30 juin 1910
Proposition de loi
tendant a assurer aux marins de l'État
le libre exercice des droits inscrits dans la loi de séparation des Églises et de l'État,
présentée par M. Charles Danielou, député.

EXPOSE DES MOTIFS

    Messieurs, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État a, par son article 1er "assuré la liberté de conscience et garanti le libre exercice des cultes".
    Cette loi, sans nous occuper ici des adhésions ou des réprobations qu'elle a pu rencontrer, est un fait.
    Mais nous considérons comme un droit et comme un devoir de signaler au Parlement une contradiction inacceptable qu'elle rencontre dans son application et d'en proposer le remède.
    Dans toutes les communes de France, les églises ont été laissées à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la libre pratique de la religion.
    Dans la période de l'enfance et de la première jeunesse, les élèves de nos écoles primaires et secondaires ont, au gré de leur parents, la faculté de recevoir l'enseignement religieux et de suivre les exercice de leur culte : des jours et des heures, en dehors des jours et des heures de classe, leur sont, dans ce but, expressément laissés libres par nos lois scolaires.
    Au moment où il atteint sa majorité, le Français, astreint au service militaire, conserve ce droit naturel et de conscience; valide, il est libre, en dehors de la caserne, d'accomplir ces devoirs religieux; malade, il est libre, à l'hôpital, d'appeler à son chevet le ministre de son culte. Et, si le hasard des événements le désigne pour participer à une expédition dans des pays qui échappent à l'action chrétienne, les pouvoirs publics cherchent à lui assurer les secours de sa religion dans des conditions insuffisantes peut-être, mais qui en tous cas prouvent la légitimité de notre préoccupation actuelle.
    Le général Picquart, ministre de la guerre, lui-même, en a eu la notion : il adressait, le 22 février 1908, une lettre à M. le député Grousseau et par laquelle il lui faisait part "des ordres qu'il transmettait au général d'Amade pour que les cinq religieux franciscains envoyés au Maroc puissent y remplir leur mission auprès de leurs coreligionnaires du corps de débarquement".
    Même frappé par la justice des hommes, le Français condamné demeure libre, innocent, de recourir à la justice de Dieu; coupable, de se repentir et d'implorer sa miséricorde : un prêtre de sa religion le soutient et le réconforte dans les derniers pas qui le séparent de la guillotine.
    Seuls les marins de l'État français, par une anomalie que de trop nombreuses catastrophes maritimes soulignent douloureusement, sont exclus du droit d'exercer librement leur culte et à un moment suprême où s'impose à leur esprit les consolations de leur religion.
    Exception d'autant plus inexplicable dans la loi et d'autant plus odieuse à nos yeux, que la mort guette à toute heure l'homme de la mer.
    Qu'on le veuille ou non, l'immense majorité de nos marins est faite de croyants, de catholiques fidèles; le voisinage de la mort les rapproche de dieu et leur foi soutien leur courage. L'équipage du Ventôse, ces jours derniers, ne s'est pas attardé, en effet, à rechercher ce que permettaient ou défendaient les règlements, pour arborer spontanément à son bord une grand et simple croix de bois et recueillir ainsi sous le signe de la rédemption leurs camarades morts du Pluviôse. Or, qui oserait le blâmer ? Il n'est pas un sectaire qui oserait le faire.
    Il nous paraît don juste de réclamer pour nos marins le droit que la loi accorde à tous les citoyens français de croire et de pratiquer leur religion.
    Il ne nous a pas échappé que, si l'article premier de la loi de séparation a proclamé la liberté des cultes, l'article 2 de cette loi a édicté que la république ne subventionne aucun culte, par conséquent, la suppression des aumôniers de la flotte a été légalement consacrée par le décret du 6 février 1907.
    Mais nous pensons qu'il est possible, par une disposition nouvelle de la loi, d'assurer à nos marins le libre exercice de leur liberté de conscience, sans pour cela porter atteinte au devoir aujourd'hui imposé aux pouvoirs publics de ne subventionner aucun culte, puisque interdiction leur est faite par la loi.
    C'est dans ce but que nous avons l'honneur de vous soumettre la proposition de loi suivante :
PROPOSITION DE LOI
    Art. 1er. - Un prêtre catholique, agréé par l'autorité diocésaine, sera, aux frais exclusifs des catholiques qui voudront y faire face, attaché à titre d'aumônier à chacune des unités de la flotte.
    Art. 2. - Un règlement d'administration publique déterminera les conditions de séjour des aumôniers à bord, celle de l'exercice de leur ministère, ainsi que la quotité et le mode de règlement des sommes que les catholiques devront verser entre les mains des comptables de l'amirauté pour couvrir les frais de séjour des aumôniers à bord.
    Justification de l'emploi de ces sommes devra être donnée aux citoyens qui les auront versées ou à leurs mandataires.
    Il faudra attendre le 15 août 1936 pour qu'un décret établisse les aumôneries dans la marine nationale.