Sénat
Séance du
mercredi 9 décembre 1891
DISCUSSION
DE L'INTERPELLATION DE M. DIDE
SUR
LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT
M. le
président: L'ordre du jour appelle la discussion de
l'interpellation de M. Dide sur les rapports de l'Église et de
l'État, tels qu'ils résultent des récentes
manifestations du Vatican, des mandements des évêques et
de l'attitude du clergé de France.
La
parole est à M. Dide. (Mouvement
d'attention.)
M. Dide.
Messieurs, il s'est produit d'ans ces derniers mois quelques
événements de nature à réjouir tous ceux
qui aiment à la fois la France et la République,
Dans les récentes
élections sénatoriales, législatives et
municipales, on a vu un nombre toujours plus considérable
d'électeurs apporter à la République leur
adhésion loyale, absolument sincère,
.Quels étalent
ces électeurs? D'où venaient-ils? Il n'est pas
téméraire de penser que quelques-uns appartenaient aux
anciens partis, aux partis déchus, aux partis évanouis,
aux partis enterrés, (Exclamations
à droite, -Rires approbatifs à gauche.)
M. Halgan. Ils ont encore de la vie !
M. Dide.
Vous pensez bien, mon cher interrupteur, que j'ai été
trop longtemps théologien pour ne pas admettre le droit à
la résurrection. (Nouveaux rires à gauche,) Seulement,
je le crois, Il est difficile à pratiquer, ce droit-là,
(Rires,)
un sénateur
à droite.
Cela s'est vu !
M. le président. N'interrompez pas, messieurs
M. Dide.
Ces électeurs, en venant à la République,
faisaient acte à la fois de raison et de reconnaissance,
Ils faisaient acte de
raison; et, en effet, après vingt et un ans, vingt-deux ans de
régime républicain, après que ce Gouvernement à
atteint une longévité, à laquelle n'ont pu
atteindre ni les pouvoirs forts, comme le premier empire, ni les
pouvoirs habiles comme la Restauration et la monarchie
constitutionnelle, ni les pouvoirs d'aventure, comme le
Deux-Décembre, après une pareille expérience,
comment serait-il possible à des électeurs de bon sens
de penser autre chose que ceci: non seulement que la République
est le gouvernement qui nous divise le moins, mais le Gouvernement
indispensable pour nous unir dans l'intérêt de la
patrie. (Très
bien ! -Applaudissements à gauche.)
Les électeurs,
d'ailleurs, pouvaient et devaient penser que la République,
après vingt ans d'efforts, et -je le reconnais loyalement,
-grâce au concours de tous, avait amené la patrie. un
tel développement, à un tel relief de prospérité,
de dignité, de grandeur et de force, que, même isolée,
elle n'avait à craindre aucune agression et que les plus
puissants dans l'Europe et dans le monde, en s'alliant à elle,
ne s'affaiblissaient pas, mais se fortifiaient au contraire.
(Nouveaux applaudissements.)
D'ailleurs,
vers quel inconnu se diriger? On a essayé à plusieurs
reprises d'étouffer la République, de la faire
disparaître même criminellement, on n'y a pas réussi
!
Pour
cette tentative, on a recruté d'étranges
collaborations. Il s'est trouvé un jour un des plus grands
dignitaires de l'Église -un homme connu aujourd'hui, et je
l'en félicite, par sa haute modération -pour écrire,
à un prince qui n'était alors qu'un prétendant,
cette lettre de factieux, de révolutionnaire, d'homme de
guerre civile:
" Sire,
"
J'obéis à Votre Majesté en lui envoyant la
photographie placée sous cette enveloppe. C'est l'humble
symbole de notre Afrique. qui demande au fils de saint Louis de
l'arracher enfin à la mort en lui laissant donner l'Évangile.
"
Hélas! Sire, ce n'est pas seulement l' Afrique qui a
besoin de vous en ce moment, c'est la France, c'est le monde chrétien
tout entier. Jamais je n'en avais eu le sentiment comme ce matin,
jour de la fête de votre illustre aïeul, " le
défenseur de l'Église ", en célébrant
à vos intentions le saint sacrifice; c'est même ce
sentiment extraordinaire qui me donne le courage d'écrire à
Votre Majesté comme je vais le faire, pour lui dire ma pensée
tout entière, celle du clergé de France, de tous les
vrais amis du roi.
"
Sire, il est inutile de se le dissimuler, la France, votre France, va
sombrer. Encore quelques mois, et sa tombe sera scellée. On ne
peut rien attendre de l'Assemblée actuelle, et moins encore de
celle qui lui succédera. Aussi, le pays tout entier commence à
se ruer vers l'Empire avec une force en apparence irrésistible,
et l'Empire, s'il dure, c'est la fin de la Royauté ; s'il est
une fois encore écrasé par l'étranger, c'est la
fin de la France.
"Mais,
Sire, c'est lorsque tout paraît perdu que tout doit être
sauvé, afin que la main de dieu se montre clairement au monde.
"Le
courant qui entraîne les esprits, depuis quelques semaines
surtout, n'est qu'à la surface ; ce que le pays cherche au
fond, dans son immense détresse, c'est un sauveur, et, pensant
que l'Empire seul à l'énergie nécessaire pour
s'emparer du pouvoir, il va vers lui; mais si le roi, qui, lui, a le
droit et par conséquent aussi le devoir de prendre cette
virile initiative, se présentait au moment favorable, après
avoir tout préparé d'avance, le pays l'acclamerait
d'abord avec transport, Sire, je ne doute pas que si Votre Majesté
le veut, elle ne soit sur le trône avant la fin de la présente
année 1874. Mais je vois aussi avec douleur que si l'occasion
qui se présente est perdue, la vraie monarchie ne se fera pas.
"
Il ne faut, en effet, dans ce. moment que trois choses pour rétablir
la. royauté comme elle doit l'être, c'est-à-dire
sans diminution, sans concessions impossibles, sans concession
parlementaires, et ces trois choses, par une disposition
providentielle, ne dépendent que de vous seul.
"La
première, c'est le refus de l' Assemblée d'organiser le
septennat.
"La
seconde, c'est le vote de la dissolution immédiatement après
et dans les premiers jours de décembre.
" La. troisième,
c'est la venue du roi dans les jours d'épouvante qui
s'écouleront entre le vote de la dissolution et les élections
nouvelles, pour proclamer la royauté dans une de nos villes
avec le concours d'un de nos chefs d'armée qui y commanderait
et de qui on se serait assuré d'avance: il y en a qui
sont prêts, je le sais, et les serviteurs fidèles ne
vous manqueront. pas ce jour-là. pour vous entourer de leurs
cœurs et de leurs poitrines.
"Tout ne dépend
donc que de vous, Sire; il ne faut que deux ordres formels à
vos amis et une démarche de Votre Majesté. Tout le
reste ira de soi, pourvu que le secret le plus profond soit
gardé sur vos intentions ultérieures jusqu'au moment
décisif.
"
Rien ne pourra, en effet, opposer un sérieux obstacle.
L'Assemblée aura décrété sa fin prochaine
par un vote de la plupart de ses membres. Ceux des centres surtout,
se verront à la veille de devenir les otages des radicaux et
les proscrits de l'Empire.
"Mac-Mahon, déraciné
par le refus d'organisation de son pouvoir, sera en présence
d'élections qui le menaceront dune fin honteuse.
, «Tout ce qui
possède en France une situation, une propriété
se, croira menacé de tout perdre, même la vie, par le
triomphe légal du radicalisme dans le scrutin; et, dans cette
poignante et universelle anxiété, vous. apparaîtrez
à tous, si vous revendiquez vos droits par la force, comme le
sauveur de la vie, des biens, de l'honneur des Français. Ce
sera une immense émotion qui entraînera vers vous les
chefs de notre armée, .l'armée même, le pays et
bientôt le monde.
"
Il y aura une lutte des rues dans quelques villes. Elle vous servira
et ne durera qu'un jour. Il y aura quelques périls à
courir pour vous-même au premier moment peut-être,
permettez-moi de le dire, tant mieux! Sire. Vos ennemis ne pourront
plus répéter que c'est sans dangers personnels pour
elle que Votre Majesté tient ferme son drapeau et son
principe. Heureux ceux qui pourront vous aider, au péril
de leur vie: ils seront les martyrs du droit, les martyrs de
l'Église, que seul, humainement vous pouvez sauver.
"
Est-ce pour lui permettre de dire ces choses que Dieu a voulu qu'un
évêque de France le trouvât rapproché de
Votre Majesté sur une terre étrangère et reçût
d'elle, de si touchants témoignages de bonté?,
"Je
l'ignore, Sire; mais ce que je sais c'est qu'en traçant ces
lignes si étrangères aux pensées habituelles de
mon ministère, j'obéis à une impulsion qui ne
vient pas de moi seul : ce sera l'excuse de l'homme auprès de
Votre Majesté. L 'évêque n'en a pas besoin, car
il remplit un devoir; il demande seulement à Celui qui
tient entre ses mains les cœurs des rois de donner, comme
toujours, à Votre Majesté la lumière et la
force.
"
C'est dans ces sentiments que j'ai l'honneur de me dire avec un
profond respect, de Votre Majesté, Sire, le très
humble, très obéissant, très fidèle
serviteur et sujet. "
Plusieurs sénateur,. Qui a écrit cela ?
M. Dide. : C'est le cardinal Lavigerie puisque vous me demandez de le nommer!,
M. le duc de Montesquiou-Fézensac. Cela lui fait une bonne moyenne! (rires).(par la suite le cardinal demanda aux catholique de reconnaître la République)
M.
Dide Cet appel à la guerre civile, la guerre sanglante des
rues, au massacre des citoyens français les uns par les autres
ne fut pas, Dieu merci, entendu par le prince à qui il
était pieusement adressé, et qui préféra,
au lieu de ramasser dans des ruisseaux ensanglantés une
couronne royale, rester dans la fierté immaculée de
l'exil. (
très bien ! très bien !)
Mais la tentative de
guerre civile avait été faite par un cardinal-évêque,
fonctionnaire de l'État.,
Elle
s'est renouvelée depuis, avec moins d'audace et de violence,
dans des circonstances tellement humiliantes pour la nation, qu'il me
déplairait de les rappeler à cette tribune.
Un
jour, on crut voir passer sur je ne sais quel cheval noir, un général
prêt à faire ce qu'on a appelé la trouée
royaliste. Il s'agissait d'un aventurier sans victoires, d'un homme
qu'on croyait prêt à tous les coups de main, On se
précipita vers ce ténébreux et insignifiant
personnage; on se rua vers lui, on l'applaudit, on l'acclama
.... Qui donc? ... Le clergé, les publicistes chers à
l'Église ...
En
bien ! non ! Je ne parierai pas de ces choses: c'est le passé,
c'est la poussière nos morts; la poussière de vos morts
! La République, elle, est vivante, (Applaudissements.)
Elle est vivante et glorieuse !
Tout
ce qu'on a fait pour essayer de l'amoindrir et de l'abattre n'a servi
qu'à la rajeunir et à la fortifier; et il me semble que
c'est pour elle qu'ont été écrits ces vers
composés au seizième siècle en faveur des
hérétiques et de la liberté de conscience:
Tant
plus à frapper on s'amuse;
Tant
plus de marteaux on y use,
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
La
République, elle est d'aujourd'hui, elle est d'hier, elle est
de demain et de toujours ! La République, elle est l'avenir
large, tolérant, fraternel, (Rumeurs
à droite.)
Oui,
messieurs, et je vais essayer de vous le montrer ! Elle est l'avenir
fraternel, car, toutes les fois que nous voyons arriver vers elle les
électeurs qui, sans condition, sans diplomatie, avec une
loyauté confiante, nous disent: "Nous avons compris que
nous étions égarés, qu'il ne fallait pas nous
attacher au passé, que vous étiez la force, la dignité
nationale et la grande espérance, que vous étiez la
prospérité, et c'est pourquoi nous venons vers vous, "
-à ces électeurs, nous disons: Soyez les bienvenus!
Quelles que soient vos origines, nous sommes heureux de vous
accueillir! Et puissent-ils être de plus en plus nombreux, ces
adhérents à la République!
Nous ne sommes pas des
sectaires, nous ne rêvons pas une France divisée en
chapelles hostiles et on partis qui se combattent; nous voudrions
que, sous le drapeau national, le drapeau de la République,
les adeptes, les fidèles de tous les autels, de toutes les
croyances, de toutes les libres pensés vinssent se réunir
pour la grandeur de notre pays et la prospérité de la
patrie française. (Approbation
à gauche.) Ce
but que nous poursuivons, c'est aussi le vôtre, car vous êtes
des patriotes vous aussi, messieurs ! (L'orateur
désigne la droite.)
Mais ce n'était pas
seulement un acte de raison que les nouveaux électeurs
accomplissaient, c'était aussi un acte de gratitude. Depuis le
commencement du siècle, aucun gouvernement ne s'est montré
plus débonnaire, plus tolérant pour toutes les
croyances, - croyance protestante, croyance israélite ou
catholique - que le gouvernement de la république.
C'est
là une affirmation que produisait, il y a quelques années,
à la tribune de la Chambre des députés, avec
l'autorité de son passé et de son nom, M. Jules Simon,
alors président du conseil. Je sais, messieurs, et vous savez
tous que, quand il est question d'apaisement ecclésiastique,
de conciliation philosophique, on peut hardiment citer M Jules
Simon,.. (Sourires
et approbation à gauche.)
Ce philosophe d'un
éclectisme si remarquable et d'une onction si parfaite,
disait, -et il avait raison, -que bien plus que la Restauration, bien
plus que le Gouvernement de Louis-Philippe, bien plus que les deux
Empires, la République s'était montrée tolérante
à l'égard des divers clergés.
SI cette affirmation d'un
homme d'État philosophe vous était suspecte, je la
corrigerais, je dis mieux, je la compléterais par
l'affirmation d'un ecclésiastique catholique, théologien
érudit et publiciste très considéré, dont
les livres sont publiés avec approbation épiscopale, M.
Rouquette, prédicateur à Bordeaux, membre du clergé
de Toulouse. Ce prêtre éminent a dit, -ayant tout
à fait raison de le dire, car cela est l'évidence même
-que, tendis que les régimes antérieurs au notre,
s'étaient attaqués a la papauté, l'avaient
amoindrie, avalent essayé de détruire son pouvoir
temporel, la République, elle, n'avait porté aucune
atteinte à la papauté, n'avait soulevé contre
elle aucune animosité, fomenté aucune conspiration .
Telle
est l affirmation d'un prêtre autorisé. Ce témoignage,
je l'espère, est plus que suffisant pour justifier l'adhésion
d'un certain nombre de catholiques au gouvernement républicain.
(Approbation)
Seulement,
tandis que les adhésions sincères d'électeurs
auxquelles je faisais allusion tout à l'heure se produisaient
en très grand nombre, on voyait par opposition, une
manifestation d'un caractère singulier et contradictoire.
Des
fonctionnaires de l’État, des dignitaires
ecclésiastiques écrivaient des articles de journaux,
publiaient des mandements où, sous prétexte d'adhérer
à la République, - ce qui est le comble de l'habileté,
- ils se prononçaient contre toutes les lois qui sont la
raison d'être de la république. (Très
bien ! à gauche. - Rumeurs à droite.)
Oui,
messieurs, nous avons pendant près de six mois assisté
à un étrange spectacle, nous avons vécu dans ce
qu'une presse naïve, bien intentionnée et sincère,
a nommé la période de l'adhésion des
fonctionnaires de l'Église au gouvernement qui les salariait,
au gouvernement de la République. Bizarre adhésion !
L'un
de ces fonctionnaires adhérents écrivait à un
journal connu par son hostilité violente à toutes les
idées républicaines et sa haine du régime légal:
"Non, non, je n'ai pas l'intention d'adhérer à ce
que vous appelez " la gueuse" ; les formes de
gouvernements sont indifférentes à l'Église,
mais je saisis simplement l'occasion de cette déclaration de
principe ecclésiastique pour protester contre les lois qui ont
été votées par les Chambres républicaines,
et qui sont le déshonneur du Parlement et la honte de la
nation." (Approbation
à droite.)
Vous
approuvez, messieurs, c'est votre rôle; je désapprouve,
c'est le mien. (Très
bien! très bien! à gauche.)
Eh bien, je vous le
demande, je le demande à vous, mes collègues de la
droite, il y a parmi vous, sur vos bancs, des hommes qui ont occupé
de hautes fonctions, qui ont dirigé les affaires du pays c'est
à eux particulièrement que je m'adresse et je leur dis:
" Que penseriez-vous de fonctionnaires du ministère de la
guerre, du ministère des travaux publics; du ministère
des affaires étrangères, du ministère de la
justice, qui, sous prétexte d'adhésion au gouvernement
établi, viendraient vous dire : Oui, nous adhérons à
la forme gouvernementale, mais nous déclarons détestables
les lois sur les travaux publics, abominables les lois sur les
affaires étrangères, odieuses les lois sur
l'instruction publique . (Très
bien ! C'est cela ! à gauche)
Vous n'hériteriez
pas, n'est-il pal vrai, à déclarer que ce sont là
de mauvais fonctionnaires et à les frapper immédiatement.
Quelle différence, pourtant, y a-t-il entre les
ecclésiastiques qui, sous prétexte d'adhésion à
la République, insultent les lois de la République et
les, fonctionnaires auxquels je vient de faire allusion
(Applaudissements
au centre et à gauche.)
Ils
ne le contentèrent pas d'ailleurs, ces fonctionnaires, de
recourir à la polémique de. journaux, de publier des
mandements pleins d'acrimonie et de: fureur antirépublicaine,
ils firent quelque chose que je regarde comme très grave, ils
imaginèrent de créer en France des sociétés
électorales avec mission de se renseigner sur les sentiments
intimes des citoyens français, de surveiller leurs lectures,
de contrôler leurs pensées et leurs actes.'
Dans tous les
diocèses, des publications semblables à celle que je
tiens dans la main furent répandues. Écoutez cette
lecture édifiante:
"Chef
de visite annuelle. " -Suit toute une nomenclature que je ne
vous lirai pas. (Interruptions
à droite.)
Il
va sans dire que je tiens à la disposition de mes collègues
les pièces que j'ai sous les yeux. On me fera l'honneur de
croire que, dans une discussion de cette importance, tous les
documents que j'apporte sont authentiques et que je suis en mesure de
les soumettre à l'examen de qui les désirera. C'est de
la loyauté parlementaire.
Voici un des chapitres do
cette enquête électorale entreprise par le clergé:
On
demande aux curés des diverses paroisses de se renseigner et,
après s'être renseignés, de dire quelles sont les
personnes qui fréquentent les offices, quels sont les
mauvais journaux, quels sont les livres pernicieux répandus
dans la localité, et, enfin, s'il y a des francs-maçons,
quel est leur nombre et leur moralité ! (Rumeur,
à gauche.)
M. Le Breton. Qui a ordonné cette enquête ?
M. Dide. J'ai dit que Je vous soumettrais les documents, messieurs...,
M. Le Breton. Encore une fois, qui a ordonné cette enquête?
M. le président. Monsieur Dide, ne répondez pas, je vous, prie, aux interruption,.
M. Dide.
Je n'éprouve, monsieur le prédissent, aucun espèce
d'embarras à répondre à la question de mon
honorable collègue. Le document, très officiel, dont je
me sers pour cette discussion, émane du diocèse de
Nîmes. Il est revêtu de l'approbation de monseigneur
Louis, évêque d'Uzès et d'Alais. Il a été
adressé à tous les curés du diocèse avec
cette. solennelle intention : " C'est devant Dieu, et avec la
pensée de la responsabilité ,qui en est inséparable,
que ce travail devra être fait. "
Ce document, d'ailleurs,
n'est pas isolé; il s'en rencontre de semblables dans tous les
diocèses.
Voix nombreuses à droite. Non ! non!
M. Dide.
Qu'en savez-vous? Dans tous les cas, s'il est isolé, vous me
permettrez de: dire que, comme sénateur du département
du Gard, j'avais le droit; et le devoir de m'en. préoccuper.
(Approbation
à gauche)
Mais,
ne vous en déplaise, ce n'est 'pas un fait
isolé. La publication de catéchismes électoraux,
de questionnaires électoraux, n'est pas un fait
qui date d'hier; elle s'est produite, avec abondance, dans la
période que l'on a à bénévolement appelée
la. période d'apaisement et d'adhésion.
Depuis
cent ans, on publie dans nos départements des catéchismes
politiques. On en publie à Bayonne, on en publie à
Aix, on en publie à Rennes, on en publie à Nîmes,
on en publie à Nancy, on en publie à Mende. Vous allez
voir dans quels termes d'une suavité et d'une onction
cléricales ces catéchismes sont écrits. (Rires
)
Écoutez
ces accents évangéliques :
" Des élections.
"
D. Un chrétien est-il obligé de voter ?
"
R. Oui.
"
D Pourquoi?
"
R. Parce que les élus ont à s'occuper des choses de
l'Église, et que, selon qu'ils sont chrétiens ou
antichrétiens, ils font des lois ou des arrêtés
favorables ou contraires à l'Église, ce dont un
chrétien ne peut se désintéresser.
"
D. Un chrétien peut-il voter pour un candidat qui ne s'engage
pas à soutenir en tout les intérêts de Dieu, de
l'Église, des âmes ?
" R. Non, et, si un
chrétien vote pour un candidat irréligieux, il est
responsable devant Dieu de tous les votes mauvais de son élu,
et il doit s'accuser en confession (Rires
à gauche) d'avoir
porté au pouvoir un persécuteur de l'Église. "
(Mouvements
et rires à gauche. A droite : Très bien ! très
bien!) ,
Je retiens vos " très bien ! "; toute cette
discussion n'est établie que pour vous les faire prononcer.
(.Rires à
gauche.)
M. Biré. Nous n'avons pas souvent caché nos opinions.
M. Dide.
Vous savez à merveille, monsieur Biré, que tout
dernièrement, lorsque votre collègue, le loyal M. de
l'Angle-Beaumanoir disait: "pas d'équivoque" il y a
eu un " très bon!" qui a retenti à côté
de vous, c'était le mien. (Sourires
à gauche.)
Le
catéchisme dont je parle et qui a paru avec l'approbation de
"Narcisse... (Rires
à gauche),
évêque de Monde ".
Si le français vous
blesse, je dirais le nom du prélat en latin; dans le texte
authentique il est écrit " Narcissus... " (Nouveaux
rires sur les mêmes bancs.)
Ce catéchisme
contient des phrases comme celles-ci :
" Notre intention
n'est pas d'envisager, tous tous leurs aspects, les lois scolaires du
28 mars 1882 qu'on a si bien nommées: "lois scélérates,
lois de malheur ".
"
D'autres ont montré comment elles sont l'œuvre de la
franc-maçonnerie qui, par ce moyen, veut déchristianiser
la France.
"Ils
ont fait voir que ces lois sont un outrage contre Dieu, une violation
des droits de l'Église, un .attentat contre la liberté
du père de famille (Très
bien ! à droite)
... une conspiration contre l'âme des enfants, une honte
nationale. (C'est
vrai à droite.)
"Notre rôle est
tout modeste.
"Il
se borne à l'exposition de la doctrine romaine touchant les
mauvaises écoles, et à la solution de quelques cas
pratiques à l'usage des confesseurs et des parents.
"Ce
travail composé sous le regard du Crucifix nous le déposons
humblement aux pieds du Sacré-cœur de Jésus par
les mains de Marie Immaculée, afin que la Mère et le
Fils daignent le bénir."
"Ce texte ne"
suffisant pas, on y a joint cette glose :
"Tous, amis, et
ennemis, sont forcés de reconnaître que là
où l'école neutre a fonctionné, l'impiété,
la corruption, le scandale, l'insubordination et la révolte
contre les parents et les maîtres, sont devenus choses communes
parmi les enfants. (Approbation
à droite).
"
La candeur, l'innocence ne brillent plus, comme jadis, sur ces jeunes
fronts (Rires
à gauche),
hélas! trop tôt flétris par le souffle empoisonné
de l'école sans Dieu. On dirait que l'instinct du crime est.
entré dans ces cœurs d'où la pureté est
bannie: il n'est plus rare aujourd'hui que des enfants de dix,
de quinze ans se rendent coupables d'assassinats ou mettent fin à
leur vie par le suicide. (Exclamations
et rires sur les mêmes bancs) (Ils
ont bien tort de rire ! Le problème du suicide des jeunes
existe toujours en ce début de troisième millénaire,
comme il existait au début du siècle précédent,
mais les causes ne sont certainement pas celles invoquées
alors !)
M. Blavier. Les statistiques criminelles le prouvent.
M. Dide.
Messieurs, Je ne crois pas que l'école neutre, si abominable
soit-elle aux regards de la droite, soit responsable du redoublement
de crimes, en supposant que ce redoublement existe. Non, je ne le
crois pas, par respect même pour les croyances religieuses de
mes collègues. Voici pourquoi: l'école neutre n'est pas
une invention diabolique de la franc-maçonnerie; elle a été
recommandée par quelqu'un dont vous ne récuserez pas
l'autorité, par un des papes les plus considérables du
dix-neuvième siècle, le pape Grégoire VII, qui,
à propos de l'Irlande, et sachant qu'on allait imposer à
ce pays des écoles confessionnelles, déclara, dans un
mandement qui n'a pas passé inaperçu, que le respect de
la conscience, la dignité de l'école, c'était la
neutralité même de l'école. Voilà mon
autorité.
Débrouillez-vous
maintenant avec ce pape ! (Rires
et applaudissements à gauche.)
Mais il n'y a pas eu
seulement la pluralité des catéchismes électoraux
et l'organisation d'un vaste comité de renseignements
politiques, il y a eu, au point de vue extérieur, des
agissements qu'il est bon que le Sénat connaisse.
Certes,
je ne reproche pas à l'Église d'être altière
et dominatrice; elle est ce qu'elle est; elle est une chose très
belle, très redoutable, très noble, très grande,
peut-être la plus grande et la plus puissante qui existe
dans le monde. Elle a un passé plein de magnificences
artistiques et intellectuelles, mais souillé de persécution.
Elle croit à sa vérité absolue, et, y croyant,
elle veut l'imposer à tous.
Elle croît aussi
qu'il lui est nécessaire pour agir avec toute sa puissance
(encore qu'elle ait entre les mains la baguette des fées des
miracles dont elle n'use pas beaucoup), elle croit qu'il est
nécessaire à son autorité que l'homme qui la
représente d'une manière suprême et qui, en ce
moment, je le dis avec une loyauté absolue, est un des plus
grands caractères et une des plus belles physionomies du
dix-neuvième siècle, possède un certain pouvoir
temporel. Par tous les moyens qui sont en elle, elle tend à
ressaisir ce pouvoir qu'elle a perdu et qui lui manque. Elle déclare
dans le syllabus, elle déclare toutes les fois qu'elle a
l'occasion de le faire par les mandements de ses évêques
ou par la parole autorisée de la diplomatie italienne et
papale, que le pouvoir temporel lui est indispensable,
Elle
veut que ce pouvoir, le pouvoir temporel du pape qui lui a été
ravi, dans des conditions odieuses, dit-elle, lui soit restitué
; et, partout où elle a une action, qu'il s'agisse de
l'Italie, de l'Autriche ou de la France, elle essaie de revenir sur
le passé, elle revendique ses anciennes possessions, elle
déclare ou fait déclarer qu'il est nécessaire de
faire de la propagande en France, en Europe, dans le monde entier, en
faveur de l'autorité temporelle du Saint-Siège, elle
demande qu'il y ait, partout, des publications, des affiches, des
associations des pèlerins revendiquant les anciens États
du pape.
Elle
s'exprime ainsi :
"Affiche
et propagande. - Ayez la bonté, monsieur le curé, de
mettre bien en évidence, dans l'intérieur de votre
église, l'affiche signalée ci-dessus. Quelques mots en
chaire sur le caractère, le but et l'utilité du
pèlerinage pourraient produire un excellant effet, et nous
vous en serions, pour notre compte, infiniment reconnaissant.
"
Si l'on vous objecte que les œuvres manquent d'argent partout,
que le pèlerinage de Rome est une superfluité pour des
ouvriers, et que la prudence nous fait à tous un devoir de
réserver nos ressources pour les œuvres locales,
n'hésitez pas à répondre, nous vous en prions: à
quoi nous servira-t-il donc de travailler à soutenir telle ou
telle partie de l'édifice, s i nous laissons tomber la clef de
voûte qui doit entraîner l'édifice entier dans la
chute? Judas il y a dix-huit siècles, blâmait
aussi Madeleine d'avoir répandu sur les pieds du Sauveur
le plus précieux des parfum.; on eût pu le vendre
deux cents deniers, disait-il, et en distribuer le prix aux pauvres
..... et, depuis dix-huit siècles, l'Église,
après son divin fondateur ne cesse de louer l'acte de
Madeleine et de le donner en exemple à ses enfants "
(Rires à
gauche),.
Si
de telles paroles peuvent être officiellement adressées
par des fonctionnaires du clergé aux fidèles
catholiques, ... .(Réclamations
à droite.)
Un sénateur à droite. Ce ne sont pas des fonctionnaires
M. Dide.
Si vous me dites qu'il ne s'agit pas de fonctionnaires, je vais
lire la signature mise au bas du document que j'ai produit: c'est la
signature de l'évêque de Nîmes. Vous ne nierez pas
qu'il soit ecclésiastique, n'est-il pas vrai?
Si
de telles paroles peuvent être adressées aux fidèles
avec autorité, par les dignitaires de l'Église, -je
n'ai pas dit fonctionnaires cette fois, -quelle est la conséquence
que nous avons à craindre? Oh ! certes ! Je ne pousserai
pas les chose, au tragique; je ne crois pas qu'il dépende
d'une action isolée, de quelques personnes, fussent- elles au
nombre de quelques milliers, je ne crois pas, dis-je, qu'il
soit au pouvoir de quelques vociférations d'égarés
italiens ou français, de troubler la bonne harmonie entre deux
peuples qui ont combattu sur les mêmes champs de bataille, qui,
divisés aujourd'hui, peuvent et doivent, s'entendre pour la
grandeur, la prospérité et la liberté de
l'Europe. Non! non ! Je ne le crois pas ! (Applaudissements
à gauche.),
M. Hervé de Saisy. Il y a un de ces peuples qui ne s'en souvient pas.
M. Dide Je n'ai pas entendu l'interruption.
M. Hervé de Saisy. J'ai dit: Il y a un de ces peuples qui ne sen souvient pas.
M. Dide.
S'il ne s'en souvient pas, soit: nous avons alors pour devoir de l'en
faire souvenir et non de lui envoyer des pèlerins provocateurs
afin de l'obliger à l'oublier (Interruptions
à droite.)
Je
dis que l'union entre ces deux peuples ne dépend pas de
manifestations sans portée, qu'on peut regarder de très
haut. Tout ce qui s'est produit à Rome ne mérite
pas qu'on y attache une sérieuse importance; mais, dans,
tous les cas et au point de vue de cette interpellation, nous avons à
nous demander si la situation qui nous est faite par les
agissements des fonctionnaires de l'Église (Réclamations
à droite).. des dignitaires de l'Église...
êtes-vous contents ? .... est une situation
légale, ce qui revient à dire une situation
concordataire. (Très
bien! C'est la question! à gauche.)
Nous vivons, messieurs, sous un régime que l'Église
a accepté, et qui est 1e régime du Concordat. Ce
régime-là on peut le regarder par les petits côtés,
on peut critiquer telles ou telles paroles des articles organiques et
les déclarer puériles.
M. Lacombe. Ce n'est pas le Concordat.
M. Dide. Si, c'est le Concordat; je vous le ,prouverai, et, dans tous les cas, n'abusez pas de cet argument, je vous en préviens; il le retournerait contre vous. (Exclamations ironiques à droite.)
Un sénateur à droite. Il faut le prouver!
M. Dide.
J'essayerai de le prouver quand j'aurai compris le sens de votre
interruption.
On
peut regarder le Concordat par les détails minuscules; on peut
sourire de certaines de ses prescriptions; mais le régime des
concordats est un régime qui procède d'une très
haute et très grande pensée politique. Nous, qu'on
accuse parfois d'être des révolutionnaires, de ne
regarder qu'à 1789 et de ne tenir aucun compte de ce qui s'est
produit avant la Révolution, nous déclarons aujourd'hui
dans un sentiment de nationale reconnaissance que toutes les fois
qu'il s'est agi des rapports de l'Église et de l'État,
il y a eu une politique française, une, cohérente,
toujours semblable.
Elle
s'est appelée tantôt la politique de Louis XI, de
François 1er, de Richelieu, de Louis XIV ou de Bonaparte; elle
n'a été inspirée que par une Idée: faire
de l'Église la servante de la grandeur, de la gloire et de
l'unité nationales. Et j'ajoute, parce que je tiens dans cette
discussion à ne rien dire qui ne soit toute ma pensée,
j'ajoute que l'Église, très noblement, s'est, jusqu'à
Napoléon 1er, inclinée devant cette idée
politique. (Très
bien! très bien! à gauche.) Oui,
il n'y a qu'une politique française, dans notre territoire,
lorsque le spirituel et le temporel sont en présence, c'est la
politique qui veut qu'il n'y ait pas un État dans l'État,
qu'il n'y ait pas à côté de l'État
agissant une puissance agissant en sens contraire à
l'intérieur ou à l'extérieur.
Ceux qui ont fait les
concordats se sont préoccupés de trois choses, qui leur
paraissaient essentielles pour la grandeur politique de la France:
ils se sont préoccupés d'abord d'imposer l'unité
d'enseignement dans les églises et dans les écoles et
d'introduire dans le catéchisme qui contenait cet enseignement
l'apologie de la raison d'État. La première raison
d'être du régime concordataire, c'est que l'Église
servante de la patrie, servante du Gouvernement (Réclamations
à droite),
servante de la raison d'État doit faire l'apologie dans ses
catéchismes de cette raison d'État nationale...
( Rumeurs à
droite.)
En
voulez-vous la preuve? Je vals vous la donner. J'ai entre
les mains un catéchisme qui est revêtu de l'approbation
du légat du pape: "Sur le rapport de notre ministre des
cultes, y est-il dit, et en exécution de l'article 39 de la
loi du 18 germinal an X, le présent catéchisme,
approuvé par Son Éminence le cardinal, sera publié
et seul en usage dans toutes les églises catholiques... ",
Or
ce catéchisme unique, ce catéchisme seul en usage
contient ces maximes:
"
D. Quels sont les devoirs des chrétiens à
l'égard des princes qui les gouvernent ?
"
R. Les chrétiens doivent aux princes qui les gouvernent,
l'amour, le respect, l'obéissance, la fidélité,
le service militaire, les tributs ordonnés pour la
conservation et la défense de l'empire et de son trône;
nous lui 'devons encore des prières ferventes pour son salut
et pour la prospérité spirituelle et temporelle de
l'État.
"D.
Quelles sont nos obligations envers nos magistrats ?
R.
Nous devons les honorer et leur obéir, parce qu'ils sont les
dépositaires de l'autorité. (Rires
à gauche.)
"
D. Que nous est-il défendu par, le quatrième
commandement? Je recommande ce quatrième commandement à
ces messieurs du ministère.
" R. Il nous
est défendu d'être désobéissants envers
nos supérieurs, de leur nuire et d'en dire du mal
(Nouveaux
rires sur les mêmes banc.)
M. Hervé de Saisy. C'est une théorie de servilité. (Bruit à gauche,)
Un sénateur, à gauche Le clergé l'a acceptée.
M Dide
Remarquez, mon cher collègue, qui m'interrompez, que cette
terrible parole: " C'est une théorie de servilité
", s'adresse à un légat du pape et aux
ecclésiastiques qui ont accepté ce catéchisme
Or, comme ces ecclésiastiques, c'était l'Église
de France tout entière, la voilà, de par vous,
convaincue de servilité. C'est un certificat dont elle
pourrait ne pas être fière . (Sourires
à gauche.)
Du
reste, ce n'est pas la première fois que ce mot de servilité
est prononcé.
L’église,
comprenant qu'elle devait s'incliner devant la raison d'État,
n'a jamais essayé, quand elle était en présence
d'un pouvoir fort, de contester la légitimité et la
grandeur de ce pouvoir. Ces choses d'histoire sont élémentaires
et vous les connaissez mieux que moi. Vous savez qu'en 1681, il y a
eu des difficultés entre le grand roi et la papauté ;
vous savez que Louis XIV a essayé de faire cette chose énorme,
et que je ne conseillerai à aucun ministre républicain,
de se passer, pour la nomination des évêques, de
l'assentiment et même de la consultation de Rome.
Eh
bien, en 1681, il y a eu une assemblée du clergé. Le
promoteur de cette assemblée, alors que la lutte était
engagée entre l'État et l'Église, parlant au
représentant de l'État, c'est-à-dire à
Louis XIV, lui adressait ces flatteries qui sont qualifiées de
servilités par un historien de l'Église, par M. Méric,
professeur à la Sorbonne et catholique notoire:
"C'est
un roi .... " Il s'agissait du roi qui malmène les papes,
et ce sont des évêques qui parlent. .."c'est un roi
qui surpasse en douceur les David, en sagesse les Salomon, en
religion les Constantin. Oui, messieurs, il est si bien l'ornement de
tous les siècles, que chacun doit avouer qu'on ne peut trouver
de parole pour exprimer ses belles actions ..."
Un
peu plus tard, lorsqu'il s'agissait de la France sécularisée,
de la France sortie de la Révolution française, le même
clergé, -Je dis le même, non pas quant aux personnes,
mais quant à l'esprit -s'adressant à Napoléon l"
et désertant la cause de saint Louis, du glorieux saint Louis,
s'exprimait en ces termes, dans une lettre à l'empereur:
"Sire,
la fête de saint Louis excitait autrefois pour nos anciens rois
des sentiments d'amour et de dévouement dont la
manifestation exaltait
l'esprit public ; la fête du roi était celle du royaume.
Que la France fête saint Napoléon !
"Votre Majesté
Impériale et Royale peut fixer elle-même le jour auquel
saint Napoléon sera fêté ! ...
"On a proposé
aussi à Votre Majesté Impériale et Royale de
déposer dans un édifice national l'épée
victorieuse qu'elle a ceinte à la journée d'Austerlitz.
On a voulu que cette épée, recevant un culte religieux,
comme l'oriflamme chez nos pères, ne sortit du temple qu'avec
solennité et dans les grandes occasions. .
"Le culte y serait
exercé par un chapitre qui aurait le titre de chapitre de
saint Napoléon et auquel la garde de l'épée
impériale serait confiée." (Rires
prolongés sur un très grand nombre de bancs.)
M. Coste. La voilà, la servilité!
M Le Breton. C'est un fait isolé.
M. Dide. Non, ce n'est pas un fait isolé ; ce n'est pas non plus un fait que vous deviez reprocher à l'église catholique. En France, elle a eu l'intelligence -voulez-vous me permettre d'ajouter, vous ne protesterez pas, -elle a eu le patriotisme de comprendre que la raison d'Église devait être associée et même subordonnée à la raison d'État (Protestations à droite), C'est là l'originalité de la politique française. (Très bien! très bien! à gauche,)
M. Hervé de Saisy. La raison d'État n'a jamais pu être un dogme religieux.
M. Dide.
Il suffisait qu'elle lût un dogme politique.
Il y avait dans le
Concordat un second article, beaucoup négligé
aujourd'hui, et des plus importants.
De même qu'on
n'avait pas voulu que la conscience débile des enfants, ou la
conscience fragile des femmes fût soumise à un
catéchisme qui n'aurait pas été un catéchisme
d'État, de même on n'avait pas voulu que, dans les
séminaires, il y eu un autre enseignement qu'un enseignement
national ; et c'est pour cela qu'ont été faits les
quatre articles sur les libertés de l'Église gallicane.
Où
est-il aujourd'hui le respect de ces articles? Ils sont
singulièrement oubliés. Un de nos collègues, un
de nos spirituels, éloquents et puissants collègues de
la droite, me disait, ces jours derniers : Comment voulez vous
appliquer le Concordat? Le Concordat comporte l'acceptation des
quatre articles.. .
M. Buffet. Je n'ai pas dit cela...
M. Dide.
Monsieur Buffet, je ne vous ai pas nommé. (Hilarité
générale.)
Permettez-moi d'ajouter,
monsieur Buffet, sans épigramme, que, lorsque j'ai parlé
d'un de mes collègues de la droite les plus puissants par
l'intelligence, je pensais que vous pourriez vous reconnaître,
mais je n'espérais pas que vous vous nommeriez. (Nouveaux
rires à gauche.)
M. Buffet.
Voulez-vous me permettre de dire un mot ?
Je ne me suis nullement
reconnu dans le portrait beaucoup trop flatteur que vient de tracer
l'honorable orateur. La courte interruption qui m'a échappé
portait uniquement sur cette assertion, que l'enseignement de la
déclaration de 1682 était prescrite par le Concordat:
cela, je le nie ! (Très
bien ! très bien! à droite.)
M. Dide. Il est prescrit par les articles organiques; cela, vous ne le niez pas? (Protestations sur les mêmes bancs.) Et, comme notre thèse c'est que les articles organiques font partie du Concordat... (Non !, non! à droite.)
M. Blavier. C'est toute la question!
M. le président. Vous chercherez à l'établir, messieurs, mais veuillez ne pas interrompre l'orateur.
M. Dide.
Il y a entre vous et mol, cette différence d'appréciation..
.
M.
Biré.
Je proteste...
M. le président. Monsieur Biré, je vous rappelle a l'ordre.
M. Dide.
J'ai l'extrême regret de n'être pas votre personnalité
mon cher interrupteur, et de n'être que la mienne; je défends
ma thèse et non pas la vôtre.
Je dis que, d'après
les articles organiques, l'enseignement des quatre articles sur
les libertés de l' église gallicane était imposé
à l'Église, et j'ajoute, sans nommer personne,
cette fois, qu'il serait, en effet, difficile de rencontrer
aujourd'hui dans le clergé français, quelqu'un qui
acceptât ces articles.
M. Buffet. C'est évident!
M. Dide. C'est absolument difficile...
M. Buffet. C'est impossible !
M. Dide.
Impossible, c'est peut-être beaucoup dire !
Il y a toujours, monsieur
Buffet, un gallican ; ce gallican, c'est un curé qui veut
devenir évêque ... (Rires
et applaudissements nombreux à gauche et au centre.)
Un gallican, c'est un curé qui arrive ; un ultramontain, c'est
un curé arrivé. (Nouvelle
hilarité.)
Mais
je reconnais, en effet, qu'il serait difficile de rencontrer
aujourd'hui dans le clergé officiel, des partisans des
libertés de l'Église anglicane.
M. Soubigou. Qu'est-ce que vous appelez clergé officiel ?
M. Dide. Vous me demandez ce que j'appelle clergé officiel ? C'est le clergé inscrit au budget des cultes. Et le budget des cultes, c'est quelque chose que vous connaissez et que vous ne dédaignez pas. (Murmures à droite.)
M. le baron de Lareinty. C'est une petite restitution du bien volé 1
M. Dide. Ah ! vous parlez de biens volés ! C'est votre Interruption, monsieur de Larainty ! Eh bien, voici ce que je vous réponds.
M. le président. Ne répondez pas, monsieur Dide, aux Interruptions !
M. Dide.
M. le baron de Lareinty dit qu'il s'agit de bien volé; c'est
là une assertion que nous ne pouvons pas laisser passer dans
un Parlement. (Très
bien! très bien ! à gauche.)
Et je réponds
Immédiatement, non pas par l'autorité de la Révolution
française, que mon honorable collègue récuserait,
mais par l'autorité de l'ancien régime, auquel je sais
qu’il est attaché. L'ancien régime, personnifié
par Louis XlV, a émis cette assertion que vous trouvez dans
les mémoires de ce monarque:
" Tout ce qui se
trouve dans l'étendue de nos États, de quelque nature
qu'il soit, nous appartient. Le roi a la disposition pleine et libre
de tous les biens qui sont possédés par les gens
d'Église. ,,(Bruit.)
Mais
c'est la raison de souveraineté, c'est la raison d'État,
le collectivisme royal, que Louis XIV invoque.
Quand je réponds à
une interruption directe par une citation, non pas d'un
révolutionnaire, mais de Louis XIV, est-ce que je ne prouve
pas qu'il n'y a pas eu vol. puisque l'État de la
Révolution, agissant et pensant comme Louis XIV, pouvait
croire que les biens ecclésiastiques appartenaient à la
nation.
On
ne me réfutera pas avec des murmures. Il y a toujours chez
nous une doctrine de la souveraineté de l'État ; cette
souveraineté, c'est la nation qui l'exerce ; elle décrète,
à l'occasion, qu'il y aura des officiers de la morale publique
au lieu de prêtres; et c'est ce que l'Assemblée
nationale a fait pour les fonctionnaires de l'Église.
Elle
décrète, si elle le juge convenable et avec une
entière autorité qu’il y aura la séparation
des Églises et de l'État. Elle agit ainsi dans sa
souveraineté, dans une souveraineté qui est non
seulement l'autorité de la raison révolutionnaire, mais
de la raison d'État monarchique.
Je dis, messieurs, qu'il y
a aussi dans le Concordat une troisième précaution
indispensable contre les usurpations du clergé!
De
même que par l'enseignement des libertés de l'Église
gallicane dans les séminaire, de même que, par l'unité
de catéchisme, on ne voulait pas que l'Église fut un
État dans l'État, de même on ne voulait pas
qu'elle eût une politique extérieure. De là
l'idée d'imposer l'obligation de la résidence et
du serment à tous les membres du clergé. On affecte de
sourire de cette précaution et de dire : "Elle n'a
aucune importance ! elle est surannée!" Je dis
qu'elle est très Importante, qu'elle est essentielle. Il
s'agit de fonctionnaires qui sont liés, non seulement à
l'État français, mais aussi à un autre État,
l'État français a voulu tenir ces serviteurs dans son
obéissance étroite. Il a eu raison. Que cet État
s'appelle Louis XIV ou le premier consul de la République
française, les obligations sont les mêmes. Sous l'ancien
régime, les prescriptions à cet égard étalent
des plus véhémentes: Vous connaissez celte circulaire
aux évêques, de 1784 :
" L'intention de Sa
Majesté est que toutes les fois que vous serez dans le cas de
vous absenter de votre diocèse, vous m'en préveniez,
ainsi que du temps que vous croiriez que vos affaires pourront vous
en tenir éloigné.
"Je me ferai un
devoir de mettre votre demande sous les yeux de Sa Majesté et
de vous faire part de ce qu’il lui plaira de décider. "
Voilà comment
on parlait aux évêques en ce temps-là, et
lorsque, aujourd'hui, un homme dont le nom est synonyme de
courtoisie, l'honorable M. Fallières, ministre des cultes, à
propos d'un incident qui pouvait devenir compromettant, je ne dis pas
pour la sécurité de l'Europe et pour la bonne
harmonie des relations entre deux nations amies, adresse dans les
termes les plus courtois -j'allais presque dire les plus déférents
-à un évêque en état de rébellion
une invitation à observer la loi, vous savez comment on lui
répond et si vous l'aviez oublié on vous l'aurait
rappelé par des publications insolentes.
Il y a eu un jour un
accusé d'impolitesse, -Il n'y avait pas d'autre délit
pour ce fonctionnaire. - On lui a dit: vous êtes allé à
Rome en pèlerinage, aviez-vous demandé la permission à
M. le ministre des cuites ? -Je suis allé à Rome le 24
septembre 1891 ; j'y suis allé d'autres fois, jamais je
n’ai demandé de permission. - Cependant c'était
votre devoir, la loi vous obligeait à demander cette
permission ! - Je ne l'ai pas demandée. Et comme commentaire à
cette réponse pleine de désinvolture, voici la réponse
qu'on taisait quelques minutes après:
" Dans l'ancien
régime, alors que le clergé était un ordre
privilégié, qu'il existait une religion d'État
et que le roi était l'évêque extérieur;
alors que d'autre part le pape, souverain spirituel et temporel en
même temps, avait une armée et faisait des alliances, Il
était Interdit aux évêques français de se
rendre à Rome sans autorisation.
"Dès que
l’État a été sécularisé et
que le rapport intime entre lui et l’Église a été
rompu, les évêques ont refusé de subir une
servitude qui n'avait plus ni prétexte ni compensation. Ils
l'ont considérée comme intolérable, le jour où
le pape, dépouillé d'un patrimoine protecteur, s'est vu
constamment sous la menace d'un coup de force des émeutiers
garibaldiens, mal comprimés ou secrètement
encouragés, et par là même a été
réduit à l'état d'auguste captif, sans autre
soutien humain que les empressements affectueux de les enfants
et de ses frères dans l'épiscopat.
"Chaque fois qu'un
ministre du régime nouveau a exhumé la prohibition de
l'ancien régime, l'épiscopat, sans se troubler, n'a
tenu aucun compte de cette fantaisie archaïque et toujours
éphémère." (Exclamations
à gauche.)
L'ancien
régime? Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que par
hasard le Concordat de 1801 a été conclu sous l'ancien
régime '? Le Concordat a été conclu après
la Révolution, représentée par les consuls de
la République, après que la France avait
été sécularisé ; il a été
accepté par le pape et, par conséquent, les obligations
qui résultent de ce Concordat sont des obligations qui lient
le clergé comme elle le liaient sous l'ancien régime.
(Très
bien ! à gauche)
Vous
venez de voir, par les faits que j'ai cités,
quelle est la situation prise par 'l'Église
en face des prescriptions concordataires. On n'a rien retenu, on n'a
rien voulu garder de ce qui était une obligation et une
charge: à l'unité de catéchisme, on a substitué
la pluralité des catéchismes; aux enseignements de
l'Église gallicane, on a substitué l'enseignement du
syllabus, qui est la négation des libertés de
'l'Église nationale; A l'obligation de la résidence, on
a substituée défi. Je ne veux pas me servir d'une
épithète fâcheuse, le défi plein de
superbe, -c'est un mot ecclésiastique adressé à
un fonctionnaire de l'État qui se souvenait qu'il y avait des
lois et qui en réclamait l'observation.
Est-ce qu'il est possible
que cela dure? Est-ce qu'il est possible que cette situation
d'anarchie concordataire, humiliante pour l'Église,
désastreuse pour l'État, qui peut troubler les
consciences, qui peut compromettre la paix sociale, qui peut arrêter
la prospérité de la République, est-ce qu’il
est possible que cela se prolonge? Je ne le crois pas, et en le
disant: j'estime que je suis d'accord avec tous les républicains
de cette Assemblée et avec les ministres qui sont sur ces
bancs. (Applaudissements
à gauche.)
Qu'est-ce
que vous allez faire? Qu'est-ce que vous pouvez faire ?
Plusieurs
solutions se présentent devant vous. Il en est une qui a mes
préférences personnelles, qui a la préférence
de beaucoup d'autres de mes collègues aussi et peut-être
même de quelques-uns des membres du cabinet: c'est la solution
de la pleine et entière liberté.
Je crois tellement à
la vérité, que j'imagine qu'elle n'a pas besoin de
privilège, des secours de l'État pour se détendre
et pour vaincre, et que la séparation des Églises et de
l'État serait la solution la plus naturelle, la plus
équitable, et la meilleure; mais je sais aussi que ce n'est
pas à propos d'une interpellation sur une situation déterminée
qu'on peut poser un pareil problème et demander au Parlement
de le résoudre. Les ministres qui sont à ce banc
pourraient répondre qu'ils n'ont pas pris la pouvoir pour
accomplir une telle œuvre, mais qu’ils sont simplement
obligés, étant données les situations qu'on leur
signale de remédier aux dangers qu'elles présentent ou
d'en faire sortir les avantages qu'elles comportent.
(Très bien!)
Si
vous n'avez pas la séparation des Églises et de l'État,
il vous reste l'application du Concordat, dans l’esprit de la
tradition nationale. Je ne demande pas autre chose. L'application du
Concordat, comme on l'a compris sous les régimes qui n'ont pas
été l'objet des malédictions de la droite, le
premier empire, la Restauration, le gouvernement constitutionnel,
l'empire de Napoléon III, constitue une solution.
Vous
avez encore un autre moyen: voua avez un représentant auprès
du pape, et certes, s'il y a une personnalité intelligente,
habile, souple aux événements, capable d'en comprendre
la signification et d'obéir au moindre souffle de ce qu'elle
croit la nécessité, c'est la papauté; vous
pouvez agir auprès d'elle par le représentant que vous
avez auprès d'elle à Rome. L'avez-vous fait? La
ferez-vous? Vous pouvez, aujourd'hui, messieurs, si les articles
organiques qui, dit-on, ne sont pas loi d'Église, qui sont
simplement loi d'État, vous paraissent insuffisants, vous
pouvez les remplacer par d'autres articles organiques plus fermes,
plus énergiques, et dont la responsabilité vous
appartiendra, comme dit-on de ce côté (L'orateur
désigne la droite),
la responsabilité des anciens articles organiques appartient
au premier consul. Voilà ce que vous pouvez faire. Vous
faut-il des lois nouvelles ? Le Parlement vous les donnera.
Mais
il est une chose que vous ne pouvez pas faire et que vous ne ferez
pas. C'est de laisser subsister le statu
quo:
c'est de laisser subsister l'anarchie actuelle. (Très
bien ! très bien ! et applaudissements sur plusieurs bancs à
gauche.)
Comment
! nous aurions fait la Révolution française, un fleuve
de sang et de larmes aurait coulé et nous nous retrouverions,
après un siècle de luttes, devant ce clergé si
soumis à l'ancien régime, qui s'est humilié
devant Bonaparte, qui s'est asservi à Napoléon III, qui
s'est prosterné devant le coup d'État du 2 décembre,
(Très
bien! très bien! et vifs applaudissements à gauche),
nous nous trouverions devant ce clergé plus impuissants, nous,
les républicains, plus amoindris, que les régimes qui
nous ont précédés; nous aurions devant nous...
quoi donc ? Des Insurgés salariés? (Nouveaux
applaudissements à gauche,)
M. le baron de Lareinty. C'est l'accusateur public qui parle ici !
M. Dide. Il est de règle, dans le langage mystique de la catholicité, de dire, en parlant de la libre pensée, que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église; je dis, moi, m'emparant de cette parole, que, les portes de l'Église intolérante, menaçante, autoritaire, ne prévaudront pas contre l'esprit laïque, contre l'esprit de la Révolution française. (Très bien ! très bien! et double salve d'applaudissements à gauche. L'orateur est vivement félicité par un grand nombre de ses collègues.)
...........................................................................................................................................................................
M. de Marcère.
...
la République ne peut pas s'entendre avec la religion
catholique, Pourquoi? C'est donc une doctrine que la République;
ce n'est pas une forme de gouvernement; et c'est une doctrine qui en
exclut une autre, Mais alors, messieurs, si cela est vrai, ce n'est
plus une forme de gouvernement, c'est une secte. Remarquez bien
la conséquence. On n'y a peut-être pas songé
suffisamment, et c'est cependant la vérité. Eh bien, la
République, pour moi comme pour beaucoup de mes amis, lorsque
nous sommes entrés dans la voie publique, avait un tout autre
aspect. Nous avons considéré qu'à la suite des
malheurs éprouvés par la France, lorsqu'il n'y avait
plus en quelque sorte d'espérance, quand tout était
détruit, paraissait-il, quand elle n'avait pas encore repris
cette admirable vitalité dont elle a fait preuve depuis, nous
avons pensé, dis-je, que la République seule pouvait
servir de refuge à tant d'espérances déçues,
à tant de malheurs subis, à tant de blessures faites,
et que tous les citoyens pourraient se trouver réunis sur un
terrain commun, peur vivre en bon accord, en bonne harmonie, dans la
concorde, la seule force qui manque à ce pays; et nous avons
de toutes nos forces -pour mon compte très modestement
-travaillé à constituer la République comme la
seule forme de gouvernement qui pût être établie
et durer après la chute successive de tous les régimes
du passé.
Et
qu'est-ce qui différencie cette forme de gouvernement des
autres ?
Elle
a les mêmes obligations, elle a les mêmes devoirs....
Un sénateur à gauche. Et les mêmes droits.
M. de Marcère.
... devoir de protection pour tous les intérêts devoir
de protection pour l'ordre social. Qu'est-ce qui la différencie
si essentiellement ?
C'est
que les anciens régimes - je parle surtout des régimes
constitutionnels qui ont rempli ce siècle - avalent conservé
un certain caractère de patronage qui donnait à leur
autorité un certain air de paternité, si vous voulez.
Pour
la République, il en est autrement. Cette forme de
gouvernement est une gérance d'affaire entre les mains
d'hommes élus par le peuple. Mais, pendant le temps très
court que ces hommes élus par le peuple, choisis par lui,
exercent le pouvoir, ils n'ont pal une autorité souveraine; ce
ne sont pas simplement des scribes attachés à leur
bureau pour y écrire des décrets, pour minuter des
formules. Ils ne peuvent pas oublier que, nés dans un jour
pour mourir demain, ils ont derrière eux le pays, avec les
croyances, avec les préjugés, si vous voulez, avec ses
mœurs, avec les traditions et ils doivent avoir constamment
l'œil fixé sur le pays, sur ses intérêts
permanents, sur les droits imprescriptibles, sur les besoins
matériels et moraux sur tout cela enfin qui est l'âme
même de la France.
Et
alors, quand j'entends dire que tout cela, ces millions d'hommes
répandus sur le sol, avec leurs sentiments, leurs passions
leurs idées propres, nos foyers, nos familles, nos mœurs,
nos traditions tout cela serait inconciliable avec la République,
je n'en tire pas la conséquence, messieurs, je la laisse à
vos méditations.
Le
Gouvernement, cette gérance d'affaires qui se compose du
pouvoir exécutif et du Parlement, gouvernement éphémère
quant à ceux qui exercent le pouvoir, chargé
transitoirement des affaires publiques, n'a pas le droit de tout
faire. Il y a, dans la nation dont il émane, des droits
supérieurs à tout, supérieurs au pouvoir
communiqué par l'élection, il y a des intérêts
permanents qu'il ne doit pas méconnaître ni
compromettre, il y a des principes généraux
d'ordre social qu'il ne saurait violer. On lui confère le
pouvoir, non pour qu'il puisse suivre son caprice, ou appliquer à
tout l'État des conceptions particulières, mais pour
protéger ces droits, ces intérêts et ces
principes qui sont le bien des citoyens et qui sont le patrimoine de
la patrie. Parmi ces biens le trouvent les droits de la conscience et
le maintien de l'ordre social par lequel on pourvoit aux besoins
moraux et religieux de la nation. Et à cet égard, ce
n'est pas de la tolérance que l'on réclame
La
tolérance s'entend d'abus que l'on voudrait détruire et
qu'on laisse subsister par des raisons contingentes. Non, le mot de
tolérance ne s'applique pas à cet ordre de faits.
Portalis, dans son admirable rapport qui a précédé
le Concordat, le fait très justement remarquer : il ne saurait
s'agir de tolérance vis-à-vis de droits
imprescriptibles comme ceux de la conscience.
Le
Gouvernement a le devoir de protéger ces droits, de veiller
sur l'ensemble des faits qui constituent la vie religieuse de ce
pays; c'est un devoir pour lui, mais ce devoir a en lui-même
quelque chose de particulièrement délicat et qui le
rend plus difficile que tout autre à remplir. Il s'applique à
un ordre d'idées et de sentiments, à un ordre de faits
aussi, comme dans les affaires du culte, sur lesquels le pouvoir
civil n'a pas de prise. Sur ce terrain, il rencontre la puissance
spirituelle. L'ordre temporel et l'ordre spirituel se trouvent ici
face à face: chacun d'eux a ses droits et ses oblitérations.
Comment résoudre les conflits ? La puissance spirituelle
pour les catholiques, est à Rome. Il faut s entendre,
s'accorder : et c'est pour cela que les concordats sont faits
....................................................................................................................................................
M. Goblet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Goblet. (Mouvement d'attention)
M. René
Goblet.
Messieurs, je n'ai vraiment qu'une raison d'intervenir dans ce débat
et de demander au Sénat de vouloir bien m'accorder quelques
instants de bienveillante attention : c est que les idées qui
viennent d'être exposées à cette tribune, celles
qui y seront sans doute développées encore tout à
l'heure, diffèrent singulièrement de celles qu'avec
quelques-uns de mes amis je professe sur ce grave sujet.
Le
Sénat pensera peut-être qu'il est bon que toutes les
opinions puissent se produire, et je vous demande la permission de
développer la mienne succinctement, aussi succinctement que
possible. (Parlez!
parlez !)
Je
ne crois pas qu'elle soit destinée à rencontrer,
aujourd'hui encore de majorité dans le Sénat, mais je
suis convaincu que l'avenir lui appartient et un avenir moins éloigné
qu'on ne le croit généralement; j'aurai l'occasion de
vous montrer les étapes qu'elle a déjà
parcourues depuis quelques années et c'est pourquoi il me
paraît juste qu'elle prenne position dans la grande discussion
qui s'ouvre devant vous. (Très
bien! très bien! à gauche.)
Messieurs, les discours
que vous venez d'entendre, ceux que vous entendrez encore
certainement tout à l'heure, car la discussion est loin d'être
épuisée, elle ne fait que commencer selon moi...
(Rumeurs
à droite.)
Voix nombreuses à gauche et au centre. Certainement! Parlez ! parlez!
M. René
Goblet.
Les ordres du jour même que nous connaissons,- car ils ont été
publiés dès hier, - tendent tous au même but : au
maintien du Concordat. Ils en réclament l'exécution -
ce sont les termes formels de l'ordre du jour qui, le premier, a été
déposé sur cette tribune, celui dont M. de Marcère
vient de vous donner lecture.
Les uns veulent que cette
exécution soit plus libérale et plus tolérante
encore qu'elle ne l'est aujourd'hui; si bien que le Concordat
finirait par ne plus exister que contre l'État et au profit de
l'Église. (Très
bien! à gauche.) Les
autres la veulent au contraire plus rigoureuse et il y en a qui
viendront offrir au Gouvernement de l'armer de droits nouveaux s'il
croit n'en avoir pas assez.
Ma
thèse, notre thèse à quelques-uns d'entre nous,
est absolument dissemblable. Nous pensons, au contraire - et il me
semble que les quelques lectures que vous avez tout à l'heure
entendu faire par M. Dide, le prouvent déjà
suffisamment par elles-mêmes - nous pensons que le Concordat
est un acte caduc, qui n'est plus aujourd’hui en rapport ni
avec l'état de nos mœurs, ni avec le régime sous
lequel nous vivons, qu'il ne peut plus être désormais
qu'une source de difficultés et de conflits, que, par
conséquent, il faut que le gouvernement de la République
prenne son parti de s'orienter vers la séparation et de
préparer l'abandon du Concordat.
Voilà l'opinion que
je vous demande la permission de défendre brièvement
devant vous.
D'abord,
je dois déclarer - et je le fais parce que je vois à
son banc l'honorable ministre des affaires étrangères
que j'entends traiter cette question uniquement au point de vue
intérieur.
C'est
au point de vue intérieur exclusivement que le Concordat a été
fait, bien que la personne avec laquelle on traitait à cette
époque eût alors un caractère très
différent de celui qui lui appartient aujourd'hui.
Je
ne méconnais pas du tout l'importance que peuvent avoir au
dehors les influences religieuses, mais ces questions sont étrangères
au Concordat. Elles ne doivent donc pas, suivant mol, trouver place
dans cette discussion.
Je
le répète, c'est uniquement au point de vue de la
situation intérieure, au point de vue du rôle que le
Concordat doit jouer dans les rapports entre l'État et les
Églises, que nous devons nous placer.
Messieurs, je crois que
l'on peut constater qu'à cet égard, la question est
posée depuis bien longtemps.
J'oserai dire qu'il y a
quelque vingt ans, elle était résolue, au moins pour
les républicains. Que de noms d'hommes politiques je pourrais
citer qui, dans les dernières années de l'Empire, se
déclaraient les partisans de la séparation ! J'en
retrouverais, je crois, encore quelques-uns parmi nous. (Sourire.)
Je
reconnais volontiers que les événements d'où la
République est sortie et les difficultés qu'a
rencontrées son établissement définitif, nous
ont détournés, dans les premiers moments, de ce grave
problème et de plusieurs autres qui paraissaient cependant, à
cette époque, tout à fait mûrs aussi pour une
solution.
Il
n'en est pas moins vrai que la question subsistait tout entière
et que, depuis dix années, notamment, elle n'a pas cessé
d'être à l'ordre du jour, Je vais vous en donner la
preuve.
A
l'occasion des décrets de 1880, à l'occasion de nos
lois militaires et de nos lois scolaires, presque tous les ans, tous
les ans même, sauf peut-être cette année-ci pour
la première fois, dans la discussion du budget des cultes, à
propos de l'ambassade du Vatican, vous avez vu cette question agiter
le Parlement et le pays.
Quatre
propositions ont été, depuis dix ans, successivement
déposées, tendant à la séparation de
l'Église et de l'État; en 1876, en 1882, en 1886.
Celle
de 1876 avait été très rapidement écartée;
celle de 1882 fut prise en considération à la demande
du Gouvernement lui-même, et le chef du Gouvernement d'alors,
l'honorable M. de Freycinet, devant qui j'ai l'honneur de parler, me
permettra de rappeler que, quand cette proposition vint en discussion
devant la Chambre, il répondit que, tout en se réservant
de la. combattre au fond, il tenait cependant, à ce que la
question fût éclairée par un débat
parlementaire; voici textuellement les paroles qui étaient
alors prononcées:
"
Nous croyons quant à nous, qu'il est bon, qu'il est salutaire,
qu'il est digne de cette Assemblée d'aborder cette question de
face et de la traiter à fond.
"C'est pourquoi, tout
en nous réservant de combattre la proposition et, par suite,
de maintenir, et pendant un délai que nous ne pouvons pas
fixer, de maintenir le Concordat sans le relâcher, nous
provoquons ceux qui sont d'un avis contraire à venir à
bref délai à
cette tribune exposer leurs raisons, afin que cette grave question
puisse de là se répandre dans le pays sous un jour
nouveau avec les lumières que ,ce débat aura fait
jaillir, et que, si des solutions doivent intervenir plus tard, elles
puissent être ainsi préparées et mûries par
la discussion parlementaire."
Ainsi, le chef du
Gouvernement, repoussait la séparation des Églises et
de l'État, mais en prévoyant que le moment pourrait
venir où elle s'imposerait, et il insistait, pour que cette
solution fût discutée dans le Parlement. C'était
en 1882, il y a de cela dix ans ; le moment est venu, ce me semble,
d'étudier la question dans nos Assemblées
parlementaires.
En
1886, voici la déclaration qui était lue aux Chambres,
au nom d'un cabinet dont j'avais l'honneur de faire partie:
"
L'intervention du clergé dans nos luttes politiques, et
récemment encore dans les élections, est pour tous la
esprits sages un
sujet
de sérieuses préoccupations. Chacun a compris qu'une
telle situation ne saurait se perpétuer et que le grave
problème de la séparation des Églises et de
l'État ne tarderait pas à s'imposer irrésistiblement.
C'est là, il faut bien le dire, une de ces questions que la
politique seule est malhabile à trancher, car elle a des
racines jusque dans les profondeurs les plus intimes de la conscience
du citoyen. Avant que le législateur prononce souverainement,
il faut que la libre discussion, les débats solennels des
Chambres, le rayonnement des Idées aient préparé
dans le pays les solutions conformes aux tendances de l'esprit
moderne. "
Moi-même,
à mon tour, en 1887, quand je repoussais la séparation
qui m'était proposée sous cette forme -que Je n'ai
jamais
admise
-de la suppression pure et simple du budget des cultes, je provoquais
également les partisans de la séparation à
aborder ce grand débat devant les Chambres. Puis, on a cru
qu'on pourrait ajourner la question indéfiniment et voilà
qu'elle se pose aujourd'hui de nouveau dans des termes plus pressants
que jamais et de telle façon qu’il n'est plus possible,
suivant moi, de l'éluder; il faut prendre parti.
Je
n'ai pas .la prétention de la traiter aujourd'hui dans, toute
son ampleur. Je crois qu'il n'est pas possible qu'elle ne soit pas
posée dans une
interpellation où il s'agit de savoir quelle doit être
l'attitude du Gouvernement vis-à-vis de la conduite du clergé;
mais pour la discuter complètement, avec tous les
développements qu'elle comporte, il faudrait qu'elle soit
posée directement.
Je
veux, je ne dis pas - que M. de Marcère veuille bien le
remarquer - avec la République, je dis avec notre régime
politique, avec l'État politique moderne.
Je prétends, en
second lieu, que dans l'état de nos mœurs, le Concordat
n'est plus une garantie, pas plus pour les Intérêts
religieux que pour l'intérêt public, et que, par
conséquent, il faut franchement se décider à y
renoncer et à préparer cette renonciation.
Messieurs,
qu'est-ce que le Concordat? C'est 'un traité entre deux
puissances. Or, est-il possible, je le demande, d'admettre cette
puissance de l'Église en face de l'État moderne? Je
comprends que sous 1a monarchie ce dualisme fût possible; alors
que
l'on
considérait que le pouvoir dérivait d'un principe
supérieur, on pouvait concevoir ces deux puissances se
partageant le gouvernement de la société, l'une au
point de vue spirituel, l'autre au point de vue temporel; ce qui
n'empêchait pas; n'en déplaise à M. de Marcère,
qu'elles étaient loin de vivre habituellement dans une
intimité parfaite, et que, au contraire, on les voyait
alternativement chercher à empiéter sur leur domaine
respectif, et, chacune à son tour, vouloir se servir de
l'autre pour assurer sa propre prépondérance.
Mais
depuis que nous vivons sous le régime de la souveraineté
nationale, comment admettre l’existence, à l'intérieur,
de ces deux puissances parallèles et rivales? Cela me parait
absolument impossible, et la Révolution l'avait bien compris.
Elle avait adopté cette maxime de Rousseau "qu'il faut
tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais
État ni gouvernement ne sera constitué." En
conséquence, au lieu de considérer l'Église
comme une puissance rivale avec laquelle on dût traiter, elle
en avait fait une puissance subordonnée, une institution
d'État, elle avait essayé de l'arracher à la
domination de Rome, et d'établir sur elle sa propre domination
; elle en avait fait un service public.
De là est née,
on vous l'a rappelé tout à l'heure, la constitution
civile du clergé, régime illogique, car il lui manquait
une condition essentielle: c'est que l'État lui-même
professât ce culte qu'il faisait exercer sous son
autorité; régime tyrannique, attentatoire à la
liberté des consciences et qui, par ce double motif, devait
nécessairement échouer.
Napoléon est venu:
il a pensé qu’il était utile à la
consolidation de son pouvoir de se servir de l'influence, de
l'Église; il a voulu rétablir les rapports avec Rome et
n'a; rien. trouvé de mieux que de conclure avec l'Église
un traité qui, en la plaçant sur un pied d'égalité
apparente, en réalité, suivant la forte expression de
Portalis, un des auteurs du Concordat, "mettait l'Église
dans l'État."
Le
premier consul était logique et conséquent avec
lui-même. Il pouvait faire de la religion un service public; il
la professait officiellement cette religion, et cela était dit
dans le préambule du Concordat qu'on vient de 'vous lire.
Mais
vous comprenez que cet état de sujétion de l'Église
vis-à-vis du pouvoir civil, ne pouvait, durer qu'à la
condition qu'il y eût là cette main puissante pour
exécuter le Concordat, au besoin de la façon que vous
connaissez. Il est clair que, du moment où cette main venait à
disparaître l'Église chercherait à s'affranchir.
Elle y a réussi; elle devait y réussir, parce que tout
était faux et contradictoire dans un pareil régime.,
L’église
ne peut pas être un service public, comme les autres, dans un
État neutre et indifférent à toute secte
religieuse.
L’église,
en face de la souveraineté nationale, ne peut pas vivre à
l'état de puissance, car il doit y avoir unité de
puissance dans l'État.
L’église ne
peut plus désormais être une institution; elle ne peut
être qu'une association ayant sa doctrine et ses rites,
association qu'il faut respecter, par égard pour la liberté
des consciences, mais en sauvegardant les droits de l'État.
Voilà,
suivant moi, la situation qui résulte de notre régime
politique actuel. (Très,
bien! très, bien! à gauche).
Messieurs, la
contradiction que je signale n'existe pas seulement dans les
principes sur lesquels reposent l'État moderne et l'Église;
elle existe également dans les faits. Elle a éclaté
dans les faits, à toutes les époques, entre ces deux
pouvoirs qu'on avait espéré faire vivre en paix à
l'abri du Concordat; vous l'avez vu surtout dans ces dernières
années, depuis que nous avons commencé à donner
à la République des institutions conformes à son
principe, et il ne pouvait pas en être autrement.
Comment
voulez-vous qu'un État qui se pique d'être laïque
et qui développe tous les jours ce principe de la laïcité
s'entende avec l'Église, qui ne peut renoncer, de son côté,
à faire prévaloir les doctrines ? Ou l'Église
renoncera. à exercer une action efficace sur la direction des
affaires publiques et notamment sur l'enseignement, d'où
découle tout le reste, car c'est l'enseignement. qui fait les
générations futures appelées à gouverner
le pays, ou bien l'Église renoncera à exercer cette
action, et alors elle ne sera plus l’Église, l'Église
immuable, telle que nous la connaissons depuis ses origines; ou, au
contraire, elle prétendra exercer cette action sur les
affaires publiques et dans un sens contraire naturellement à
l'État; et alors comment éviter les conflits ?
Messieurs,
je ne veux pas refaire l'histoire de ces vingt dernières
années, mais vous vous rappelez que nous avons rencontré
l'antagonisme de l'Église partout et à chaque pas; elle
s'est mêlée à toutes les tentatives, même à
la dernière, cette misérable aventure qu'on rappelait
d'un mot tout à l'heure; elle s'est mêlée à
toutes les entreprises dirigées contre la République;
elle a été dans les élections de 1885 qui
avaient motivé les paroles de la déclaration de I886
que je viens de vous lire; elle a été dans les
élections de 1889; elle a été dans l'opposition
à nos lois scolaires, à nos lois militaires; elle a été
dans tous les conflits sur des incidents particuliers auxquels nous
avons assisté. Il ne pouvait pas en être autrement.
Voilà la contradiction dans les faits telle que nous l'avons
vue.
Parlerais-je
des incidents récents ?
L'honorable M. Dide - et
c'était la l'objet principal de cette interpellation - a passé
sur ce point légèrement tout à l'heure ; je ne
veux pas y insister davantage, mais enfin vous ne pouvez pas oublier
ce mépris hautain qu'affichaient l'autre jour des évêques
de l'autorité civile et de la justice; vous ne pouvez pas
méconnaître la gravité de ces protestations
imprudentes par lesquelles certains évêques vont jusqu'à
viser la politique étrangère, et vous ne pouvez pas
oublier davantage ces catéchismes différents, -et
contraires en cela au Concordat qui voulait l'unité du
catéchisme, ces catéchismes divers suivant les
diocèses, mais qui se réunissent tous en un point
commun qui est, sous des formes de langage plus ou moins habiles,
d'enseigner la résistance à la. République et à
ses lois. (Applaudissements
a gauche.)
M. le baron de Lareinty. Que faites-vous de la liberté de conscience?
M. René
Goblet.
Je sais qu'il y a des hommes politiques qui ne s'en émeuvent
pas et qui considèrent ces faits avec un suprême dédain.
Je les admire de ne pas voir que c'est là la dernière
et la plus dangereuse tentative peut-être qui puisse être
dirigée contre nos institutions, contre nos principes et
aussi, messieurs, contre la paix publique.
Pour moi, je résume
la question d'un mot. On a parlé d'apaisement ; oui, il a été
quelque temps sur les lèvres ; vous nous pardonnerez de ne pas
y avoir cru ; il ne pouvait pas être au fond des choses, parce
que le fond des choses, c'est un antagonisme forcé.
Vous
avez vu qu'au premier incident les hostilités se sont
réveillées plus violentes et plus générales
que jamais, (Très
bien! très bien! à gauche.)
Eh bien, je me résume d'un mot, qui répond, je le
crois, à la pensée générale du pays:
cette situation est intolérable, il faut absolument que l'on y
mette un terme.
Que
nous propose-t-on et que propose le Gouvernement ? C'est une question
que je pose à cette heure, car elle est très
insuffisamment éclairée par ce que nous avons pu lire
dans les journaux des déclarations qu'on doit nous apporter
aujourd'hui. Mais je pose la question: que nous propose-t-on en face
de ces actes de rébellion que je viens de retracer à
grands traits ? On nous dit: Nous allons exécuter le
Concordat, et, au besoin, - il y a tout au moins des sénateurs
et des députés qui seraient disposés à
tenir ce langage - si le Concordat ne suffit pas, nous y ajouterons
de nouvelles lois, de nouvelles armes. Quoi messieurs, est-ce que
vous n'avez pas assez de lois?
Est-ce que les moyens
coercitifs nous manquent ? Mais, l'honorable M. de Marcère les
rappelait tout à l'heure et permettez moi d'en parcourir la
nomenclature. Vous avez l'appel comme d'abus (Rires
à gauche);
je ne me fais pas d'illusion sur ce procédé et je
conviens avec vous, avant vous, si vous me le permettez, parce que je
l'ai pratiqué, que c'est là un moyen absolument
illusoire; vous avez la suspension des traitements, puisque le
conseil d'État a reconnu ce droit au Gouvernement; il a été
pratiqué par l'ancienne monarchie; et si l'on veut appliquer à
l'état actuel la politique de l'ancienne monarchie, an a
incontestablement le droit d'user de ce moyen; vous ayez une
législation spéciale contre le clergé, les
articles 200 et suivants du code pénal, et vous avez aussi le
droit commun, notamment cet article 222 sur l'outrage que la
jurisprudence a déclaré applicable aux évêques.
Vous avez tout cela; Vous disposez de l'amende, vous l'avez vu
l'autre jour, et même vous pouvez disposer de la prison. On ne
le fait pas. Je m'empresse de déclarer qu'on a bien raison.
L'abbé Maury disait qu'il n'était pas bon de faire des
martyrs. J'estime que, surtout quand il s'agit de faire des martyrs,
à si peu de frais, cela devient ridicule autant que dangereux.
(Rires
approbatifs à gauche,)
Messieurs, on a l'autre
jour condamné un archevêque qui incontestablement
s'était rendu coupable d'outrage. Mais le lendemain un autre
évêque, s'appropriait cette déclaration où
l'on osait dire au Gouvernement et à la justice que le respect
leur manque, et que ceux-là même qui sont
particulièrement soucieux du respect, sont obligés de
constater qu'en le leur refusant, on ne leur fait presque rien
perdre. Ce langage, il s'adressait à son supérieur, à
M. le ministre des cultes. Est-ce qu'on l'a poursuivi ? Pas plus que
les autres évêques qui le sont associés aux
manifestations que vous connaissez.
Vous voyez donc bien que
ce ne sont pas les lois qui vous font défaut; mais vous êtes
dans l'impossibilité de vous en servir.
Pourquoi ? Parce que - et
c'est la conclusion logique, nette et claire qu'il faut tirer de tout
ceci - en pareille matière, les rigueurs sont impossibles ;
elles répugnent à nos mœurs et se retournent
contre ceux qui s'en servent.
Les rigueurs sont
impuissantes, inefficaces, et ne donnent aucune satisfaction aux
adversaires de l'Église; elles irritent. davantage les fidèles
et augmentent le prestige du clergé auprès d'eux.
Pour
qui donc exercer ces rigueurs? Pour les indifférents? Cela
n'en vaut pas la peine. Il n'y aurait qu'un moyen de faire plier
l'Église, c'est celui qu'employait l'auteur du Concordat:
c'est la force. (Mouvement.)
Vous ne voulez pas, vous ne pouvez
pas
l'employer; dès lors il n'y a qu' un remède - vous
hésiterez peut-être longtemps encore, mais vous y
viendrez - et ce remède c'est que chacun reprenne sa liberté,
(Mouvements
divers,.)
Je
sais les objections qu'on fait à ce système. Permettez
moi d'y répondre en quelques mots,
On dit: l'Église
serait plus forte si on relâchait le lien qui la tient
aujourd'hui attachée à l'État, Je ne le crois
pas, et pourquoi? (Bruit
au gauche et au centre.)
Permettez moi de
m'expliquer. (Parlez!
parlez!) Vous
pensez bien que je ne suis pas monté à la tribune, dans
l'état d'isolement que j'ai constaté moi-même,
sans croire que j'avais de bonnes raisons pour soutenir mon opinion.
Je
dis que je ne le crois pas, et pourquoi? Parce que la force que
possède aujourd'hui l'Église, elle la tient beaucoup
moins d'un sentiment religieux, d'un sentiment de foi, qui, il faut
bien le reconnaître, est plutôt en décroissance
(Rumeur,
à droite)
que de l'autorité même qu'elle tire de l'État.
(Bruits
divers.) .
C'est
ce que disait fort justement, à la Chambre, dans la discussion
de 1887, l'honorable M. Pichon, qui m'invitait alors, - ce à
quoi j'ai résisté, - à supprimer purement et
simplement le budget des cultes :
" L’État
fait de l'Église une institution officielle; Il l'érige
on pouvoir public et lui donne le prestige d'une institution d'État.
"
C'est
la vérité. Pourquoi donc traitez-vous les évêques
comme vous le faites? Pourquoi donc, quand ils outragent un ministre,
ne les frappez-vous pas comme les autres citoyens? C'est parce qu'ils
ont une autre qualité.
On
a contesté tout à l'heure qu'ils eussent celle de
fonctionnaires. Ils ont, dans tous les cas, une qualité
officielle ; ils tirent une autorité particulière de
l'État. Et ce qu'il y a de véritablement exorbitant,
c'est que le clergé tire cette autorité de l'État
pour le combattre, en même temps qu'il reçoit de lui les
traitements qui le font vivre.
Cela n'a rien qui vous
choque? Cela me parait à moi, je dirais presque scandaleux.
Voulez-vous
me permettre de vous montrer ce qu'en pense un philosophe éminent,
dont la modération, sans doute, ne vous paraîtra pas
suspecte. Voici ce qu'écrivait, Il n'y a pas bien longtemps,
je crois, M. Paul Janet dans une fort belle étude sur les
principes de 1789:
"
Supposons que l'Église accepte définitivement, au lieu
du Syllabus, les principes de la société moderne, le
règlement des rapports entre les deux pouvoirs deviendrait
plus facile; et soit que l'on préfère une alliance avec
des sacrifices réciproques, ou une séparation avec des
droits garantis, la paix pourra exister. "Ce qui rend la
question si difficile, c'est une Église hostile qui vent
continuer à être hostile en jouissant à la fois
de tous les avantages de la protection et de tous les droits de la
liberté."
Oui,
voilà ce qui est inadmissible : c'est une Église qui
veut continuer à demeurer hostile, en jouissant à la
fois de tous les avantages de la protection et de tous les droits de
la liberté.
Est-ce
que vous croyez que l'église puisse renoncer au syllabus ?
Est-ce que vous croyez qu'elle puisse se réconcilier avec les
principes de la société moderne ? Cela est impossible.
Et si cela est impossible, il faut faire cesser cette antinomie qui
consiste à rétribuer, à protéger, à
investir d'un caractère officiel une Église qui ne
reçoit tous ces avantages que pour s'en servir contre l'État.
(Très
bien ! sur plusieurs bancs.)
Je dis que lorsque vous
aurez enlevé à l'Église cette situation
officielle, lorsque vous l'aurez ramenée à cet état
que j'indiquais tout à l'heure, d'une association ayant ses
doctrines, ayant son culte, -association qu'il faut respecter, mais
qui, vis-à-vis de l'État, n'aura plus le même
caractère,- si cette association de citoyens, on quelques-uns
de ses membres se permettent vis-à-vis du Gouvernement ou de
tout autre, des délits qui tombent sous le droit commun, vous
leur appliquerez les peines de droit commun comme aux autres.
Cela
n'empêchera pas le prêtre de remplir son office; 1e
prêtre devenu, suivant l'expression de Mirabeau, que rappelait
tout à l'heure l'honorable M, Dide, un simple officier de
morale, le prêtre pourra conquérir encore une haute
autorité, s'il la mérite par ses vertus et par son
caractère ; mais il n'empruntera plus l'autorité de
l'État pour le braver ensuite impunément, comme il le
fait aujourd'hui,
Voilà
comment la séparation ne peut, selon mi, augmenter la force de
l'Église, ainsi que certains hommes politiques semblent le
redouter.
Messieurs
je conviens que cette séparation ne peut se faire sans
garanties; garanties non pas pour l'Église, que l'État
dans ce
système
ne connaît plus, ne doit plus connaître, mais garanties
pour les citoyens à qui est due la libre pratique de leurs
croyances et de leur culte.
Je
viens de dire ce que je pense des abus du clergé, je dirai
avec la même sincérité que j'ai trop le respect
du sentiment religieux et des croyances sincères, pour avoir
jamais compris la séparation des Églises et de l'État
dans d'autres conditions que ces conditions de liberté et
d'équité. Ce
doit être là l'objet d'une loi sur les associations, loi
qui doit assurer le libre exercice des cultes, en donnant aux
associations; aux associations religieuses comme aux associations
civiles, le moyen de posséder ce qui est nécessaire
pour leur fonctionnement,
(Bruit et
mouvement prolongé à gauche et au centre,)
Vous
arrêtez ma phrase avant qu'elle soit complète. (Parlez!
parlez!)
Je
dis que je ne comprends cette loi sur les associations religieuses
qu'à la condition qu'elle leur donne le droit de posséder
ce qui est nécessaire à leur fonctionnement.
Pourquoi
donc, s'il vous plaît, le refuser aux associations religieuses,
lorsque vous avez fait la. même chose pour les syndicats
professionnels? (Approbation
au centre, et à droite,)
Mais de même que
vous devez accorder à ces associations ce qui est nécessaire
à leur libre fonctionnement, de même, en limitant leur
droit de possession, vous devez sauvegarder les droits incontestables
de l'État.
Si,
à une loi conçue dans cet esprit, vous ajoutiez des
mesures transitoires et, par exemple, cette mesure dont j’ai
quelquefois parlé à la Chambre, qui concéderait
aux membres du clergé en exercice leur traitement à
titre viager, afin de permettre
aux
associations de se former et d'aboutir à une organisation
nouvelle je crois que par un ensemble de dispositions semblables vous
auriez donné pleine satisfaction aux consciences religieuses,
en même temps que vous auriez donné pleine sécurité.
pleine garantie aux droits de l'État. (Mouvements
divers.)
Et
alors, il ne reste qu'une dernière objection. On dit : "
Un tel régime ne convient pas à l'état de nos
mœurs, l'opinion
n'est
pas préparée à l'accepter. ,
Je
réponds d'abord que ce régime a déjà
existé, qu'on en a fait l'expérience ; car c'est une
erreur historique absolument démontrée aujourd'hui de
soutenir, comme semblait le faire tout à l'heure encore
l'honorable M. de Marcère, que le culte religieux en France
ait été rétabli par le Concordat. Dès
avant cette époque, les prêtres catholiques avaient
relevé les autels sur la plus grande partie du territoire.
(Mouvements
divers.)
Vous en doutez ? (Non
! Non ! à droite.)
Permettez-moi, pour mettre
ce point hors de conteste, de vous faire, une courte citation. Elle
est empruntée au beau livre de M. d'Haussonville, sur le
premier empire et sur l'Église romaine:
" Les ministres de
l'Église catholique n'avalent pu attendu la convention passée
avec le pape pour reprendre leur mission. On calomnie ces saints
prêtres, on leur enlève leurs plus beaux titres à
la vénération publique, on méconnaît
surtout étrangement les faits, lorsqu'en puisant des phrases
toutes faites dans les harangues du temps, on se met à répéter
aujourd'hui, suivant la formule officiellement consacrée, que
en signant le Concordat, Bonaparte releva d'un mot les autels
abattus. Les autels étalent déjà relevés;
une statistique administrative de cette époque et les recueils
religieux qui paraissaient alors et qui bientôt durent se taire
ou passer dans d'autres mains, constatent que le culte était
avant la publication du Concordat, rétabli dans plus de 40 000
communes. "
Et
M. Jules Simon, que je regrette de ne pas voir aujourd'hui à
son banc, confirmait le fait dans un de ses livres que j'appellerai
aussi un beau livre, et qui s'appelle : Dieu,
patrie et liberté.
Cette situation a donc
existé. Pourquoi serait-il impossible qu'elle existât de
nouveau aujourd'hui?
Vous
dites que nos mœurs ne s'y prêtent pas. Je répète
que la question a fait beaucoup de chemin dans l'opinion publique, et
que les éventualités qu'on envisageait, qu'on prévoyait
déjà en 1882, comme je vous le montrais tout à
l'heure, se sont
considérablement
rapprochées.
Messieurs,
ce n'est pas, il me semble, une indiscrétion de dire que
précisément, à cette époque, j'avais,
comme ministre de l'intérieur, d'accord avec le président
du conseil, préparé un projet de loi sur les
associations, conçu dans le sens que j’ai indiqué.
Nous
ne l'avons pas déposé, parce que nous n'en avons pas eu
le temps (Sourire)
... nous avons été renversé avant de pouvoir le
faire ... (Hilarité
générale.)
M. Dide. Ce n'était pas l'époque de la stabilité ministérielle.
M.
René Goblet.
Non, ce n'était pas l'époque de la stabilité
ministérielle, et je dis très sincèrement qu'on
a bien fait d'adopter d'autres mœurs politiques, que la
stabilité ministérielle est une chose excellente, à
la condition ... (Nouvelle
hilarité.)
Tout est relatif en ce monde ! Vous le savez, monsieur le ministre
des affaires étrangères. - Oui, la stabilité
ministérielle est excellente, à la condition qu'on s'en
serve pour agir et pour résoudre les questions, au lieu de les
laisser s'envenimer, faute de solution.
Messieurs, ce projet qui
n'avait pu être déposé en 1882 a servi de base à
celui que M. Floquet, - je faisait partie du cabinet à la tête
duquel il se trouvait, et j'ai été pour quelque chose
dans sa résolution, - a déposé en 1888. Ce
dernier projet n'a pas eu plus de succès que le précédent,
qui n'avait pas vu le jour, parce que le ministère est tombé
à son tour, avant qu'on ait pu l'examiner. (Nouveaux
rires)
Mais
enfin pourquoi le Gouvernement, à la tête duquel je vois
aujourd'hui encore l'homme éminent pour qui, je n'ai, vous le
savez, que les sentiments de la plus affectueuse déférence,
et dont j’ai eu l'honneur d'être à plusieurs
reprises le collaborateur, pourquoi
le Gouvernement ne reprendrait- il pas le projet sur la liberté
des associations?
Il
me semble cependant qu'il a pris à notre égard des
engagements dans ce sens et je ne puis oublier le discours prononcé
par l'honorable président du conseil à l'Hôtel de
Ville, à a fin de l'année dernière où, en
même temps qu'il constatait que: " La République a
assuré l'émancipation de l'État à l'égard
des croyances religieuses et réalisé des progrès
qui sont un acheminement vers cette séparation des Églises
et de l'État que les esprits philosophiques considèrent
comme le dernier terme de l'évolution moderne ", il
annonçait: " que le Gouvernement se préparait à
établir la liberté des associations ",
Je
ne demande pas entendez-le bien, qu'on arrive d'un seul coup au
dernier terme de l'évolution moderne. Je ne suis pas un
intransigeant, je suis pour le possible ; mais
ce qui me parait parfaitement possible, c'est de raire aujourd'hui un
pas de plus, un pas décisif et, après les progrès
déjà réalisés dans la vole de
l'émancipation de l'État, d'accomplir ce progrès
plus considérable encore de préparer la séparation
de l'Église et de l'État en apportant au Parlement un
projet de loi sur la liberté des associations.
Messieurs,
telle est, pour moi, la conclusion légitime de débat.
J'ajoute qu'elle me paraît la seule utile et pratique ...
Un sénateur au centre. Dangereuse !
M. René Gobelet. Je le répète, je ne me fait pas d'illusion, je pense que cette solution ne rencontrera pas la majorité parmi vous ; mais vous me permettrez de dire en terminant que faute de cette conclusion, il est maintenant fort à craindre que les éloquents discours que vous avez entendus et que vous allez entendre encore, ainsi que les engagements si nets qu'ils puissent être, qu'on prendra devant vous, ne demeurent forcément stériles, et que vous ne voyiez la question renaître et revenir encore, ramenée toujours par de nouveaux et j'ajoute par d'inévitables conflits. (Très bien ! très bien ! - Applaudissements sur quelques bancs à gauche.)
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