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Proposition de loi
sur la séparation des Églises et de l'État
Et la suppression du budget des cultes
déposée le 31 janvier 1905 par M. Sénac

EXPOSE DES MOTIFS

    Messieurs, pendant les dernières années qui viennent de s'écouler, le clergé et les congrégations religieuses ont fait les plus grands efforts pour semer, au sein de nos populations, la surexcitation, le désordre, le déchaînement de toutes les passions politiques.
    Le Gouvernement a reçu de la République le devoir de défendre nos institutions et de les faire respecter. Nous lui demandons de remplir énergiquement cette mission.
    Le catholicisme français a refusé de s'incliner devant l'autorité civile.
    Bien plus, le pape, après avoir donné ses meilleurs encouragements à l'insurrection cléricale et monacale, a provoqué volontairement la rupture des relations diplomatiques entre la France et la papauté.
    Cette rupture nous ne l'avons point faite, nous ne l'avons point provoqué, mais il faut aujourd'hui qu'elle soit définitive.
    Nous n'acceptons point de revenir en arrière.
    Nous nous refusons le droit de retarder plus longtemps la réalisation la réalisation de ces mesures de précaution et de préservation, si justement réclamées par nos populations, et qui s'appellent : abrogation du Concordat, abrogation de la loi Falloux, suppression légale du budget des cultes.
    Toutefois, nous ne pouvons oublier que les gouvernements qui nous ont précédés ont inscrit, dans nos conventions avec la papauté et dans notre législation, des obligations réciproques, synallagmatiques, dont des questions de justice, d'équité et d'humanité nous obligent de tenir compte.
    Des prêtres, des pasteurs, des rabbins ont pu se décider à embrasser leur profession, confiant que les traitements, les droits et devoirs réciproques résultant du Concordat, ne seraient supprimés, violés, abrogés par aucun des contractants.
    Un grand nombre d'entre eux sont restés fidèles à ce contrat.
    Mais les grands dignitaires de l'Église catholique ont été les premiers à ne pas accepter d'imiter cette conduite.
    ce sont eux, surtout, qui ont violemment foulé aux pieds le grand contrat d'entente, de conciliation, dérivant de la loi de germinal et de la convention de messidor.
    Par leur insubordination, ils ont rendu à l'État son indépendance absolue.
    Des résolutions énergiques s'imposent.
    Elles interviendront comme lois générales non comme loi d'exception.
    Elles conserveront aussi les caractères de sagesse, de générosité et de modération dont un législateur ne doit jamais se départir.
    C'est pour ce motif que nous avons l'honneur de proposer au Parlement l'adoption des dispositions suivantes.

PROPOSITION DE LOI

Art. 1er

    La convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le pape Pie VII et le Gouvernement français est dénoncée et sera de nul effet.
    Les loi du 18 germinal an X sont abrogées.

Art. 2

    La loi du 15 mars 1850 relative à l'enseignement est abrogée en entier.

Art. 3

    Le budget des cultes est supprimé ; il cessera d'exister comme obligation légale.
    Toutefois, à titre temporaire et essentiellement annuel, les crédits actuels seront maintenus dans nos budget sous cette rubrique "Secours et subventions en faveur des ministres des différents cultes".

Art. 4

    Les ministres des cultes de l'avenir, ou ceux qui ne sont pas actuellement en fonctions, pourront recevoir de l'État des secours et indemnités, lorsque les communes ou associations de communes offriront de prendre à leur charge le quart de l'allocation totale.

Art. 5

    Le Gouvernement conserve aussi, d'une manière absolue, à toute époque et sans appel, le droit de suppression individuelle et définitive des traitements alloués comme secours et subvention.

Art. 6

    Les ministres des cultes dont les traitements auront été ainsi supprimés ne pourront exercer leur ministère dans aucun des édifices publics affectés au service des cultes.

Art. 7

    Les autorisations d'ouverture d'églises et de chapelles demeurent réglés par les lois existantes.

Art. 8

    La violation des prescriptions de la présente loi sera punie de trois mois à deux ans de prison et de 1 000 à 10 000 fr. d'amende.
    L'amende et tous les frais qui auront été occasionnés par ce délit seront exigibles, conjointement et solidairement, des dignitaires hiérarchiques, des fabriques, des membres des fabriques et consistoires, de tous ceux qui, appelés en cause pour avoir coopéré à cet acte, directement ou indirectement, auront été condamnés comme l'ayant facilité ou y ayant contribué.
    En cas de récidive la pénalité sera double, l'édifice sera fermé définitivement et interdit pour l'exercice du même culte.

Art. 9

    Les édifices consacrés aux différents cultes conserveront leur affectation actuelle. Ils restent la propriétés des communes, des départements et de l'État qui conservent le droit absolu et en toute circonstance de surveillance, de gestion, de contrôle et de suppression.

Art. 10

    Toutes les lois antérieures sont abrogées, mais en ce qu'elles peuvent avoir de contraires aux présentes dispositions seulement.