Journal Officiel du 5 mars 1909
RAPPORT
AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Monsieur le Président
J'ai l'honneur de vous présenter un rapport
sur les opérations du séquestre des anciens établissements
ecclésiastiques, sur les difficultés qu'elles ont rencontrées
et sur les résultats auxquels elles ont abouti jusqu'à ce
jour.
La mission dont la loi du 9 décembre 1905,
relative à la séparation des Églises et de l'État,
a investi les agents du domaine, a eu pour objet : 1° l'établissement,
prescrit par l'article 3 de l'inventaire descriptif et estimatif des biens
mobiliers et immobiliers ayant appartenu aux établissements du culte
supprimés; 2° en exécution de l'article 8, la mise sous
séquestre, la conservation et la gestion de ceux de ces biens qui
n'avaient pas été attribués dans les conditions prévues
par les articles 4 et 7.
I
INVENTAIRE DES BIENS CULTUELS
Dans deux instructions des 2 et 29 janvier 1906, la
direction générale des domaines a tracé au service
les règles à suivre pour procéder, dans les conditions
déterminées par la loi, l'inventaire : 1° des biens des
établissements publics du culte supprimés; 2° des biens
de l'État, des départements et des communes dont les mêmes
établissements avaient la jouissance.
Le nombre total des inventaires dressés,
conformément à ces instructions, par les agents commissionnés
à cet effet, s'est élevé à 70 547.
Commencées en janvier 1906, ces opérations
n'ont pu être entièrement achevées qu'au mois de décembre
de la même année : 2 3331 inventaires ont été
terminés en janvier; à la fin de mars, leur nombre atteignait
déjà le chiffre de 63 891.
Une tâche de cette étendue n'a pu être
accomplie, dans un laps de temps aussi restreint, par les seuls agents
de l'enregistrement, des domaines, et du timbre. Elle a nécessité
le concours des percepteurs des contributions directes, qui ont procédé
à un certain nombre d'inventaires à titre d'agents de l'enregistrement,
de concert avec l'autorité préfectorale.
II
OPÉRATION DE SÉQUESTRE
Les opérations du séquestre ont été
accomplies dans les formes et d'après les règles tracées
par des instructions générales en date du 4 décembre
1906 et 3 juillet 1908, relatives à l'exécution de la loi
du 9 décembre 1905, du décret réglementaire du 16
mars 1906 et de la loi du 13 avril 1908. Ces opérations vont être
successivement examinées au double point de vue des difficultés
qu'elles ont soulevées et des résultats obtenus.
1° Mise sous séquestre
et prise de possession des biens séquestrés.
On avait fixé tout d'abord à 66
230 le nombre des établissements ecclésiastiques placés
sous séquestre; ce nombre a dû être ramené à
65 775, plusieurs d'entre eux auxquels on avait, à l'origine, attribué
une existence autonome (chapelles de secours ou autres) se rattachant,
en réalité, à une fabrique ou à une mense et
ne formant avec elle qu'un seul et même établissement.
Ces 65 775 établissements ont tous fait l'objet
de procès-verbaux de prise de possession.
Mais, dans la majeure partie de ces cas, ces procès-verbaux
n'ont pu être établis contradictoirement entre les receveurs
chargés du séquestre et les anciens représentants
des établissements disparus. Ces derniers n'ont pas répondu
aux mises on demeure des agents du domaine, ou ils ont fait connaître
qu'ils ne se croyaient pas tenus d'apporter au bureau du séquestre
les titres, valeurs, papiers et documents dont ils étaient demeurés
détenteurs. Quand l'administration s'est trouvée en présence
de cette résistance passive, elle a dû établir la consistance
du patrimoine séquestré à l'aide des renseignements
fournis par les inventaires, les rôles des contributions directes
et tous autres registres, papiers et documents auxquels les receveurs ont
pu se reporter.
Ce n'est qu'après l'achèvement de
ces recherches minutieuses que le séquestre et la. prise de possession
ont été notifiés aux mandataires et débiteurs
de l'établissement supprimé, aux fermiers, locataires ou
exploitants de ses biens, à ses copropriétaires et, plus
généralement, à tous les tiers auxquels le séquestre
était opposable. Ces notifications n'ont été faites
par acte extra-judiciaire que dans le cas où les parties ont refusé,
malgré les applications fournies à chaque intéressé
par lettre particulière, de reconnaître à l'amiable
les droits du séquestre.
Il convient d'ailleurs d'observer que les investigations
auxquelles se sont livrés les agents du domaine n'ont pas toujours
suffi pour déterminer exactement les forces et charges de l'établissement
ecclésiastique. Fréquemment, les receveurs ont dû suppléer
à l'insuffisance des documents dont ils disposaient en procédant
eux-même, après autorisation du préfet, à la
prise de possession effective des valeurs, titres et documents mis sous
séquestre. Parfois même, des actions judiciaires ont dû
être engagée pour vaincre le refus des anciens représentants
de se dessaisir des biens qu'ils détenaient.
Ces diverses opérations ont permis d'établir
ainsi qu'il suit la composition du patrimoine séquestré,
à la date du 31 décembre 1908.
Numéraire. - Les receveurs ont encaissé
en numéraire une somme de : |
3 767 497 |
Rentes sur l'État. - Les rentes sur
l'État révélées comme ayant appartenu aux établissements
ecclésiastiques atteint de 8 millions 163 210 fr. et représente
un capital de : |
258 500 000 |
Celles pour lesquelles les titres ont été remis aux receveurs
chargés du séquestre s'élèvent à 6 385
334 fr.
Pour le surplus, soit 1 million 777 876 fr., il a fallu que les titres
soient remplacés par les soins de la direction de la dette inscrite. |
|
Rentes sur particuliers. - Elles s'élèvent
à : |
4 878 427 |
Créances. - Les créances présentent
un total de |
10 374 107 |
Objets mobiliers placés dans dans les immeubles autre
que ceux servant à l'exercice public du culte. - La valeur
estimative de ces objets est d'environ : |
4 698 428 |
Immeubles autres que ceux servant à
l'exercice du culte. - Les immeubles de cette catégorie
qui ont appartenu aux établissements ecclésiastiques et sur
lesquels le séquestre est apposé, sont estimés : |
129 327 695 |
Total |
411 516 154 |
Passif. - Le passif résultant de titres
connus ou de titres connus ou de réclamations faites par les créanciers
atteint à ce jour : |
30 500 000 |
2° Gestion des biens séquestrés
La gestion des biens séquestrés a comporté
des mesures très diverses à raison même de la diversité
des éléments composant le patrimoine des anciens établissements.
C'est ainsi que pour les objets mobiliers et meubles
meublants placés dans les immeubles autres que ceux affectés
à l'exercice du culte, il a fallu assurer leur conservation soit
par la mise sous scellés, soit au moyen du gardiennage effectif
après récolement d'inventaire. Certains de ces objets ont
même dû être aliénés pour éviter
leur détérioration ou pour faire face au payement des dettes
les plus urgentes.
A l'égard des immeubles de rapport, urbains
ou ruraux, le domaine s'est trouvé dans la nécessité
de provoquer la location immédiate et, dans ce but, de faire exécuter,
au préalable, les travaux d'entretien et de réparation reconnus
indispensables.
Il y a eu, d'autre part, à procéder
au recouvrement des créances ou de leurs intérêts et
à l'encaissement des arrérages des rentes sur l'État.
Les créances sur lesquelles ont porté ces opérations
dépassent 10 millions et les échéances trimestrielles
des rentes sur l'État appréhendées par le séquestre
le montent à plus de 1,500,000 fr. chacune.
1° Les maisons et caisses diocésaines
de retraite pour prêtres âgés ou infirmes, qui ont vu
leurs ressources notablement réduites par la suppression des collectes
et du produit de la location des chaises. Avec les ressources subsistantes,
le séquestre s'est acquitté au mieux des intérêts
qui lui étaient confiés, de l'œuvre d'assistance dont il
est provisoirement chargé ;
2° Les syndicats des pompes funèbre qui
ont réclamé, surtout à Paris, tous les soins du service
en raison tant de l'importance et de la nature spéciale de leur
patrimoine que du nombre et de la situation digne d'intérêt
des ayants droit à ce patrimoine.
A Paris, il a été possible de réaliser
une partie de l'actif (1 681 275 fr.) et de l'affecter jusqu'à due
concurrence, d'abord au service des pensions et des secours aux employés,
et ensuite à la constitution des retraites sur les bases déterminées
par l'ancien syndicat. D'autre part, des mesures ont été
prises pour assurer l'exécution de l'article 7 de la loi du 13 avril
1908 fixant à 2 700 000 fr. la somme destinée à
garantir le payement des pensions du personnel des pompes funèbres.
Sur cette
somme, le service local et versé, le 28 septembre 1908 à
la caisse nationale des retraites 915 070 fr., capital jugé nécessaire
pour la constitution, à compter du 1er octobre 1908, des pensIons
actuellement dues aux anciens agents du syndicat. La constitution définitive
du surplus des retraites est subordonnée au règlement d'un
désaccord qui s'est produit entre les intéressés.
3° Instances engagées contre le séquestre.
Actions en reprise ou en revendication.
Passif.
Un nombre considérable d'instances ont été
engagées contre le séquestre soit en vue de la reprise de
biens ecclésiastiques ayant fait l'objet de dons, de legs ou de
fondations pieuses, soit on vue du payement des dettes contractées
par les anciens établissements du culte.
Dès la mise en vigueur de la loi du 9 décembre
1905, les réclamations des créanciers ont surgi en grand
nombre. Beaucoup n'ont pu recevoir satisfaction par suite de l'absence
de ressources disponibles dans la caisse du séquestre. Mais le payement
intégral et complet de ce passif sera assuré sur la masse
diocésaine et subsidiairement sur l'ensemble des biens ayant fait
retour à l'État.
Quant aux instances en reprises de biens grevés
de fondations pieuses, elles atteignaient au 1er avril 1908, moins de dix
mois après l'époque où étaient données
les premières assignations, le chiffre considérable de 15
679. Ce nombre s'est élevé depuis à 16 502; 3 197
instances sont actuellement terminées par des jugements définitifs;
4 879 ont fait l'objet de désistement ou d'un règlement amiable.
Au 31 janvier 1909, il en restait, par conséquent, 8 426 en cours.
Tout porte à penser que le plus grand nombre de ces affaires seront
liquidées avant la fin de la présente année.
La majorité de ces litiges, d'ailleurs, ont
été causés par les interprétations divergentes
qui se sont produites au sujet de l'exercice des actions en reprise ou
en revendications créées par la loi du 9 décembre
1905. La loi du 13 avril 1908 a précisé les intentions du
législateur à cet égard et institué une procédure
spéciale et simplifiée qui, tout en promettant de purger
rapidement de toute espèce d'actions les biens attribués
ou à attribuer, a rendu inutile, dans la plupart des cas, l'intervention
des tribunaux judiciaires. L'une de ces dispositions les plus caractéristiques
de cette procédure est celle qui attribue aux préfets le
pouvoir d'accueillir, sur l'avis du directeur des domaines, les réclamations
justifiées qui ont été introduites par les auteurs
des des fondations ou leurs héritiers en ligne directe. Cette mesure
a déjà donné les meilleurs résultats, car sur
6 883 instances engagées par des réclamants de cette catégorie,
1 471 ont pu être amiablement terminées ; 2 867 autres ont
reçu une solution judiciaire définitive; il n'en restait,
par conséquent, au 31 janvier 1909 que 2 545.
Quant aux actions intentées par des ayants-droit
des fondateurs, autres que des héritiers en ligne directe, l'administration,
dans la prévision que les intéressés ne persisteraient
pas à prolonger le débat dont l'issue ne peut leur être
favorable, leur a fait connaître qu'elle s'abstiendrait à
poursuivre la procédure et de déférer à la
juridiction supérieure les jugements déjà rendus contre
le séquestre, à la double condition : 1° que les parties
se désisteraient de l'instance ou renonceraient au bénéfice
des décisions qui leur sont favorables; 2° qu'elles s'engageraient
à payer tous les frais exposés par le séquestre.
Ces prévisions se sont en grande partie réalisées,
puisque plus de 35 p. 100 des instances de l'espèce (exactement
3 408) a pu être radiées du rôle il la suite de la renonciation
par les plaideurs au bénéfice du jugement prononcé
en leur faveur (1). Il est, du reste, vraisemblable que la liste, déjà
longue, de ces désistements est loin d'être définitivement
close (2). D'autre part 316 affaires ont été terminées
par une décision judiciaire ayant acquis l'autorité de la
chose jugée, de sorte que, sur 9 619 procès, 5 881 restaient
en suspens à la fin de janvier 1909.
En même temps qu'elle a donné aux préfets
des attributions spéciales pour le règlement des affaires
contentieuses, la loi du 13 avril 1908 a pris des mesures pour 1a purge
des diverses actions dont les biens des anciens établissements ecclésiastiques
étalent susceptibles de faire l'objet. La procédure organisée
à cet effet est des plus simples. On a donné aux auteurs
de revendications et aux créanciers, pour présenter leur
réclamation, un délai de six mois à compter de la
publication au Journal officiel de la liste des biens attribués
ou à attribuer. Passé ce délai, leur action est définitivement
éteinte.
En vue des publications dont il s'agit, le service
des domaines a fourni il l'administration préfectorale les éléments
dont il disposait pour la confection des listes. Ce travail qui a porté
sur 65 775 établissements était achevé le 25 janvier
1909. Les publications avaient commencé, du reste, dès le
29 novembre 1908: elles se poursuivent régulièrement par
les soins du service des cultes et elles, sont effectuées à
l'heure présente pour trente départements.
Il y a lieu de prévoir qu'elles seront terminées
vers le milieu de l'année. On pourra alors arrêter la liste
définitive des réclamations de toute espèce et achever
rapidement la liquidation de ces réclamations et, en particulier,
du passif qui reste à acquitter.
Pour donner une idée du développement
considérable des affaires contentieuses pendant cette première
phase de la grande opération de liquidation confiée à
l'administration des domaines, je me bornerai à signaler cette seule
indication.
Pendant l'année 1908, le nombre des affaires
soumises à la direction générale de l'enregistrement
et des domaines par les services départementaux s'est élevé
la 18 000 soit une moyenne de 1 500 par mois. 71 seulement restaient
à solutionner au 31 décembre 1908.
4° Attributions.
Le séquestre n'a à prendre aucune initiative
au sujet de l'attribution des biens des établissements supprimés;
son rôle se borne à examiner les demandes d'attribution qui
lui sont communiquées par l'autorité préfectorale;
à. s'expliquer sur la nature, la situation et la consistance des
biens susceptibles de dévolution, ainsi que sur l'importance du
passif; à fournir son avis sur le point de savoir s'il y à
lieu de faire droit à la demande ; enfin à veiller à
ce que les dispositions utiles soient prises pour le payement du passif.
Les instructions nécessaires à cet égard ont été
envoyées dès le 3 juillet 1908 par le directeur général
aux divers agents de son service; elles reçoivent chaque jour leur
exécution en ce qui concerne les attributions sollicitées
avant la purge des actions en revendication et du passif.
Le rapide exposé qui précède
permet d'apprécier en même temps que le degré d'avancement
des travaux du séquestre l'importance et l'étendue de la
tâche assumée par l'administration des finances pour l'exécution
des lois sur la séparation des Églises et de l'État,
tâche qu'elle s'efforcera de mener à bonne fin aussi rapidement
que le permettront les complications toujours très grandes d'une
opération si considérable.
Veuillez agréer, monsieur le Président
à l'assurance de mon respectueux dévouement.
Paris, le 3 mars 1909
Le ministre des finances.
J. /**/CAILLAUX
(1)
Nombre de pourvois, formés par le séquestre |
270 |
Affaires radiées du rôle à la suite de désistements
des parties |
98 |
Nombre des pourvois susceptibles pour le moment, de faire l'objet de
mémoire ampliatifs. |
172 |
(2)
Moyenne mensuelle des désistements |
700 |