Chambre des députés
10 novembre 1890
Session extraordinaire de 1890
SUITE DE LA DISCUSSION DU BUDGET DE L'EXERCICE 1891
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite
de la discussion du projet de loi portant fixation du budget général
de l'exercice 1891.
La Chambre s'est arrêtée au budget
des cultes.
J'ai reçu deux propositions du résolution:
La première, signée de M. Maurice-Faure,
est ainsi conçue: " La Chambre décide qu'elle ne passe pas
à la discussion du budget des cultes. "
Voici les termes de la seconde: " Supprimer la 2e
section (Service des cultes).
Elle est signée par MM. Calvinhac et Ferroul
Ces deux propositions n'en font évidemment
qu'une : c'est une demande de ne pas passer à la discussion des
chapitres de la section.
La parole est à M. Maurice-Faure.
M. Maurice-Faure. Messieurs,
au nom d'un certain nombre de mes collègues et au mien, j'ai l'honneur
de prier la Chambre de vouloir bien décider qu'elle ne passe pas
à la discussion du chapitre du budget des cultes. (Très
bien! très bien! sur plusieurs bancs à gauche.)
Pour justifier cette motion, il me paraît
inutile de développer à cette heure tous les arguments qui
militent en sa faveur; ils sont trop connus, ils ont été
trop souvent et trop brillamment développés à cette
tribune dans d'autres circonstances pour que j'aie la tentation de renouveler
un débat dont l'issue ne saurait d'ailleurs être douteuse,
à la suite du vote de cette Assemblée sur la question du
maintien de l'ambassade du Vatican.
Mais si l'espérance d'obtenir l'adhésion
de la Chambre ne nous est guère permise en ce moment, le devoir
ne s'en impose pas moins impérieusement de dégager leur responsabilité
et d'affirmer hautement leur conviction à ceux qui estiment. comme
nous, que l'existence d'un budget destiné à subventionner
une opinion religieuse quelconque est inconciliable avec les idées
modernes, avec le caractère laïque de nos institutions, avec
les principes sur lesquels s'appuie le gouvernement républicain.
(Applaudissements à l'extrême gauche. Bruit à
droite.)
Je comprends l'opposition de cette partie de l'Assemblée
(la droite), et je m'explique ses murmures: les monarchistes les
cléricaux, ont fait. à toutes les époques, du budget
des cultes un instrument de règne, de domination politique.
M. de Colombet. Ce n'est pas nous qui supprimons les traitements.
M. Maurice-Faure. Tout récemment encore, nous avons vu,
dans les élections, les adversaires de la République se servir
de la religion comme d un moyen de propagande politique. (Très
bien! très bien! à gauche.)
Les protestations des membres de la droite sont significatives et naturelles:
Ils sont, en effet, les défenseurs intéressés du budget
des cultes, dont la suppression priverait des subsides de l'État
une partie de leurs plus utiles agents électoraux. (Très
bien! très bien! à gauche. - Interruptions à droite.)
Mais c'est une raison de plus pour les républicains
clairvoyants. pour ceux qui restent invariablement fidèles à
l'esprit de la Révolution française, de persister dans l'affirmation
de la doctrine constante du parti républicain, celle qu'ont défendue
tous les penseurs, tous les écrivains, tous les orateurs dont s'honore
la République et. qui ont formé l'ardente foi politique
dont nous sommes animés. (Très bien! très bien!
à gauche.)
Cette attitude ne nous est pas dictée , comme
on l'a dit. par des intentions oppressives ou antilibérales qui
jureraient avec nos sentiments et nos principes, mais, par le sincère
désir de sauvegarder à l'égard de tous les citoyens
la liberté de conscience dont un noble républicain que M.
le ministre de l'instruction publique glorifiait éloquemment le
mois dernier, un homme qui n'était, je pense, ni un violent ni un
révolutionnaire, dont Lamartine disait. il y a près
de quarante ans, qu'elle ne saurait exister et être garantie sans
la séparation définitive de l'Église et de l'État.
(Très bien! très bien! à l'extrême gauche.)
Souvenez-vous, messieurs, de cette parole faisant
écho en quelque sorte à travers le temps à celle d'un
ancêtre de Lamartine en génie littéraire et en patriotisme
républicain, André Chénier, qui, coïncidence
curieuse et presque ignorée, soixante ans auparavant posait le premier,
en termes presque identiques, la grande question de la séparation
de l'Église et de l'État dans une pétition à
l'Assemblée législative, et, devançant l'œuvre
de la Convention, protestait énergiquement dans ce document public.
au nom de la Déclaration des droits de l'homme, au nom des principes
de 1789, contre l'intervention de l'État dans les affaires d'ordre
purement religieux. (Très bien! très bien! à gauche.)
Messieurs. c'est sous l'autorité de ces deux
grands noms que je place notre projet de résolution. (Vifs applaudissements
sur plusieurs bancs à gauche.)
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M. le président. Je mets aux voix la question de savoir
si. la Chambre entend passer à la discussion des chapitres du budget
des cultes.
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Adopté par 338 voix contre 154
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