16 juin : loi sur la gratuité de l'enseignement primaire.
30 juin : Loi sur la liberté des réunions publiques
29 juillet : Loi sur la liberté de la presse
Déroute de la droite aux élections législatives du 21 août et 4 septembre

Chambre des députés
24 juin 1881

.......................
M. le président. Nous passons au budget des cultes.
    M. Talandier a déposé un amendement qui consiste dans la suppression de tous les crédits demandés pour le service des cultes, chapitres 1er à 21.
    M. Talandier a la parole.

M. Talandier. Messieurs, il y a un an, ou un peu moins d'un an, -car c'est l'année passée, au mois de novembre ou de décembre, que nous avons discuté le budget des cultes, j ai eu l'honneur de dire à la Chambre que tous les ans, jusqu'à ce que nous fussions arrivés au succès complet, c'est-à-dire au refus du budget des cultes, j'aurais l'honneur de représenter l'amendement que j'avais déjà présenté.
    Je sais, messieurs, que, si nous avions voulu suivre une marche logique, nous aurions dû vous proposer l'abrogation du Concordat avant de vous proposer la suppression du budget des cultes; mais vous devez tenir compte de ce que nous ne sommes pas maîtres de la procédure à suivre devant la Chambre.
    Il y a deux ans que M. Boysset, en son nom et au nôtre, a déposé sur le bureau de la Chambre une proposition tendant à abroger le Concordat. Qu'est devenue cette proposition ? Je n'en sait absolument rien pour ma part; mais il y a une chose que je sais bien : c'est qu'il n'y a aucune chance qu'elle soit discutée en temps utile devant la Chambre actuelle.
    Dans trois ou quatre mois, ceux qui auront l'honneur de faire partie de la Chambre nouvelle seront obligés de prendre cette procédure depuis A, pour la continuer plus utilement que nous, je l'espère, jusqu'à Z. Aujourd'hui, il ne nous reste d'autre manière de procéder que celle que je suis en ce moment, c'est-à-dire de vous proposer de refuser tous les crédits demandés par le Gouvernement pour le service des cultes.
    Sans doute, au point de vue diplomatique, je comprends parfaitement que le Gouvernement aimerait mieux que la. Chambre décidât d'abord de ce qu'elle veut faire quant au Concordat; ce serait la manière logique, raisonnable, de procéder; mais vous n'avez aucun reproche à nous faire si nous ne le faisons pas, puisque cette voie nous est interdite par ce fait que la commission a réussi à ne pas rapporter devant la Chambre le projet dont nous l'avions saisie.
    Cela. ne dépend donc pas de nous, si nous ne pouvons discuter la. question du Concordat avant celle du budget des cultes. Nous n'avons pas le choix, et nous prenons la seule voie qui nous soit laissée, faute de pouvoir en prendre une meilleure.
    D'un autre côté, je crois me rappeler que M. le président du conseil nous a dit, il n'y a pas bien longtemps, qu'il ne demandait pas mieux que d'avoir une discussion, je ne dirai pas solennelle; mais, selon son expression, une  discussion platonique...
    Un membre à droite. Académique !
 ...sur la séparation de l'Église et de l'État.
    Je vous avoue que je n'ai pas beaucoup de goût pour les discussions platoniques, et je tâcherai de réduire ma discussion à ses termes les plus simples et de la rendre aussi brève que possible, sans oublier cependant les points sur lesquels il est de mon devoir d'insister.
    M. le président du conseil disait, il y a quelques jours, qu'il était opposé à la révision de la Constitution, parce que la révision amènerait la division. J'en suis bien fâché pour M. le président du conseil, mais il ne dépend pas plus de lui que de nous de décider ce que fera le pays: s'il adoptera ou s'il n'adoptera pas une politique révisionniste. Mais ce que je puis dire ici, dès maintenant, c'est que, quant à moi, je suis absolument pour cette politique révisionniste, et que c'est en vain qu'on cherchera à couper cette queue révolutionnaire dont je suis; on ne la coupera pas, parce qu'elle est comme l'hydre de Lerne, à laquelle
    Je reprocherais volontiers à M. le président du conseil de n'a voir pas donné assez d'attention à un certain aspect de la question. Il pourrait arriver,....., qu'un jour, lorsque nous reproduirons devant vous cette motion annuelle du refus du budget des cultes, nous fussions par hasard en majorité ; ou plutôt, non ! par par hasard, mais parce que le pays l'aurait voulu.
    Et je crois que ceux qui ont l'oreille fine, et qui ne sont pas sourds volontaires, peuvent entendre déjà la voix du pays et savoir que le pays désire la suppression du budget des cultes.
    A droite. Allons donc !
    Plusieurs membres à gauche.  Mais oui !
    Eh bien, cela, malgré la coalition involontaire, je le veux, mais très réelle, du ministère avec la droite... (Rumeurs à droite) sur cette question religieuse, il peut arriver qu'un jour nous ayons la majorité pour refuser au ministère les crédits qu'il demande pour le service des cultes, et je me permets de faire observer au ministère qu'il se trouverait alors fort embarrassé.
    Oui, ces choses-là peuvent arriver. Ainsi, la Chambre a refusé je ne sais combien de fois l'amnistie, (Pour les communards) et il s'est trouvé que, du soir au lendemain, cette question est imposée à tout le monde et que le ministère lui-même a été forcé de se rendre à ce désir du public; il pourrait arriver également qu'il se trouvât un jour en présence d'une volonté populaire assez énergique pour exiger à la fois et l'abrogation du Concordat et la suppression du budget des cultes.
    J'appelle l'attention de MM. les ministres sur cette question, parce que je ne crois pas qu'ils veuillent être jetés par surprise dans une position difficile, à laquelle ils n'auraient pas pensé.
    Or, je crois pouvoir leur affirmer que cette possibilité n'est pas très éloignée; qu'un jour ou l'autre, elle se réalisera, et MM. les ministres doivent songer aux moyens qu'il leur faudra employer pour faire face aux difficultés qu'elle leur créera.

M. Georges Perin. Très bien ! très bien!

M. Talandier. M, le président du conseil ne veut pas de révision, pas de division; cela est bientôt dit, on comprend que ceux qui sont au ministère ne veuillent pas de division, (Très bien! et rires à droite,)
    Messieurs, je suis très fâché de ne pas avoir la forte voix de mon ami M. Nadaud; si je l'avais, il y a longtemps que j'aurais forcé la Chambre à m'entendre; mais, comme je ne l'ai pas, je suis obligé d'en appeler à l'attention de mes collègues.
.........
     Je dis donc que, dans cette question du budget des cultes, nous nous trouvons profondément divisés, et que nous ne  pouvons pas ne pas être divisés.
    Un membre au centre. Heureusement !
    En effet, il y a deux vérités, l'une celle d'hier, et l'autre, celle de demain, qui se disputent le gouvernement du monde. Ces deux vérités sont celles au nom desquelles parle, d'une part, l'Église, et, de l'autre, la Révolution française.
    Il n'est pas possible d'être tout à la fois pour l'Église et pour 1a Révolution française. (Très bien! très bien ! sur divers bancs à droite et à gauche.)
    Il faut que vous fassiez votre choix! Le mien est fait: je vous invite à faire le vôtre; mais il n'est pas possible de rester entre les deux; il n'y a pas de moyen terme: il faut que vous soyez pour l'une ou pour l'autre.
    Je sais bien qu'il existe une erreur, qui consiste à croire qu'il y a une différence entre la religion et le catholicisme. M. le président du conseil est venu nous dire à celte tribune qu'il avait attaqué le cléricalisme, mais que jamais il n'avait attaqué la religion. En bien, je prétends que c'est une pure imagination que de croire qu'on peut attaquer le cléricalisme, sans attaquer la religion. (Très bien ! très bien ! à droite et sur divers bancs à gauche.)
    Le cléricalisme et la religion ne se sont jamais montrés en dissentiments l'un envers l'autre, la religion est identique à elle même, toujours et partout, et, si vous en voulez une preuve, je la prendrai dans les écrits de l'homme qui a été le père de l'Église gallicane, de Bossuet.
    Voici ce que Bossuet disait, lorsqu'il eut appris l'anéantissement da 466 villages des Cévennes :
    Il applaudissait; il appelait cette destruction " le plus bel usage de l'autorité! " il canonisait l'auteur de ces férocités:
    " Poussons jusqu'au ciel nos acclamations et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Charlemagne ce que les six cents pères de l'Église disaient autrefois dans le concile de Chalcédoine: Vous avez affermi 1a foi, vous avez exterminé les hérétiques ; c'est le plus digne ouvrage de votre règne ! "
    Voilà comment ont parlé tous les hommes religieux, qu'ils fussent de l'Église gallicane ou de l'Église ultramontaine. Bossuet ne parle pas autrement que les autres, et il ne pouvait pas parler autrement que les autres.
    La lutte est entre cette l'Église, qu'elle soit inspirée par Bossuet ou par Pie IX, et 1a Révolution. Pour nous, nous acceptons cette lutte, et nous l'acceptons, d'abord parce que nous tommes forcés de l'accepter , mais, n'y fussions-nous pas forcés, nous l'accepterions encore avec joie, parce que nous sommes convaincus aussi bien que les croyants que les hommes de foi, que nous avons la vérité et la force de faire triompher cette vérité. (Très bien ! à gauche.)
    Mais est-ce que les partisans sincères de l'Église ont jamais nié cette situation? Je vous demanderai la permission de vous citer encore quelques lignes extraites d'un journal que vous reconnaîtrez certainement pour un journal religieux, l'Univers.
    " Aujourd'hui, la Révolution à laquelle appartiennent également radicaux et républicains... " Vous voyez, l'Univers ne distingue pas entre le président du conseil républicain et les intransigeants, les membres de l'extrême gauche; elle les met tous dans un même sac!
    Je reprends :
    " Aujourd'hui, la Révolution, à laquelle appartiennent également radicaux et républicains, est maîtresse des affaires. Elle domine les gouvernements et les lois, et la société  moderne est faite à son image. Monarchies ou républiques, il n'y a plus guère en Europe que des régimes imbus de l'esprit révolutionnaire. Une seule force s'oppose encore à la domination universelle de la Révolution dans le monde : C'est l'Église, dont la mission est de régner sur les peuples comme sur les individus. La lutte est donc entre l'Église et 1a Révolution; et c'est là la question du  moment, qui est aussi la grande question de l'avenir.
    Eh bien, messieurs, cela est parfaitement vrai, cela est dil dans un sentiment assurément très opposé à celui que je partage, mais c'est l'expression d'un fait réel et à 1a réalité duquel vous ne pouvez vous soustraire  La lutte est entre l'Église et la Révolution, il faut être pour l'une ou pour l'autre.
    Même les philosophes les plus modérés, les auteurs, par exemple, de la Revue philosophique, disaient, il y a quelque temps sur cette même question :
    " Nous tenons, quant à nous, que la France  républicaine ne doit plus se considérer ni se laisser considérer comme la fille aînée de l'Église; qu'elle doit cesser, aussi bien dans la politique extérieure que dans la politique intérieure; d'être ce qu'on appelle une puissance catholique. Nous tenons qu'il y a autant de patriotisme que de sagesse à répudier des traditions qui, en lui imposant de représenter et de défendre au dehors les intérêts catholiques, ont pu motiver l'injuste et funeste expédition de Rome.
    "Au-dessus des légitimités historiques, des ambitions d'empires et de nationalités, des odieux et cruels antagonismes de sectes et de races, s'élèvent, lumineux et pacificateurs, les grands principes de la Révolution française : l'indépendance des peuples, la liberté de conscience, la souveraineté de la raison humaine et du droit inhérent à la personne humaine.
    " Voilà les causes qui doivent être chères à la France moderne : ce sont les seules auxquelles soit dû, -dans la mesure où elle peut le donner. -le concours de ses efforts et de ses sacrifices, les seules où il nous soit possible de voir le secret de sa grandeur morale. "
    Je tiens l'expression de cette idée pour l'expression parfaitement exacte de la vérité moderne, et je crois que ceux qui s'écartent du respect de la: Révolution française, qu'ils le veuillent ou non, sont, à leur insu ou non, traîtres à cette Révolution. Il n'est plus possible de venir nous dire qu'on veut un clergé national en 1881 : c'est donc un nouveau protestantisme que vous voulez, après Luther, après Calvin, un nouveau protestantisme après 89 et 93, après Saint-Simon et Fourier, après Pierre Leroux et Proudhon ? Il y a de quoi faire éclater de rire le monde entier, ce n'est pas une idée de notre temps, c'est une idée vieille de plusieurs siècles, et lorsque le protestantisme n'a pas pu réussir en France au temps où il comptait dans ce pays des partisans dévoués jusqu'à la mort, est-ce que vous pouvez croire qu'un nouveau protestantisme puisse réussir en France à l'heure qu'il est? Mais c'est de toutes les utopies la plus insensée et 1a plus irréalisable !
    On nous dit: Le catholicisme est la religion de la majorité des Français, et, à ce titre, il mérite d'être entretenu, il mérite d'être conservé, d'être choyé par nous.
    Quelle preuve nous a-t-on jamais donnée que le catholicisme est la. religion de la majorité des Français?
    M. Jules Simon, qui certainement mérite d'être cité en pareille matière, disait à la séance du 3 mai 1877 :
    " Je sais très bien que les catholiques composent l'immense majorité de la. population. Je ne nie pas l'évidence ; je ne commettrai pas l'inconvenance de rechercher si tous ceux qui sont recensés comme catholiques sont réellement des catholiques croyants; ce n'est pas de cela qu'il s'agit. "
    Je demande la permission de soutenir que c'est exactement de quoi il s'agit, et je commettrai cette inconvenance de dire à ceux qui veulent une église gallicane ou autre: Etes­vous des fidèles croyants et pratiquants de cette église? S'ils ne le sont pas, je me permettrai de taxer de fausse cette idée par laquelle on prétend que le catholicisme est la. religion de la majorité des Français.
    Je nie que cela soit, je prétends que c'est par des supercheries comme celle qui s'est pratiquée dernièrement au lit du malheureux philosophe Littré qu'on arrive à dire que c'est la religion de la majorité des Français.
    Non, le catholicisme n'est que la religion des catholiques et non des philosophes et des républicains, c'est-à-dire de la majorité des Français, qui se compose évidemment de gens qui partagent les doctrines de la philosophie et de la Révolution française; je taxe donc cette affirmation de fausseté complète.
    Mais je ne me contenterai pas de cela, et, si j'ai l'honneur d'appartenir à la Chambre prochaine, comme je l'espère, et si  j'ai trois mois devant moi pour arriver à une délibération, je soumettrai à la Chambre future le projet d'une statistique religieuse. (Exclamations et rires ironiques à droite.)
    Messieurs, vous ne savez pas ce que je veux dire, et je vous demande la permission d'exprimer ma pensée. Ne riez pas comme des gens qui rient devant un mur derrière lequel il se passe quelque chose qu'ils ne voient pas (Sourires); autrement, je serais obligé d'employer, pour caractériser ce rire, une expression qui ne serait peut-être pas parlementaire.
    Je disais donc que je demanderais une statistique religieuse des opinions; et pour qu'elle soit sérieuse, il faudra dresser celle, non des croyants, mais des pratiquants... (Interruptions à droite), celle de ceux qui s'approchent au moins une fois par an de la Sainte Table, monsieur l'évêque d'Angers... (Nouvelles interruptions à droite); je serais plus sévère que vous, car je ne tiens pas pour catholiques ceux qui se bornent à fréquenter l'église par respect de certaines prétendues convenances, ou qui n'y vont que pour rire de ceux qui pratiquent. Ce serait un spectacle, je ne dirai pas réjouissant, mais essentiellement curieux, de voir, d'un côté, le Président de la République française, accompagné de M. Ferry, de M. Barthélemy Saint-Hilaire, etc., s'approcher de la table de communion, lorsque, d'un autre côté, on verrait M. Gambetta, suivi de MM.Cazot, Constans, Farre, etc. Ce serait assurément un spectacle digne d'être contemplé; il me ferait la peine la plus vive; mais, à cause de sa curiosité, il mériterait d'être vu.
    Or, tant que vous ne verrez pas ce spectacle, j'ai le droit de dire ce que le Gouvernement de la République française est un gouvernement laïque et révolutionnaire et qu'il doit rester fidèle aux principes qui sont ceux de la. Révolution française et non ceux du Concordat.

M. Freppel. Vous voulez faire de l'inquisition laïque et révolutionnaire ! (Très bien! à droite.- Bruit et rumeurs sur d'aUtres bancs.)

M. Talandier. Alors, monsieur l'évêque, il faut aller communier en cachette. (Exclamations.)
.....................
    J'éprouve, ..., le plus vif plaisir à entendre dire que c'est là faire de l'inquisition.
    Si jamais vous n'avez à subir d'autres inquisition, vous n'aurez guère le droit de parler des rigueurs de la révolution française envers les catholiques. Mais jusque-là ...(Interruptions et bruit.)
..............
    Je n'espère pas que jamais ce spectacle étonnant, sinon touchant, me soit donné ! Je crois que ceux dont je parle n'iront jamais à l'église,  ne communieront pas le jour de Pâques et resteront fidèles à l'opinion non-seulement de leur jeunesse, mais à celle de toute leur vie. Je n'aurai donc jamais le plaisir que je me promettais tout à l'heure; mais, en revanche, je voudrais avoir le plaisir de voir une Chambre fidèle à l'opinion de la Révolution française contre le catholicisme  et l'Église catholique, et se joignant à moi pour refuser le budget des cultes, ou du moins pour ne pas le demander.
    Quant à voter ce budget, nous ne pouvons le faire: nous avons une conscience aussi, nous autres libres-penseurs et vils parpaillots; notre conscience ne nous permet pas de voter des fonds quelconques pour l'entretien d'aucune espèce d'Église, qu'elle soit catholique ou protestante, italienne ou gallicane. Nous avons nous aussi notre non possumus, et quand vous venez nous demander ces choses, nous ne pouvons vous répondre que par notre non possumus, c'est moralement impossible. Nous commettrions une vilenie, une lâcheté, et nous ne le ferons jamais: nous attendrons, patients dans notre conviction et dans notre force, que l'opinion du pays se soit manifesté d'une façon assez claire et assez impérative pour qu'il n'y ait personne dans le parti républicain qui ose nous demander de voter le budget des cultes.
    Voix à gauche. Très bien !
     Je sais bien que le cœur vous fault dans la poitrine à la pensée que cela peut atteindre quelques vieux curés, quelques desservants pauvres, etc.; mais, gens de peu de foi ! n'avez-vous donc jamais lu le Figaro? (Rires.)

M. Freppel. Jamais !

M. Talandier. Si vous lisez le  Figaro, vous devez vous souvenir qu'il y a quelques années, lorsque le conseil municipal de Paris, conseil d'incrédules, il est vrai, refusa certains crédits pour les établissements religieux de la capitale, le Figaro se hâta d'ouvrir une souscription dont le succès dépassa toutes les espérances.
    Eh bien, cela. doit vous rassurer! Je suppose que nous arrivions un jour à refuser le budget des cultes, le Figaro ouvrira une souscription, et les belles dames, et les messieurs qui font des annonces libidineuses dans ses colonnes, s'associeront pour souscrire; l'Univers, la Défense, l'Union, le Gaulois, et une foule de journaux plus religieux les uns que les autres s'associeront au Figaro, et bientôt on verra tomber dans l'escarcelle, le gros sou du pauvre avec le fier louis d'or du riche, et ainsi vous verrez se recomposer le budget que vous nous demandez de voter, et que nous sommes obligés de vous refuser. Lorsque ce jour arrivera, nous serons forcés de dévorer notre honte, d'aller dans quelque coin gémir sur le malheur de M. le ministre des finances, obligé de trouver inopinément un emploi utile pour cinquante et quelques millions tombés subitement dans ses coffres. (Approbation sur plusieurs bancs à gauche.)
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M. Édouard Lockroy. Messieurs, je suis étonné, je l'avoue, après que le Gouvernement nous a conviés lui-même à une discussion approfondie du budget des cultes, que pas un ministre ne se lève pour répondre à l'honorable M. Talandier. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs à gauche.)

M. Georges Perin. Et M. le président du conseil?..

M. Édouard Lockroy. Il faut croire que l'on nous provoquait à cette discussion alors que l'on croyait qu'elle ne pouvait venir, et que lorsqu'elle s'ouvre on est bien aise de trouver un prétexte pour s'y dérober.
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     Pour ma part, messieurs, je suis décidé à la soulever devant vous; je crois qu'en ce moment surtout il est nécessaire qu'elle vienne; il est nécessaire qu'elle soit soulevée dans cette Chambre. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
    Comme le disait tout à l'heure mon honorable collègue M. Talandier, lorsque nous venons vous demander la suppression du budget des cultes, nous vous demandons en même temps la dénonciation du Concordat et la séparation de l'État et de l'Église.
    Cette question de la séparation de l'État et de l'Église, messieurs, nous la retrouvons toutes les fois que nous agitons ici une question grave, une question importante. Nous la retrouvons alors que nous discutons les lois militaires et que nous voulons envoyer sous les drapeaux les élèves séminaristes; nous la retrouvons à propos des lois d'enseignement quand nous voulons supprimer du programme de l'enseignement primaire l'instruction religieuse; nous la. retrouvons enfin, comme aujourd'hui, lorsque nous agitons les questions budgétaires.
    Et toutes les fois qu'elle se présente à nous, un membre du Gouvernement monte à la tribune pour faire ce que je me permettrai d'appeler une déclaration d'impuissance, c'est-à-dire pour nous déclarer que dans l'état présent des choses, le Gouvernement ne saurait exister sans l'Église, qu'il a besoin de l'appui, je dirai presque de 1a protection de l'Église ...
(Très bien ! sur plusieurs bancs, -Rumeurs sur un grand nombre d'autres.), que s'il y a une loi qui doit nous être sacrée, à laquelle nous ne pouvons pas toucher, c'est la loi concordataire, et que le jour où nous y toucherions, où nous aurions assez peu d'esprit politique pour porter la main sur cette arche sainte, nous précipiterions la France dans le désordre moral et dans l'anarchie religieuse. (Marques d'approbation à gauche.)
    Il faudrait aller au fond de cette théorie et de cette argumentation; il faudrait savoir si ,véritablement le Concordat, quand il a été promulgué, a donné la paix et la liberté religieuse à ce pays; il faudrait savoir quelles ont été les conséquences du Concordat et ce qu'il nous offre aujourd'hui de garanties contre la cour de Rome et contre les empiétements de l'Église catholique.
    Pour notre part, messieurs, nous sommes loin d'être de l'avis du ministre; nous croyons que non-seulement l'État pourrait vivre sans l'Église, mais nous pensons que l'État ne peut plus vivre avec l'Église, qu'il ne peut plus protéger l'Église. (Très bien ! sur plusieurs bancs à gauche.)
    Nous considérons le Concordat comme une loi néfaste, néfaste en elle-même, néfaste en ses conséquences, comme une loi qui est la source et l'origine de la plupart des difficultés et des embarras que nous trouvons aujourd'hui sur notre route. (Assentiment à gauche.)
    Messieurs, il s'est fait une légende autour du Concordat, et peut-être serait-il bon d'y substituer une bonne fois l'histoire. Non, il n'est pas exact, non, il n'est pas vrai que le Concordat ait donné la paix religieuse à ce pays, non, car c'est au contraire, lorsque le Concordat a été promulgué, que ce pays allait arriver à la pleine possession de la liberté de conscience...

M. Charles Floquet. Il l'avait!

M. Édouard Lockroy. Tous les grands orages de la Révolution étaient passés; la Vendée était pacifiée, la grande querelle élevée entre les prêtres assermentés et les prêtres inassermentés s'était éteinte; les prêtres inassermentés tenaient de la bienveillance et on peut dire de la sagesse du gouvernement d'alors, de pouvoir substituer au serment prêté à la Constitution une simple promesse d'obéir aux lois; et moyennant cette promesse, ils pouvaient remplir en paix leur ministère. Aussi le nombre des prêtres inassermentés diminuait- il tous les jours, et la France était véritablement, comme le disait tout à l'heure mon éloquent collègue M. Floquet, en pleine possession de la liberté religieuse.
    C'est alors que vint à la pensée d'un homme qui était au comble de de la puissance et de la gloire, de l'homme qui venait de signer la paix d'Amiens, qui avait imposé la paix à l'Europe et qui l'avait donné à son pays, il vint, dis-je, à la pensé de cet homme, une double ambition : d'abord, de ressusciter l'ancienne monarchie et de la ressusciter à son profit, et, pour mieux arriver à son but, de restaurer le culte catholique.
    Mais cette pensée lui vint à lui seul et il se heurta. à l'hostilité de son entourage et à l'indifférence du pays tout entier.
    Et cette indifférence profonde du pays tout entier pour le rétablissement du culte catholique, nous en trouvons la preuve toute les fois que nous feuilletons l'histoire. Nous en trouvons la. preuve dans les résistances que cet homme rencontra dans tous les corps constitués, dans l'armée, dans sa famille elle-même; nous en trouvons la preuve dans les conditions excessivement dures, exceptionnelles qu'il eut le pouvoir d'imposer à l'Église catholique.
    Il fallait, en effet, que le pays fût bien indifférent, il fallait qu'il n'y eût aucune passion religieuse pour que le premier consul pût exiger de la cour de Rome et la. reconstitution des diocèses, et la démission de tous les évêques; pour qu'enfin il pût exiger que l'on prit douze évêques parmi les prêtres constitutionnels, c'est-à-dire parmi ceux qui avaient rompu ouvertement avec la. cour de Rome et qui avaient suivi le grand mouvement de la Révolution française.
    La preuve de celle indifférence, nous la retrouvons dans les luttes du premier consul avec le Tribunat, avec le Corps législatif, avec sa famille, avec tous les hommes de son entourage, même les plus modérés, comme par exemple Roederer, avec ceux qui étaient le plus attachés aux institutions anciennes.
    Nous la retrouvons dans ses luttes avec le conseil d'État, et vous n'avez pas oublié cette séance si curieuse, si extraordinaire où Bonaparte expose pour la première fois ses visées au conseil d'État, et où, pour la première fois, peut-être l'unique fois de sa vie, il ne reçoit de ce corps ni un bravo, ni même une marque d'approbation. La preuve, nous la retrouvons dans cette démarche que fit Augereau auprès du général Bonaparte au nom de ses anciens compagnons d'armes des armées du Rhin et d'Italie, non pour le prier, mais pour le sommer de renoncer à ses projets !
    La preuve, elle est encore dans ce mot admirable du général Delmas, parlant au premier consul de la cérémonie qui devait avoir lieu quelques jours plus tard à Notre-Dame: " Oui, dit-il, il manquera à cette cérémonie quelque chose; il y manquera le million d'hommes qui s'est fait tuer pour que 1a France ne revoie pas un pareil spectacle ! (Applaudissements à gauche.)
    Vous en trouverez encore la preuve dans la cérémonie qui eut lieu dans l'église métropolitaine de Paris le jour du rétablissement du culte ; dans l'attitude des généraux qui étaient là, ricanant, riant et interrompant par leurs ironies le service divin ; dans la tenue des femmes de la cour du premier consul, qui étaient venues à cette fête religieuse parées comme pour un bal, les bras nus, décolletées et qui chuchotaient derrière leurs éventails ...
.....
    .... dans la colère visible des corps constitués qui étaient là taciturnes et humiliés; dans l'attitude de Bonaparte, seul devant le maître autel, dominant tout ce monde officiel, obligé de lui imposer silence, de se retourner de temps en temps, de le contenir du regard et du geste; car il lui fallait toute son autorité morale pour imposer à cette foule le silence et le respect.
    Hors de l'église, sur la place, enfin, le peuple, ce peuple qui avait vu les grandes scènes de la Révolution et de la Convention, qui ne comprenait plus cette religion, qui en avait oublié les mystères, qui considérait tout cela plutôt comme une représentation théâtrale que comme une cérémonie religieuse, à qui ces prêtres en surplis et coiffés de la mitre apparaissaient comme des revenants, et qui témoignait, non pas son enthousiasme, mais son inquiétude et son anxiété profondes. (Très bien ! à gauche.)
    Il avait raison; car savez-vous ce que signifiait cette cérémonie? C'était, en réalité, la France du passé qui ressuscitait; c'était la monarchie et le cléricalisme qui allaient s'emparer encore une fois de la France, remettre la main sur elle et la conduire, de chute en chute, de révolution en révolution, d'invasion en invasion, jusqu'à la catastrophe finale où elle devait laisser ses provinces et subir l'humiliation 1a plus affreuse qu'elle ait jamais subie dans l'histoire, (Très bien ! à gauche,)
    A partir du jour où le Concordat est signé, vous voyez en effet l'Église arguant précisément de la protection que lui a accordée l'État pour se glisser dans les conseils du pouvoir, pour remettre la main sur la législation et sur l'instruction publique, pour former toute une génération d'hommes, pour s'emparer de toutes nos administrations publiques, et, dans l'ombre, dans le mystère, sans que le peuple vit le danger, sans que le gouvernement lui-même l'aperçût, pour reprendre une à une toutes les conquêtes de la Révolution française.
    Et puis. enfin, il est venu un jour où, éclairée par le malheur, la France a voulu rentrer en possession d'elle-même, où elle a voulu substituer la. forme républicaine à la forme monarchique, faire de profondes réformes à son organisation politique et sociale. Et alors qu'est-ce qu'elle a trouvé devant elle? Elle a trouvé l'Église, toujours armée du Concordat, - l'Église, qui a rallié autour d'elle les anciens partis; l'Église, qui les a conduits à la bataille et à l'assaut; l'Église, qui a chanté des Te Deum à toutes les délaites de la nation .... (Murmures à droite.)

M. Freppel. C'est odieux !

M. Édouard Lockroy. .... qui a trouvé des prières pour tous les conspirateurs.
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M. Clémenceau. Vous ne niez pas que vous avez chanté des Te deum au 2 décembre
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M. Cuneo d'Ornano. On a béni les arbres de la liberté, cela fait compensation !
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M. Édouard Lockroy. Je disais que la nation, qui voulait la République, a trouvé continuellement l'Église devant elle. Vous savez de quelle façon la nation a triomphé, comment nous sommes venus à bout des anciens partis.
    Et aujourd'hui que nous sommes maîtres de nous-mêmes, aujourd'hui que nous voulons enfin faire du Gouvernement de la république un gouvernement vraiment républicain, que trouvons-nous devant nous ? Encore l'Église, l'Église toujours armée du Concordat !
    Si nous voulons appliquer ce grand principe républicain de l'égalité de tous les citoyens devant la loi; si nous voulons que, sans distinction de classes, à quelque rang de la société qu'ils appartiennent, tous les Français aillent servir la patrie sous les drapeaux, nous trouvons l'Église, qui, au nom du Concordat, nous demande de faire une exception en faveur de ses élèves séminaristes et des prêtres; et nous sommes obligés de lui accorder cette exception.
    Voulons-nous appliquer le principe républicain de l'indifférence de l'État en matière religieuse, ou plutôt voulons-nous que l'État cesse enfin d'intervenir en matière de dogmes? voulons-nous créer l'école véritablement neutre et laïque? nous trouvons encore l'Église, qui, armée du Concordat, soit ici, soit au Sénat, ici vient nous demander d'enlever un jour de la semaine au travail pour le donner à l'instruction religieuse; au Sénat, vient nous demander une partie des enfants qu'elle enlève à l'instruction de l'État et à ses écoles!
    Et maintenant, si nous recherchons dans le budget des ressources pour alléger les charges fiscales qui pèsent si lourdement sur les populations des des villes et des campagnes, si nous recherchons des ressources pour la création d'institutions utiles, comme par exemple la création, demandée par M. Martin Nadaud, de caisse de retraite pour les ouvriers, qui, en travaillant pour leur industrie, ont travaillé pour la prospérité nationale ; si, dans ce but, nous voulons aliéner une partie inutile du domaine de l'État, nous retrouvons encore l'Église qui, armée d'ordonnances royales, de décrets, de lois ayant leur source dans le Concordat, vient nous signifier que nous ne pouvons toucher aux 67 millions d'immeubles qu'elle occupe .....
.....
    Si, maintenant, nous retournant d'un autre côté, nous cherchons des ressources budgétaires, nous retrouvons encore l'Église, qui, comme aujourd'hui, vient exiger les 43 millions qu'en vertu du Concordat l'État doit donner pour l'entretien du clergé.
    Vous êtes donc liés envers l'Église, vous avez contracté envers elle des engagements que vous remplissez, tandis que l'Église, au contraire, ne remplit plus les engagements qu'elle a pris envers vous. (Applaudissements à gauche.)
    Et voilà ce qui fait une situation si étrange et si particulière et ce qui différencie si profondément cette situation de celle de tons les gouvernements qui ont précédé le nôtre.
    Tous les gouvernements qui ont successivement régné sur la France, le gouvernement de Napoléon 1er aussi bien que le gouvernement de Louis XIV, aussi bien que celui de François 1er, celui de Charles VII et même celui de saint Louis, ont cru devoir prendre des garanties contre les empiétements de l'Église de Rome. Ces garanties forment la base de ce qu'on a appelé les libertés de l'Église gallicane. Elles reposent sur les deux grands principes proclamés dans le concile de Constance : le premier, que l'Église du Christ, qui a toute autorité dans le domaine spirituel, ne doit point intervenir dans le règlement des choses temporelles; le second, c'est que, au-dessus de la puissance des papes, au-dessus de l'autorité des papes, il y a l'autorité de l'Église, représentée par les conciles. Et cela va à ce point que, dans les sessions quatrième et cinquième, il est dit que le pape peut être poursuivi, jugé et condamné par l'Église.
    Ces grands principes furent repris, plus tard, par le concile de Bâle, par l'assemblée de Bourges, sous Charles VII, assemblée qui ressemblait aux États généraux et où étaient représentés le clergé et la noblesse, principes qui reparaissent encore dans le Concordat de François 1er, et qui ont enfin formé les bases de la déclaration de 1682: la déclaration de Bossuet.
    Ils ont reparu dans le Concordat; qu'est-ce que je dis? ils ont formé, à leur tour, la base du Concordat. Bonaparte les a, en outre, inscrites dans toutes les lois qui vinrent s'adjoindre au Concordat, telles que les lois sur les bourses des séminaires, les décrets sur l'instruction publique, etc.; tant il est vrai que tous les Gouvernements ont cru devoir prendre les mêmes garanties contre les empiétements de l'Église de Rome !
    Assurément, vous pouvez dire et prétendre que votre Gouvernement est fort, que votre Gouvernement est aussi fort que l'ont jamais été ceux de Louis XIV et de Napoléon 1er. Je vous l'accorde. Mais, assurément, il ne l'est pas davantage; or, quand ces gouvernements ont cru devoir prendre des garanties contre l'Église, je me demande en vertu de quoi et comment vous croyez pouvoir vous en passer.
    Et vous savez bien que l'Église ne vous offre plus les garanties qu'elle donnait aux gouvernements précédents.
    J'ai été fort étonné d'entendre dire par M. le président du conseil, répondant à cet argument : Mais c'est précisément parce que l'Église a changé profondément son dogme, parce que l'Église a remplacé cette sorte de république chrétienne qu'elle était autrefois par une autorité césarienne, c'est précisément parce qu'elle est devenue très indépendante et très redoutable, c'est parce que la grande révolution qui eu lieu en 187O, au concile, a profondément changé et ses dogmes et ses doctrines que je tiens à conserver le Concordat, c'est-à-dire un contrat en bonne et due forme qui la lie et qui l'empêche d'empiéter sur l'autorité du Gouvernement.
    Eh bien, je demande : ce contrat en bonne et due forme, ce concordat qu'est-il donc devenu aujourd'hui ? M. le ministre répondait à la question par la question. Ce concordat a été passé avec une personne qui n'existe plus aujourd'hui ..... (Marques d'assentiment sur plusieurs bancs à gauche.)  et qui par conséquent ne peut plus nous offrir aucune espèce de garantie. Et cela est si vrai , messieurs, que je mets au défi les membres du Gouvernements et M. le ministre des cultes, ici présent, de faire appliquer les articles organiques du Concordat ; je les mets au défi de faire appliquer dans les séminaires et les écoles ecclésiastiques l'article 26 des articles organiques, qui porte qu'on enseignera la déclaration de 1682.
    Et en effet, messieurs, cela est si impossible que, si vous vouliez appliquer les principes de la déclaration de 1682, savez-vous ce qu'il vous faudrait faire ? Il faudrait reconstituer l'ancienne Église, créer une Église nationale, et, plus encore, il vous faudrait faire un schisme; il faudrait que M. le Président de Ia République posât la tiare sur son front... (rires à droite)
    ................
    ..qu'il se fit pape, comme le souverain en Angleterre, comme le tzar de toutes les Russies, comme le sultan des Turcs. (Exclamations diverses à droite.)
    Cela, vous ne le voulez pas, vous ne pouvez pas le vouloir, parce que vous ne voulez pas intervenir dans les questions de dogme. Vous l'avez déclaré à la tribune, et, ....., assurément, vous aviez eu raison, pleinement raison, parce que, vous, Gouvernement, vous ne pouvez pas vouloir envahir le domaine de la conscience, dicter des lois aux consciences !
    Mais, alors, si vous ne le pouvez pas, si vous ne le voulez pas, vous devez convenir, avec moi, que le Concordat est périmé et qu'il est aujourd'hui devenu lettre morte. (Approbation sur plusieurs bancs à gauche.)
    Croyez-moi, messieurs, il n'y a. que deux situations acceptables pour l'Église et pour l'État: Ou bien l'Église est subventionnée, ou elle est salariée, comme le disait M. le président du conseil, et alors, - c'est la pensée de Napoléon 1er lui-même, pensée qu'on retrouve dans tous les articles du Concordat, - et alors, dis-je, l'État doit avoir 1a surveillance de l'enseignement théologique et conserver le contrôle des doctrines religieuses. Car il serait inadmissible qu'on prit l'argent des contribuables pour subventionner une Église qui prêcherait le renversement du gouvernement établi par 1a nation et la. révolution sociale; ou bien, - et c'est là l'autre hypothèse,  ­ l'Église veut la pleine liberté de ses dogmes et de ses doctrines, et alors elle doit renoncer à la. subvention qu'elle reçoit de l'État.
    Quant au système mixte qui consiste à obliger l'État à entretenir l'Église alors que l'Église prêche la révolte contre les lois de l'État, ce système-là ne saurait entrer dans 1a tête d'un homme politique.
    En effet, de deux choses l'une : ou l'État laisse l'Église se servir de sa subvention pour attaquer la société et ses lois, et alors il n'y a plus de sécurité pour l'État ; ou l'Église, pour recevoir sa subvention, consent à jeter un voile sur ses doctrines, à mettre ses dogmes sous le boisseau, et alors il n'y a plus de dignité pour l'Église.
    Vous êtes donc pris dans ce dilemme : ou l'État menacé, ou l'Église avilie. (Très bien ! très bien ! à gauche)
    J'ajoute que l'Église, selon moi, n'a rien a gagner à avoir des attaches officielles, et que les prêtres n'ont rien à gagner à être de simples fonctionnaires. Les attaches officielles de l'Église, le fonctionnarisme du clergé, ne sont que des entraves à la liberté des doctrines. Nous avons eu dans ce pays une religion d'État, une philosophie officielle; cela n'a été bon ni pour la religion, ni pour la philosophie, ni pour le pays. La foi perd son caractère respectable, le jour où elle consent à recevoir un salaire.
    J'ajouterai qu'une sorte d'étonnement se manifeste en présence de ceux qui touchent des émoluments pour prêcher le renoncement aux biens de ce monde. (Rires à gauche.) On ne s'habitue pas facilement, messieurs, à voir émarger au budget, comme de simples employés, les disciples de celui qui a dit: " Vends ton bien, vends ta maison, et suis-moi quand tu en auras distribué le prix aux pauvres! " On s'attendrait plutôt à leur entendre répondre ce que répondait un libre-penseur illustre à un ministre qui avait fermé son cours : Pecunia tua tecum sit ! (Très bien ! à gauche.)
    Un mot encore, messieurs. Dans son dernier discours, M. le président du conseil disait deux choses; la première: Il ne s'agit plus aujourd'hui de retarder les questions, il faut les résoudre ! La. seconde: Si la coalition du 16 mai se reforme et si le clergé y joue encore un rôle, ce sera nous qui viendrons vous demander ici la séparation de l'Église et de l'État!
    Eh bien, je m'empare de cette seconde déclaration et je dis qu'il faut que le Gouvernement pense au fond ce que nous pensons pour que cette grave question de la séparation de l'État et de l'Église ne lui apparaisse plus que comme une question électorale; et je m'empare de la première déclaration pour lui dire: Eh bien, puisque vous voulez résoudre toutes les questions, je vous demande de résoudre celle-ci dans le sens de la vraie politique, dans le sens de la. dignité de l'Église et de l'intérêt de l'État- (Vifs applaudissements à gauche,)

L'amendement sera repoussé par 348 voix contre 83 ....