20 mai 1927
PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à introduire dans les
départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle,
avec des mesures spéciales d'adaptation et de transition, la loi
du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises
et de l'État et la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement
primaire obligatoire, présentée par MM. Peiroles, Albert
Paulin, Albert Sérol, Antonelli, Aurey, Vincent Auriol, Barabant,
Edouard Barthe, Basly, Beauvillain, Bedouce, César Bernard, Léon
Blum, Bonin, Boudet, Bouveri, Jean Breton, Briffaut, Brigault, Buisset,
Cadenat, Cadot, Calmon, Camille Bénassy, Canavelli, Capgras,
Hubert Carmagnolle, Cayrel, Chacun, Charles Baron, Chastanet, Chauly, Chaussy,
Compère-Morel, Coppeaux, Couteaux, Darme, Déat, Raoul Evrard,
Jean Félix, Félix Gouin, Février, Fié, Fontanier,
Eugène Frot, Gamard, Gardiol, Georges-Richard, Georges Weill, Gerboud,
Goniaux, Goude, Gros, Henri Tasso, Hubert-Rouger, Labalut, Lebas, François
Lefèvre, Léon Escoffier, Jean Locquin, Louis Héliès,
Maes, Marquet, Masson, Mistral, Ferdinand Morin, Marius Moutet, Jules Nadi,
Nicollet, Nouelle, Jean Parvy, Paul-Boncour, Paul Constans, Paul Faure,
Jean Payra, Pélissier, Plet, Ponard, Pouzet, Pressemane, Renaudel,
Auguste Reynaud, Jean Rieux, Étienne Rognon, Rémy Roux, Sizaire,
Charles Spinasse, Sully Eldin, Théo-Bretin, Isidore Thivier, Tilloy,
Jules Ubry, Valière, Lucien Voilin, députés. - (Renvoyé
à la commission d'Alsace-Lorraine.)
EXPOSE DES MOTIFS
Messieurs, depuis l'armistice, le retour à la
France de l'Alsace et de la Lorraine a posé un grand nombre de questions
d'ordre politique et administratif qui se sont offertes à la méditation
des techniciens et à l'action législative des hommes politiques
et des gouvernements. Une grande œuvre d'assimilation a déjà
été accomplie et, sur de très nombreux points, la
législation française est venue se substituer à celle
qui avait été maintenue provisoirement après l'armistice,
sous l'appellation générale de "législation locale".
De son côté, la population des trois
départements recouvrés, avec une bonne volonté incontestable,
s'est efforcée à s'adapter aux nouvelles conditions de vie.
Il n'est peut-être pas inutile de le rappeler alors que certains
mécontentements désignés en bloc et sommairement sous
le terme de "malaise alsacien" ont pu faire naître des doutes dans
les esprits les mieux intentionnés.
Nous ne rappellerons comme dernières grandes
étapes de cette œuvre d'assimilation que l'introduction du code
civil et du code de commerce français. D'aucunes avaient prétendu
qu'il était impossible de remplacer par des codes plus que centenaires
des monuments législatifs tels que les deux codes allemands, d'origine
tout à fait récente.
Cependant ces appréhensions n'étaient
guère fondées. Les deux codes français, encore qu'ils
aient bouleversé profondément les actes de la vie quotidienne
et surtout ceux de la vie des affaires, ont été accueillis
sans protestations et avec une parfaite bonne grâce.
Si nous insistons sur cet exemple, c'est qu'il démontre
à l'évidence quel est en vérité l'état
d'esprit des populations alsacienne et lorraine et combien sont vaines
les prédictions des mauvais prophètes ne cessant de proclamer
que la population alsacienne allait se lever en masse pour défendre
de prétendues traditions contre les conséquences naturelles
et nécessaires du retour de ces provinces dans le cadre de la République
française.
Il est cependant deux ordres de questions
auxquelles on n'a touché jusqu'à présent que par 1a
parole, par des discussions, il est vrai, souvent fort passionnées,
mais dont le législateur, en raison même de ces discussions,
a préféré se tenir prudemment éloigné.
Nous entendons parler de la séparation des Églises et de
l'État et de l'introduction des lois laïques dans l'enseignement
primaire. Pourtant les lois sur la séparation et sur l'enseignement
sont des lois fondamentales de la République. On ne saurait donc
douter sérieusement qu'un jour, tôt ou tard, il faudra aborder
ces deux problèmes, non plus pour en disserter davantage,
mais pour chercher à leur donner une solution effective. Les résistances
qui se présenteront aujourd'hui à une semblable entreprise
ne seraient ni moins fortes ni moins passionnées si l'on voulait
la réaliser d'ici dix on vingt ans. Nous croyons le moment venu
de faire un pas décisif en avant. Cette législature s'honorerait
en menant à bonne fin l'œuvre républicaine, non pas dans
un esprit de sectarisme, mais dans un esprit d'apaisement et avec des modalités
de transition ménageant les susceptibilités et respectant
les situations acquises.
Saisir le Gouvernement et le Parlement des deux
problèmes, voilà le début de la proposition de résolution
que nous vous soumettons. Notre idée est d'étendre tout d'abord
en principe le régime de la séparation et celui de l'école
laïque aux trois départements recouvrés. En second lieu,
seront exposées des solutions destinées à ménager
la transition et pouvant donner tous apaisements à la partie de
la population qui ne serait pas encore complètement préparée
à voir appliquer ces deux principes dans leur intégrité.
L'opinion, dans nos départements, est, on
le sait, profondément divisé sur ce point, comme elle l'est
dans la France entière. Ce serait faire de bien mauvaise politique
que de persister à en sacrifier une fraction aux préférences
de l'autre et à ses exigences.
Des deux côtés, il y a des susceptibilités
légitimes. En réservant aux unes tous les ménagements,
on froisse les autres. C'est inadmissible et nous le déplorons,
à cet égard, l'effet produit par de récentes déclarations
du chef du Gouvernement.
Sans doute, allons-nous nous heurter à l'objection
des promesses faites dès août 1914, aux jours où la
France ouvrait tout grands ses bras pour les refermer sur l'Alsace retrouvée.
Point n'est besoin de rechercher si une personnalité, quelle qu'elle
fût, avait qualité pour engager la parole de la république.
En fait, et sans considération de droit, l'objection tant de fois
renouvelée ne résiste pas à un examen sérieux.
Pour faire la démonstration, nous citerons
ces deux documents émanant l'un d'un grand chef militaire, l'autre
d'un homme d'État dont on a souvent invoqué le témoignage.
Le maréchal Joffre, dans une note en date
du 25 décembre 1914, a donné les instructions suivantes aux
administrateurs des régions occupées d'Alsace :
"Quant aux directions politiques, le commandant
en chef a prescrit de respecter, dans toute la mesure du possible, les
traditions locales et les coutumes des populations alsaciennes, notamment
en matière cultuelle.
"Il va de soi que les solutions ainsi adoptées
revêtent un caractère exclusivement provisoire.
"L'autorité militaire ne possède ni
le temps ni les moyens de procéder à une étude approfondie
des conditions de l'évolution vers notre régime administratif
ou judiciaire des institutions alsaciennes ou de leur maintien, total ou
partiel, temporaire ou définitif.
Ces questions ressortissent au Parlement et au Gouvernement
seuls.
(Voir rapport de l'administration militaire de l'Alsace
sur l'organisation des territoires; imprimé à Thann en 1917.)
Le second document auquel nous allons nous référer,
émane de M. Alexandre Milleran, ancien commissaire général
de la République à Strasbourg. Dans son livre "Le retour
de l'Alsace-Lorraine à la France" nous lisons à la page 84
:
" A Strasbourg comme à Metz, dès la
première heure, renouvelant les assurances qu'avaient données
avant lui le Président de la République, le président
du conseil et le maréchal Joffre, le commissaire général
s'était porté garant qu'en matière religieuse, comme
en toute autre, le retour du régime français signifiait respect
et liberté: " Peu à peu, avaitil dit, l'Alsace et la
Lorraine entreront dans toutes les formes de la législation française.
Pour le moment, le concordat continue." Devant les commissions de la Chambre
et du Sénat, s'expliquant sur les questions cultuelles, il renouvelait
la déclaration que, jusqu'au jour où, les représentants
de l'Alsace et de la Lorraine siégeant au Parlement, le Parlement
en aurait décidé autrement, le statu quo ne serait
pas modifié."
Ces deux citations sont aussi claires qu'elles sont
nettes. Jamais une promesse n'a été faite à l'Alsace
que le régime cultuel et que l'école confessionnelle subsisteraient
à tout jamais. Il a été promis, par contre, que
ce régime serait maintenu provisoirement. Le droit du :Parlement
et son exclusive compétence de décider du statut définitif
des cultes et des écoles, ont été expressément
rappelés et réservés. C'était la seule doctrine
possible.
Que subsiste-t-il de l'objection des promesses ?
La France a promis de respecter les traditions, les mœurs, les croyances,
les coutumes des Alsaciens et des Lorrains. Traditions et coutumes, mœurs
et croyances ne sont pas menacées par ses lois, et nous serions
les premiers à nous dresser contre le projet insensé de porter
atteinte à ces libertés. Mais revenons maintenant à
l'objet même de notre propositIon et à l'aridité du
véritable problème.
Mais revenons maintenant à l'objet même
de notre proposition et à l'aridité du véritable problème.
En reprenant possession de nos trois départements,
La France a retrouvé la législation des cultes dans le même
état où elle était le jour du traité de Francfort.
La loi fondamentale est toujours celle du 18 germinal an X plus généralement
connue sous l'appellation des articles organiques. De même sont toujours
en vigueur les lois et décrets dérivés des articles
organiques, notamment le très important décret du 30 décembre
1809 sur les fabriques d'églises instituant les obligations cultuelles
des communes politiques.
Toute cette législation repose à son
tour sur le concordat du 26 messidor an IX, ratifié le 23 fructidor
an IX ou, pour lui donner sa désignation officielle, "la convention
entre le Gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII, échangée
le 23 fructidor an IX". C'est en exécution de cette convention,
que les articles organiques, qui en reproduisent le contenu essentiel,
ont été publiés comme loi d'État. Le concordat
ayant obligé les hautes parties contractantes, il fallait, selon
les principes du droit international public, un acte de législation
intérieure pour rendre applicables et obligatoires pour les citoyens
les stipulation du document diplomatique.
Il convient de rappeler, très brièvement,
en quoi consiste, pour tous les cultes, le régime en vigueur dans
les trois départements. Il procure aux quatre cultes reconnus, mais
surtout au culte catholique auquel le concordat s'applique plus spécialement,
l'avantage d'une situation privilégiée. L'État salarie
leurs ministres, il leur accorde des pensions de retraite. Traditionnellement,
les ministres des cultes ont un droit de regard sur l'enseignement religieux
dans les écoles. Les cathédrales diocésaines et les
évêchés appartenant à l'État, les églises
paroissiales et les presbytères appartenant aux communes sont gratuitement
mis à la disposition des cultes. Enfin, la loi impose aux communes,
entre d'autres obligations, celle de subvenir à l'insuffisance des
ressources des paroisses.
En regard de ces charges imposées au pouvoir
séculier, quelles sont les prérogatives que s'est réservées
ce dernier ?
Le Gouvernement séculier a le droit de nommer
les évêques, lesquels reçoivent du pape leur investiture
canonique. Il nomme, également, les membres du directoire de l'église
protestante de la confession d'Augsbourg, ainsi que les membres des consistoires
de l'église réformée.
C'est là le seul droit important, dont l'État
semble encore se prévaloir. Quant au contrôle de l'exercice
du sacerdoce, quant à la garantie contre l'immixtion dans les affaires
temporelles que fournissait le recours comme d'abus, il semble bien que
le Gouvernement s'en soit déjà désintéressé.
Introduire la séparation en Alsace et en
Lorraine, ce serait donc confirmer pour les églises et même
étendre une liberté dont elles ne jouissent actuellement
que pour une part. Ce sera, d'autre part, libérer l'État
de l'obligation de payer les traitements aux ministres des cultes, et libérer
les communes de celle de combler les déficits des budgets paroissiaux.
Quant à la mise en pratique de la séparation,
quatre questions se posent. Quelle sera la position de l'État français
vis-à-vis du Saint-Siège ? Quelle forme convient-il de donner
aux organisations cultuelles ? Quels moyens de subsistance donner aux cultes,
privés des prestations financières de l'État et des
communes ? Comment, enfin, régler le sort des bâtiments affectés
aux cultes ?
On a prétendu que l'État français
se trouvait dans l'impossibilité de changer unilatéralement
le régime concordataire tel qu'il existe en Alsace et en Lorraine.
Ce ne serait qu'en accord avec le Saint-Siège qu'un changement pourrait
se faire. Lié par le concordat, traité relevant du droit
des gens, le Gouvernement aurait à négocier préalablement
avec la curie romaine, avant de porter la main à la législation
existante.
N'a-t-on pas même voulu invoquer en faveur
de cette thèse la haute autorité du conseil d'État
qui, dans une consultation demandée par le Gouvernement et donnée
en sections réunies, en date du 24 janvier 1925, avait simplement
confirmé le vérité d'évidence - nous citons
textuellement la conclusion de cet avis - "que le régime concordataire,
tel qu'il résulte de la loi du 18 germinal an X, est en vigueur
dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle"
?
Cette conception attribuant un caractère
bilatéral au régime concordataire en Alsace et en Lorraine,
est entièrement fausse. Mais elle ne l'est qu'à titre de
législation interne de l'État français. Le concordat,
en tant que traité de droit international public, rompu en France
en 1904, avait déjà cessé d'être appliqué
au "territoire d'empire" d'Alsace-Lorraine le jour même où
ces provinces furent annexées à l'empire allemand.
Il est admis, d'une manière générale,
que des traités de droit international ne s'appliquent plus à
une province détachée du territoire de l'une des parties
contractantes et devenue une partie d'un autre État, à la
seule exemption des stipulations à tendance localisée qu'on
appelle aussi, improprement d'ailleurs, des servitudes internationales.
Ainsi, il est reconnu que, lorsque l'Allemagne a succédé
à la France dans la souveraineté sur l'Alsace-Lorraine, elle
n'est pas entrée dans les traité internationaux de la France,
en tant que leur objet ne fût pas spécialement localisée
sur ce territoire. (On peut citer, comme exemple rentrant dans cette dernière
catégorie la convention sur le dérasement de la forteresse
de Huningue.)
En ce qui concerne le concordat, le Saint-Siège
lui-même, peu de temps après le traité de Francfort,
a reconnu que la législation cultuelle, maintenue par les Allemands
en Alsace-Lorraine, ne reposait plus sur une base contractuelle. Dans une
lettre datée du 3 janvier 1872 et adressée à l'évêque
de Strasbourg, le secrétaire d'État, cardinal Antonelli,
affirmait "que le contrat de 1801 n'avait plus de vigueur en Alsace depuis
que celle-ci était devenue une partie de l'empire Allemand." (Voir
Revue
allemande de droit canonique, XI, p. 93.) L'opinion du Vatican était
donc conforme aux principe du droit des gens que nous venons d'exposer.
La question avait d'ailleurs également donné lieu à
un échange de vues entre les deux chancelleries, et le Vatican comme
le gouvernement impérial se trouvaient d'accord sur ce point de
droit.
De ce qui précède, on doit conclure
que la France, succédant à son tour a la souveraineté
de l'empire allemand, n'est pas liée non plus et à nouveau
par le concordat de l'an IX, inapplicable à l'Alsace-Lorraine depuis
1871 et dont la République française est libérée
depuis 1904. Ces développements imposent la conclusion que le Parlement
français pourra unilatéralement, par un acte de législation
intérieure, abroger et remplacer par tel autre le régime
cultuel existant encore dans les trois départements recouvrés.
II. - Avec le régime actuellement en
vigueur en Alsace et Lorraine, les organisations cultuelles ont le caractère
de personnes morales et, ce qui plus est, même celui d'établissements
publics. Pour la culte catholique ces organes sont les menses épiscopales
de Strasbourg et de Metz, les chapitres des cathédrales de Strasbourg
et de Metz, les deux séminaires et les fabriques d'églises.
Les organes des deux confessions protestantes sont les paroisses et les
consistoires.
Il est évident qu'avec la séparation
de l'Église et de l'État ces organisations ne pourront plus
conserver leur qualité d'établissements publics. C'est là
une conséquence logique du régime de séparation,
La loi du 9 décembre 1905 a voulu remplacer
ces établissements par des associations cultuelles auxquelles fut
conférée la qualité de personnes morales de droit
privé Nous n'avons pas besoin de rappeler ici que les associations
cultuelles, d'abord frappées d'interdit par le pape, furent ensuite
admises par lui, sous la nom d'associations diocésaines.
Ayant déjà affirmé notre volonté
de conciliation, nous n'avons pas besoin de dire que nous ne voulons pas
placer les cultes en .Alsace et en Lorraine dans l'état de précarité
où avait été mis en France le culte catholique par
l'intransigeance première de la curie romaine. Il nous suffira que
la principe de la séparation soit proclamé, que les obligations
financières de l'État et des communes soient supprimées
et que le caractère d'établissements publics soit enlevé
aux menses, aux fabriques d'église, aux consistoires et aux paroisses.
Que les cultes se donnent à eux même
telle organisation qu'ils préféreront ! En se conformant
au droit commun, ils pourront donner à ces organisations la qualité
de personne morales, capables d'être le support juridique et économique
de la vie cultuelle.
III. - La séparation admise et effectuée,
il est évident que par là même les obligations financières
de l'État et des communes devront prendre fin. Toutefois, comme
nous voulons que l'introduction de la législation sur la séparation
se fasse dans un esprit d'apaisement et de conciliation, il faudra pourvoir
à ce que les cultes jusqu'à présent reconnus et subventionnés
ne soient pas atteint d'une déchéance matérielle.
Il faudra leur ménager des moyens propres de subsistance pour ne
pas les réduire à vivre des obligations accidentelles et
irrégulières des fidèles. D'autre part, il est de
toute évidence que ce sont les seuls fidèles (à l'exception
des dissidents) qui devront fournir les moyens de vivre aux cultes auxquels
ils sont affiliés.
Mais de quelle manière arriver au résultat
voulu ? Nous avons pensé à une imposition cultuelle spéciale.
Pareille contribution ne serait, d'ailleurs, rien d'entièrement
nouveau pour l'Alsace et la Lorraine. Il existe, en effet, un précédent,
au moins en ce qui concerne les deux églises protestantes. Une loi
locale du 6 juillet 1901 émanant non pas de la législation
de l'empire, mais de l'ancienne diète d'Alsace-Lorraine (Landesausschuss)
avait établi une contribution à l'effet d'alimenter un fond
affecté au payement des traitements et des retraites des ministres
de ces cultes. Seuls les affiliés des deux églises étaient
assujettis à l'impôt. On pouvait s'en faire affranchir par
une déclaration de dissidence. L'impôt était réparti
et perçu par l'administration des contributions directes. Le rôle
des contribuables était annuellement établi par cette administration
assisté des maires, des autorités de police et des pasteurs.
Ce régime n'a eu, il est vrai, qu'une durée éphémère;
il a été à nouveau abrogé en 1909, une loi
du 15 novembre 1909 ayant pris entièrement à la charge de
l'État les dépenses concernant le personnel des cultes protestants.
C'est un système analogue qu'à titre
de mesure de transition, nous proposons, étendu cette fois à
tous les cultes. Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que,
même dans un régime de séparation, l'administration
des contributions directes assure la perception de la contribution cultuelle.
Le montant global à répartir serait à fixer par les
évêques ainsi que le directoire et les consistoires des autres
cultes. Cette fixation serait à approuver par le Gouvernement. Nous
allons même plus loin, et nous admettons volontiers que, par
respect des situations acquises, l'État garantisse les traitements
et retraites des ministres des cultes actuellement en exercice ou retraités.
IV. - Il faudra enfin envisager les meures pour
régler le sort des bâtiments affectés aux cultes. Ces
bâtiments, églises et presbytères sont actuellement
propriété de l'État, tantôt des communes ou
même des paroisses. L'État possède les cathédrales
diocésaines, les communes sont propriétaires des églises
paroissiales catholiques ainsi que des presbytères. En ce qui concerne
les églises et les presbytères protestants, il faut distinguer
: les anciennes églises sont restées propriété
de leurs paroisses comme antérieurement à la Révolution,
les décrets de sécularisation les ayant exceptées
par respect du traité de Westphalie. Par contre, les communes sont
propriétaires des églises protestantes construites à
leurs frais.
Une des solutions possibles consisterait à
laisser subsister les propriétés actuelles, en assurant aux
paroisses qui ne seraient pas elles mêmes propriétaires une
location ou un commodat. Pareille solution présenterait cependant
un grand inconvénient en laissant ouverte la question de l'entretien
des bâtiments. Il nous semble préférable de trancher
également ce lien entre les deux pouvoirs et de transférer
aux organisations cultuelles la propriété des églises
et des presbytères en exceptant toutefois les bâtiments classés
comme monuments historiques. La solution que nous préconisons trouve
une première analogie dans la situations des anciennes églises
protestantes. D'ailleurs, l'État lui-même s'en est inspiré
pour les anciennes églises militaires de Strasbourg et de metz dont
il a transféré la propriété à des paroisses
nouvellement créées. Notre proposition se rattache donc également
sur ce point à des précédents existants.
Nous concluons et résumons notre exposé
sur le régime des cultes en affirmant tout d'abord qu'il faut prononcer
pour l'Alsace et la Lorraine le principe de la séparation des Églises
et de l'État. Ayant ainsi rendu à la république ce
qui est dû à ses principes fondamentaux, on pourra faciliter
la transition en donnant aux cultes, par les moyens nouveaux que nous avons
suggérés, la possibilité d'organiser leur existence
propre.
Contrairement à ce qui s'est passé
pour le régime des cultes, la législation allemande n'a pas
respecté au même degré la législation scolaire
applicable en Alsace et en Lorraine au moment de l'annexion de 1871. C'est
même en cette matière tout d'abord que le gouvernement allemand
a commencé à légiférer. Tout en laissant subsister
le texte le texte fondamental de la loi du 16 mars 1850 auquel le comte
Falloux a attaché son nom, des changements importants y ont été
apportés.
En premier lieu, une ordonnance portant la signature
du comte Bismarck-Bolilen du 18 avril 1871 a rendu rigoureusement obligatoire
l'enseignement primaire en édictant des sanctions contre les parents
des élèves défaillants. Cette ordonnance s'applique
s'applique même à l'enseignement religieux donné en
classe, lequel est obligatoire. Par une loi du 12 février 1873,
la liberté de l'enseignement existant jusqu'alors fut supprimée
au profit du monopole de l'État, et les rares écoles privées
encore admises furent astreintes à un contrôle des autorités
de l'enseignement public, les professeurs de ces établissements
ayant besoin d'une approbation officielle.
Comme la question de la laïcité seule
nous intéresse ici, nous allons nous borner à démontrer
le caractère essentiellement confessionnel de ce régime qui
aujourd'hui subsiste encore en droit, formant ainsi une opposition éclatante
avec une des lois fondamentales de la législation métropolitaine.
En Alsace et en Lorraine, l'enseignement primaire
est donné aux élèves dans des écoles confessionnelles
par des instituteurs affiliés aux trois confessions qui se partagent
le pays. Cette division est en principe portée jusque dans le moindre
village. Comme l'Alsace et la Lorraine, et surtout l'Alsace sont des contrées
où les deux confessions catholique et protestante se trouvent entremêlées
dans de nombreuses communes, il en résulte que dans tous les villages
il y a deux écoles, une catholique et une protestante, et parfois
même une troisième école, l'école israélite;
et cette division subsiste alors même que le nombre des élèves
est extrêmement réduit.
Ce n'est que par exception que le préfet,
sur avis du conseil départemental, peut admettre des écoles
interconfessionnelles. Or, dans le conseil départemental, l'élément
ecclésiastique, soutien de l'école purement confessionnelle,
est largement représenté. D'autre part, l'école interconfessionnelle,
encore que son enseignement implique nécessairement un certain esprit
de tolérance trop souvent absent de l'école purement confessionnelle,
ne laisse cependant pas d'être fort éloignée de l'idéal
laïque réalisé dans la législation et si profondément
entré dans les mœurs françaises.
Si depuis l'armistice, on n'a pas osé instituer
l'école laïque en Alsace par crainte des campagnes annoncées
et menées par le parti catholique, il convient cependant de signaler
que par la force des choses, en l'absence de textes, l'enseignement primaire
n'a pu résister à la pénétration déléments
laïques. Un grand nombre d'instituteurs et d'institutrices
venus d'autres départements enseignent aujourd'hui en Alsace et
en Lorraine dans des écoles qui, en droit, sont toujours confessionnelles.
Élevés eux-mêmes dans des écoles laïques,
il est naturel qu'ils ne renient pas leur éducation. C'est d'ailleurs
par là que s'expliquent les attaques violentes dont ces instituteurs
ont été l'objet de la part du parti et des journaux cléricaux.
Or, nous voulons que l'équivoque cesse. Nous
sommes convaincus, quoi qu'on prétende, que la population, acquise
dès à présent en majorité, et éclairée
sur ce qu'est en vérité l'école laïque, accepterait
facilement son introduction. Le moment est venu, nous semble-t-il, et nous
demandons que le principe de l'école laïque soit incessamment
proclamé aussi dans les trois départements recouvrés.
Mais là encore, comme pour la question de
la séparation des Églises et de l'État, nous disons
qu'il faut qu'il y ait une transition, et voilà ce que nous proposons
:
Nous rappelons que dans le régime actuel,
l'école confessionnelle étant de règle, les communes
peuvent néanmoins réclamer l'école interconfessionnelle,
ainsi que l'ont fait récemment entre autre les villes de Strasbourg
et de Colmar. La disposition transitoire que nous envisageons est la même
dans le sens inverse. Elle consisterait à donner la faculté
aux communes de demander, en place et lieu de l'école laïque,
une école où serait donné l'enseignement religieux,
soit qu'il s'agisse d'une école interconfessionnelle, soit d'une
école où les enfants appartiendraient tous à la même
religion. En règle général, c'est aux ministres des
cultes qu'il appartiendrait dans ce cas de donner cet enseignement, le
principe de la laïcité étant incompatible avec l'obligation
imposée jusqu'ici aux instituteurs. Mais nous pensons que, pendant
la période de transition dont la durée serait à déterminer,
il ne saurait être interdit aux instituteurs qui en accepterait librement
la charge, de se substituer aux ministres des cultes.
En résumé : la législation
française sur l'enseignement et sur la séparation doit être
introduite dans les départements d'Alsace et de Lorraine; d'autre
part, des dispositions particulières sont nécessaires pour
une période de transition. Cette double affirmation a été
faite fréquemment par des hommes de tous partis.
Nous avons essayé d'aider à sa réalisation
en développant un plan et une méthode d'action et nous pensons
que la Chambre fera œuvre utile et pratique en s'y associant.
Nous vous demandons, en conséquence, de donner
votre approbation à la proposition de résolution suivante
:
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
La Chambre invite le Gouvernement à déposer
un projet de loi introduisant dans les trois départements recouvrés
la législation française sur les cultes et sur l'enseignement
laïque, avec des mesures spéciales d'adaptation et de transition
ci-dessus exposées.
1927 est l'année
où la Ligue de l'Enseignement s'est
implantée en Alsace.
C'est en 1934 que les
instituteurs d'Alsace-Moselle acquerront le droit d'être dispensés
d'assurer les cours de religion.