20 avril 1951 - redéposée le 3 août 1951

    PROPOSITION DE LOI tendant à compléter l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 sur Ia séparation de l'Église et de l'État, afin d'assurer le libre exercice du culte dans les établissements scolaires de l'État et d'autoriser les subventions aux établissements scolaires libres, présentée par MM., Jaques Bardoux, Dixmier, Delachenal, députés, - (renvoyée à la commission dc l'éducation nationale.)
EXPOSE DES MOTIFS
    Mesdames, messieurs, l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État est rédigé comme suit:
    "La République ne reconnaît, ni ne subventionne aucun culte.  En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront, toutefois, être inscrites audit budget les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice du culte dans les établissements publics, tels que: lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
  "Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. "
    Les dispositions de l'avant-dernier paragraphe dc l'article impliquent  une garantie essentielle pour la liberté des cultes reconnue, mais dont l'exécution n'est  pas assurée intégralement!, ni même loyalement, par l'État.
    "Pourront, toutefois, être inscrites audit budget les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice du culte dans les établissements publics, tels que: lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
    La situation de fait ne correspond nullement à ce texte de la loi. Ni dans les écoles primaires, ni dans les collèges techniques ou secondaires, où n'existent pas de pensionnaires, une aumônerie n'est organisée. L'État paraît considérer, contrairement à l'engagement formel inscrit dans la loi du 9 décembre 1905, que la formation religieuse des enfants, dans les cultes reconnus, doit être donnée par les familles et par les clergés en dehors de l'école.
    Or, cet état de choses constitue, pour les foyers modestes, une atteinte à leur liberté religieuse. Dans ces foyers ouvriers et paysans, aucun des parents n'a le temps d'assurer cette formation religieuse. Le travail des champs ou de l'atelier pour le père, les labeurs du foyer pour la mère ne leur laissent, avant la nuit, aucune heure de liberté. Seuls des parents plus fortunés pourraient donner cette  formation religieuse.
    Quant aux représentants du culte, les difficultés de leur existence matérielle et l'étendue de leurs multiples paroisses rendent à peu près impossible leur participation régulière à un enseignement religieux.  .
    Il existe même dans la province française des régions où cette inégalité entre foyers pauvres et foyers aisés est plus choquante encore. Voici un village des Cévennes, village de bûcherons et de pasteurs; il existe une minorité protestante, pas de temple. Pour se rendre au prêche, il faut franchir plusieurs kilomètres. Le commerçant aisé peut conduire ses enfants au catéchisme dans son automobile. Mais le bûcheron n'est pas libre de donner à ses enfants la formation qu'il désire. Dans telle autre commune, la majorité est protestante mais la minorité catholique ne dispose pas des facilités  nécessaires puisque aucun aumônier ne donne à l'école l'enseignement  religieux. Or, Il s'agit là d'une liberté élémentaire et essentielle, la plus sacrée de toutes, la liberté religieuse. Il est inadmissible que, contrairement aux dispositions de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905, cette liberté ne soit pas également assurée à tous les parents pauvres et riches.
    Une autre inégalité existe, à laquelle la IV° République s'honorerait  également de mettre fin. .
    A l'étranger, des subventions sont allouées aux établissements libres d'enseignement, même s'ils sont confessionnels. L'État pense, avec raison, qu'il s'agit là d'une action utile pour le rayonnement de la langue et de la culture française, qui a droit à l'appui de l'État.
    Mais; à l'intérieur des frontières, les établissements libres d'enseignement, même! - et c'est actuellement le cas en France - lorsqu'ils. qu'ils constituent, en fait, pour l'État, une collaboration nécessaire puisque celui-ci serait dans l'incapacité d'accueillir, de loger et d'instruire toute leur population scolaire, n'ont pas le droit, contrairement à la coutume constitutionnelle des  pays anglo-saxons, de recevoir des subventions. Les parents, qui envoient leurs enfants à ces établissements, payent donc deux fois une participation à l'instruction nationale, et comme contribuables et comme parents.
    Il serait donc équitable, afin de rétablir entre tous les foyers la  même égalité, d'autoriser communes et départements à subventionner les établissements libres d'enseignement primaire et secondaire.
    Naturellement, les écoles et collèges subventionnés seraient, en fait, incorporés dans l'université, soumis aux mêmes concours et aux mêmes inspections.
    Si une municipalité accorde des allocations aux enfants des familles nécessiteuses au cours  de leurs études, ces allocations doivent! être :accordées à toutes les familles nécessiteuses, quelle que soit l'école qui reçoit leurs enfants.
    Tels sont les motifs inspirés par le respect des principes élémentaires de  la République: liberté, égalité, fraternité, pour lesquels nous demandons à l'Assemblée nationale d'accepter l'article unique suivant::
PROPOSITION  DE LOI
    Article unique. - L'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l'Église et de l'État est complété d'un article  2 bis et d'un article 2 ter ainsi conçus:
    "Art. 2 bis. - Les aumôniers laïques ou religieux chargés d'assurer pour les enfants, dont la famille le demande au début de l'année scolaire, dans les écoles primaires, techniques et secondaires, 1a formation religieuse d'un des cultes reconnus sont nommés par le recteur sur la proposition des autorités  religieuses locales. Leur traitement est fixé d'après le nombre d'heures de leur enseignement. Ils peuvent être révoqués par le recteur pour faute professionnelle. Cet enseignement est donné en dehors des heures de classe, après accord entre l'aumônier désigné et le directeur de l'école
    " Art. 2 ter. - Les établissements scolaires religieux à l'étranger, primaires, techniques, secondaires et supérieurs qui enseignent la langue, les lettres et les sciences françaises peuvent être subventionnés par l'État sur proposition du ministre des affaires étrangères. Les écoles primaires, techniques, secondaires et supérieures, entretenues par l'initiative privée qu'elles  soient ou non confessionnelles, peuvent être subventionnées par  les communes et départements."