En mars et juin 1903 les demandes d'autorisation déposées par les congrégations masculines et féminines ont été rejetées.

Chambre des députés
4 novembre 1903

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 M. Gayraud. Messieurs, mon intention n'est pas d'interroger le Gouvernement; à l'occasion de la discussion du budget des cultes, sur sa politique envers l'Église et le clergé, Je désirerais simplement savoir de lui quel but il se propose. A-t-il simplement le dessein d'appliquer le Concordat, ou bien entend-il en préparer la dénonciation dans un avenir prochain et tracer comme les lignes générales d'un nouveau régime des cultes pour le temps futur de la séparation des Églises et de l'État.
    Il semblerait, à considérer les faits, que le Gouvernement ne se préoccupe pas précisément de l'application loyale de la convention concordataire, mais plutôt de préparer ce régime de la séparation cher un grand nombre de nos collègues.
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M. le président du conseil. ...... Quant à la séparation des Églises et de l'État, c'est vous et vos amis qui vous chargez de la préparer. (Vifs applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)
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M. Gayraud. ..... Mais est-ce que les instituteurs ne sont pas aussi des fonctionnaires ? Pourquoi les membres du clergé ne pourraient-ils pas faire, en vue de défendre la religion ce que vous accordez aux instituteurs le droit de faire dans le but de défendre la démocratie et la République ? (Applaudissements à droite. - Interruptions à gauche.)
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M. Maurice Allard. Je serai très bref. Je ne veux ni entrer, comme M. Gayraud, ni dans la cuisine de l'administration des cultes, ni me livrer à une discussion de doctrine. Une pareille discussion devant la Chambre devient bien inutile. Voilà trente ans que nous l'entendons. Aussi, je ne ferai à aucun de mes collègues l'injure de croire qu'il n'a pas une opinion faite sur la question. Elles est d'ailleurs solutionnée dans l'opinion publique.
    Je ne renouvellerai donc pas cette année le débat entre le vieux philosophe spiritualiste, qui est président du conseil, et le moniste qui parle à cette tribune.
    Je veux cependant faire quelques observations sur le plus étonnant rapport qui ait jamais émané d'une commission radicale du budget.
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    Le travail  de M. Dulau, je vous l'assure, ne fora pu avancer d'un pas la question de la séparation. Nous y trouvons, d'abord, une attaque non déguisée contre  ceux  qui ,chaque année, viennent demander la suppression du budget des cultes.
    "Aussi bien, dit-il, n'a-t-on pu envisager! jusqu'à ce jour que comme une simple manifestation le refus de certains de nos collègues, de voter les crédits destinés à assurer l'exécution' des clauses diverses de la convention intervenue entre notre société civile et la papauté."
    Si l'honorable rapporteur était présent, je lui dirais quo, si tous les, ans nous demandons la suppression du budget des cultes, ce n'est pas pour nous livrer à une manifestation platonique, mais au contraire, parce que nous avons le désir d'aboutir, et de faire voter la réforme par la majorité républicaine de cette Assemblée. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
    D'autre phrases sont aussi étonnantes :
    "Toucher au Concordat, dit M. Dulau, dans les circonstances actuelles, qu' on le veuille ou non,  ce serait, de quelque  façon  qu'on voulût résoudre le problème, porter un coup redoutable aux religions diverses qui se partagent les consciences, à la religion catholique surtout, la plus généralement répandue dans notre pays. "
    "Entrer en guerre contre les croyances religieuses dans les circonstances actuelles jetterait la République dans un véritable péril. Nul n'ignore, en effet, les difficultés sans cesse renouvelées, que le Gouvernement a rencontrées dans l'application de la loi de 1901 aux congrégations. En face de l'hostilité ouverte de tous les membres des congrégations dissoutes serait-il d'une politique habile pour le Gouvernement de Ia République de s'aliéner   encore tout le clergé des paroisses de France, sorti des rangs de la démocratie et que son origine, le milieu où il vit, la modestie de sa mission  rapprochent plutôt des institutions qui nous régissent ?"
    Une dernière citation :
    "Aux yeux d'un grand nombre de républicains, écrit M. le rapporteur, le Concordat parait une institution caduque et vieillie ne répondant plus à la conception nouvelle des consciences affranchies de toute idée mystique et de tout culte. Ils né réfléchissent pas que les consciences libres de tout préjugé ne sont encore dans notre pays qu'une exception infime, qu'elles n'existent presque pas dans les campagnes et que, priver du jour au lendemain les masses attachées à leur croyance des facultés que le Concordat a créées pour leur culte, c'est, en réalité, violenter des consciences, provoquer délibérément des colères et de périlleux  ressentiments."
    Je demande à M, le président de la Commission du budget et à son rapporteur général ,s'ils estiment que supprimer le
Concordat, faire la séparation des Églises et de l'État, c'est violenter les consciences ; je demande aux radicaux, partisans de la séparation des Églises et de l'État, qui ont le désir, je veux le croire, avec la même conscience que nous, de la voir aboutir, comment ils peuvent permettre que de pareils rapports soient imprimés en leur nom et viennent, sous leur autorité, se produire devant la Chambre. Croient-ils servir de cette façon la cause de la séparation des Églises et de l'État ? (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Georges Berthoulat. Ce rapport leur à été lu et ils l'ont approuvé.

M. Maurice Allard. C'est un incident que je voulais vider rapidement. Ma principale préoccupation à cette tribune n'est pas, je le répète, de faire aujourd'hui de la doctrine, c'est d'essayer de dégager la véritable opinion  de la Chambre sur la question de la séparation des Églises et de l'État. Il faut en finir avec les équivoques. Il faut qu'on sache dans le pays si véritablement il y a ici une Chambre anticléricale décidée à poursuivre jusqu'au bout la lutte contre l'Église.
    C'est pourquoi j'ai porté à nouveau devant cette Assemblée, cette année comme les années précédentes, comme d'autres l'avaient fait ayant moi depuis trente ans la question de la séparation des Églises et de l'État; et je le fais  en  connaissance de cause, avec la persuasion, contrairement à l'argumentation qu'on  m'opposera  à cette tribune, que les discussions budgétaires sont le meilleur terrain pour faire aboutir les réformes.
    Quand nous abordons à cette tribune des questions  qui, sont à l'ordre du jour de l'opinion publique, on: nous objecte que nous ne pouvons pas soulever dans une discussion budgétaire des: 'réformes  de cette importance. Attendez,  nous  dit-on,  que des commissions aient, discuté et que les rapports aient été déposés sur le bureau. Les réformes ne se font que par projets et propositions de loi.
    Ni les radicaux, ni certains socialistes ne parlaient autrefois de cette façon. Rappelez-vous les anciennes discussions budgétaires. :Elles étaient l'occasion pour les opinions diverses de se faire jour et on les discutait avec ampleur.
    Eh bien ! nous voulons qu'elles aient maintenant, comme avant, le même éclat.
    Qu'est-ce donc que ces nouvelles théories ? En réalité qu' est-ce donc qu'une discussion de budget? Si nous passons en revue tous les rouages de notre administration française, ce n'est pas simplement pour inscrire un chiffre devant chaque service ; non, c'est pour que nous puissions discuter l'utilité de ces rouages et s'ils sont défectueux, les améliorer; s'ils sont mauvais, les supprimer.
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    Affirmer que si la séparation des Églises et de l'État, si l'impôt progressif sur le revenu ont été mis et sont récemment remis sur le tapis, c'est parce que nous n'avons pas laissé tomber ces questions dans les oubliettes parlementaires et que chaque année, nous avions pris soin de les ressusciter au moment de la discussion budgétaire.
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    Vous savez bien quelle est la lenteur du travail dans les commissions. Je ne veux pas de cette façon incriminer ni le zèle de la commission de séparation des Églises et de l'État, ni celui de son rapporteur. Je fais moi-même partie de cette commission ; nous travaillons, et je sais que prochainement peut-être, le rapporteur sera en mesure de vous présenter le résumé de nos travaux. Mais, rappelez-vous votre histoire parlementaire et tous les projets qui, étudiés dans les commissions, ayant été même l'objet d'un rapport, sont encore, après trente ans, à l'état de projets et ne sont jamais venus en discussion publique devant cette Chambre. Je pourrais vous en faire une longue énumération. (Cliquer pour en avoir un exemple d'une occasion ratée)
    Eh bien ! j'ai peur qu'il en soit de même, malgré le zèle de la commission, de la séparation des Églises et de l'État ; j'ai peur qu'il en soit de même pour cette réforme inscrite depuis si longtemps dans le programme républicain. Savez-vous pourquoi j'ai cette crainte, messieurs ? C'est parce que, ...., sous notre constitution ne peuvent aboutir que les projets d'initiative gouvernementale ou les projets d'initiative parlementaire que le Gouvernement finit par faire siens sous la pression de l'opinion publique. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
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    Enfin, messieurs, je ne sais si le Gouvernement fera sien notre rapport, ce produit de la seule initiative parlementaire.
    J'ai suivi la politique religieuse de M. le président du conseil ; j'ai, non pas entendu, mais lu attentivement ses discours de Marseille et de Clermont-Ferrand, et j'approuve ces discours sur un certain nombre de points.
    Seulement, sur cette question spéciale de la séparation des Églises et de l'État, j'ai remarqué que M. le président du conseil avait fait certaines réserves, et je reconnais, j'avoue qu'il m'a été impossible de dégager entièrement quelle est sa pensée.
    M. le président du conseil nous a dit qu'il y avait une œuvre à parachever. .... je suis même d'avis, moi, qu'elle est tout entière à accomplir ..... Mais quand [il] a abordé la question de la séparation des Églises et de l'État, il s'est borné à nous dire d'abord -....- que devant le clergé déchaîné contre la République, il a été absolument impuissant et qu'il n'avait entre les mains aucun instrument capable de réduire à néant cette rébellion et cette agitation du clergé. Ensuite, ...., soulevant d'une main un peu tremblante les voiles de l'avenir, [il] nous a laissé entendre qu'il faudrait s'occuper, à un moment donné, devant le parlement, de régler les rapports des Églises et de l'État.
    Eh bien ! cette formule m'a paru extrêmement vague. je ne sais pas ce que c'est que de régler les rapports des Églises et de l'État ......... Le pays pays veut supprimer ces rapports ; il ne veut plus qu'il existe entre l'Église et l'État aucun rapport quelconque.  (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
    Or, après ces déclarations, M. le président du conseil, dans un excellent passage d'un de ses discours, laissait entendre qu'il n'était pas de ces chefs de Gouvernement qui ont la prétention d'entraîner des majorités après eux ; mais au contraire, il se laissait guider par la majorité républicaine. Je suis absolument de son avis : dans un véritable régime républicain, ce n'est pas pas le Gouvernement qui doit entraîner une majorité ; c'est la majorité représentant le pays qui doit guider le Gouvernement. . (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche - Mouvements divers.)
    Au centre. C'est un système !

M. le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. Oui ! c'est mon système !
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    Monsieur le président du conseil, je ne vous interpelle pas, je ne veux pas parler de l'application d'une loi qui vous est chère, que, d'ailleurs, vous avez appliquée jusqu'à présent, dans la mesure du possible. Ce n'est peut-être pas l'application que vous faites de cette loi, mais la loi même, qui est défectueuse. Vous n'allez pourtant pas nous faire croire, ni faire entendre au pays que la loi sur les associations, avec les faibles résultats qu'elle a donnés jusqu'ici, constituent une véritable action anticléricale et qu'elle peut détruire d'un seul coup le péril romain. Votre action contre les congrégations s'est traduite jusqu'ici par des actes tellement insignifiants que, dans toutes les régions que nous représentons, on n'aperçoit véritablement pas qu'un progrès ait été accompli.
    Pendant les vacances, j'ai parcouru bien des villes de provinces : je suis allé dans le nord, dans le midi, à Tours, à Poitiers, à Marseille, à Toulon. Partout, j'ai vu des républicains qui m'ont dit :"Comment ! les journaux racontent tous les jours que les congrégations sont parties, que l'Église est terrassée ? Mais tel couvent subsiste encore dans notre ville et il y en a un autre à côté et un autre encore dans ce coin; on voit des théories de soutanes dans les rues ; les prêtres du clergé séculier sont plus insolent que jamais ! Les jésuites sont dispersés, dit-on ! Ils ont partout rouvert leurs collèges avec les mêmes méthodes d'enseignement et les mêmes professeurs qu'auparavant!" Et ces plaintes sont justes ; rien n'est changé. (Exclamations au centre et à droite.)
    Toutes ces écoles que vous avez fermées, monsieur 1e président du conseil, vous savez qu'elles sont rouvertes en partie au moins, peut-être pour les deux tiers. Les congréganistes expulsés sont rentrés non pas par la fenêtre, mais bien par la porte, après avoir pris le soin de changer seulement leur costume. J'ai lu dans les journaux qu'à Marseille, à la suite d'une pétition des mères de famille, vous aviez accordé une prorogation de fermeture à vingt-cinq écoles religieuses de cette ville.
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    Vous avez fait votre possible, je ne nie pas, mais vous avez, je le répète, entre les mains, un mauvais instrument ....
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     Si vous voulez que le pays ait  confiance dans votre politique anticléricale que vous menez, je le reconnais, avec une apparence d'énergie bien supérieure  à celle  de tous les cabinets qui vous ont précédé, il faut qu'il voie que vous voulez véritablement  arriver à un résultat sérieux, et ce résultat sérieux vous ne l'obtiendrez, je le répète, que par le vote de 1a séparation des Églises et de l'État.
    Comment vous luttez, dites vous, contre l'Église et, sur le même budget que celui des instituteurs et des professeurs, vous payez le prêtre que vous prétendez combattre, que vous considérez, comme un ennemi ? C'est le pire des illogismes et, c'est cet illogisme que ne comprend pas le pays, Quand vous aurez dit au pays: nous supprimons le budget des prêtres qui sont les adversaires de la République et les adversaires du progrès, alors seulement il croira à la sincérité de votre lutte anticléricale. (Très bien ! très bien! à l'extrême gauche,)
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    Ah ! messieurs, tous les jours, vous vous vantez d'être les descendants, les continuateurs des révolutionnaires de 1789 et de 1793! Eh bien ! rappelez-vous qu'il a suffi d'une nuit, celle du 4 août, pour abolir  les privilèges de la noblesse. Vous faudra-.t-il plus d'une journée pour abolir les privilèges de l'Église? (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
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M. le président du conseil. Messieurs .... Je ne dirai ... que deux mots au sujet de l'amendement de M. Allard. Je demande à la Chambre de l'écarter, et je le demande tout particulièrement aux partisans de la doctrine soutenue par M? Allard. (Mouvements divers)
    Pour peu qu'ils veuillent y réfléchir, ils comprendront que la proposition qui leur est faite est aussi intempestive qu'elle est illogique. Personne ici, pas même M. Allard ne peut se faire d'illusion sur le sort qui l'attend ; un vote prévu de tout le monde va l'écarter et fournir un argument des plus sérieux aux adversaires de la proposition pour établir qu'il n'y a pas dans cette Chambre, de majorité pour la séparation des Églises et de l'État.
    En effet, chacun de nous sent très bien qu'une question aussi grave et si délicate n'est pas de celle qui peuvent être tranchées par voie budgétaire. L'adoption d'une loi sur la police des cultes et la dénonciation du Concordat doivent précéder la séparation des Églises et de l'État comme deux préliminaires indispensables qui seuls peuvent la justifier.
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(Amendement repoussé par 312 voix contre 205)