptons, d'abord parce
que nous tommes forcés de l'accepter , mais, n'y fussions-nous pas
forcés, nous l'accepterions encore avec joie, parce que nous sommes
convaincus aussi bien que les croyants que les hommes de foi, que nous
avons la vérité et la force de faire triompher cette vérité.
(Très bien ! à gauche.)
Mais est-ce que les partisans sincères de
l'Église ont jamais nié cette situation? Je vous demanderai
la permission de vous citer encore quelques lignes extraites d'un journal
que
vous reconnaîtrez certainement pour un journal religieux, l'Univers.
" Aujourd'hui, la Révolution à laquelle
appartiennent également radicaux et républicains... " Vous
voyez, l'Univers ne distingue pas entre le président du conseil
républicain et les intransigeants, les membres de l'extrême
gauche; elle les met tous dans un même sac!
Je reprends :
" Aujourd'hui, la Révolution, à laquelle
appartiennent également radicaux et républicains, est maîtresse
des affaires. Elle domine les gouvernements et les lois, et la société
moderne est faite à son image. Monarchies ou républiques,
il n'y a plus guère en Europe que des régimes imbus de l'esprit
révolutionnaire. Une seule force s'oppose encore à la domination
universelle de la Révolution dans le monde : C'est l'Église,
dont la mission est de régner sur les peuples comme sur les individus.
La lutte est donc entre l'Église et 1a Révolution; et c'est
là la question du moment, qui est aussi la grande question
de l'avenir.
Eh bien, messieurs, cela est parfaitement vrai,
cela est dil dans un sentiment assurément très opposé
à celui que je partage, mais c'est l'expression d'un fait réel
et à 1a réalité duquel vous ne pouvez vous soustraire
La lutte est entre l'Église et la Révolution, il faut être
pour l'une ou pour l'autre.
Même les philosophes les plus modérés,
les auteurs, par exemple, de la Revue philosophique, disaient, il y a quelque
temps sur cette même question :
" Nous tenons, quant à nous, que la France
républicaine ne doit plus se considérer ni se laisser considérer
comme la fille aînée de l'Église; qu'elle doit cesser,
aussi bien dans la politique extérieure que dans la politique intérieure;
d'être ce qu'on appelle une puissance catholique. Nous tenons qu'il
y a autant de patriotisme que de sagesse à répudier des traditions
qui, en lui imposant de représenter et de défendre au dehors
les intérêts catholiques, ont pu motiver l'injuste et funeste
expédition de Rome.
"Au-dessus des légitimités historiques,
des ambitions d'empires et de nationalités, des odieux et cruels
antagonismes de sectes et de races, s'élèvent, lumineux et
pacificateurs, les grands principes de la Révolution française
: l'indépendance des peuples, la liberté de conscience, la
souveraineté de la raison humaine et du droit inhérent à
la personne humaine.
" Voilà les causes qui doivent être
chères à la France moderne : ce sont les seules auxquelles
soit dû, -dans la mesure où elle peut le donner. -le concours
de ses efforts et de ses sacrifices, les seules où il nous soit
possible de voir le secret de sa grandeur morale. "
Je tiens l'expression de cette idée pour
l'expression parfaitement exacte de la vérité moderne, et
je crois que ceux qui s'écartent du respect de la: Révolution
française, qu'ils le veuillent ou non, sont, à leur insu
ou non, traîtres à cette Révolution. Il n'est plus
possible de venir nous dire qu'on veut un clergé national en 1881
: c'est donc un nouveau protestantisme que vous voulez, après Luther,
après Calvin, un nouveau protestantisme après 89 et 93, après
Saint-Simon et Fourier, après Pierre Leroux et Proudhon ? Il y a
de quoi faire éclater de rire le monde entier, ce n'est pas une
idée de notre temps, c'est une idée vieille de plusieurs
siècles, et lorsque le protestantisme n'a pas pu réussir
en France au temps où il comptait dans ce pays des partisans dévoués
jusqu'à la mort, est-ce que vous pouvez croire qu'un nouveau protestantisme
puisse réussir en France à l'heure qu'il est? Mais c'est
de toutes les utopies la plus insensée et 1a plus irréalisable
!
On nous dit: Le catholicisme est la religion de
la majorité des Français, et, à ce titre, il mérite
d'être entretenu, il mérite d'être conservé,
d'être choyé par nous.
Quelle preuve nous a-t-on jamais donnée que
le catholicisme est la. religion de la majorité des Français?
M. Jules Simon, qui certainement mérite d'être
cité en pareille matière, disait à la séance
du 3 mai 1877 :
" Je sais très bien que les catholiques composent
l'immense majorité de la. population. Je ne nie pas l'évidence
; je ne commettrai pas l'inconvenance de rechercher si tous ceux qui sont
recensés comme catholiques sont réellement des catholiques
croyants; ce n'est pas de cela qu'il s'agit. "
Je demande la permission de soutenir que c'est exactement
de quoi il s'agit, et je commettrai cette inconvenance de dire à
ceux qui veulent une église gallicane ou autre: Etesvous des
fidèles croyants et pratiquants de cette église? S'ils ne
le sont pas, je me permettrai de taxer de fausse cette idée par
laquelle on prétend que le catholicisme est la. religion de la majorité
des Français.
Je nie que cela soit, je prétends que c'est
par des supercheries comme celle qui s'est pratiquée dernièrement
au lit du malheureux philosophe Littré qu'on arrive à dire
que c'est la religion de la majorité des Français.
Non, le catholicisme n'est que la religion des catholiques
et non des philosophes et des républicains, c'est-à-dire
de la majorité des Français, qui se compose évidemment
de gens qui partagent les doctrines de la philosophie et de la Révolution
française; je taxe donc cette affirmation de fausseté complète.
Mais je ne me contenterai pas de cela, et, si j'ai
l'honneur d'appartenir à la Chambre prochaine, comme je l'espère,
et si j'ai trois mois devant moi pour arriver à une délibération,
je soumettrai à la Chambre future le projet d'une statistique religieuse.
(Exclamations
et rires ironiques à droite.)
Messieurs, vous ne savez pas ce que je veux dire,
et je vous demande la permission d'exprimer ma pensée. Ne riez pas
comme des gens qui rient devant un mur derrière lequel il se passe
quelque chose qu'ils ne voient pas (Sourires); autrement, je serais
obligé d'employer, pour caractériser ce rire, une expression
qui ne serait peut-être pas parlementaire.
Je disais donc que je demanderais une statistique
religieuse des opinions; et pour qu'elle soit sérieuse, il faudra
dresser celle, non des croyants, mais des pratiquants... (Interruptions
à droite), celle de ceux qui s'approchent au moins une fois
par an de la Sainte Table, monsieur l'évêque d'Angers...
(Nouvelles interruptions à droite); je serais plus sévère
que vous, car je ne tiens pas pour catholiques ceux qui se bornent à
fréquenter l'église par respect de certaines prétendues
convenances, ou qui n'y vont que pour rire de ceux qui pratiquent. Ce serait
un spectacle, je ne dirai pas réjouissant, mais essentiellement
curieux, de voir, d'un côté, le Président de la République
française, accompagné de M. Ferry, de M. Barthélemy
Saint-Hilaire, etc., s'approcher de la table de communion, lorsque, d'un
autre côté, on verrait M. Gambetta, suivi de MM.Cazot, Constans,
Farre, etc. Ce serait assurément un spectacle digne d'être
contemplé; il me ferait la peine la plus vive; mais, à cause
de sa curiosité, il mériterait d'être vu.
Or, tant que vous ne verrez pas ce spectacle, j'ai
le droit de dire ce que le Gouvernement de la République française
est un gouvernement laïque et révolutionnaire et qu'il doit
rester fidèle aux principes qui sont ceux de la. Révolution
française et non ceux du Concordat.
M. Freppel. Vous voulez faire de l'inquisition laïque et révolutionnaire ! (Très bien! à droite.- Bruit et rumeurs sur d'aUtres bancs.)
M. Talandier. Alors, monsieur l'évêque, il faut
aller communier en cachette. (Exclamations.)
.....................
J'éprouve, ..., le plus vif plaisir à
entendre dire que c'est là faire de l'inquisition.
Si jamais vous n'avez à subir d'autres inquisition,
vous n'aurez guère le droit de parler des rigueurs de la révolution
française envers les catholiques. Mais jusque-là ...(Interruptions
et bruit.)
..............
Je n'espère pas que jamais ce spectacle
étonnant, sinon touchant, me soit donné ! Je crois que ceux
dont je parle n'iront jamais à l'église, ne communieront
pas le jour de Pâques et resteront fidèles à l'opinion
non-seulement de leur jeunesse, mais à celle de toute leur vie.
Je n'aurai donc jamais le plaisir que je me promettais tout à l'heure;
mais, en revanche, je voudrais avoir le plaisir de voir une Chambre fidèle
à l'opinion de la Révolution française contre le catholicisme
et l'Église catholique, et se joignant à moi pour refuser
le budget des cultes, ou du moins pour ne pas le demander.
Quant à voter ce budget, nous ne pouvons
le faire: nous avons une conscience aussi, nous autres libres-penseurs
et vils parpaillots; notre conscience ne nous permet pas de voter des fonds
quelconques pour l'entretien d'aucune espèce d'Église, qu'elle
soit catholique ou protestante, italienne ou gallicane. Nous avons nous
aussi notre non possumus, et quand vous venez nous demander ces
choses, nous ne pouvons vous répondre que par notre non possumus,
c'est moralement impossible. Nous commettrions une vilenie, une lâcheté,
et nous ne le ferons jamais: nous attendrons, patients dans notre conviction
et dans notre force, que l'opinion du pays se soit manifesté d'une
façon assez claire et assez impérative pour qu'il n'y ait
personne dans le parti républicain qui ose nous demander de voter
le budget des cultes.
Voix à gauche. Très bien !
Je sais bien que le cœur vous fault dans la
poitrine à la pensée que cela peut atteindre quelques vieux
curés, quelques desservants pauvres, etc.; mais, gens de peu de
foi ! n'avez-vous donc jamais lu le Figaro? (Rires.)
M. Freppel. Jamais !
M. Talandier. Si vous lisez le Figaro, vous devez
vous souvenir qu'il y a quelques années, lorsque le conseil municipal
de Paris, conseil d'incrédules, il est vrai, refusa certains crédits
pour les établissements religieux de la capitale, le Figaro
se hâta d'ouvrir une souscription dont le succès dépassa
toutes les espérances.
Eh bien, cela. doit vous rassurer! Je suppose que
nous arrivions un jour à refuser le budget des cultes, le Figaro
ouvrira une souscription, et les belles dames, et les messieurs qui font
des annonces libidineuses dans ses colonnes, s'associeront pour souscrire;
l'Univers, la Défense, l'Union, le Gaulois,
et une foule de journaux plus religieux les uns que les autres s'associeront
au Figaro, et bientôt on verra tomber dans l'escarcelle, le
gros sou du pauvre avec le fier louis d'or du riche, et ainsi vous verrez
se recomposer le budget que vous nous demandez de voter, et que nous sommes
obligés de vous refuser. Lorsque ce jour arrivera, nous serons forcés
de dévorer notre honte, d'aller dans quelque coin gémir sur
le malheur de M. le ministre des finances, obligé de trouver inopinément
un emploi utile pour cinquante et quelques millions tombés subitement
dans ses coffres. (Approbation sur plusieurs bancs à gauche.)
........
M. Édouard Lockroy. Messieurs,
je suis étonné, je l'avoue, après que le Gouvernement
nous a conviés lui-même à une discussion approfondie
du budget des cultes, que pas un ministre ne se lève pour répondre
à l'honorable M. Talandier.
(Marques d'approbation sur plusieurs
bancs à gauche.)
M. Georges Perin. Et M. le président du conseil?..
M. Édouard Lockroy. Il faut croire que l'on nous provoquait
à cette discussion alors que l'on croyait qu'elle ne pouvait venir,
et que lorsqu'elle s'ouvre on est bien aise de trouver un prétexte
pour s'y dérober.
..................
Pour ma part, messieurs, je suis décidé
à la soulever devant vous; je crois qu'en ce moment surtout il est
nécessaire qu'elle vienne; il est nécessaire qu'elle soit
soulevée dans cette Chambre. (Très bien ! très
bien ! à gauche.)
Comme le disait tout à l'heure mon honorable
collègue M. Talandier, lorsque nous venons vous demander la suppression
du budget des cultes, nous vous demandons en même temps la dénonciation
du Concordat et la séparation de l'État et de l'Église.
Cette question de la séparation de l'État
et de l'Église, messieurs, nous la retrouvons toutes les fois que
nous agitons ici une question grave, une question importante. Nous la retrouvons
alors que nous discutons les lois militaires et que nous voulons envoyer
sous les drapeaux les élèves séminaristes; nous la
retrouvons à propos des lois d'enseignement quand nous voulons supprimer
du programme de l'enseignement primaire l'instruction religieuse; nous
la. retrouvons enfin, comme aujourd'hui, lorsque nous agitons les questions
budgétaires.
Et toutes les fois qu'elle se présente à
nous, un membre du Gouvernement monte à la tribune pour faire ce
que je me permettrai d'appeler une déclaration d'impuissance, c'est-à-dire
pour nous déclarer que dans l'état présent des choses,
le Gouvernement ne saurait exister sans l'Église, qu'il a besoin
de l'appui, je dirai presque de 1a protection de l'Église ...
(Très bien ! sur plusieurs bancs, -Rumeurs sur un grand nombre
d'autres.), que s'il y a une loi qui doit nous être sacrée,
à laquelle nous ne pouvons pas toucher, c'est la loi concordataire,
et que le jour où nous y toucherions, où nous aurions assez
peu d'esprit politique pour porter la main sur cette arche sainte, nous
précipiterions la France dans le désordre moral et dans l'anarchie
religieuse. (Marques d'approbation à gauche.)
Il faudrait aller au fond de cette théorie
et de cette argumentation; il faudrait savoir si ,véritablement
le Concordat, quand il a été promulgué, a donné
la paix et la liberté religieuse à ce pays; il faudrait savoir
quelles ont été les conséquences du Concordat et ce
qu'il nous offre aujourd'hui de garanties contre la cour de Rome et contre
les empiétements de l'Église catholique.
Pour notre part, messieurs, nous sommes loin
d'être de l'avis du ministre; nous croyons que non-seulement l'État
pourrait vivre sans l'Église, mais nous pensons que l'État
ne peut plus vivre avec l'Église, qu'il ne peut plus protéger
l'Église. (Très bien ! sur plusieurs bancs à gauche.)
Nous considérons le Concordat comme une loi
néfaste, néfaste en elle-même, néfaste en ses
conséquences, comme une loi qui est la source et l'origine de la
plupart des difficultés et des embarras que nous trouvons aujourd'hui
sur notre route. (Assentiment à gauche.)
Messieurs, il s'est fait une légende autour
du Concordat, et peut-être serait-il bon d'y substituer une bonne
fois l'histoire. Non, il n'est pas exact, non, il n'est pas vrai que le
Concordat ait donné la paix religieuse à ce pays, non, car
c'est au contraire, lorsque le Concordat a été promulgué,
que ce pays allait arriver à la pleine possession de la liberté
de conscience...
M. Charles Floquet. Il l'avait!
M. Édouard Lockroy. Tous les grands orages de la Révolution
étaient passés; la Vendée était pacifiée,
la grande querelle élevée entre les prêtres assermentés
et les prêtres inassermentés s'était éteinte;
les prêtres inassermentés tenaient de la bienveillance et
on peut dire de la sagesse du gouvernement d'alors, de pouvoir substituer
au serment prêté à la Constitution une simple promesse
d'obéir aux lois; et moyennant cette promesse, ils pouvaient remplir
en paix leur ministère. Aussi le nombre des prêtres inassermentés
diminuait- il tous les jours, et la France était véritablement,
comme le disait tout à l'heure mon éloquent collègue
M. Floquet, en pleine possession de la liberté religieuse.
C'est alors que vint à la pensée d'un
homme qui était au comble de de la puissance et de la gloire, de
l'homme qui venait de signer la paix d'Amiens, qui avait imposé
la paix à l'Europe et qui l'avait donné à son pays,
il vint, dis-je, à la pensé de cet homme, une double ambition
: d'abord, de ressusciter l'ancienne monarchie et de la ressusciter à
son profit, et, pour mieux arriver à son but, de restaurer le culte
catholique.
Mais cette pensée lui vint à lui seul
et il se heurta. à l'hostilité de son entourage et à
l'indifférence du pays tout entier.
Et cette indifférence profonde du pays tout
entier pour le rétablissement du culte catholique, nous en trouvons
la preuve toute les fois que nous feuilletons l'histoire. Nous en trouvons
la. preuve dans les résistances que cet homme rencontra dans tous
les corps constitués, dans l'armée, dans sa famille elle-même;
nous en trouvons la preuve dans les conditions excessivement dures, exceptionnelles
qu'il eut le pouvoir d'imposer à l'Église catholique.
Il fallait, en effet, que le pays fût bien
indifférent, il fallait qu'il n'y eût aucune passion religieuse
pour que le premier consul pût exiger de la cour de Rome et la. reconstitution
des diocèses, et la démission de tous les évêques;
pour qu'enfin il pût exiger que l'on prit douze évêques
parmi les prêtres constitutionnels, c'est-à-dire parmi ceux
qui avaient rompu ouvertement avec la. cour de Rome et qui avaient suivi
le grand mouvement de la Révolution française.
La preuve de celle indifférence, nous la
retrouvons dans les luttes du premier consul avec le Tribunat, avec le
Corps législatif, avec sa famille, avec tous les hommes de son entourage,
même les plus modérés, comme par exemple Roederer,
avec ceux qui étaient le plus attachés aux institutions anciennes.
Nous la retrouvons dans ses luttes avec le conseil
d'État, et vous n'avez pas oublié cette séance si
curieuse, si extraordinaire où Bonaparte expose pour la première
fois ses visées au conseil d'État, et où, pour la
première fois, peut-être l'unique fois de sa vie, il ne reçoit
de ce corps ni un bravo, ni même une marque d'approbation. La preuve,
nous la retrouvons dans cette démarche que fit Augereau auprès
du général Bonaparte au nom de ses anciens compagnons d'armes
des armées du Rhin et d'Italie, non pour le prier, mais pour le
sommer de renoncer à ses projets !
La preuve, elle est encore dans ce mot admirable
du général Delmas, parlant au premier consul de la cérémonie
qui devait avoir lieu quelques jours plus tard à Notre-Dame: " Oui,
dit-il, il manquera à cette cérémonie quelque chose;
il y manquera le million d'hommes qui s'est fait tuer pour que 1a France
ne revoie pas un pareil spectacle ! (Applaudissements à gauche.)
Vous en trouverez encore la preuve dans la cérémonie
qui eut lieu dans l'église métropolitaine de Paris le jour
du rétablissement du culte ; dans l'attitude des généraux
qui étaient là, ricanant, riant et interrompant par leurs
ironies le service divin ; dans la tenue des femmes de la cour du premier
consul, qui étaient venues à cette fête religieuse
parées comme pour un bal, les bras nus, décolletées
et qui chuchotaient derrière leurs éventails ...
.....
.... dans la colère visible des corps constitués
qui étaient là taciturnes et humiliés; dans l'attitude
de Bonaparte, seul devant le maître autel, dominant tout ce monde
officiel, obligé de lui imposer silence, de se retourner de temps
en temps, de le contenir du regard et du geste; car il lui fallait toute
son autorité morale pour imposer à cette foule le silence
et le respect.
Hors de l'église, sur la place, enfin, le
peuple, ce peuple qui avait vu les grandes scènes de la Révolution
et de la Convention, qui ne comprenait plus cette religion, qui en avait
oublié les mystères, qui considérait tout cela plutôt
comme une représentation théâtrale que comme une cérémonie
religieuse, à qui ces prêtres en surplis et coiffés
de la mitre apparaissaient comme des revenants, et qui témoignait,
non pas son enthousiasme, mais son inquiétude et son anxiété
profondes. (Très bien ! à gauche.)
Il avait raison; car savez-vous ce que signifiait
cette cérémonie? C'était, en réalité,
la France du passé qui ressuscitait; c'était la monarchie
et le cléricalisme qui allaient s'emparer encore une fois de la
France, remettre la main sur elle et la conduire, de chute en chute, de
révolution en révolution, d'invasion en invasion, jusqu'à
la catastrophe finale où elle devait laisser ses provinces et subir
l'humiliation 1a plus affreuse qu'elle ait jamais subie dans l'histoire,
(Très
bien ! à gauche,)
A partir du jour où le Concordat est signé,
vous voyez en effet l'Église arguant précisément de
la protection que lui a accordée l'État pour se glisser dans
les conseils du pouvoir, pour remettre la main sur la législation
et sur l'instruction publique, pour former toute une génération
d'hommes, pour s'emparer de toutes nos administrations publiques, et, dans
l'ombre, dans le mystère, sans que le peuple vit le danger, sans
que le gouvernement lui-même l'aperçût, pour reprendre
une à une toutes les conquêtes de la Révolution française.
Et puis. enfin, il est venu un jour où, éclairée
par le malheur, la France a voulu rentrer en possession d'elle-même,
où elle a voulu substituer la. forme républicaine à
la forme monarchique, faire de profondes réformes à son organisation
politique et sociale. Et alors qu'est-ce qu'elle a trouvé devant
elle? Elle a trouvé l'Église, toujours armée du Concordat,
- l'Église, qui a rallié autour d'elle les anciens partis;
l'Église, qui les a conduits à la bataille et à l'assaut;
l'Église, qui a chanté des Te Deum à toutes
les délaites de la nation .... (Murmures à droite.)
M. Freppel. C'est odieux !
M. Édouard Lockroy. .... qui a trouvé des prières
pour tous les conspirateurs.
..........
M. Clémenceau. Vous
ne niez pas que vous avez chanté des Te deum au 2 décembre
........
M. Cuneo d'Ornano. On a béni
les arbres de la liberté, cela fait compensation !
..........
M. Édouard Lockroy. Je disais que la nation, qui voulait
la République, a trouvé continuellement l'Église devant
elle. Vous savez de quelle façon la nation a triomphé, comment
nous sommes venus à bout des anciens partis.
Et aujourd'hui que nous sommes maîtres de
nous-mêmes, aujourd'hui que nous voulons enfin faire du Gouvernement
de la république un gouvernement vraiment républicain, que
trouvons-nous devant nous ? Encore l'Église, l'Église toujours
armée du Concordat !
Si nous voulons appliquer ce grand principe républicain
de l'égalité de tous les citoyens devant la loi; si nous
voulons que, sans distinction de classes, à quelque rang de la société
qu'ils appartiennent, tous les Français aillent servir la patrie
sous les drapeaux, nous trouvons l'Église, qui, au nom du Concordat,
nous demande de faire une exception en faveur de ses élèves
séminaristes et des prêtres; et nous sommes obligés
de lui accorder cette exception.
Voulons-nous appliquer le principe républicain
de l'indifférence de l'État en matière religieuse,
ou plutôt voulons-nous que l'État cesse enfin d'intervenir
en matière de dogmes? voulons-nous créer l'école véritablement
neutre et laïque? nous trouvons encore l'Église, qui, armée
du Concordat, soit ici, soit au Sénat, ici vient nous demander d'enlever
un jour de la semaine au travail pour le donner à l'instruction
religieuse; au Sénat, vient nous demander une partie des enfants
qu'elle enlève à l'instruction de l'État et à
ses écoles!
Et maintenant, si nous recherchons dans le budget
des ressources pour alléger les charges fiscales qui pèsent
si lourdement sur les populations des des villes et des campagnes, si nous
recherchons des ressources pour la création d'institutions utiles,
comme par exemple la création, demandée par M. Martin Nadaud,
de caisse de retraite pour les ouvriers, qui, en travaillant pour leur
industrie, ont travaillé pour la prospérité nationale
; si, dans ce but, nous voulons aliéner une partie inutile du domaine
de l'État, nous retrouvons encore l'Église qui, armée
d'ordonnances royales, de décrets, de lois ayant leur source dans
le Concordat, vient nous signifier que nous ne pouvons toucher aux 67 millions
d'immeubles qu'elle occupe .....
.....
Si, maintenant, nous retournant d'un autre côté,
nous cherchons des ressources budgétaires, nous retrouvons encore
l'Église, qui, comme aujourd'hui, vient exiger les 43 millions qu'en
vertu du Concordat l'État doit donner pour l'entretien du clergé.
Vous êtes donc liés envers l'Église,
vous avez contracté envers elle des engagements que vous remplissez,
tandis que l'Église, au contraire, ne remplit plus les engagements
qu'elle a pris envers vous. (Applaudissements à gauche.)
Et voilà ce qui fait une situation si étrange
et si particulière et ce qui différencie si profondément
cette situation de celle de tons les gouvernements qui ont précédé
le nôtre.
Tous les gouvernements qui ont successivement régné
sur la France, le gouvernement de Napoléon 1er aussi bien que le
gouvernement de Louis XIV, aussi bien que celui de François 1er,
celui de Charles VII et même celui de saint Louis, ont cru devoir
prendre des garanties contre les empiétements de l'Église
de Rome. Ces garanties forment la base de ce qu'on a appelé les
libertés de l'Église gallicane. Elles reposent sur les deux
grands principes proclamés dans le concile de Constance : le premier,
que l'Église du Christ, qui a toute autorité dans le domaine
spirituel, ne doit point intervenir dans le règlement des choses
temporelles; le second, c'est que, au-dessus de la puissance des papes,
au-dessus de l'autorité des papes, il y a l'autorité de l'Église,
représentée par les conciles. Et cela va à ce point
que, dans les sessions quatrième et cinquième, il est dit
que le pape peut être poursuivi, jugé et condamné par
l'Église.
Ces grands principes furent repris, plus tard, par
le concile de Bâle, par l'assemblée de Bourges, sous Charles
VII, assemblée qui ressemblait aux États généraux
et où étaient représentés le clergé
et la noblesse, principes qui reparaissent encore dans le Concordat de
François 1er, et qui ont enfin formé les bases de la déclaration
de 1682: la déclaration de Bossuet.
Ils ont reparu dans le Concordat; qu'est-ce que
je dis? ils ont formé, à leur tour, la base du Concordat.
Bonaparte les a, en outre, inscrites dans toutes les lois qui vinrent s'adjoindre
au Concordat, telles que les lois sur les bourses des séminaires,
les décrets sur l'instruction publique, etc.; tant il est vrai que
tous les Gouvernements ont cru devoir prendre les mêmes garanties
contre les empiétements de l'Église de Rome !
Assurément, vous pouvez dire et prétendre
que votre Gouvernement est fort, que votre Gouvernement est aussi fort
que l'ont jamais été ceux de Louis XIV et de Napoléon
1er. Je vous l'accorde. Mais, assurément, il ne l'est pas davantage;
or, quand ces gouvernements ont cru devoir prendre des garanties contre
l'Église, je me demande en vertu de quoi et comment vous croyez
pouvoir vous en passer.
Et vous savez bien que l'Église ne vous offre
plus les garanties qu'elle donnait aux gouvernements précédents.
J'ai été fort étonné
d'entendre dire par M. le président du conseil, répondant
à cet argument : Mais c'est précisément parce que
l'Église a changé profondément son dogme, parce que
l'Église a remplacé cette sorte de république chrétienne
qu'elle était autrefois par une autorité césarienne,
c'est précisément parce qu'elle est devenue très indépendante
et très redoutable, c'est parce que la grande révolution
qui eu lieu en 187O, au concile, a profondément changé et
ses dogmes et ses doctrines que je tiens à conserver le Concordat,
c'est-à-dire un contrat en bonne et due forme qui la lie et qui
l'empêche d'empiéter sur l'autorité du Gouvernement.
Eh bien, je demande : ce contrat en bonne et due
forme, ce concordat qu'est-il donc devenu aujourd'hui ? M. le ministre
répondait à la question par la question. Ce concordat a été
passé avec une personne qui n'existe plus aujourd'hui ..... (Marques
d'assentiment sur plusieurs bancs à gauche.) et qui par
conséquent ne peut plus nous offrir aucune espèce de garantie.
Et cela est si vrai , messieurs, que je mets au défi les membres
du Gouvernements et M. le ministre des cultes, ici présent, de faire
appliquer les articles organiques du Concordat ; je les mets au défi
de faire appliquer dans les séminaires et les écoles ecclésiastiques
l'article 26 des articles organiques, qui porte qu'on enseignera la déclaration
de 1682.
Et en effet, messieurs, cela est si impossible que,
si vous vouliez appliquer les principes de la déclaration de 1682,
savez-vous ce qu'il vous faudrait faire ? Il faudrait reconstituer l'ancienne
Église, créer une Église nationale, et, plus encore,
il vous faudrait faire un schisme; il faudrait que M. le Président
de Ia République posât la tiare sur son front... (rires
à droite)
................
..qu'il se fit pape, comme le souverain en Angleterre,
comme le tzar de toutes les Russies, comme le sultan des Turcs. (Exclamations
diverses à droite.)
Cela, vous ne le voulez pas, vous ne pouvez pas
le vouloir, parce que vous ne voulez pas intervenir dans les questions
de dogme. Vous l'avez déclaré à la tribune, et, .....,
assurément, vous aviez eu raison, pleinement raison, parce que,
vous, Gouvernement, vous ne pouvez pas vouloir envahir le domaine de la
conscience, dicter des lois aux consciences !
Mais, alors, si vous ne le pouvez pas, si vous ne
le voulez pas, vous devez convenir, avec moi, que le Concordat est périmé
et qu'il est aujourd'hui devenu lettre morte. (Approbation sur plusieurs
bancs à gauche.)
Croyez-moi, messieurs, il n'y a. que deux situations
acceptables pour l'Église et pour l'État: Ou bien l'Église
est subventionnée, ou elle est salariée, comme le disait
M. le président du conseil, et alors, - c'est la pensée de
Napoléon 1er lui-même, pensée qu'on retrouve dans tous
les articles du Concordat, - et alors, dis-je, l'État doit avoir
1a surveillance de l'enseignement théologique et conserver le contrôle
des doctrines religieuses. Car il serait inadmissible qu'on prit l'argent
des contribuables pour subventionner une Église qui prêcherait
le renversement du gouvernement établi par 1a nation et la. révolution
sociale; ou bien, - et c'est là l'autre hypothèse,
l'Église veut la pleine liberté de ses dogmes et de
ses doctrines, et alors elle doit renoncer à la. subvention qu'elle
reçoit de l'État.
Quant au système mixte qui consiste à
obliger l'État à entretenir l'Église alors que l'Église
prêche la révolte contre les lois de l'État, ce système-là
ne saurait entrer dans 1a tête d'un homme politique.
En effet, de deux choses l'une : ou l'État
laisse l'Église se servir de sa subvention pour attaquer la société
et ses lois, et alors il n'y a plus de sécurité pour l'État
; ou l'Église, pour recevoir sa subvention, consent à jeter
un voile sur ses doctrines, à mettre ses dogmes sous le boisseau,
et alors il n'y a plus de dignité pour l'Église.
Vous êtes donc pris dans ce dilemme : ou l'État
menacé, ou l'Église avilie. (Très bien ! très
bien ! à gauche)
J'ajoute que l'Église, selon moi, n'a rien
a gagner à avoir des attaches officielles, et que les prêtres
n'ont rien à gagner à être de simples fonctionnaires.
Les attaches officielles de l'Église, le fonctionnarisme du clergé,
ne sont que des entraves à la liberté des doctrines. Nous
avons eu dans ce pays une religion d'État, une philosophie officielle;
cela n'a été bon ni pour la religion, ni pour la philosophie,
ni pour le pays. La foi perd son caractère respectable, le jour
où elle consent à recevoir un salaire.
J'ajouterai qu'une sorte d'étonnement se
manifeste en présence de ceux qui touchent des émoluments
pour prêcher le renoncement aux biens de ce monde. (Rires à
gauche.) On ne s'habitue pas facilement, messieurs, à voir émarger
au budget, comme de simples employés, les disciples de celui qui
a dit: " Vends ton bien, vends ta maison, et suis-moi quand tu en auras
distribué le prix aux pauvres! " On s'attendrait plutôt à
leur entendre répondre ce que répondait un libre-penseur
illustre à un ministre qui avait fermé son cours : Pecunia
tua tecum sit ! (Très bien ! à gauche.)
Un mot encore, messieurs. Dans son dernier discours,
M. le président du conseil disait deux choses; la première:
Il ne s'agit plus aujourd'hui de retarder les questions, il faut les résoudre
! La. seconde: Si la coalition du 16 mai se reforme et si le clergé
y joue encore un rôle, ce sera nous qui viendrons vous demander ici
la séparation de l'Église et de l'État!
Eh bien, je m'empare de cette seconde déclaration
et je dis qu'il faut que le Gouvernement pense au fond ce que nous pensons
pour que cette grave question de la séparation de l'État
et de l'Église ne lui apparaisse plus que comme une question électorale;
et je m'empare de la première déclaration pour lui dire:
Eh bien, puisque vous voulez résoudre toutes les questions, je vous
demande de résoudre celle-ci dans le sens de la vraie politique,
dans le sens de la. dignité de l'Église et de l'intérêt
de l'État- (Vifs applaudissements à gauche,)
L'amendement sera repoussé par 348 voix contre 83 ....