Septembre-novembre : le cardinal Lavigerie s'emploie à faire accepter le régime républicain par les catholiques et prend position publiquement, le 12 novembre, par le "toast d'Alger"

Chambre des députés
10 novembre 1890
Session extraordinaire de 1890
SUITE DE LA DISCUSSION DU BUDGET DE L'EXERCICE 1891

M. le président. L'ordre du jour appelle  la suite de la discussion du projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1891.
    La Chambre s'est arrêtée au budget des cultes.
    J'ai reçu deux propositions du résolution:
    La première, signée de M. Maurice-Faure, est ainsi conçue: " La Chambre décide qu'elle ne passe pas à la discussion du budget des cultes. "
    Voici les termes de la seconde: " Supprimer la 2e section (Service des cultes).
    Elle est signée par MM. Calvinhac et Ferroul
    Ces deux propositions n'en font évidemment qu'une : c'est une demande de ne pas passer à la discussion des chapitres de la section.
    La parole est à M. Maurice-Faure.

M. Maurice-Faure. Messieurs, au nom d'un certain nombre de mes collègues et au mien, j'ai l'honneur de prier la Chambre de vouloir bien décider qu'elle ne passe pas à la discussion du chapitre du budget des cultes. (Très bien! très bien! sur plusieurs bancs à gauche.)
    Pour justifier cette motion, il me paraît inutile de développer à cette heure tous les arguments qui militent en sa faveur; ils sont trop connus, ils ont été trop souvent et trop brillamment développés à cette tribune dans d'autres circonstances pour que j'aie la tentation de renouveler un débat dont l'issue ne saurait d'ailleurs être douteuse, à la suite du vote de cette Assemblée sur la question du maintien de l'ambassade du Vatican.
    Mais si l'espérance d'obtenir l'adhésion de la Chambre ne nous est guère permise en ce moment, le devoir ne s'en impose pas moins impérieusement de dégager leur responsabilité et d'affirmer hautement leur conviction à ceux qui estiment. comme nous, que l'existence d'un budget destiné à subventionner une opinion religieuse quelconque est inconciliable avec les idées modernes, avec le caractère laïque de nos institutions, avec les principes sur lesquels s'appuie le gouvernement républicain. (Applaudissements à l'extrême gauche. ­ Bruit à droite.)
    Je comprends l'opposition de cette partie de l'Assemblée (la droite), et je m'explique ses murmures: les monarchistes les cléricaux, ont fait. à toutes les époques, du budget des cultes un instrument de règne, de domination politique.

M. de Colombet. Ce n'est pas nous qui supprimons les traitements.

M. Maurice-Faure. Tout récemment encore, nous avons vu, dans les élections, les adversaires de la République se servir de la religion comme d un moyen de propagande politique. (Très bien! très bien! à gauche.)
Les protestations des membres de la droite sont significatives et naturelles: Ils sont, en effet, les défenseurs intéressés du budget des cultes, dont la suppression priverait des subsides de l'État une partie de leurs plus utiles agents électoraux. (Très bien! très bien! à gauche. - Interruptions à droite.)
    Mais c'est une raison de plus pour les républicains clairvoyants. pour ceux qui restent invariablement fidèles à l'esprit de la Révolution française, de persister dans l'affirmation de la doctrine constante du parti républicain, celle qu'ont défendue tous les penseurs, tous les écrivains, tous les orateurs dont s'honore la République et. qui ont formé l'ardente foi politique

dont nous sommes animés. (Très bien! très bien! à gauche.)
    Cette attitude ne nous est pas dictée , comme on l'a dit. par des intentions oppressives ou antilibérales qui jureraient avec nos sentiments et nos principes, mais, par le sincère désir de sauvegarder à l'égard de tous les citoyens la liberté de conscience dont un noble républicain que M. le ministre de l'instruction publique glorifiait éloquemment le mois dernier, un homme qui n'était, je pense, ni un violent ni un révolutionnaire, dont Lamartine  disait. il y a près de quarante ans, qu'elle ne saurait exister et être garantie sans la séparation définitive de l'Église et de l'État. (Très bien! très bien! à l'extrême gauche.)
    Souvenez-vous, messieurs, de cette parole faisant écho en quelque sorte à travers le temps à celle d'un ancêtre de Lamartine en génie littéraire et en patriotisme républicain, André Chénier, qui, coïncidence curieuse et presque ignorée, soixante ans auparavant posait le premier, en termes presque identiques, la grande question de la séparation de l'Église et de l'État dans une pétition à l'Assemblée législative, et, devançant l'œuvre  de la Convention, protestait énergiquement dans ce document public. au nom de la Déclaration des droits de l'homme, au nom des principes de 1789, contre l'intervention de l'État dans les affaires d'ordre purement religieux. (Très bien! très bien! à gauche.)
    Messieurs. c'est sous l'autorité de ces deux grands noms que je place notre projet de résolution. (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs à gauche.)
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M. le président. Je mets aux voix la question de savoir si. la Chambre entend passer à la discussion des chapitres du budget des cultes.
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 Adopté par 338 voix contre 154
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