15 février 1907
PROPOSITION DE LOI
tendant à modifier et à compléter
les articles 9 et 10 de la loi du 11 décembre 1905
sur la séparation des Églises et de l'État,
présentée par MM, Raynaud, Sarrien, Cruppi,
Codet, Puech, Lauraine, Joseph Reinach, François Deloncle, Ferdinand
Buisson, Chavoix, Henri Michel, Babaud-Lacroze, Mulac, Mairat, Georges
Gérald Drelon, Émile Chère, Gentil, Saumonde, Aimond,
Torchut, Grosdidier, d'Iriart d'Etchepare, Larquier, députés.
- (Renvoyée à la commission de la réforme judiciaire
et de la législation civile et criminelle,)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Messieurs, l'article 9 de la loi du 11 décembre
I905 a réglé le sort des biens dépendant d'un établissement
public du culte, et spécialement le paragraphe 3 a stipulé
un délai pour la reprise ou la revendication des biens donnés
ou légués à défaut de toute association pour
les recueillir.
Lors de l'interpellation à laquelle M. Briand,
ministre de l'instruction publique et des cultes, a répondu par
un discours dont la Chambre des députés a ordonné
l'affichage, M. Briand a expliqué qu'on allait livrer, aux établissements
bénéficiaires de l'attribution, de vrais nids à procès.
L'examen du texte de l'article 9 ne fait que confirmer
les paroles du ministre.
En effet, le droit des revendiquants, d'après
l'article 9, ne s'ouvre que lorsque l'attribution est faite à un
établissement communal d'assistance ou de bienfaisance.
Il en résulte, d'une part, que ce sont les
établissements communaux qui auront, inévitablement, la lourde
charge des procès: d'autre part, que les intéressés
ne sont pas admis à faire valoir leurs droits tant que l'attribution
n'est pas faite.
Cette manière de voir semble être celle
à laquelle les tribunaux s'arrêteront, si l'on en juge par
une décision rendue le 10 janvier 1907 par la 1ère chambre
du tribunal civil de la Seine, sur les conclusions conformes du procureur
de la République.
Il est facile d'établir que le texte actuel
est aussi nuisible aux intérêts des établissements
communaux qu'aux intérêts des revendiquants.
I
INCONVÉNIENTS À L'ÉGARD DES ÉTABLISSEMENTS
ATTRIBUTAIRES
1° L'établissement attributaire de biens
immobiliers est bien dispensé des droits du Trésor; mais,
ni la loi, ni le décret n'ont prévu la nécessité
de la transcription ; elle sera cependant indispensable: il faudra donc
payer les salaires des conservateurs, souvent fort importants.
Si, pour un motif quelconque, l'établissement
attributaire est dépossédé ultérieurement.
il perdra tout simplement et sans compensation le montant de ces débours,
lesquels ne sont pas restituables.
2° Si l'établissement attributaire est
condamné aux dépens, il les payera sur ses biens et non sur
le bien qu'il restituera ; ces frais comprendront les droits de résolution
dont le Trésor n'a pas fait abandon, et qui sont de 2p.100 en matière
mobilière et de 5p.100 en matière immobilière.
3° S'il gagne son procès, il aura quand
même à supporter des faux frais qui seront irrécouvrables
contre l'adversaire.
4° En dehors de l'action en reprise ou en revendication
qui n'est ouverte qu'au profit des donateurs ou de leurs héritiers
en ligne directe, il existe l'action en résolution pour cause d'inexécution
des charges et pour laquelle, à défaut de prévision
de la loi. s'appliquent les règles du droit commun; cette action
peut être intentée pendant trente ans à dater de l'inexécution
et peut être exercée par tout héritier, quel que soit
son degré de parente avec l'auteur du don du legs ou même
de la vente, pourvu, bien entendu, qu'il ait été son successible.
Il n'est pas téméraire de penser que
les occasions seront facilement trouvées, ou suscitées, pour
troubler la gestion des établissements attributaires.
5° Enfin c'est la guerre judiciaire au sein
de la commune.
II
INCONVÉNIENTS À L'ÉGARD DES REVENDIQUANTS
1° Aucun délai n'est imparti à l'administration
pour procéder aux attributions, et pendant cette période
d'attente, illimitée en droit, les biens demeurent sans statut légal.
2° Il en est de même pour les biens que
l'administration aura voulu attribuer, et dont l'attribution aura été
refusée.
3° L'administration ne peut pas, même
si elle est convaincue de la justesse d'une réclamation, faire droit
à ladite réclamation; il faut qu'elle renvoie le demandeur
à se pourvoir contre l'établissement qui sera ultérieurement
attributaire.
4° Le revendiquant aura à acquitter une
seconde fois les frais déjà acquittes par l'établissement
attributaire; il aura en outre à payer les droits du Trésor,
car l'attribution seule est exempte de droits, et non la restitution.
5° Il n'est pas sûr que, même si
les parties sont d'accord si elles s'entendent pour la restitution
des biens, cette restitution puisse se faire sans jugement, en raison des
difficultés non prévues et non réglées, de
transfert et de transcription.
C'est presque le procès obligatoire.
En résumé, la loi actuelle constitue
un grave danger pour les établissements attributaires; elle peut
être la ruine pour beaucoup.
Elle peut constituer à l'égard du
droit reconnu aux revendiquants, en raison de la non-fixation d'un délai
pour l'ouverture de ce droit, un véritable déni de justice.
Elle peut rencontrer d'ailleurs, à défaut
de précisions suffisantes, des difficultés presque inextricables
pour son exécution.
Il y a moyen de parer à ces inconvénients.
Ce moyen consiste à ouvrir contre le séquestre le droit de
revendication, à lui donner la faculté de faire droit sans
jugement aux réclamations justifiées et à affranchir
de toute redevance fiscale ou autre la restitution comme l'attribution
des biens.
Il y aura avantage pour tout le monde.
Avantages pour les établissements communaux
qui n'auront pas la charge des procès, ni celle de dépenses
irrécouvrables ou non susceptibles de restitution, et qui auront,
une fois l'attribution faite, des biens définitivement acquis.
Avantage pour les tiers qui pourront ainsi exercer
leur action sans être indéfiniment paralysés, et n'auront
pas de droits importants à payer pour rentrer dans les biens,
Aucune charge pour l'État.
En effet, l'État ne pouvant être pris
que comme séquestre, que comme tiers détenteur, les principes
du droit conduisent à cette conclusion que les frais du séquestre
doivent être prélevés par privilège sur le bien
sequestré.
Enfin, il sera bon, dans un intérêt
de pacification, de dire que le mémoire qui doit être déposé
avant toute action contre une administration publique soit, pour une rois,
interruptif de prescription pendant un délai de trois mois. L'administration
aura ainsi le temps nécessaire pour examiner la demande et y faire
droit, si elle est sérieuse, sans procès.
Mais avant tout, il faut éviter les procès.
Il faut d'une part que, si la demande en reprise
en revendication ou en résolution parait justifiée, il y
soit fait droit, largement même, et sans difficulté en ce
qui concerne l'exécution de la restitution.
Par contre, quand après l'expiration des
délais pour exercer l'action ou la solution des litiges soulevés,
l'attribution aura été faite, il faut que cette attribution
soit définitive et qu'elle ne puisse être attaquée
sous aucun prétexte.
D'ailleurs, il sera toujours loisible aux intéressés
de faire déclarer par la juridiction administrative que l'établissement
attributaire devra soumettre à telles affectations que de droit
les biens attribués.
Et afin qu'il n'y ait aucune surprise, nous proposons
que le point de départ de la prescription de six mois soit l'insertion
au Journal officiel des charges auxquelles lesdites attributions
seront soumises.
En conséquence, nous déposons la proposition
suivante :
PROPOSITION DE LOI
Art. 1er, - L'article 9 de la loi du 11 décembre
I905 est modifié et complété ainsi qu'il suit:
........................
Le paragraphe 3 est supprimé et remplacé
par la disposItion suivante;
" § 3. - Toute action en reprise, revendication
ou résolution devra être exercée dans le délai
qui sera ci-après déterminé. Elle ne pourra être
intentée qu'en raison de donations ou de legs et seulement par les
auteurs et leurs héritiers en ligne directe.
§ 4. - A défaut d'attribution des biens
dans le délai. de trois mois à partir de la promulgation
de la présente loi, l'action pourra être intentée contre
le préfet du département représentant l'État
en qualité de séquestre, devant la juridiction ordinaire.
" § 5. - Le délai de prescription de
toute espèce d'action est de six mois à dater du jour de
la publication au Journal officiel de la liste des biens à
attribuer, avec les charges auxquelles les attributions seront soumises.
" § 6. - Passé ce délai, les
attributions qui seront faites seront définitives et ne pourront
plus être attaquées de quelque manière, ni pour quelque
cause que ce soit.
" § 7. - Il en sera de même pour
les attributions faites après solution des litiges soulevés
dans le délai.
" § 8. - Les frais de toute sorte exposés
par le séquestre, seront, dans tous les cas, employés en
frais privilégiés sur le bien séquestré, sauf
recouvrement contre le demandeur condamné aux dépens.
" § 9. - Le dépôt du mémoire
préalable à l'action sera, à titre exceptionnel, et
pour une fois seulement, interruptif de prescription pendant trois mois.
" § 10. - Les parties intéressées
pourront se pourvoir devant la juridiction administrative, à laquelle
compétence exclusive est donnée à cet effet, pour
faire observer par les établissements attributaires les charges
qui auraient été imposées par les décrets d'attribution.
Art. 2. - L'article 10 est complété
ainsi qu'il suit :
........................
§ 2. - Les transferts, transcriptions, mentions.
délivrance d'états et certificats seront opérés
aux établissements débiteurs et aux bureaux de conservation
des hypothèques en vertu, soit d'une décision de justice
devenue définitive, soit d'un arrêté de restitution
rendu par le préfet, le conseil de préfecture entendu, soit
d'un décret d'attribution.
" § 3. - Ces arrêtés et décrets,
les transferts, transcriptions, mentions et délivrance d'états
et certificats opérés en vertu desdits arrêtés
et décrets seront affranchis de toute espèce de perception
de droits, salaires ou redevances.
" § 4. - Les établissements attributaires
de biens immobiliers, quelle que soit l'importance desdits biens, seront
dispensés de l'obligation de remplir les formalités de purge
des hypothèques légales. Les biens attribués seront
francs et quittes de toute charge hypothécaire ou privilégiée
qui n'aurait pas été inscrite avant l'expiration du délai
de prescription déterminé au paragraphe 5. "