25 janvier 1956
PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à inviter
le Gouvernement au respect intégral de l'article 2 de la loi sur la
séparation des églises et de l'État, présentée
par MM. Alduy, Frank Arnal, Baurens, Béthet, Binot Jean Bouhey, Marcel
Cartier, Jean Charlot, Conte, Cormier, Robert Content, Dagain, Darou, Marcel
David, Defferre, Mme Degrond, MM.Delabre, Denvers, Depreux, Guy Desson, Poutrellot,
Dumortier, Evrard, Cagnaire, Joseph Garat, Gazier, Cernez, Gourdon Guibert,
Guille, Jean Guillon, Jean-Raymond Guyon, Henneguelle, Jusktewenskl, Lamarque-Cando,
Pierre-Olivier Lapie, Tony Larue, Le Bali Francis Leenhardt, Le Fioch, Max
Lejeune, Le Strat, Loustau, Mabrut, Mazier, Pierre-Fernand Mazuez, Pierre
Métayer, Jean Meunier, Minjoz, Jules Moch, Guy Mollet, Marcel-Edmond
Naegelen, Parmentier, Pineau, Tanguy Prigent, Paul Ramadier, Regaudie, Eugène
Thomas, Thoral, Tileux, Francis Vals, Verdier et Emmanuel Véry, députés
(Avec demande de discussion d'urgence, conformément à l'article
61 du règlement.). -(Renvoyée à la commission de l'intérieur.)
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, messieurs, l'article 2 de la loi du 9 décembre
1905 relative à la séparation des églises et de l'État
dispose que "la
République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun
culte ".
L'article 1er de la Constitution déclare que
la République française est laïque. Et voici comment,
il y a dix ans, l'un des
dirigeants d'un parti qui a le plus ouvertement méconnu ce principe
fondamental du droit public français, M. Maurice Schumann, après
avoir condamné le cléricalisme en tant que tendance que pourrait
avoir une société spirituelle à se servir des pouvoirs
publics pour satisfaire sa volonté de domination, a excellemment
défini la laïcité: " La laïcité de l'État
signifie son indépendance vis-à-vis de toute autorité
qui n'est pas reconnue par l'ensemble de la nation, afin de lui permettre
d'être impartial vis-à-vis de chacun des membres de la communauté
nationale et de ne pas favoriser telle ou telle partie de la nation ".
(Séance du 3 septembre 1916, Journal officiel, Débats,
p. 3474.)
On peut ajouter que la laïcité de l'État
est la garantie parfois de son existence, souvent de sa souveraineté,
toujours des libertés des citoyens.
Or, ces libertés individuelles - et pas seulement
la liberté de conscience - cette indépendance nationale, sont
aujourd'hui en
grave péril tellement elles ont été méconnues
ces dernières années dans tous les domaines, progressivement,
insidieusement ou ouvertement, par des ministres et des fonctionnaires sous
leurs ordres, au profit presque exclusif de l'église catholique, de
sa hiérarchie, de son clergé, de ses organismes nouveaux ou
anciens, de ses fidèles, sans parler de son enseignement et, toujours
sans contrepartie pour l'intérêt de la France si négligé,
de par le monde, par le catholicisme. Il importe au plus vite d'y remédier.
Nous vous proposerons les lois nécessaire ultérieurement.
Mais il y a des domaines qui ne peuvent dire de la
compétence du législateur et relèvent de la responsabilité
ministérielle. Ce sont ceux que vise la très simple proposition
de résolution que nous vous présentons ici et l'énumération
que nous allons faire est très loin d'être complète
ou limitative. II ne s'agit que de quelques exemples.
Voici, notamment, une question orale n° 18341 posée
par un député, le 13 octobre dernier (Journal officiel,
p. 5116), au Gouvernement et à laquelle celui-ci eut soin de ne pas
répondre dans l'impossibilité ou il était d'invoquer
le moindre précédent, mène en remontant aux temps concordataires,
pour justifier de tels agissements.
Elle attirait l'attention de M. le président
du conseil sur les faits suivants tous relatés dans le journal
La Croix: le Gouvernement français s'est fait officiellement représenter:
1° en avril 1955, à la béatification de prêtres "martyrs
des boxers en Chine", par un ministre et deux sénateurs; 2° en
mai 1955 à la béatification du Père Champagnat, par
un ministre; 3° en juin 1955 au sacre de Monseigneur Fontenelle, par
un ministre et un député; 4° en juin 1955, à la
béatification de prêtres ayant refusé de prêter
serment à la Constitution civile du clergé et exécutés
à Laval en 1794, par un ministre ; 5° en juillet 1955, au congrès
eucharistique international de Rio de Janeiro, par un député;
6° en juillet 1955, à l'exposition missionnaire catholique de Colmar,
par un ministre; 7° en août 1955, aux cérémonies mariales
du pèlerinage national de Lourdes, par un secrétaire d'État;
8° en septembre 1955, à la quinzaine missionnaire catholique de
Lille, par un ministre. L'auteur de la question invitait M. le président
du conseil à faire connaître quels sont les précédents
qui, depuis le vote de la loi de séparation des églises et
de l'État, ont donné lieu à une représentation
officielle du Gouvernement par un de ses membres ou par un parlementaire
délégué à cet effet à des cérémonies
de sacre, de béatification ou de canonisation à Rome, à
des congrès eucharistiques internationaux, à des pèlerinages
à Lourdes, à l'inauguration d'expositions catholiques missionnaires.
Il n'est pas inutile de préciser que, s'agissant
du pèlerinage de M. Abelin à Lourdes, La Croix du
25 août 1955 s'est exprimée ainsi: "Chargé de représenter
officiellement le Gouvernement au pèlerinage, le secrétaire
d'État aux affaires économiques fut accueilli par M. Beguère,
maire de Lourdes, et le secrétaire général de la préfecture,
tandis qu'un détachement de hussards parachutiste coiffés du
béret bleu rendait les honneurs. Ainsi, pour la première fois,
la présence d'un ministre devait accentuer le caractère national
du pèlerinage. "
Quant à la présence de M. P-H. Teitgen
à Lille, on peut lire dans le programme officiel de la quinzaine
missionnaire catholique tenue dans cette ville, du 24 septembre au 9 octobre
1955, que le "samedi 24, à onze heures trente, avait lieu l'inauguration
officielle de l'exposition par son Éminence le cardinal Liénart
et M. P. H.Teitgen, ministre de la France d'outre-mer, en présence
des représentants de M. le ministre des affaires étrangères
et des autorités religieuses et civiles". Si l'expression, si fréquente
maintenant dans la presse et à la radio " les autorités civiles,
militaires et religieuses" est déjà aussi illégale
que révélatrice de la cléricalisation de notre vie
publique, que dire des "autorités religieuses et civiles" et
d'un ministre qui passe après un cardinal ? La France ne serait-elle
pas devenue une théocratie ?
Au surplus, selon la Voix du Nord du 25 septembre,
M. Teitgen déclara au banquet suivant cette inauguration au protocole
révolutionnaire: "Il y a vingt ans" - il ne s'agit donc pas de 1905
mais de 1935 - "une telle exposition n'aurait sûrement pas déplacé
un ministre en exercice ... C'est qu'il y a quelque chose de changé
chez nous. "
Dans ces conditions, il faut que cela change de nouveau
et que la France redevienne laïque, indépendante et impartiale.
Aucune participation officielle, gouvernementale administrative
ou militaire à des cérémonies religieuses de caractère
non officiel et traditionnel ne doit plus avoir lieu en France; dans l'Union
française, à Rome ou ailleurs.
Toute bénédiction religieuse de monuments
ou d'ouvrages publics, toute cérémonie religieuse incluse dans
des manifestations officielles .-choses devenues si fréquentes -
ne devra plus être demandée ou autorisée.
Aucun office religieux ne devra plus être autorisé
ou toléré - hormis l'exception légale des processions
antérieures à 1906 - sur la voie publique ou le domaine public,
car il viole autant la laïcité de l'État propriétaire
de ce domaine que la liberté de conscience des citoyens, qui ne sont
pas fidèles de cette religion favorisée - et de leurs enfants
- riverains de ces voies publiques et forcés, malgré eux, d'entendre
et voir cet office. Le clergé et les fidèles catholiques ont
la plus entière liberté touchant les offices dans les églises.
Celles-ci, la plupart du temps propriété publique, sont précisément
affectées à cet usage exclusif, mais c'est un abus sans précédent
de voir des messes célébrées sur des places publiques
de localités diverses et même sur la place Saint-Sulpice, le
square des Batignolles et la Seine à Paris. Aucune autorisation de
ce genre ne devra plus être donnée.
Aucun rang protocolaire ne devra plus être conféré,
parmi les personnalités et fonctionnaires publics à des ministres
des cultes en cette, qualité, ou à des dirigeants d'organismes
ou d'établissements religieux. Il n'est pas admissible de voir, comme
cela se
fait parfois maintenant, dans les cérémonies officielle,
un évêque à côté du préfet et de
parlementaires et avant les fonctionnaires du département - ou même
parmi eux - ou les doyens et professeurs facilités catholiques à
côté des facultés d'État et bien avant les professeurs
des lycées par exemple. La seule place protocolaire des ecclésiastiques,
selon le décret de 1907 toujours en vigueur, sa trouve après
toutes les personnalités officielles, tous les corps constitués
et les fonctionnaires, c'est-à-dire au premier rang si l'on veut des
personnalités privées qui viennent ensuite, mais parmi elles.
Il n'y a plus, légalement, de religions "reconnue" en France. Les cultes
ne sont que des activités "privées", sinon l'État
n'est plus en régime de " séparation".
Il convient aussi sérieusement de revoir toutes
les questions de radiodiffusion, télévision (et aussi des
censures cinématographiques et autres) où l'État a
souvent mis gratuitement (et sans contrôle préalable sérieux
de sa part sur les paroles prononcées) des moyens de diffusion et
de propagande très puissants à différents cultes et
en favorisant spécialement le culte catholique romain.
Il faudra veiller à la plus stricte impartialité
de l'État en matière religieuse à l'égard de
ses fonctionnaires et agents dans leur service.
Et aussi, c'est là surtout où notre énumération
est très loin d'être complète et limitative, le respect
de l'article 2 de la loi de séparation exige que les pouvoirs publics
- et aussi bien les collectivités publiques locales et les établissements
publics à caractère industriel et commercial que l'État
- cessent complètement d'aider pécuniairement indirectement
ou de favoriser directement en quoi que ce soit - en dehors de la garantie
légale de la liberté d'exercice des cultes dans les immeubles
à ce destinés - la personne, l'autorité privée,
l'œuvre, l'action, la propagande ou les censures de ministres des cultes,
en tant que tels, de fidèles, de religions, ni d'organismes se déclarant
ou tant en fait, même partiellement de but, d'inspiration, de direction
ou de contrôle religieux. L'État n'a pas à les reconnaître,
à les salarier ou à les subventionner.
Nous ne sommes pas, en France, dans une hypothèse
où l'État reconnaîtrait tous les cultes et, en principe,
les aiderait également, mais au contraire sous un régime où
l'État, sans les ignorer (toutes les lois de 1905 à 1908 établissent
entre les cultes et lui les rapports nécessaires) ne les reconnaît
pas officiellement et, surtout, ne les aide en rien.
A cet égard, pour montrer seulement la variété
des problèmes soulevés sur lesquels une enquête sérieuse
d'ensemble devrait être ordonnée, rappelons que le Trésor
public sur les 360 millions que l'État consacre chaque année
à sa publicité financière régulière épisodique
dans les journaux ajoute des insertions exceptionnelles, cadeaux du Trésor
aux publications culturelles et charitables (cf.. Le Monde du 18
novembre 1955) parmi lesquelles bon nombre sont religieuses; que l'allocation
vieillesse aux non-salariés de la loi du 10 Juillet 1952 est allouée
aux membres de congrégations religieuses (cf.. question écrit
n• 4040, J. 0. Conseil de la République du 16 février 1953
p. 7107), même non reconnues légalement et obligeant statutairement
leurs membres à faire abandon de tous leurs biens présents
et futurs à charge par elles de subvenir à leur subsistance:
ces congrégations sont évidemment alors "sans ressources ",
les allocations à eux données constituent des subventions publiques
aux congrégations, ce qui n'avait jamais dans l'histoire été
admis en France - qu'une circulaire n° 51-158 du 16 août 1951 (J.
0. du 13 septembre p. 9257) du M. R. U. accorde par "une Interprétation
libérale des textes" le bénéfice des primes à
la construction aux maisons à usage de presbytères ou
servant au logement des "aumôniers" et aux "constructions à
usage d'habitation édifiées par des groupes communautaires",
et le journal La Croix du 25 novembre 1951 ajoute: "Donc des communautés
de prêtres, de religieux, de religieuses", et évidemment aussi
des congrégations religieuses non reconnues ou autorisée. Et
nous ne parlons pas des avantages donnés par le même ministère
pour la reconstruction des bâtiments religieux et des facilités
accordées par le ministère des finances aux emprunts pour la
reconstruction des églises.
Citons un autre cas typique: le Conseil d'État
avait admis en 1921, dans le silence de la loi à cet égard,
qu'une très modique indemnité pouvait être versée
par une commune au curé en tant que gardien de l'église (bâtiment
public communal) sans que cela soit là une subvention indirecte au
culte. Il fallait naturellement aussi que le curé résidât
bien dans la commune et non loin de l'église afin d'en être
véritablement le "gardien". Le taux annuel maximum très minime,
fixé par arrêté du ministre de l'intérieur, passa
progressivement de 300 F le 20 mai 1921 à 3.000 F le 14 avril 1947;
il fut, ensuite, porté à 8.000 F, le 13 août 1952. Le
franc n'ayant pas sensiblement changé de valeur, depuis lors, aucune
raison économique ne justifiait l'accroissement de ce taux. C'est
pourtant ce qui fut fait; deux ans après, le 31 août 1954, et
l'on doubla même, alors, ce montant maximum: 16.000 F par an et, en
même temps, audacieusement, malgré la jurisprudence de 1921
contraire à de tels errements, l'on admit que le curé desservant
plusieurs paroisses pourrait percevoir une indemnité, même comme
gardien de la ou des églises dans la commune desquelles il ne résidait
pas. Un particulier propriétaire payerait-il un concierge à
Saint-Denis pour garder aussi un autre immeuble à Sceaux ? Il est
clair que dans ces cas, il y a subvention indirecte au culte. De tels actes
doivent cesser et cette circulaire illégale de 1954 doit être
rapportée.
Il faut que le Gouvernement rapporte immédiatement
l'acte inexistant et pourtant mis en vigueur, dit décret du 25 janvier
1949 et le décret du 10 octobre 1952 relatif au régime de
l'aumônerie militaire et qui viole ouvertement non seulement la loi
de séparation, mais la loi toujours en vigueur du 8 juillet 1880
sur l'aumônerie militaire. Il faut, en maintenant l'annulation de
l'acte dit décret du 28 août 1941 revenir à l'excellent
régime du décret du 9 novembre 1935, seul légal en
France.
Pour comprendre l'importance du problème et la
violation scandaleuse du principe de droit que constituent les deux décrets
susvisés, il suffit de renvoyer aux exposés des motifs très
circonstanciés des propositions de loi et de résolution n°
10232 et 10233 de la précédente législature.
Enfin, pour finir par une question intéressant
à la fois la souveraineté de la France, l'intérêt
national et parfois même la protection de la liberté de citoyens
français catholiques (que l'État a le devoir de protéger
contre les emprises étrangères comme les autres citoyens),
il faut que les autorités publiques n'accordent plus aucun honneur,
facilité ou prérogative prétendument diplomatique à
des ecclésiastiques de nationalité non françaises dans
leurs voyages, ou dans leur rôle à l'égard de particuliers
français et leurs actions de plus en plus autoritaires sur les territoires
métropolitains et d'outre-mer, qui ne sont pas, au préalable,
agréées ou autorisées par le Gouvernement. L'église
catholique ne doit pas être un État dans l'État et ses
émissaires romains s'ils s'immiscent dans des affaires internes françaises
- ce qu'aucun Gouvernement n'avait toléré et encore moins encouragé
avant ces dernières années - doivent sentir au moins la froideur
publique et la désapprobation officielle.
En outre, il est indispensable de revoir un à
un et avec fermeté le cas des aumôniers étrangers de
plus en plus nombreux arrivant en France munis d'ordres et de pouvoirs du
Saint-Siège pour desservir religieusement les nouvelles paroisses
étrangères, des groupements de leurs compatriotes émigrés
en France, dont bien souvent ils freinent ou empêchent - s'agissant
surtout d'enfants nés en France - l'assimilation souhaitable dans
la communauté nationale.
C'est pourquoi nous avons l'honneur de vous soumettre
la proposition de résolution suivante, avec demande de discussion
d'urgence;
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L'Assemblée nationale invite le Gouvernement
à revenir à une stricte application de l'article 2 de la loi
du 9 décembre 1905 - garantie de la laïcité constitutionnelle
de l'État et de la liberté de conscience de tous les citoyens
- et à veiller à son respect par les administrations et les
collectivités publiques.