Le garde des sceaux, ministre de la justice et des cultes, à M. le préfet du département d...
Paris, le 2 juillet 1908.
Je me propose de vous adresser ultérieurement
les instructions générales utiles pour la solution des questions
que pourrait soulever l'application de la loi du 13 avril 1908, et que
vous m'avez signalées, en ce qui concerne votre département,
dans le rapport réclamé par ma circulaire télégraphique
du 17 avril dernier.
Mais il importe, sans plus tarder, que je précise
le rôle qui vous incombe pour l'exécution la plus prompte
possible du paragraphe 7 et du paragraphe 12 de l'article 9 de la loi du
9 décembre 1905, complétée par la loi précitée
du 13 avril.
Ces dispositions nouvelles prescrivent la publication
au Journal officiel de la liste des biens attribués ou à
attribuer, des anciens établissements publics du culte avec les
charges auxquelles lesdits biens seront ou demeureront soumis.
Cette publication est un des actes essentiels de
la procédure prévue par le législateur, au profit
des intéressés, pour assurer rapidement et sans frais le
payement des dettes régulières ou légales contractées
par les anciens établissements ecclésiastiques, et la reprise
par les auteurs de libéralités ou leurs héritiers
en ligne directe, biens donnés ou légués à
ces établissements,
Elle a ainsi pour but de renseigner les ayants droit
et les créanciers sur la consistance de tel patrimoine ecclésiastique
ou sur l'existence dans ce patrimoine de tel bien provenant d'une donation,
d'un legs ou d'une fondation, et de faire courir, dès lors, contre
lesdits ayants droit et créanciers, la prescription de six mois
édictée à leur égard par la loi; elle met,
en outre les établissements qui sont ou deviendront attributaires
des biens, à même de connaître sans, difficulté
les charges dont l'exécution leur est imposée. Ces charges,
en effet, doivent seules figurer sur la liste publiée, à
l'exclusion de celles qui légalement ne peuvent être remplies,
Pour que ces divers objets soient effectivement
atteints, il est évidemment de toute nécessité,
que la liste n'omette aucun des biens ni aucune des charges à l'égard
desquels la publication est prescrite. L'omission d'un bien laisserait
sa possession incertaine en empêchant de courir, en ce qui concerne
ce bien, la prescription spéciale contre les ayants droit; l'omission
d'une charge dont l'exécution doit rester imposée, impliquerait,
contrairement au vœu du législateur, l'interdiction de la remplir.
Vous ne sauriez donc attacher trop d'importance à la bonne exécution
du travail préparatoire de la publication dont il s'agit.
S'il appartient, en effet, au ministre des cultes
de procéder à cette publication, c'est à vous qu'il
incombe la tâche importante et urgente d'établir et de soumettre
à sa vérification le projet de liste à publier.
Vous demanderez avant tout aux agents de domaines
de vous donner la liste des biens qui leurs sont confiés par suite
de leur mise sous séquestre, avec, dans la mesure du possible, tous
renseignements utiles conformément aux indications qui seront ci-après
détaillées.
Cette liste servira de base à celle que vous
devez dresser.
En cas d'insuffisance des renseignements ainsi recueillis,
vous ne devrez pas non plus négliger les éléments
précis d'informations que pourront vous fournir soit les directeurs
départementaux des règles financières, soit les archives
des communes, soit surtout celles de votre préfecture où
sont conservés tous les actes d'autorisation administrative intéressant
les établissements publics du culte.
Il parait expédient, pour les besoins de
la pratique administrative et dans l'intérêt des ayants droit,
de dresser une liste générale des biens de chaque établissement
ecclésiastique et présentée sous forme d'un tableau
suivant les dispositions du modèle annexé à la présente
circulaire.
Vous établirez le projet de liste des biens
de tous les anciens établissements ecclésiastiques ayant
eu leur siège dans votre département, en ayant soin de ne
pas omettre même les biens qui seraient situés dans d'autres
départements. Vous classerez ces listes par ordre alphabétique
de communes dans chaque canton, puis par ordre alphabétique de cantons
dans chaque arrondissement, enfin par ordre alphabétique d'arrondissements,
le tout suivant le classement adopté par la publication annuelle
de la situation financière des communes, à laquelle les employés
chargés du classement pourront utilement se reporter.
Par exception, on fera figurer en tête du
département et non à la place qui leur serait désignée
par l'ordre alphabétique de communes les établissements diocésains
et les consistoires. Pour les premiers, on suivra cet ordre : mense épiscopale,
chapitre, grand séminaire, petit séminaire, caisse de retraite
ou maison de secours pour les prêtres âgés ou infirmes.
Pour les consistoires du culte israélite, vous ne devez pas oublier
qu'ils représentaient seuls les communautés israélites,
et que c'est dès lors à leur nom que doit figurer la liste
des biens des communautés, en distinguant néanmoins le patrimoine
de chacune d'elles.
Pour les départements comprenant plusieurs
diocèses, il faudra distinguer les circonscriptions ecclésiastiques,
présenter successivement les indications qui les concernent et inscrire
en tête de chacune les établissements diocésains qui
leur sont propres.
Quand il existera dans une même commune des
établissements de culte différents, ces établissements
devront être indiqués par culte, dans l'ordre suivant : 1°
culte catholique; 2° culte protestant réformé; 3°
culte protestant luthérien; 4° culte israélite. Dans
les villes où se trouvent plusieurs églises ou temple, les
établissements seront classés, dans chaque culte, par
ordre alphabétique de titre paroissial ou de vocable.
La liste des biens d'une fabrique d'église
sera immédiatement suivie de la liste des biens de la mense curiale
ou succursale de cette église.
La liste générale pour chaque département
devra, en vue de l'impression, être étable sur des feuilles
volantes, numérotées, dont le verso restera blanc. Les feuilles
ne seront pas numérotées par canton ou par arrondissement,
il n'y aura qu'un numérotage par département.
Je me propose de ne procéder à la
publication pour chaque département qu'après achèvement
de la liste générale afférente à ce département.
Des publications individuelles ou partielles rendraient, en effet, les
recherches difficiles aux intéressés. Une publication générale
et unique aura, en outre, l'avantage de faire courir d'une seule et même
date, pour tout le département, le délai de prescription
prévu par la loi.
Dès que la liste complète d'un département
me sera parvenue, mon administration l'examinera d'urgence et complétera
en tant que de besoin au moyen des documents qui sont conservés
dans ses archives. Après avoir apprécié quelles sont
les charges dont l'exécution est ou n'est pas légalement
permise, elle fera disparaître de la liste ces dernières,
et assurera enfin l'impression au Journal officiel.
Ces remarques d'ordre général
étant faites, il me reste à préciser les renseignements
qui devront figurer aux colonnes du tableau ci-joint, colonnes dont l'ordre
ne devra, en aucun cas, être interverti.
Établissement ecclésiastique. - Commune (Col. 1 et 2). - Vous inscrirez dans la colonne 1 le nom de l'ancien établissement ecclésiastique (exemple : fabrique de l'église de ..., mense curiale ou succursale de ..., conseil presbytéral de ...) et, dans la colonne 2, le nom de la commune où il avait son siège.
Désignation des biens (col.3). - Cette
désignation sera faite aussi sommairement que possible, pourvu que
le bien puisse être identifié, au moyen des renseignements
fournis dans la colonne 5 sur son origine au moment où il est entré
dans le patrimoine de l'établissement public du culte.
Ainsi, les indications suivantes seraient suffisantes
:
3 |
de l'inventaire 4 |
des biens 5 |
Terres
Pré et bois Rente sur l'État de 80 fr., série ..., n°... Maison Rente sur l'État de 40 fr., série ..., n° ... Espèces en caisse : *** fr. |
*
* * * * * |
Legs A...
Legs B... Donation C ... Acquis de X... Fondation Y... |
N.B. - Pour les immeubles situés dans les villes, l'indication du numéro et de la rue suffira. |
Il ne sera pas nécessaire d'indiquer le nom
de la commune en regard de chaque article qu'autant que l'immeuble sera
situé sur le territoire d'une commune autre que celle où
l'ancien établissement ecclésiastique avait son siège.
Dans l'exemple ci-dessus d'une rente de 80 fr. provenant
d'une donation C..., il peut arriver que l'objet donné n'ait pas
été cette rente, mais un bien vendu plus tard avec placement
du produit en rente sur l'État. En pareil cas, il convient de mentionner
dans la colonne 5 que le bien existant actuellement a remplacé la
valeur (mobilière ou immobilière) primitivement donné
ou léguée. Une mention analogue est nécessaire si,
au lieu d'une rente, on se trouve en présence d'immeuble échangé.
En ce qui concerne les rentes sur l'État,
je crois devoir signaler que le patrimoine séquestré d'un
même établissement ecclésiastique comprenait fréquemment
des titres collectifs englobant des rentes distinctes provenant de fondations
différentes. Il est indispensable, dans ce cas, de ne pas se borner
à mentionner le titre collectif, mais de donner, dans la colonne
3, l'énumération des différentes inscriptions corrélatives
à des fonctions distinctes.
Je rappelle encore ici que tous les biens de l'établissement
ecclésiastique doivent figurer sur la liste, qu'ils aient été
attribués déjà ou qu'ils soient à attribuer:
- qu'ils soient libres de toute charge ou qu'ils soient grevés d'affectation
charitable ou scolaire, ou de charge quelconque. Une exception est à
faire, une seule, mais elle est d'importance notable : la liste ne doit
pas comprendre les biens régulièrement attribués aux
associations cultuelles, soit par les établissements ecclésiastiques
eux-mêmes, soit par décret.
Doivent notamment figurer sur la liste, les biens
visé par l'article 7 de la loi du 9 décembre 1905 et les
biens (édifices du culte et meubles) qui, en vertu des N° 1
et 2 du paragraphe 1er de l'article 9 de la loi du 9 décembre 1905,
modifié par la loi du 13 avril 1908 deviendront la propriété
des communes, des département et de l'État, si, dit la loi,
ils n'ont pas été restitués ni revendiqués
dans le délai légal, ce qui nécessite évidemment
à l'égard desdits biens l'accomplissement de la procédure
à laquelle la liste des biens sert de point d'appui.
A l'égard des meubles garnissant les édifices
ci-dessus visés, une indication globale sera suffisante, sauf énumération
détaillée de ceux des meubles qui auront fait spécialement
l'objet d'une donation ou d'un legs dont l'administration aurait connaissance.
Origine des biens (col.5). - Vous ferez connaître
sous cette rubrique la nature de l'acte par suite duquel l'ancien établissement
ecclésiastique est devenu possesseur des biens dont il s'agit, et
vous indiquerez avec le plus grand soin le nom de la personne intervenue
(donateur, testateur, fondateur, vendeur ou échangiste).
Il me paraît superflu d'insister sur cette
considération que cette double indication est d'une extrême
importance pour atteindre le but que s'est proposé le législateur.
Charges (col. 6 et 7). - Toutes les charges
doivent être indiquées : celles dont l'exécution est
permise, dans la colonne 6, les autres dans la colonne 7.
Conformément au principe établi par
la jurisprudence administrative et consacrée par la loi du 13 avril
1908, seules pourront être remplies par l'établissement attributaire
les charges dont la destination n'est pas contraire à la nature
de cet établissement.
La commune, du reste, ayant qualité pour
assurer l'exécution des charges intéressant la collectivité
de ses habitants, pourra naturellement en l'espèce exécuter
les charges des biens qui lui auront été dévolus,
quand ces charges seront scolaires ou quand elles présenteront un
caractère exclusif d'intérêt communal (fondation pour
prix de vertu ou pour travaux à l'église.)
En ce qui concerne cette dernière charge
(travaux aux édifices du culte), il n'est peut-être pas inutile
de vous rappeler la doctrine affirmée au cours des travaux préparatoires
et fixée par l'article 5 de la loi précitée. L'édifice
communal affecté au culte peut être réparé ou
entretenu par la commune dans la mesure où les dépenses engagées
à cet effet ont pour objet et pour effet l'entretien et la conservation
d'un élément du patrimoine communal. Il en résulte
que les dépenses de cette nature n'ont pu être considérées
par le législateur comme ayant un caractère cultuel mais
simplement d'intérêt communal.
On doit conclure de ce fait que les charges ayant
le même objet, que ces dépenses ont aussi un caractère
communal et non cultuel, et que les biens affectés à l'exécution
de telles charges sont régis par l'article 7 de la loi du 9 décembre
1905. Ces biens devront, dès lors, être attribués aux
communes qui ont qualité pour remplir ces charges.
Les établissements communaux de bienfaisance
ou d'assistance pourront exécuter toutes les charges charitables,
y compris les distribution de pain aux pauvres à certains anniversaires,
mais ne seront pas soumis inéluctablement à l'obligation
de recourir pour ces distributions à un ministre du culte. La loi
du 13 avril 1908 leur laisse toutefois la faculté de le faire sous
les conditions et sanctions prévues par le deuxième et quatrième
alinéas de l'article 3, paragraphe 14.
Quant à la charge d'entretien de tombe, le
deuxième alinéa du paragraphe 7 du susdit article 3 de la
même loi leur en permet expressément l'exécution.
Le texte légal étant, sur ce point,
détaillé et catégorique, à peine est-il besoin
de noter ici qu'aucun établissement attributaire ne pourra exécuter
les charges de messe ou de service religieux quels qu'ils soient (prédications
extraordinaires, retraites, missions, etc.) ni celles de supplément
de traitement à un ministre du culte, non plus que celle de logement
d'un ministre du culte dans un immeuble donné ou légué
ou acquis pour cette destination. Toutes ces charges devront être
inscrites dans la colonne 7. Il doit, d'ailleurs, demeurer entendu que
les établissements attributaires ne pourront disposer des biens
grevés de services religieux qu'en réservant temporairement,
pendant le délai prévu par le législateur, la portion
afférente à la charge, ainsi que le prescrit l'article 3
paragraphe 16, de la loi du 13 juillet 1908.
Peut-être n'est-il pas inutile de concrétiser
par les exemples suivants, de quelle manière les charges devront
figurer sur la liste à adresser. Je rappelle que c'est à
mon administration qu'incombera le soin de faire disparaître
les charges qui, étant légalement prohibées, ne devront
pas être publiées au Journal officiel.
Col. 5 |
dont les biens demeurent grevés après l'attribution Col. 6 |
Col. 7 |
Legs B... | Entretien de tombe .... | Logement du curé.
Messe. |
Legs M... | Réparation de l'église ..... | Mission annuelle.
Saluts solennels. |
Donation C... | Prix aux enfants des écoles .... | Supplément de traitement du curé. |
Legs V... | Distribution de pain aux pauvres .... | Messes.
Obligation de recourir au ministre du culte pour la distribution du pain. |
Donation F... | Affectation charitable pour partie ... | Services religieux. |
Legs O... | Fondation d'un prix de vertu ... | Messes. |
La publication de la liste et la procédure
instituée par la loi de 1908 doivent, en général,
et suivant le cours normal des choses, précéder l'attribution
des biens. Toutefois, vous rencontrerez fréquemment, et aurez au
besoin à me signaler par un rapport spécial, des cas dans
lesquels, au contraire, l'attribution pourra et même devra se faire
sans plus attendre. Ce fait se produira notamment quand l'établissement
éventuellement attributaire, ayant à se créer sans
retard de nouvelles ressources, réclamera un patrimoine ecclésiastique
libre ou légèrement grevé de dettes; de même
aussi parfois l'attribution vous paraîtra s'imposer à brève
échéance pour résoudre des difficultés locales.
Dans ces cas exceptionnels, il serait contraire
aux intentions du législateur de préjudicier aux intérêts
des établissements en cause en leur imposant des délais qui
ont été prévus dans une certaine mesure à leur
profit.
Mais quand vous serez en présence d'une affaire
de cette nature, conformément à l'accord établi entre
mon département et celui des Finances, vous avertirez l'établissement
en instance d'attribution immédiate que la condition sine qua
non de cette attribution est l'engagement préalable à
prendre par lui :
1° De payer toutes les dettes régulières
ou légales de l'établissement ecclésiastique actuellement
connues ou qui se révéleraient dans le délai fixé
par la loi, ledit engagement excluant tout recours ultérieur au
fond commun prévu par le n°4 du paragraphe 1er de l'article
1er de la loi du 13 avril 1908;
2° De supporter les frais et les conséquences
des reprises qui pourraient être exercées par les auteurs
de libéralités ou par leurs héritiers en ligne directe.
Sous réserves et d'après vos propositions
motivées pour chaque espèce, mon Administration continuera
à faire toutes diligences pour hâter, dans la mesure des moyens
dont elle dispose, la liquidation de toutes les attributions de biens ecclésiastiques
pour lesquelles il y aurait intérêt manifeste à statuer
sans attendre la publication de la liste des biens.
Je vous serai très obligé de me faire
connaître approximativement, en m'accusant réception de la
présente circulaire, quel délai vous estimez nécessaire
pour l'établissement de la liste dont il s'agit dans votre département.
J'insiste sur cette observation que ce délai,
inévitable pour l'accomplissement de cette œuvre délicate,
doit être aussi réduit que possible, et je vous serai reconnaissant
de prendre toute mesure utile à cet effet.
ARISTIDE BRIAND
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