Paris, le 4 avril 1906.
Le ministre de l'instruction publique, des beauxarts et des cultes, à MM. les préfets.
La loi du 9 décembre 1905, tout en supprimant
les établissements publics du culte, dispose que, un mois après
la promulgation du règlement d'administration publique prévu
à l'article 43 et jusqu'à l'expiration de l'année
qui suivra la promulgation de ladite loi, ces établissements pourront
procéder eux-mêmes à l'attribution des biens qui composent
leur patrimoine.
En principe, d'après l'article 4, c'est à
des associations cultuelles, qui continueront à subvenir à
l'exercice du culte au lieu et place des établissements ecclésiastiques
supprimés, que ceux-ci transmettront leurs biens autres que ceux
qui, provenant de l'État, doivent lui faire retour en vertu du premier
paragraphe de l'article 5.
Il n'est fait exception que pour les biens grevés
d'une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère
à l'exercice du culte; l'article 7 décide qu'ils seront attribués
à des services ou établissements publics ou d'utilité
publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens.
Le décret du 16 mars 1906, portant règlement
d'administration publique en exécution de l'article 43, a précisé
les conditions de fond et de forme, dans lesquelles les représentants
légaux des établissements ecclésiastiques devront
effectuer les attributions de biens prévues par les articles 4 et
7.
L'article 5 dudit décret contient, dans son
premier paragraphe, au sujet de l'ordre à observer dans ces attributions,
la prescription suivante: "L'attribution soit à un service public,
national, départemental ou communal, soit à un établissement
public ou d'utilité publique de biens d'un établissement
ecclésiastique, par application de l'article 7 de la loi susvisée
(loi du 9 décembre 1905), doit être faite avant que tous les
biens destinés aux associations cultuelles leur aient été
attribués".
On a donné à ce paragraphe une interprétation
contre laquelle je crois devoir vous mettre en garde.
On a prétendu qu'il avait pour objet d'empêcher
les établissements ecclésiastiques d'opérer aucune
attribution de biens au profit d'associations cultuelles tant qu'ils n'auraient
pas procédé, conformément à l'article 7 de
la loi du 9 décembre 1905, à l'attribution de leurs biens
grevés d'une affectation étrangère à l'exercice
du culte.
Cette allégation est aussi contraire à
l'esprit qu'à la lettre du texte ci-dessus rapporté.
Il résulte simplement du premier paragraphe
de l'article de l'article 5 du décret du 16 mars 1906 que, quand
un établissement n'aura pas effectué l'attribution de ses
biens, grevés d'une affectation non cultuelle, avant celle de ses
autres biens, il ne pourra plus la réaliser après.
Cette prescription n'a d'ailleurs rien d'arbitraire;
elle n 'est que la conséquence logique et nécessaire de la
disposition de l'article 3 de la loi du 9 décembre 1905, d'après
laquelle les établissements publics du culte, supprimés en
principe par l'article 2, ne continuent provisoirement de fonctionner que
jusqu'à l'attribution de leurs biens aux associations cultuelles.
Dès que les attributions prévues par l'article 4 ont été
réalisées, ils son définitivement supprimés
et, par suite, ils ne peuvent plus accomplir aucun acte.
Dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce
que les établissements ecclésiastiques procèdent en
faveur d'associations cultuelles aux attributions prévues par l'article
4 sans avoir préalablement opéré celles dont il est
question à l'article 7; mais alors ces établissements se
priveront de la faculté de réaliser ces dernières
et il y sera pourvu par décret, conformément au premier paragraphe
de l'article 8.
Au surplus, quand les établissements ecclésiastiques
entendent user du pouvoir qui leur est conféré par l'article
7, ils ne sont pas contraints de transmettre ceux de leurs biens, auxquels
s'applique cet article, à un service public national, départemental
ou communal, représenté par l'État, le département
ou la commune, ni même à un établissement public.
S'ils ne veulent pas s'adresser aux organes de l'administration publique,
ils ont le droit de faire porter leur choix sur une œuvre ou une institution
privée reconnue comme établissement d'utilité publique.
Ils jouissent donc de la plus grande latitude pour
l'attribution de leurs biens grevés d'affectations étrangères
à l'exercice du culte.
ARISTIDE BRIAND.