Séance du 8 juin 1906 au Sénat
PROPOSITION DE LOI
tendant à modifier l'article 41 de la loi du 9
décembre 1905,
relative à la séparation des Églises
et de l'État,
présentée par MM. Jean Dupuy, Pédebidou
et Emmanuel Arène, sénateurs.
Messieurs, la proposition que nous avons l'honneur
de vous soumettre a pour but de modifier l'article 41 de la loi du 9 décembre
1905, et de répartir, d'une manière plus équitable,
entre les communes, les sommes rendues disponibles, chaque année,
par la suppression progressive du budget des cultes.
La loi du 9 décembre 1905, qui a séparé
les Églises de l'État, a aboli les chapitres des cultes.
Les membres du clergé ont cessé d'être fonctionnaires,
et la religion n'est plus considérée comme service public.
Toutefois, les crédits des cultes ne disparaissent pas en bloc.
A titre transitoire, l'État assure aux ministres du culte, qui sont
actuellement en exercice, des pensions viagères ou des allocations
décroissantes.
Les économies qui résultent de la
suppression graduelle du budget des cultes - économies qui atteindront,
dans quelques années, par bonds successifs, la somme de 31 millions
et demi - ne tombent pas dans les ressources générales du
budget. Aux termes de l'article 41 de ia loi du 9 décembre 1905,
elles sont réparties, chaque année, entre toutes les communes.
Quelles sont les raisons d'une dérogation
si grave aux principes de notre droit budgétaire?
Ces raisons ont été indiquées,
à plusieurs reprises, soit à la Chambre des députés,
soit au Sénat, au cours de la discussion de la loi, et M. le ministre
de l'instruction publique les a rappelées, de la manière
la plus heureuse, à la veille des élections législatives,
dans une circulaire en date du 17 mars
1906.
" Le législateur, dit M. Briand, a voulu,
d'abord, que la séparation des Églises et de l'État,
qui est destinée à achever l'œuvre de laïcisation entreprise
par la République, et à assurer le règne définitif
de la liberté de conscience, apparut comme une réforme d'une
portée purement morale et qu'elle ne pût passer, en aucune
manière, pour une opération financière, combinée
en vue de procurer un bénéfice matériel à l'État.
" De plus, c'est en vue de faciliter aux personnes
qui voudront participer aux frais d'un culte, le moyen de s'acquitter de
leur part contributive, que la loi du 9 décembre 1905, tout en supprimant
le budget des cultes, décide, dans son article 41, que le montant
sera réparti entre les communes; il a été entendu,
en effet, que les conseils municipaux auront toute liberté pour
régler l'emploi des sommes reçues par les communes et que,
s'ils peuvent les faire servir à des dépenses d'utilité
publique, ils auront également la faculté d'en faire profiter
les contribuables par voie d'exonération d'impôts et notamment
par la réduction des centimes communaux. Les contribuables trouveront
dans ces dégrèvements une compensation appréciable
des charges nouvelles qu'ils croiront devoir s'imposer en matière
cultuelle. "
Restituer aux communes l'intégralité
des économies réalisées et, par des dégrèvements
proportionnels, permettre aux contribuables de participer, s'ils le désirent,
aux frais du culte, telle est la double idée qui a inspiré
le législateur.
Pour atteindre ce but, l'article 41 dispose:
"Les sommes rendues disponibles, chaque année,
par la suppression du budget des cultes, seront réparties entre
les communes au prorata du contingent de la contribution foncière
des propriétés non bâties, qui leur aura été
assigné pendant l'exercice qui précédera la promulgation
de la présente loi. "
Cette disposition visait à faire bénéficier
spécialement du produit du budget des cultes les communes qui pourraient
souffrir plus particulièrement de sa disparition, c'est-à-dire
les communes rurales. Sous le régime concordataire, ces communes
recevaient de l'État des sommes relativement plus importantes que
les communes urbaines. Désormais, leurs habitants devront, pour
entretenir le culte, en faire eux-mêmes les frais. Pour leur assurer
des ressources suffisantes, le législateur a voulu restituer aux
communes la plus grande partie du budget qui disparaît. Les sommes
rendues disponibles sont réparties entre elles au prorata de l'impôt
foncier (propriété non bâtie). Malheureusement, l'article
41 est loin d atteindre au but même qu'il poursuit.
Il n'y a, tout d'abord, qu'un rapport lointain entre
le contingent foncier assigné à une commune et les sacrifices
que les habitants de cette commune devront consentir s'ils veulent assurer
le fonctionnement du culte.
En second lieu, on sait les imperfections de l'assiette
fiscale, l'inexactitude des évaluations cadastrales, la répartition
peu équitable des contingents. Le Parlement a eu trop souvent à
se préoccuper de celle question, pour qu'il soit nécessaire
d'insister plus longuement.
Enfin, si l'on admet le système de l'article
41, on aboutit aux conséquences suivantes: les contrées les
plus riches, les plus fertiles, les plus peuplées sont avantagées,
Les régions pauvres, montagneuses, celles dont la. population est
clairsemée, se trouvent au contraire lésées. On rait
l'aumône aux riches.
Certains départements., tels que l'Aisne,
l'Eure, la Manche, l'Eure-et-Loir, la Saône-et-Loire, le Nord, le
Calvados, etc., réalisent, du chef de l'article 41, des bénéfices
considérables. D'autres départements, tels que les BassesAlpes,
les Hautes-Alpes, les Basses-Pyrenées, les Hautes-Pyrénées,
la Corse, etc., perdent des sommes très importantes:
Le Calvados .......... gagne 317.936
Le Nord ............... """ 305.147 La Saône-et-Loire .....""" 265.049 L'Eure-et-Loir........... """ 250.565 La manche ............... """ 243.422 L'Eure ...................... """ 229.756 L'Aisne .................... """ 206.580 Etc., etc. |
La Corse ......................... perd 386.842
Les Basses-Pyrénées ...... """ 295.603 Les Basses-Alpes ............. """ 197.507 Les Hautes-Pyrénées ........ """ 234.184 La Lozère ......................... """ 164.319 Les Hautes-Alpes .............. """ 146.293 Etc., etc. |
Entre communes diversement fortunées d'un
même département, nous trouvons des inégalités
aussi choquantes: ici, un profit; là, une perte.
Est-ce l'objectif que le législateur s'est
proposé? Assurément non. Nous estimons donc qu'il y a lieu
de modifier l'article 41 de la loi du 9 décembre 1905, en adoptant
un nouveau mode de répartition qui indemnise chaque commune dans
la mesure même où ses contribuables ont à supporter
les conséquences du régime de la séparation.
Notre proposition s'inspire des intentions mêmes
du législateur; elle ne lèse aucun intérêt,
elle proportionne de la manière la plus exacte les avantages et
les sacrifices. Elle est de nature à rallier tous les suffrages.
Nous avons l'honneur, en conséquence, de
vous soumettre la proposition de loi suivante:
Messieurs, ainsi que le rappellent les auteurs de
la proposition, la séparation des Églises et de l'État
est une réforme purement morale, qui ne doit pas avoir pour conséquence
des avantages pécuniaires au profit de l'État.
C'est pourquoi la loi du 9 décembre 1905
stipule, dans son article 41, que les sommes rendues disponibles par la
suppression du budget des cultes seront réparties entre les communes,
au prorata du contingent de la contribution foncière de la propriété
non bâtie,
Cette disposition a pour but de compenser par voie
de dégrèvement d'impôt les dépenses nouvelles
que les contribuables croiront devoir s'imposer pour l'exercice du culte.
Malheureusement ce but n'est que très incomplètement
atteint; car le dégrèvement étant en proportion du
principal de l'impôt foncier (non bâtie), les communes sont
d'autant plus avantagées ou lésées qu'elles sont plus
riches ou plus pauvres.
La proposition qui vous est soumise tend à
faire disparaître cette inégalité flagrante. Elle ne
porte aucune atteinte au principe de la loi de séparation.
Votre commission vous propose de la prendre en considération.