Chambre des députés
30 juillet 1875
(La République n'existe officiellement que depuis le 30 janvier)
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M. Pernolet. ... Je voudrais
seulement profiter de l'occasion pour faire cesser l'espèce d'interdit
que plusieurs, au moins, des hauts dignitaires dont nous nous occupons
en ce moment, semblent avoir jeté sur le Gouvernement que les circonstances
nous ont imposé et dont vous avez patriotiquement consacré
l'existence en février dernier.
Il y a deux mois déjà que j'ai eu
l'honneur d'entretenir M. le ministre de l'instruction publique et des
cultes de l'abus de pouvoir que je vous signale, après l'avoir constaté
moi. même. II me répondit alors qu'il croyait bon d'attendre
une occasion pour y mettre fin, si cet abus ne cessait pas spontanément.
M. le ministre de l'instruction publique et des cultes. Je n'ai pas dit que ce fût un abus!
M. Pernolet. Je le croyais. (Ah! ah ! à droite et au
centre.), et je croyais avoir employé un mot modéré.
...
Mardi dernier, après m'être assuré
que le Gouvernement établi continuait d'être passé
sous silence dans les prières de l'Église catholique, notamment
dans le département où siège l'Assemblée nationale,
j'ai fait part à M. le ministre de mon projet de porter la question
il la tribune.
Toujours conciliant, -et je suis loin de le lui
reprocher, -l'honorable M. Wallon m'a engagé à attendre encore,
promettant de profiter des prières qui doivent être faite,
à notre rentrée de novembre pour prescrire, d'une manière
générale, de reprendre l'usage de chanter, en faveur du Gouvernement
établi, le Domine salvum qui est su pprimé depuis
cinq ans dans la plupart des départements.
Je pense qu'il ne serait pas sans inconvénients
d'attendre la rentrée pour faire cesser cet état de choses
que rien ne saurait justifier depuis le 25 février et qui déjà,
sous la présidence de M. Thiers, était également contraire
à l'usage constant de l'église catholique, aux convenances
et surtout à l'esprit évangélique. (Mouvements
divers)
Il y a là un acte d'hostilité
évident qui, pour être muet, n'est pas sans danger, parce
que quelques paroles dites au prône, de temps à autre, peuvent
être interprétées comme lui donnant une signification
qui n'échappe pas aux fidèles et dont les ennemis de l'ordre
établi ne se font pas faute de tirer parti pour calomnier nos institutions
(Très
bien ! très bien ! à gauche.)
Il serait donc imprudent, pour le moins, de ne pas
se préoccuper de ce détail, surtout à la veille de
vacances de trois mois que les partis ne manqueront pas d'employer à
la préparation des élections des sénateurs et députés
dont la nomination doit se faire avant la fin de l'année.
C'est pourquoi, sans attendre davantage, j'ai cru
devoir
vous entretenir de cette question: elle n'est pas à dédaigner.
En effet, il n'est pas possible de se dissimuler qu'après cinq
années d'un régime républicain établi et maintenu
par la force des choses... (Interruption à droite), au milieu
des épreuves les plus rudes que la France ait traversées,
après la promulgation complète de l'ensemble des lois nécessaires
pour donner à ce régime les garanties les plus sérieuses
d'ordre, de sécurité et de paix, le gouvernement existant
n'est pas encore reconnu par la majeur partie du clergé français.
(Réclamation
à droite et au centre.)
M. le comte de Rességuier. C'est absolument inexact!
M. de Staplande, à M. Pernolet, Qu'en savez-vous ?
M. Pernolet. II suffit de prendre part au, exercices religieux du dimanche pour s'assurer qu'aucune occasion n'est négligée pour donner publiquement à entendre que plus d'un évêque ou archevêque pense ce que nous avons entendu dire maintes fois à quelques-uns de nos collègues: " Tout, plutôt que la République ! " (C'est vrai! à gauche. -Rumeurs à droite.) Actes, sermons et conversations, tout démontre cette opposition obstinée des successeurs du clergé de 1848, qui, lui, s'était montré bienveillant pour la République d'alors, au point de prêter les mains à la plantation des arbres de la liberté.
Un membre à droite. Demandez-vous la constitution civile du clergé?
M. Jean Brunet. Ce sont là des procès de tendance !
M. Pernolet, Cependant, c'est la République qui, depuis
cinq ans, paye cardinaux, évêques, curés et vicaires
(Réclamations à droite), et notez que je ne suis pas
de ceux qui s'en plaignent. Je pense, au contraire, que si l'État
républicain en venait, en France, à cesser de subventionner
les cultes reconnus, il ferait preuve de plus de témérité
que de sagesse.
II n'en est pas moins vrai que, depuis cinq ans,
c'est la République qui paye le clergé.. . (Protestations
à droite.)
Un membre. Alors auparavant c'était
l'empereur!
plusieurs membres. C'est la nation ! - C'est
la France !
M. Pernolet. .... il n'en est pas pas moins vrai que c'est de la République que l'Eglise catholique a obtenu, il y a vingt-cinq ans, et tout récemment encore, des libertés et des immunités qu'aucune monarchie ne lui aurait accordée ; qu'enfin c'est la République qui est la forme de gouvernement la plus capable de faire inscrire un jour sur ses drapeaux le précepte fondamental de l'évangile : "Aimez-vous les uns les autres." (Exclamations à droite.)
Un membre à droite. Témoin la Commune !
M. Pernolet. C'est ma conviction et mon espérance ! Néanmoins
ces différents titres de la République à la sympathie
du clergé catholique semblent n'être comptés pour rien
par les chers de cette armée nombreuse et disciplinée; ils
ne s'en cachent pas: tous leurs vœux sont pour les gouvernements déchus.
Et, chose plus triste ! ce n'est pas, de leur part, foi bourbonnienne ou
bonapartiste, c'est simplement défiance aveugle de la liberté
(Dénégations
à droite); car, du reste, leur adhésion parait également
acquise à celle des deux opinions qui triompherait la première.(Rires
ironiques à gauche.)
Un pareil état de choses mérite assurément
que l'Assemblée nationale s'en occupe, au moment où il s'agit
de mettre à la disposition du clergé catholique un budget
de plus de 52 millions.
Maintenant donc que les déclarations du ministère
nous donnent lieu d'être rassurés du côté des
radicaux et des bonapartistes, dont M. le président du conseil et
M. le garde des sceaux se sont partagé la surveillance (Applaudissements
et rires à gauche), je trouverais désirable que M. le
ministre de l'instruction publique et des cultes complétât
cette application nouvelle de la division du travail (Ah! ah !),
en ayant l'œil, de son côté, sur le personnel qui dépend
de son administration.
Dieu me garde, d'ailleurs, de demander une intervention inquisitoriale
et tracassière ! Je préférerais même que le
clergé fit spontanément ce qu'il doit à l'égard
du Gouvernement établi; car, loin d'être l'ennemi de 1a religion
et du clergé Catholique, j'attache uns grand importance à
ce que l'une et l'autre se fassent respecter et aimer de tous plis particulièrement,
même, si possible, des républicains (Rires à droite)
C'est à cause de cela que je suis plus sensible
que d'autres à ses fautes, quand il en commet.
Pour aujourd'hui. je me bornerai donc à
prier M. le ministre des cultes de faire en sorte que le Domine salvam.,.
(interruptions.)
plusieurs membres Salvam Rempublicam.
M. de Valon. reversendam! (Rires à droite)
M. Pernelot. ..connu de tous les fidèles pour avoir retenti dans nos églises en faveur de tous les Gouvernements, cesse d'être Supprimé sous la République. Il n'est pas admissible que cette prière paraisse interdite plus longtemps' dans le diocèse même où se trouve la résidence officielle du Gouvernement, lorsque nous savons qu'à Rome et avec l'agrément du Pape le Domine salvam fac Rempublicam se chante depuis longtemps dans l'église Saint-Louis-des- Français.
M. de Tillanconrt. Très bien! très bien!
M. Pernolet. Aussi j'ai la certitude de ne pas manquer de respect
à nos cardinaux, archevêques et évêques 'quand,
du haut de la tribune nationale, je les prie de ne passe se montrer
plus intransigeants que leur chef infaillible. Ils me permettront même
de leur rappeler, à ce propos que, moins monarchiste
qu'eux, le Saint-Père n'a pas craint le dire plus d'une fois avec
sa franchise ordinaire: ".Je m'entendrais mieux avec les peuples qu'avec
les roi" (Mouvements divers )
Cette parole est bonne à méditer.
Elle contient un enseignement dont plus d'un parti pourrait faire son profit.
Mais, sans sortir de mon sujet, ne pourrais-je pas demander à notre
clergé s'il est bien fondé à se montrer plus ultramontain
que son chef vénérable ? N'est-ce pas assez d'avoir abandonné
nos patriotiques et séculaires traditions anglicanes ? (Rires
à droite) Est-ce qu'à l'exemple de Pie IX ils ne pourraient
pas, sans faillir, se défaire de tous esprit d'hostilité
contre une République aussi éminemment conservatrice que
la nôtre ?
Si, comme je me plais à n'en pas désespérer,
cette heureuse conversion du clergé français doit se faire
un jour, il est bon de la préparer sans retard, et personne n'est
en situation de s'y employer plus efficacement que le consciencieux ministre
qui se trouve aujourd'hui à la tête de l'administration des
cultes
Notre très honorable collègue M. Wallon
a eu l'honneur insigne de faire adopter enfin par l'assemblée nationale
la forme de gouvernement que les plus expérimentés des conservateurs
recommandaient depuis longtemps à notre patriotisme comme celle
qui avait le mérite incomparable de nous diviser le moins, (Exclamations
ironiques à droite) M, Wallon est connu, en outre par la piété
la plus sincère à la fois et la plus éclairée.
(Bruit,) Il sera donc compris, je n'en doute pas, lorsqu'il demandera
que le Domine salvam fac Rempublicam soit chanté désormais
et de bon cœur. (Bruyants éclats de rire à droite)
M. le comte de Rességuier. L'amour ne se commande pas!
M Pernolet. ..moins, pour obéir à un ordre, que la loi autoriserait, que pour aider au rapprochement des partis et à l'union de tous les bons Français, première nécessité de notre situation présente. (Très bien! et applaudissements sur divers bancs à gauche,.)
M. le ministre de l'instruction publique et des cultes. Messieurs, je ne viens pas répondre aux accusations ...
M, Malézieux. Aux compliments !
M. le ministre.... Je ne viens pas répondre aux compliments si vous voulez, mais je ne viens pas répondre non plus aux accusations que l'honorable M. Pernolet a portées contre le clergé tout entier.
M. Pernolet., Contre une partie du clergé!
M. le ministre. depuis que je suis au ministère j'ai eu
déjà l'occasion de voir assez les membres du clergé,
pour dire qu'il n'y a personne en France qui soit plus disposé à
soutenir le gouvernement. Il l'a prouvé dans toutes les occasions,
il le prouvera encore. Je n'ai donc pas à avoir l'œil, comme
on m'y invitait, sur le clergé afin de conjurer les périls
dont il pourrait menacer le gouvernement établi ; je suis sûr
que personne, en France, plus que le clergé n'est capable d'affermir,
en prêchant l'accomplissement de ce devoir de chrétien qui
fait qu'on respecte un gouvernement alors même qu'on n'a pas pour
lui de sympathie. (Rumeurs à gauche)
Je ne prétends pas, messieurs, que
la sympathie soit partout ... (Rires à droite);
je vous prends vous même à témoin, vous êtes
une image de la France ; on ne peut pas prétendre que toutes les
sympathies aient été assurées au gouvernement établi
par le vote de la majorité. Il est établi, vous le respectez
tous ; et je le répète, je suis assuré que c'est le
clergé qui, par l'heureuse influence de sa prédication, pourra
contribuer le plus à affermir le gouvernement (Très bien
! très bien !)
Maintenant, il faut que je réponde au fait
particulier qui a fait monter l'honorable M. Pernolet à cette tribune.
Le Domine salvam ...(Bruit)... est chanté
à Paris et dans plusieurs diocèses. Lorsque j'ai eu l'honneur
de rencontrer des évêques, je leur ai demandé si cette
prière se disait aussi dans leurs diocèses ; il y en a qui
m'ont dit que non , mais ils ont ajouté qu'ils n'y avaient pas été
invités. (Ah ! Ah!)
Comment n'y ont-ils pas été invités
? Je le demanderai d'abord à mon honorable ami M. Jules Simon.
(Rires à droite.)
M. Jules Simon. J'attendais le vote qui n'a eu lieu que le 25 février dernier.
M. de Tillancourt. Votre proposition qui a constitué la République comme le gouvernement légal de la France n'avait point encore été votée par l'Assemblée, alors que M. Jules Simon était ministre.
M. le ministre. Et pourtant, messieurs, nul ne peut mettre en
doute ni l'esprit républicain de M. Jules Simon, ni ses excellents
rapports avec le clergé ; j'en ai tous les jours des preuves.
Ses successeurs n'ont pas pas fait autrement que
lui. Aujourd'hui, peut-être y a-t-il quelque chose à faire
; mais il m'étais permis, moins qu'à personne, de le faire
avec un certain éclat.
J'ai donc dit à M. Pernolet que j'attendais,
pour le faire, une occasion ... (Bruit à gauche), et que
cette occasion ne pouvait manquer de m'être donnée par l'Assemblée
elle-même.
Elle m'a été donnée, en effet,
par la résolution de prorogation.
Un article de la résolution ordonne que des
prières publiques auront lien le dimanche qui suivra. le retour
de l'Assemblée.
A ce moment-là, en demandant au clergé de prier pour
l'Assemblée, je lui demanderai de prier aussi pour la France en
introduisant dans les églises le Domine salvam fac Rempublicam,
(Très
bien! très bien! à gauche, -Rumeurs à droite.)
M. Pernolet. Puisque M. le ministre ne croit pas opportun de demander ce qu'il a le droit d'obtenir, et qu'il juge sans inconvénient de laisser durer trois mois encore le régime provisoire et peu évangélique, selon moi, dont je me suis plaint, je me permets de prier de nouveau, du haut de cette tribune, MM. les archevêques et évêques de ne pas attendre davantage,., (Exclamations à droite et au centre), pour donner publiquement aux fidèles des preuves de cette sympathie pour le Gouvernement établi dont le ministre s'est porté garant dans son discours. (Bruits et mouvements divers,)
M. le ministre. Je vous ai démontré qu'il n'y avait de leur part. aucune opposition.
M. Pernolet. S'il n'y avait pas d'opposition de sa part, le clergé ferait pour le Gouvernement établi ce qu'il a fait pour les gouvernements qui l'ont précédé.
M. Madier de Montjau.
Il a, en tout cas, moins d'enthousiasme que lorsqu'il bénissait
les arbres de la liberté en 1848.
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