Si c’est une vérité, que le changement politique que la Hollande a éprouvé l’année passée doit être considérée comme un vrai bonheur pour ce pays comme un terme aux dissensions politiques que la déchiraient, S'il est vrai que cette révolution est la garantie de la prospérité du peuple batave et en général toutes les classes se réjouissent de l'heureuse perspective que leur offrant la bienveillance et les vertus de leur nouveau souverain, certainement les juifs de ce pays peuvent considérer ce nouveau changement comme une régénération, comme une rédemption politique. Déraciner les préjugés, rendre les hommes des citoyens utiles à la patrie, ne protéger que les valeurs et les talents , bannir l’esprit de part, voilà les bases dans lesquelles ce jeune monarque cherche à élever l’édifice de l’État.
    Afin de se faire une juste idée du bonheur que doivent éprouver et qu’éprouvent réellement les israélites éclairés de ce pays, il est nécessaire de donner un aperçu de leur état primitif en Hollande.
    On ne saurait nier qu’en général, les israélites hollandais sont fort en arrière quant à leur civilisation ; si l’on en recherche les causes, on trouvera malheureusement, que d’un côté, les préjugés de quelques chrétiens, et de l’autre, le fanatisme de certains israélites, entravent le bonheur de s'éclairer de ce culte. Afin de donner une juste idée de leur état lors de l’avènement du roi de Hollande, il est nécessaire de savoir :
    Que les juifs portugais très riches lors de leur expulsion de l'Espagne et du Portugal se sont réfugiés en Hollande, où ils furent reçus à bras ouverts.
    Que ces puissances étaient trop opulentes pour se soucier de maîtrises ou de de l’exercice des Arts et métiers et que par conséquent ils n’ont imploré du gouvernement des Pays-bas, que la faculté de bâtir des temples et d’exercer publiquement leur religion, ce qui était défendu aux catholiques.
     Qu’après cette époque, beaucoup de juifs allemands et polonais s’étant établis en Hollande, y furent reçus, mais exclus, ou pour mieux dire, non admis à l’exercice des arts et métiers et de tout moyen de gagner honnêtement leur vie que par l’usage du commerce; il en résultait notoirement que ces individus restaient abandonnés à eux mêmes et que la civilisation, ni une bonne éducation ne pouvaient devenir l’apanage des malheureux qui étaient ainsi en butte aux préjugés.
     Néanmoins, comme ils furent reçus en Hollande dans un temps où ils éprouvaient ailleurs des persécutions plus atroces, ils eurent toujours par ce sentiment de gratitude, un grand attachement pour la maison d’Orange, sentiment qui a fait beaucoup de tort par ses effets aux israélites de ce pays.
     S’il était malheureux pour les juifs de Hollande d’être exclus de toutes les prérogatives de la société, un règlement ecclésiastique qui leur fut prescrit par le bourgmestre d’Amsterdam, contient le pouvoir accordés aux syndics sur les membres de leur communauté, mit le comble à la destruction totale de leur civilisation, et servit à étouffer jusqu’au moindre trait de lumière qui pouvait luire à leurs yeux.
     En vertu de ce règlement les syndics devenaient maîtres absolus de leur coreligionnaires, ils pouvaient les excommunier, prendre des anathèmes, même pour l’omission des moindres rites à la religion dans l’intérieur de leur maison, l’asile le plus sacré.. Une amende de 1000 florins fut stipulé contre celui qui oserait se plaindre des procédés des syndics; une peine de fustigation sur l’échafaud fut prononcé contre celui qui achetait de la viande d’une autre boucherie que celle de la communauté; enfin si ce règlement ne se trouvait dans le recueil des lois municipales d’Amsterdam, on aurait de la peine à croire qu’un législateur ait pu prescrire une tels ordres; On en citera seulement que le 35e article de ce règlement pour qu’on puisse se faire une idée de ce monstre de législature. Par cet article, il fut statué « que dans le cas où un jeune homme séduisait une demoiselle et qu’elle deviendrait mère, il était expressément défendu au jeune homme de l’épouser, sous peine d’être excommunié et de perdre ses droits de l’église; cette peine pouvait être commué à raison d’une forte amende, mais il restait certaine punitions auxquelles il n’était jamais permis de déroger. »
     Ainsi une malheureuse politique voulut arracher aux juifs tous les sentiments d’honneurs, et même des devoirs les plus sacrés prescrits par la religion et la morale afin d’étouffer leur émulation et les rendre méprisables pour avoir un droit légitime de les mépriser.
     Ce règlement donc, constituait les juifs unstatus instatus et les soumettaient aux ordres absolus de leurs syndics, qui, flattés du droit d’exercer leurs pouvoirs sur des milliers d’individus sans mœurs, sans étude et sans éducation, heureux de se croire des magistrats, cherchèrent à maintenir un empire et ne laissèrent échapper aucun moyen de faire valoir leur atrocité en alimentant l’ignorance parmi leur coreligionnaires, et en haïssant toujours le peu de juifs éclairés qui gémissaient de leur malheureux état.
     Il est donc naturel que ces préposés ou syndics, encouragèrent comme un malheur, l’accroissement du nombre des juifs éclairés et érudits et surtout la révolution française et l’activité des français dans ce pays.
     Les lumières avaient depuis longtemps fait des progrès chez plusieurs juifs de Hollande et malgré les préjugés d’un grand nombre de chrétiens et la persécution des syndics, quelques uns commencèrent à donner une excellente éducation à leurs enfants, à fréquenter la société des chrétiens assez tolérants pour les admettre et à se conformer à leurs mœurs ; ils y furent surtout encouragés après l’indépendance de l’Amérique et la révolution française. Il est donc très naturel qu’ils fussent les partisans de la cause des français, lorsqu’ils les virent établir les principes d’une égalité civile sans aucune distinction de religion. D’un autre côté les syndics craignaient, et avec raison, que la propagation des opinions libérales ne nuisent à leur intérêt personnel et qu’un jour leur sceptre pût être brisé, se déclarèrent contre tout ce qui pouvait coopérer à améliorer l’état de leur coreligionnaires.
     Les français occupèrent la république, et le système français allait être introduit; les juifs éclairés de la ville d’Amsterdam s’assemblèrent pour concerter un plan tendant à faire jouir leur coreligionnaires des droits civils et politiques. Ils présentèrent des mémoires au gouvernement et sollicitèrent un décret à cet effet, mais il serait difficile de se faire une idée du désagrément qu’ils aient eu à souffrir. D’une part, des chrétiens accoutumés à exclure et à mépriser leurs frères juifs s’y opposèrent avec acharnement, d’autre part les pétitionnaires eurent à lutter contre les machinations suicides des syndics qui intriguèrent autant que possible et eurent la hardiesse de déclarer ouvertement que la loi de Moïse leur prohibait l’observance des devoirs civils, qu’il leur était défendu de porter les armes, en un mot, ils firent des déclarations diamétralement contraires aux décisions que le grand sanhédrin vient de prendre dans ce moment. Les décisions de la conventions nationale batave du mois d’août 1796 attestent ce fait, qui est de notoriété publique.
     Néanmoins, comme une bonne cause triomphe à la fin, les juifs éclairés, appuyés par quelques gens de biens, soutenus par la justice de leur cause, franchirent toutes les barrières et eurent le bonheur de voir leur droit de bourgeoisie décrété et le règlement ecclésiastique précité, anéanti par l’autorité suprême.
     La communauté se trouva alors sans règlements et comme pour l’acquisition d’une patrie, il était nécessaire qu’on en fit de nouveaux adaptés aux circonstances et aux nouveaux devoirs que les israélites avaient à remplir envers elle, les juifs éclairés s’adressèrent aux syndics, leur soumirent et leur développèrent leurs nouveaux plans, et sollicitèrent, pour ce qui se conformant aux circonstances, ils s’occupassent à faire de nouveaux règlements, conformes à l’état des choses. Mais ils furent repoussés avec mépris. On n’eut égard à aucune réclamation, comptant sur la dépendance de la majorité de leurs coreligionnaires, sur l’indifférence de plusieurs d’entre-eux et s’appuyant du pouvoir qu’ils exerçaient sur des milliers de mendiants qui infestent la ville d’Amsterdam, ils se refusèrent à leurs justes demandes, de manière qu’il leur restes d’autres partis à prendre ( et l’honneur leur en faisait un devoir) que de se séparer de la généralité, ce qu’ils effectuèrent en l’année 1796, en érigeant la nouvelle communauté juive.
 On passe sous silence les persécutions de tout genre que cette nouvelle communauté et à éprouver. Ses membres furent pour ainsi mis hors de la loi par les syndics qui prohibaient  les mariages entre les membres des deux communautés et sans l’assistance de la bourgeoisie aisée , peut-être eurent-ils été massacrés.
     Il est malheureux que ce courage n’ait jamais trouvé un appuis efficace auprès des gouvernements intermédiaires de la Hollande. Il est affligeant que ses adversaires fussent toujours soutenus et encouragés. La nouvelle communauté fut à la vérité reconnue. Elle obtint quelques privilèges et immunités, mais elle implorait en vain un relief qui pouvait lui donner la confiance à ses coreligionnaires. Le croirait-on ? Les syndics de la nouvelle communauté eurent la hardiesse d’entamer avec l’argent destiné aux pauvres, 23 procès ruineux et *** contre autant de membres de la nouvelle, pour une somme de 1000 florins prétendant en vertu d’un article de règlement ecclésiastique aboli par le souverain et afin d’intimider ceux qui voulaient se joindre à eux. Les actionnés sûrs de la bonté de leur cause et ne craignant aucunement une issue défavorable, demandèrent que la cause fut décidée. Les syndics afin de n’avoir point une sentence contre eux, sollicitèrent et obtinrent un sursis des preuves qu’ils avaient eux-mêmes entamés et jusqu’à ce moment les actionnés n’ont pu obtenir un jugement condamnatoire, un absolutoire et ont été contraint à payer des sommes considérables pour les frais. Il y eut même un décret qui ordonnait aux membres de la nouvelle communauté de se réunir à l’ancienne à des conditions vagues et insuffisantes, mais pour la constance des premiers, ce décret fut rapporté.
     Quoique la nouvelle communauté eut établi un ordre de choses dans son économie et dans l’organisation de son culte, plus conforme aux mœurs des nations civilisées, quoiqu’elle ait aboli toutes les prières qui contenaient des expressions chocantes contre les frères d’un autre culte, quoiqu’elle ait prêché le patriotisme et la morale, l’amour envers le souverain et l’obéissance aux lois, elle a toujours éprouvé des entraves par l’alliance des  syndics de l’autre communauté avec quelques chrétiens fanatisés qui craignaient que les israélites, par la propagation des principes de la nouvelle communauté, n’acquissent une trop grande civilisation.
     L’on ne sera pas surpris de cette assertion. Si l’on considère que la société Felix Merites, d’Amsterdam, exclut les juifs de son sein par des statuts. Si l’on considère qu’un israélite professant les sciences physiques et mécaniques, ayant inventé un Tellurium luminarium et Planétarium d’une grande utilité pour l’astronomie, dont on à fait le plus grand éloge et sur lequel un professeur célèbre a lu, dans la susdite société, des discours déférents, que l’inventeur, dis-je, d’une machine aussi utile, n’est même pas admissible à cause de sa religion. Si l’on considère qu’une société dont les s’étendent dans toute la Hollande, portant pour devise « A L’UTILITE PUBLIQUE », s’occupant des écoles primaires, exclut les juifs par son premier article.
    Tel est l’état des juifs de Hollande qui ont quelques sentiments d’honneur. Ils sont exclus de presque toutes les sociétés particulières, leurs enfants sont chassés des bonnes écoles dès qu’on connaît leur religion et un juif ne saurait mieux s’attirer la haine qu’en cultivant les sciences, en se conformant aux mœurs et ayant quelque érudition. On préfère le juif méprisable à celui qui fait quelqu’efforts pour mériter de participer aux bienfaits de la société. Il n’y a que quelques mois qu’on faisait des difficultés pour délivrer à des ouvriers de cette religion la patente nécessaire pour exercer. On a voulu même leur ravir l’honneur de porter les armes, de verser leur sang pour leur monarque chéri, ce qui donna lieu à un décret de Sa Majesté, publié dans les journaux par lequel les autorités furent exhortés à traiter les juifs comme les autres citoyens.
     Ce ne sont pas seulement les membres de la nouvelle Communauté qui professent des principes libéraux, mais il faut savoir que toutes les personnes de l’autre qui ont reçu quelque éducation partagent leurs sentiments ; mais ils sont affligés de voir que les préposés, nommés il y a neuf ans, ad intérim, afin de faire de nouveaux règlements, se perpétuaient dans leur postes sans avoir satisfait au but de leur nomination. Les syndics ayant trop de pouvoir sur eux et par les liens de familles et par les persécutions qu’éprouvent ceux de la nouvelle communauté ; ils sont découragés, leur voix sont étouffées par un nombre de 18 000 mendiants, alimentés par les syndics, maintenus dans la mendicité et l’oisiveté, parmi lesquels se trouvent des jeunes gens robustes qui, au lieu de servir sur les flottes ou d’autres armes de sa majesté, passent leur temps à jouir, à mendier, à voler et servent de prétextes aux syndics, que pour le maintien du bon ordre il est nécessaire qu’ils exercent une autorité de police sur leur coreligionnaires.
     La nouvelle communauté, après avoir sollicité et obtenu la permission de son auguste monarque, n’hésita pas un seul instant d’envoyer une députation au grand Sanhédrin de Paris ; les syndics de l’autre s’y refusèrent sans consultation des membres de leur communauté, dont la plus saine partie protesta contre ce procédé arbitraire.
     Tel est en peu de mots, l’état des Israélites de ce pays, mais quel changement heureux n’ont été par à espérer ? Quelles brillantes perspectives s’offre à leurs yeux? Gouvernés par un prince, le modèle de vertu. Il ne tardera pas à méditer aux remèdes pour faire cesser ces inconvénients et certes dans peu de temps Sa Majesté aura la satisfaction de voir 60 mille de ses sujets devenir des citoyens utiles à la patrie et à eux- mêmes, devoir déraciné les préjugés qui entravent la propagation des lumières, de la civilisation, des mœurs et de l’éducation parmi les juifs, et de siècle en siècle, ce digne monarque sera reconnu pour le bienfaiteur et le régénérateur de ses sujets israélites. 

Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005

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    Ce rapport, non daté, doit être rédigé après l'abdication en 1810 de Louis Napoléon Bonaparte, frère de l'Empereur, que ce dernier avait mis sur le trône de Hollande. Ce texte sera repris, précisé, complété par M. Joseph Micham, de l'université Hébraïque de Jérusalem pour sa communication au livre «Le Grand Sanhédrin de Napoléon» publié sous la direction de MM. Barnhard Blumenkranz et Albert Soboul aux éditions Édouard Privat.

    L'idée première du Grand Sanhédrin, écrivait-il, impliquait en fait une campagne de vaste envergure parmi les Juifs d'Europe qui, par leur participation à cette Assemblée, l'autoriseraient à prendre des décisions concernant l'exercice de leur religion, acceptables par eux tous. Malheureusement pour lui, cela ne se passa pas comme prévu en Hollande. Les 3 communautés israélites étaient refermées sur elles-mêmes et leurs dirigeants étaient jaloux de leurs prérogatives. Une communauté accepta avec enthousiasme l'idée de se rendre au Sanhédrin; les autres non. Louis-Napoléon qui n'avait aucune envie de créer des différents entre les communautés, nota sur la demande de participation de l'une d'entre elles : « Renvoyé au Ministre de l'Intérieur pour lui signifier que personne ne doit aller en députation sans mon ordre. Le Ministre me donnera son avis sur cette démarche et ce qu'il convient de faire dans cette circonstance » Plus tard, le roi prit la décision suivante : « Je ne veux me mêler en aucune manière de ce qui se passe dans les différents pays de l'Europe sur la religion. Je dois et je veux assurer la liberté de conscience à chacun et je ne veux empêcher aucune secte de faire des changements et de modifier ses lois religieuses particulières, pourvu que ces sortes de choses soient faites par l'accord unanime des sujets de la même religion, afin que je ne puisse jamais avoir à redouter des schismes, des divisions ou des querelles religieuses, et que la tolérance et la liberté entière dont les Hollandais jouissent sur ce point ne puissent jamais être troublées. En conséquence, il sera accordé la permission à la nouvelle communion juive d'envoyer des députés à Paris si les autres juifs du royaume y consentent également et qu'ils soient tous d'accord ; sans cela la permission leur sera refusée, avec d'autant plus de raison qu'ils seront toujours maîtres d'adapter les changements qui résulteront du Sanhédrin de Paris ». Il n'y eu donc pas de délégués hollandais au grand Sanhédrin.
    Louis-Napoléon abdiqua. Ce ne fut que lors de l'annexion du royaume de Hollande à la France que l'on exerça de nouveau des pressions sur les rabbins. Le gouverneur général Lebrun exigea l'application des décisions du Sanhédrin, et le Haut Consistoire, alors sous la présidence de J.-D. Meyer, obligea les rabbins à s'engager par écrit à accepter les décisions doctrinales du Sanhédrin. Il est probable que cette prise de position se heurta à une résistance tenace de la part des rabbins. En tout cas, ce ne fut que lors de la subordination complète de l'organisation synagogale néerlandaise au Consistoire central de Paris que les lois du Sanhédrin furent officiellement introduites, comme il ressort d'un décret du Consistoire des Israélites de la circonscription d'Amsterdam, « considérant que la loi veut que tous les Rabbins Docteurs de la loi... soient tenus d'adhérer aux décisions du Grand Sanhédrin, s'ils veulent rester sur le territoire de l'Empire, considérant que cette adhésion devant être donnée par les Rabbins de ce département dans le plus court intervalle, il doit leur être donné connaissance de ces décisions et de l'acte d'adhésion qu'ils sont tenus de donner, ainsi que du lieu où ils pourront le signer» .(J. MICHAM)


    Après l'annexion, le ministère des cultes avait rédigé, le 22 janvier 1812, un "rapport sur la nomination d'une commission à Amsterdam pour préparer l'organisation des cultes".
    Dans l'"Etat des commissaires impériaux, et des ministres des cultes qui pourraient être proposés à Sa Majesté pour les commissions qui doivent être formés en exécution du décret du 29 octobre 1811" on peut lire ceci :

avec l'explication suivante :


Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005