6 février 1947
Proposition de loi relative à la modification de l'article 259
du code pénal en vue de rétablir son application au costume
porté par un ministre du culte ou par un membre d'une communauté
religieuse, présentée par M. Frédéric-Dupont,
député - (renvoyée à la commission de la justice
et de la législation.)
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, messieurs, dans son article 259, du paragraphe
VII, intitulé : " Usurpation de titres ou fonctions", le code pénal
a prévu des sanctions contre toute personne " qui aura porté
publiquement un costume, un uniforme ou une décoration qui ne lui appartenait
pas."
Jusqu'en 1905, la jurisprudence avait toujours considéré
que le port illicite du costume ecclésiastique constituait un délit
tombant sous l'application de l'article 259 du code pénal.
Dans son arrêt du 24 juin 1852, la chambre criminelle
de la cour de cassation avait précisé que cet article ne s'appliquait
pas seulement aux habits sacerdotaux que le prêtre porte à l'autel
ou dans les autres fonctions de son ministère, mais encore à
l'habit de ville "composé de la soutane, de la ceinture et du rabat",
l'article 1er de l'arrêté des consuls du 17 nivôse an XII
définissant ainsi le costume antique et traditionnel du clergé
français.
La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation
des églises et de l'État modifia cette jurisprudence. Elle précise
dans son article 2 : "La république ne reconnaît, ne salarie
ni ne subventionne aucun culte" et M. Aristide Briand, son rapporteur, en
déduisait à la page 187 de son rapport que l'article 259 du
code pénal ne serait plus applicable au port du costume ecclésiastique.
Depuis ce jour, n'importe qui peut revêtir, sans courir le moindre risque,
l'habit ecclésiastique, souvent même à dessein de le
ridiculiser.
En réalité, le principe de la séparation
ne commandait pas une telle conséquence. Le rapport de M. Aristide
BRiand lui-même affirmait que les nécessités de l'ordre
public devait tempérer la rigueur du principe. Nous y lisons en effet:
"Toutes les dispositions civiles ou pénales ayant
un caractère d'ordre public restent en vigueur", et plus loin : "Toute
la législation qui est actuellement applicable aux ministres du culte
est abrogée implicitement sous la réserve toujours de l'intérêt
de l'ordre public"
Nous pensons que la protection du costume ecclésiastique
est une de " ces dispositions pénales ayant un caractère d'ordre
public".
Il est, en effet, de "l'intérêt de l'ordre
public" que les membres d'une religion ne puissent plus être provoqués
par l'exhibition dans des conditions souvent indignes du costume porté
par celui qui a baptisé leurs enfants et administré leurs parents
dans leurs derniers instants.
La coutume française, de tradition logique et
courtoise, a d'ailleurs, dès après la guerre de 1914-1918,
implicitement corrigé certaines conséquences de la loi de séparation
pourtant expressément retenues par son rapporteur comme, par exemple,
l'absence de rang officiel pour les ecclésiastiques dans les cérémonies
publiques.
La pompe avec laquelle le Gouvernement de la République,
dans la période d'entre les deux guerres, avait reçu à
plusieurs reprises de hauts dignitaires du Vatican qui lui avaient rendu visite,
avait montré qu'en matière de protocole la vieille coutume
française savait devancer la loi.
Et puis, dans les circonstances actuelles, une telle
mesure nous apparaît comme particulièrement opportune.
Il ne s'agit pas ici de porter atteinte à la neutralité
de l'État ni aux lois de séparation, il s'agit seulement de
faire respecter, dans un climat de tolérance et de dignité,
les grandes forces spirituelles, en même temps que ceux qui en sont
les symboles.
Le monde croyant, dans tous les pays, seraient agréablement
impressionné par cette affirmation de tolérance apportée
par l'Assemblée nationale française, qui aiderait ainsi à
affirmer le rayonnement spirituel de notre pays.
La France et la liberté de conscience ont échappé,
heureusement, par la victoire alliée, au même danger qui les
menaçait ensemble.
Huit mois avant la guerre, en janvier 1939, c'était
son éminence le cardinal verdier qui s'exprimait ainsi au banquet de
la Revue des Deux Mondes:
"Des idéologies étranges bouleversent en
ce moment notre pauvre humanité ... Si elles prévalaient, l'oeuvre
spirituelle qui est la nôtre disparaîtrait de ce monde ... Le
climat de la France n'est pas propice à ces doctrines de violence et
d'extermination et son soleil ne saurait éclairer de tels attentats.
Heureusement, et ce synchronisme est singulièrement suggestif, la France
est aujourd'hui à côté de l'Église pour défendre
contre les hérésiarques modernes ce patrimoine commun."
Paroles prophétiques ! Grâce à la
Résistance au sein de laquelle tant de ministres du culte firent héroïquement
le don de leur existence, les idéologies dont parlait son éminence
le cardinal Verdier n'ont, heureusement, pas prévalu et la France et
les forces spirituelles ont échappé au péril mortel.
C'est en nous inspirant de ces pensées que nous
vous proposons, par le vote d'une loi protégeant notamment la dignité
de l'habit ecclésiastique, de consacrer avec leur victoire sur les
dangers courus en commun le "synchronisme suggestif" de la pensée chrétienne
et des aspirations françaises.
J'avais déjà, au cours de la session de
1938, déposé une proposition de loi identique sur le bureau
de la Chambre des députés, la commission de la législation
civile et criminelle saisie de cette proposition lui avait alors réservé
un accueil favorable.
La guerre devait empêcher le vote.
En conséquence, je reprends aujourd'hui la même
proposition pour les motifs que j'ai eu l'honneur d'énoncer ci-dessus,
et je vous propose le texte suivant, qui tranchera définitivement cette
question :
PROPOSITION DE LOI
Article unique. - L'article 259 du code
pénal est ainsi complété :
"Le présent article s'applique au costume porté
par un ministre d'un culte ou par un membre d'une communauté religieuse."