22 juin 1877 : dissoluition de la Chambre par Mac-Mahon.
-Intimidation administrative et policière.
14 - 28 octobre 1877: Maintien de la majorité républicaine aux élections législatives.

Chambre des députés
15 février 1878

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M. de La Bassetière.  Messieurs, je viens combattre le rapport de 1a commission des cultes; je viens combattre ses conclusions; bien plus encore  : l'esprit et les tendances qui l'inspirent. Il est impossible en effet, messieurs, de ne pas voir que dans ce rapport, longuement élaboré, habilement présenté et pour la deuxième fois intégralement apporté devant cette Chambre, ..., de ne pas voir qu'il y a tout un plan d'attaque contre l'Église catholique. (Très bien ! très bien ! à droite)
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    Il est évident que, sous une forme ou sous une autre, un jour ou l'autre, quand le voudra l'heure de la. passion publique, l'Église catholique y est dénoncée, et c'est sur elle que vont être dirigés les coups que l'instinct conservateur qui survit à tout et s'impose à tous les victorieux cherche à détourner de la société, qu'on a la conscience d'avoir imprudemment ébranlée. (Très bien! très bien ! à droite.)
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    L'attaque contre l'Église dans le rapport de la commission des cultes se produit sous une double forme: 1° attaques contre ses dogmes, contre son enseignement, contre sa discipline... (Rumeurs à gauche.)
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    2° Attaques enfin sous forme de réduction de crédits et de diminution des ressources nécessaires à sa vie, et son développement dans la société.
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    Qu'est-ce autre chose cette obligation imposée au clergé de France d'enseigner dans les séminaires, dans ses chaires, de proclamer par ses actes et par ses paroles, d'enseigner, dis-je, telle ou telle décision doctrinal, qui, à ce titre, ne relève que de l'Église, seule autorité dans le monde qui puisse s'imposer à leur âme sacerdotale ?
    A gauche. Et la loi?
     Nous y viendrons à la loi. Qu'est-ce que cette immixtion abusive de l'État dans les relations nécessaires outre les fidèles et les évêques, entra les évêques et le souverain-pontife, même dans l'ordre purement spirituel? Cette intervention dans ce qui est la vie toute morale et toute intime de l'Église, qu'est-ce autre chose, sous couleur de rappeler à l'exécution de lois tombées en désuétude, abrogées virtuellement d'ailleurs par le Concordat et par toutes les Constitutions que vous avez proclamées depuis... (Très bien ! à droite); qu'est-ce autre chose que l'asservissement complet de la puissance spirituelle à la puissance temporelle, que la destruction de la divine constitution de l'Église, de son enseignement, de sa discipline, de cette liberté de penser qui vous est si chère, de la liberté de tous les cultes, qui sont ici solidaires de l'Église catholique elle même? (Très bien ! à droite.)
    A gauche. Parlez du budget !
     J'y arrive, messieurs.
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    Vos doctrines, messieurs, ce n'est pas la première fois qu'elles se font jour dans notre histoire.
    Il fut une heure où. elles furent sur le point de triompher, dans un jour d'enivrement ou d'erreur, sous un grand roi entraîné à ces excès par les légistes, par les parlements, par un grand ministre, d'ailleurs , et - je ne fais pas de difficulté de le reconnaître, - par un certain groupe de prélats courtisans, que s'efforçait d'arrêter, en les suivant de loin, un grand évêque.
    Mais ce fut un entraînement passager qui ne dura pas même jusqu'à la fin du règne du grand roi; et Bossuet, et Louis XIV lui-même, et le clergé français tout entier, eurent le courage et l'honneur de dégager bientôt la part de responsabilité qui leur revenait dans cette tentative, dont la voix du chef de l'Église, dont leur conscience surtout, leur droiture naturelle et le
sentiment profondément chrétien qui jamais n'avait quitté tout à fait ni nos parlements ni surtout la cour de nos rois, leur avaient révélé les désastreuses conséquences. (Applaudissements à droite.)
    Vous plairait-il, d'ailleurs, messieurs, en plein dix-neuvième siècle, de suivre ce que vous appelez les errements du pouvoir absolu. Vous plairait-il d'entrer dans cette campagne du césarisme antique et de l'intolérance religieuse, commencée par un Philippe le Bel, continuée jusqu'à nos jours par les parlements, par les légistes et par les autocrates de tous les temps et de tous les pays? Voudriez-vous faire consacrer enfin dans notre législation ce principe qui, malgré les déclarations, malgré les édits mêmes qu'on put arracher quelquefois à la passion ou à la faiblesse de quelques-uns de nos rois, fut toujours en définitive, non-seulement repoussé par l'Église, mais encore par le bon sens de nos pères, qui, si fiers, si jaloux qu'ils fussent de leur indépendance, reculèrent toujours dans leur résistance à l'Église, quand ils purent y voir le germe d'une hérésie ou d'un schisme national ? (T'rès bien ! à droite.)
    Mais avec vos principes, messieurs, il ne s'agirait de rien moins que d'asservir la libre et catholique France aux doctrines théocratiques d'un Henri VIII ou d'un Pierre le Grand; de faire du conseil de la reine ou du saint synode d'un Czar le régulateur de vos consciences, le juge souverain de votre foi, et de nous ramener enfin à ce régime, la réunion et l'idéal de tous les despotismes et de toutes les tyrannies, qui consiste à concentrer dans la même main le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel... (Marques d'assentiment à droite. - Humeurs à gauche) ce régime qui nous vient en ligne directe du paganisme, et dont, après dix-huit siècles de christianisme, nous avions bien le droit de nous croire à jamais libérés.
    Ah ! je sais qu'à notre époque il est une école, - et je vois quelques-uns de ses représentants parmi nous, - il est une école qui a relevé ces théories païennes de l'État omnipotent, de l'État maître, non-seulement des corps, mais aussi des âmes et des consciences!
    Un membre à gauche. Quels en sont ces représentants?
    Vous me demandez quels en sont les représentants ! Mais cette théorie, elle est l'âme, l'inspiratrice d'un grand nombre de lois que vous nous proposez, de ces projets sur l'enseignement surtout que vous avez la. prétention de nous imposer... (Assentiment à droite. - Interruptions à gauche.)
    Mai s si celle théorie de l'État supérieur aux lois de la conscience et de la famille, de la justice souveraine elle-même, cette théorie de l'État omnipotent, de l'Etat-Dieu, pour dire le mot, si c'est la vôtre, messieurs, il faut nous le dire franchement, et nous saurons que penser de ce que vous appelez, ironiquement alors sans doute, les libertés modernes.
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     A cet ordre d'idées se rattacha non-seulement cette obligation d'enseigner les quatre articles de la. fameuse déclaration de 1682, mais encore la défense de publier, sans congé du pouvoir, les brefs et les bulles du saint-père, les mandements épiscopaux; l'interdiction pour nos évêques sans ce même congé du pouvoir de se rassembler en conciles ou nationaux ou provinciaux, de réunir en synodes leurs simples prêtres; de s'absenter ne fût-ce qu'un jour, ne fût-ce qu'une heure, sans la permission du pouvoir, même pour les motifs les plus graves et de l'ordre purement religieux
    A cet ordre d'idées se rattachent toutes ces choses qui ne sont plus de notre époque, qui sont en désaccord avec vos principes, avec les principes de cette civilisation dont vous êtes fiers, toutes ces choses dont on rirait en Amérique, et sur lesquelles, aujourd'hui la protestante Angleterre elle-même sait parfaitement fermer les yeux; mais à cet ordre d'idées, surtout , se rattacha cette pression que vous voulez exercer sur nos évêques, sur l'Église de France tout entière, dans les organes de son  enseignement.
    Vous avez donc oublié les trente ans d'une lutte glorieuse, dans laquelle nous vous avons comptés vous-mêmes plus d'une fois comme fidèles alliés. dans laquelle nous avons souvent combattu côte à côte, et dans laquelle nous avons conquis ensemble la liberté d'enseignement? Vous avez donc oublié que c'est sous la République de 1848 qu'a' été consacrée cette liberté? Vous ne devriez pas renier aussi vite ces t traditions.
    Vous devriez vous souvenir aussi que, dans cette loi de 1850, qui reste comme la grande charte de l'enseignement, après ces mémorables discussions auxquelles prirent part des hommes que vous aimez et respectez, les Thiers, les Cousin et tant d'autres, après les explications catégoriques du rapporteur, après le rejet, - chose plus significative encore, que l'honorable M. Madier de Montjau, qui me regarde eu ce moment, doit se rappeler, - après le rejet des amendements de ses amis, messieurs Bourzat et Laurent (de l'Ardèche), dont le but était l'exclusion des corporations religieuses du bénéfice de la loi, après le rejet de ces amendements, vous devriez vous souvenir, dis-je, qu'il fut, établi et reconnu que, s'ils n'héritaient pas des privilèges assurés aux corporations autorises, - qu'ils ne revendiquaient pas, d'ailleurs, - les membres des autre corporations restaient au moins sur le terrain du droit commun, comme les autres citoyens libres et jouissant de leurs droits civils et politiques, et comme tels, habiles à donner l'enseignement sans autre garantie que celles exigées d'eux comme des autres citoyens, à savoir celles de la   capacité et de la moralité personnelle- (Applaudissements à droite).
    Vous devriez vous souvenir aussi, messieurs, qu'au-dessus de tous ces modestes mais dévoués professeurs il y a d'autres personnalités qui les dominent, les dépassent et qui font disparaître la leur: ce sont les évêques, les évêques qui choisissent, qui délèguent les professeurs des petits séminaires, à qui ils donnent seuls l'investiture; les évêques qui, par conséquent, sont responsables devant l'Église et devant l'État, et qui, à ce double titre, doivent évidemment rester les juges souverains des doctrines comme du caractère de ceux qu'ils appellent à l'honneur d'être leurs collaborateurs.
    A droite. Très bien ! très bien!
    Mais ce qui m'étonne, messieurs, c'est la prétention des membres dc la commission du budget des cultes, - cette prétention est réellement singulière; ­ d'être sur ce terrain les meilleurs défenseurs de la religion .. (Rires approbatifs à droite) contre les ultramontains, c'est-à-dire sans doute contre les partisans des doctrines romaines, des décisions du concile du Vatican! Comme si, aujourd'hui, ces doctrines n'étaient pas les doctrines de l'Église tout entière ! (Applaudissements à droite, auxquels répondent des applaudissements ironiques à gauche.)
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    Il n'y a qu'une doctrine catholique au monde: celle de l'Église universelle, celle définie, affirmée par les conciles œcuméniques ou par les pontifes infaillibles. Et il pourrait difficilement se faire l'illusion de se croire encore membre de celte Église catholique celui qui n'obéirait pas, non seulement de droit et de fait, mais encore de cœur et d'esprit, à une de ses souveraines et de ses plus solennelles décisions. (Vif assentiment à droite. - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
    J'ai à remercier cependant MM. les membres de la commission du budget des cultes, de n'avoir pas poussé jusqu'au bout l'expression de leur pensée, d'avoir eu cette convenance et ce bon goût de ne pas s'être, après tant d'autres, efforcés de séparer ce qu'ils appellent le clergé inférieur du clergé supérieur, les fidèles d'avec leurs évêques, et les évêques d'avec leur Pontife. Il est vrai qu'à l'instant même il se fût élevé de la poitrine de tous les membres de ce clergé de France, pauvre aujourd'hui mais sincèrement pieux, laborieux, dévoué, et surtout, sur le terrain de la foi, admirablement uni... (Très bien ! très  bien! à droite), il se fût, dis-je, élevé un cri à la fois de protestation et d'amour, pour dire que chez tous, depuis l'humble curé jusqu'à son évêque, depuis l'évêque jusqu'au Pontife suprême, jusqu'à celui qui naguère était le plus aimé, le plus admiré, le plus vénéré qui est aujourd'hui le plus regretté des pontifes, (Applaudissements à droite), jusqu'à celui  que la Providence nous réserve pour demain, pour dire qu'il n'y a qu'un cœur, qu'une chaîne qui rattache les fidèles aux pasteurs et les uns et les autres au chef suprême de l'Église, à celui qui est le représentant autorisé et infaillible de la vérité. (Très bien! à droite,)
    Messieurs, j'arrive à ma seconde partie. (Interruptions.)
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    Je disais donc que, dans le rapport de la commission du budget des cultes, non-seulement on attaque l'Église dans ses dogmes, dans sa discipline, dans son enseignement, mais encore qu'on l'attaque, sous forme de réduction de crédits, dans les ressources nécessaires à sa vie et à son développement dans la société.
    Voyons ce dernier point:
    Je réserve à la discussion des articles et des amendements que nous avons déposés et que nous viendrons défendre, le soin de montrer quelles réductions considérables vous avez faites, soit sur les crédits affectés à l'entretien des jeunes clercs dans les séminaires, et plus particulièrement, messieurs, plus douloureusement peut-être, en Algérie, là où tout est à .faire, remarquez-le bien, en face de populations infidèles. ... (Bruit à gauche.)
    Un membre à gauche. Elles sont fidèles au Coran!
    ... à qui nous n'inspirons pas confiance, parce qu'elles s'imaginent que nous sommes sans culte et sans Dieu. Là où il y a un bien immense à faire, là. où tout est à créer, là surtout où nous avons ouvert un asile à nos frères d'Alsace-Lorraine, catholiques comme nous ; oui ! là, messieurs, où notre cœur devrait être plus généreux et nos mains plus ouvertes; c'est là que nous resserrons notre bourse. .. (Très  bien ! très bien !), que nous nous refusons à créer une colonisation fortement chrétienne, la. seule qui puisse prospérer. (Applaudissements à droite.)
    Mais un amendement sur ce point sera développé, et je passe.
    Je passe également sur la question des édifices diocésains, où une réduction de 600.000 francs est proposée. Je passe sur la question des vieilles cathédrales, qui s'écrouleront si on n'accorde pas les ressources nécessaires pour restaurer ces magnifiques monuments, non  seulement de la foi, mais - j'en prends à témoins nos honorables collègues qui, tout à l'heure, revendiquaient avec tant d'ardeur et de talent les droits de l'art et du génie français, - ces magnifiques monuments non-seulement de la. foi, mais du génie de nos pères. Eh bien, messieurs, ces vieilles cathédrales leur refuserez-vous cette modeste allocation de 300.000 francs, quand vous consacrez des millions à tant de constructions civiles fort importantes, je la reconnais, mais qui ne peuvent entrer en parallèle avec ces témoins vénérables de la France artistique et catholique! (Applaudissements à droite.).
    Mais je ne veux pas m'attarder sur ce terrain, qui sera celui de mes amis.
    Il y a quelque chose de plus grave, de plus significatif que ces rédactions qui peuvent, si l'on veut, se discuter encore. Ce qu'il y a de grave, de significatif, c'est qu'après avoir doté libéralement tous les autres services et fait l'éloge naturel et mérité de leurs représentants, après avoir augmenté certains budgets, comme celui que nous venons de discuter, par exemple celui de l'instruction publique, d'une façon considérable, - et je ne m'en plains, pas pourvu que ses ressources soient bien appliquées, - après avoir augmenté le budget de l'instruction publique d'un nombre considérable de millions, quand vous descendez sur le terrain du budget des cultes, il semble que vous descendez sur une terre absolument ennemie. (Approbation à droite.)
    Et alors, messieurs, alors même que vous ne refusez pas les crédits demandés, vous semblez ne le faire qu'à regret, et vous n'épargnez aucune occasion d'élever des doutes ou sur la légitimité de la dotation, ou sur la capacité ou le mérite des bénéficiaires. De sorte que vous préparez  la voie à ceux qui, plus logiques que vous et tirant les conséquences de vos insinuations funestes, attaqueront tout simplement et tout naturellement les crédits eux -mêmes et demanderont qu'on les fasse disparaître du grand-livre de la dette publique. (Très bien! très bien! à droite.)
    Et cependant, messieurs, jamais dette fut­elle plus sacrée? Ce n'est pas moi qui devrais vous rappeler ce souvenir; nous l'avons subi ce contrat, imposé à l'Église, nous l'avons subi; c'est la Constituante à laquelle vous aimez à vous rattacher qui, prenant en considération la valeur des biens que possédait alors le clergé, biens dont elle reconnaissait d'ailleurs la source respectable puisqu'ils provenaient tant des dons des fidèles faits à charge de bienfaisance publique, que du travail de l'Église elle-même, qui a défriché chez nous, fécondé, créé, pour ainsi dire, le sol national; ce Font vos pères de la Constituante, messieurs, qui, en décrétant que ces biens étaient mis à la disposition de Nation, prirent en même temps en son nom l'engagement solennel  que le budget de l'État fournirait abondamment aux besoins du culte, de ses ministres et de la bienfaisance publique.
    Je reviens ici à l'interrogation d'un de nos collègues. - J'ai oublié son nom, mais je n'ai pas oublié la question. -Il me disait : "Mais ces millions du budget des cultes? "
    Eh bien, messieurs, voilà maintenant l'origine et la justification de ces millions. Ils sont la faible compensation des biens que possédait l'Église. (Exclamations et murmures à gauche.)
    Mais ce budget, si vous vous reportez à son origine dans le grand-livre de la dette publique, vous trouverez - ce que vous ignorez peut-être, - qu'il n'est plus même au chiffre auquel l'avait fixé l'Assemblée constituante; car ce budget de la. Constituante, regardé comme la. première exécution d'un contrat solennel, il était de 55 millions, ce qui aujourd'hui, avec la diminution de la valeur monétaire, représente 80 millions. Voulez-vous faire, messieurs, comme vos pères de l'Assemblée constituante?.

M. Allain-Targé. Le clergé va-t-il vouloir nous donner les biens qu'il a acquis depuis ce temps-là ? (Exclamations à droite.)

M. de La Bassetière. Si j'avais entendu l'interruption, je me ferais un plaisir d'y répondre.
    Il y a un autre grief que je voudrais relever encore au compte de la commission des cultes.
    Je veux parler du recensement de toutes les congrégations et maisons religieuses qu'elle avait demandé déjà l'année dernière, et qu'elle poursuit avec une persévérance infatigable cette année, au risque de préparer, - contre ses intentions bien évidemment, je le reconnais, - de dresser elle-même la future liste des spoliations et des proscriptions futures. (rumeurs à gauche.)
    N'est-il pas à craindre, en effet. qu'en face de ces nombreux monuments créés par la charité de nos pères et confiés par eux à la garde du dévouement religieux, n'est-il pas à craindre qu'un public, égaré par la presse impie ne prenne pour des richesses réalisables, utilisables, si je puis m'exprimer ainsi, ce qui n'est en réalité que la dotation inaliénable de la souffrance et de la misère, en un mot, le patrimoine de la charité? (T'rès bien ! très bien! à droite)
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    Voilà, messieurs, ce qu'a fait la commission du budget des cultes. Elle a attaqué l'Église dans son dogme, dans sa discipline, dans son enseignement ; par la. réduction de crédits, elle a diminué les ressources nécessaires à sa vie dans la société ; elle a poursuivi, dénoncé de zélés et fidèles auxiliaires de l'Église, et, bien que toutes les institutions qu'elle a attaquées, que toutes les libertés qu'elle a menacées ne soient pas l'Église elle-même, c'est en réalité l'Église que l'on a attaquée en elle. En sorte que l'on peut dire que c'est elle qui est désormais livrée, dénoncée, c'est elle que vous abandonnez à la foule comme autrefois le Christ son divin auteur, pour qu'elle vous épargne vous et vos institutions et la société que vous avez la conscience d'avoir imprudemment ébranlée. (Très bien ! à droite.)
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    Un homme que vous aimez, que vous avez aimé du moins, dont vous honorez le souvenir, M. Thiers, disait en parlant de la République qu'il avait bien le droit d'apprécier, puisqu'il avait, je crois, assez contribué à la fonder, M. Thiers disait: Elle sera conservatrice ou elle ne sera pas.
    Eh bien! j'ajouterai - et je suis convaincu que ceux qui l'ont connu intimement ne me contrediront pas, - que M. Thiers aurait ajouté avec moi, parce que c'était le fond de sa pensée: La République sera religieuse ou elle ne sera pas.

M. Vernhes. Religieuse, mais pas ultramontaine!

M. de La Bassetière. Remarquez, messieurs, que je ne dis pas cela par suite de ma situation politique. Je ne parle pas ainsi parce , que je pense que toute nation, comme tout  être organisé, nait avec un tempérament qu'il ne peut modifier profondément sans périr, que la. France a un passé et des traditions qu'elle ne peut oublier, que 1a France est affamée à la fois d'autorité et de liberté, et que la royauté peut seule, dans une juste proportion, les lui assurer. Je fais abstraction, en ce moment. de mes convictions profondes. Je parle de ceux - et ils sont nombreux.- qui, après tant de ruines, de difficultés, de déceptions et d'espérances ajournées ou déçues, seraient tentés de se rallier au gouvernement nouveau, au fait établi, s'ils avaient cru pouvoir y rencontrer les éléments nécessaires à la vie d'un grand peuple. Eh bien, ces conditions, messieurs, en dehors de l'ordre moral et religieux dont vous paraissez vouloir sortir aujourd'hui, vous ne les avez pas, vous ne pouvez pas les offrir.
(Approbation à droite.)
    Certes, je suis loin de mépriser pour mon pays les avantages matériels. Je suis fier de voir mon pays placé à la tête de la civilisation, sous le rapport du développement des richesses, du génie, des sciences et des arts, et ce n'est pas moi que vous détournerez de ce grand tournoi du commerce et de l'industrie, où la France a convié toutes les nations. Sur ce terrain, nous sommes tous d'accord et Français; mais, messieurs, quand il s'agit de fonder une grande nation, et les fondements jetés, pour retenir solidement liées les unes aux autres les grandes assises sociales il faut, messieurs, ce jour-là, autre chose qu'une pensée d'un jour, un autre ciment que celui que celui que peuvent apporter le culte des intérêts, la passion du  bien-être et de la. richesse...
    Un membre à gauche. Le ciment romain! (On rit)
    Je réponds à vos rires, messieurs... Il faut autre chose que le calcul même de la raison et que cette morale indépendante dont vous vous dites si fiers: il faut cet élan fécond de l'âme et des cœurs, ce ciment divin du dévouement et du sacrifice poussé jusqu'à l'oubli de soi-même, jusqu'au mépris de la vie. Et ces grandes choses où les trouvez-vous, dans la même mesure au moins, messieurs, en dehors de la foi religieuse, de la. certitude d'une patrie plus haute dont les immortelles espérances doivent vous récompenser un jour des sacrifices que vous aurez faits pour la patrie terrestre ?  (T'rès bien ! très bien! à droite)
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    Certes, pour les créateurs de l'Union américaine, venus à une heure où la philosophie proclamait bien haut que la raison humaine est un guide insuffisant pour les peuples comme pour les individus, où la science était annoncée comme devant remplacer la foi, où l'intolérance religieuse qui venait de chasser ces émigrants de 1a Grande-Bretagne, semblait devoir les prédisposer à chercher une autre cause que l'élément religieux à leur société naissante , il y avait bien des motifs apparents pour leur faire oublier les enseignements de l'histoire et de l'autorité des anciens législateurs. Messieurs, il n'en fut rien cependant.
    Écoutez le plus grand d'entre eux, Washington, écoutez-le à l'époque la plus solennelle de sa vie, lorsque quittant le pouvoir pour la seconde fois, et ne devant plus y remonter, il adresse à ses concitoyens une sorte de testament politique dans lequel il rappelle les grands principes sur lesquels a été fondée l'Union dont il est à la fois le père et le héros :

M. Cantagrel. Il était protestant!

M. de La Bassetière. Il était protestant, je le sais bien.

M. Cantagrel. A-t-il jamais proposé un budget des cultes ?
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M. de La Bassetière.  Je puis donc  évoquer sans crainte ici le nom de Washington; son titre de protestant ne fait qu'ajouter chez moi un mérite; je ne peux pas être accusé d'exclusivisme ou de partialité.
    A droite. Très bien ! très bien !
    Voici les quelques paroles de l'illustre patriote que vous non plus ne pourrez désavouer:
    " La religion et la morale sont les appuis nécessaires à la prospérité des États. En vain prétendrait-il au patriotisme celui qui voudrait renverser ces deux colonnes de l'édifice social "
    A droite. Très bien ! très bien!

M. Clémenceau. Il n'y a pas de budget des cultes aux États-Unis!
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M. de La Bassetière. Messieurs, il y a des prophéties qui sont faciles, il suffit pour cela d'être logicien. Eh bien, écoutez ma. logique.
    Vous avez dit: " Guerre au cléricalisme! " Eh bien, pour le peuple, le cléricalisme, sachez-le bien, ce n'est plus déjà le catholique, c'est le conservateur. (Exclamations à gauche. - C'est vrai! à droite.)
    Reportez-vous aux élections dernières, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu dénoncer comme clérical un prince de la finance israélite. Etait-il catholique, celui-là? non, il était conservateur... (Interruptions et rires à gauche.)
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M. Albert Joly. On est clérical sans être catholique.

M. de La Bassetière. Eh bien, le clérical ne sera plus bientôt, même l'illustre personnage dont je viens d'évoquer 1e souvenir, le clérical ce sera tout ce qui possède, tout ce qui a autorité, qui a charge d'âmes... (Interruptions à gauche), qui a droit au respect, tout ce qui s'élève au-dessus de la foule.
    Une voix à gauche. Ce n'est pas sérieux!
    Cela est plus sérieux que vous ne croyez, mon cher collègue, et je demande au ciel que vous n'ayez à rendre à mes paroles un trop prompt et trop involontaire hommage. Oui, le clérical, tout ce qui a droit au respect, à la protection de la société;
le clérical, laissez moi le dire, demain ce sera vous !
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    Dans une discussion, en 1844, Dupin aîné disait: "La France est religieuse; mais elle ne veut pas la domination du clergé. " (Très bien ! très bien ! au centre et à gauche.)
    Messieurs, j'accepte cette parole. L'Église ne cherche pas, ne veut pas la domination. (Oh. ! oh ! à gauche). Mais nous demandons pour elle, sinon cette protection légitime, ce secours que, dans toute société bien ordonnée, les deux grandes cités qui se partagent le monde, se doivent donner l'une l'autre, nous demandons pour la cité de Dieu avec le respect qui lui est dû, cette liberté de se dévouer à l'humanité sous toutes les formes, liberté qui est son honneur et son droit, comme sa reconnaissance est pour nous un devoir. (Très bien ! très bien! à droite. - Mouvements divers.)
    Et ce que vous aurez donné ainsi à l'Église, vous l'aurez donné, croyez-le bien, vous l'aurez donné de la même main à la France, à cette France, ne l'oubliez pas, dont l'Église a protégé le berceau, dont elle avait fait la chose la plus grande, la plus noble qui fut sous le soleil; qu'elle n'a pas oubliée aux jours du délaissement et des ingratitudes, qui ne lui fut jamais plus chère que dans les jours de deuil... (Interruptions.)
    Vous savez comment elle est montrée dans nos derniers jours de deuil, ce qu'elle fut sur nos champs de bataille, dans nos hôpitaux, dans nos prisons d'Allemagne. (Nouvelles interruptions à gauche)

M. Allain-Targé. Ne parlez pas de cela!

M. de La Bassetière. Comment? Ne parlez pas de cela ! Partout où la charité chrétienne se porte, il y a honneur à la fois pour l'Église et honneur pour la. France. (Applaudissements sur quelques bancs à droite.) Partout où il y avait un soldat à relever, un blessé à panser... (Interruptions à gauche), partout où il y avait une victime à consoler, elle était là... (Applaudissements à droite.)
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    L'histoire est là, et je défie les contradicteurs. Oui, partout, il y avait là un prêtre ou un religieux français. (Approbation à droite.)

M. Dethou. Pour échapper à l'obligation de servir comme soldat !
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    Plusieurs membres à gauche. Vous n'avez pas le monopole du patriotisme ! - On n'a pas besoin d'aller chez les jésuites pour se faire tuer à l'ennemi !
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M. Guichard, rapporteur.... Il faut avouer que M. le Comte de La Bassetière est ingrat envers la Révolution française, car il lui doit des progrès précieux. Vous l'avez entendu citer comme deux: grands exemples à suivre, deux hérétiques: Washington et le général Graham. Avant la Révolution, partisan dévoué du gouvernement monarchique, il aurait applaudi au serment que, depuis cinq siècles, tout roi de France, à son avènement, prêtait d'exterminer les hérétiques, de bonne foi et de toute sa force, dans tout son royaume et les terres de son obéissance. (Très bien! très bien ! à gauche.)
    Quand on doit un aussi précieux progrès à la Révolution française, et par conséquent à Voltaire qu'on insultait tout à l'heure, il me semble qu'on devrait se montrer plus reconnaissant. (Très bien! à gauche.)

M. de La Rochette. Voltaire était un ami de la Prusse. N'en parlez pas :  c'est un mauvais exemple.
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M. le rapporteur. .... La commission que vous avez chargée de 1a tâche délicate d'examiner la budget du ministère des cultes, a compris dans toute son étendue les droits et les devoirs que lui imposait votre confiance.
    Oui, je puis le dire, nous avons mis de côté tout esprit de parti, nous avons mis de côté, ce qui était peut-être plus difficile, tout système personnel et nous nous sommes uniquement attachés à répondre aux sentiments de la France.
    Eh bien, vous, messieurs, vous qui êtes de votre époque et qui y vivez de la vie do la France, dites-nous, est-ce que nous somme dans l'erreur lorsque nous affirmons que la France veut la plus large liberté de conscience, de religion et de culte. (Très bien! très bien ! à gauche )
    Oui, nous le disons, la France est religieuse, elle est religieuse dans la large limite de la liberté de conscience; elle respecte le prêtre dans l'exercice de son ministère, mais elle le blâme lorsqu'il se sert de son ministère pour intervenir dans les affaires politiques ou civiles; elle le blâme et elle le plaint surtout lorsqu'il est opprimé par une société qui vient faire peser sur lui cette horrible prétention qu'il est sujet du pape et qu'l n'est plus Français. (Applaudissements à gauche et au centre.)
    Oui, messieurs, la religion respectée et les ministres de la religion respectueux de la société et de ses lois; voilà le sentiment de la France et voilà la base de notre droit public dans tous les temps et non pas seulement du temps des prétendus évêques complaisants de Louis XIV. Dans tous les temps de notre histoire, comme le disait M Dupin que vous avez rappelé, la France a voulu la religion, mais non, sous prétexte de religion, qu'on lui imposât la domination pontificale. (Approbation à gauche et au centre)
    Voilà le droit public de la France à toutes les époques et surtout depuis la Révolution de 1789. C'est ce qui résulte de nos déclarations de droit, de nos constitutions nationales, de nos chartes constitutionnelles, de toutes les lois qui régissent les rapports de l'Église et de l'État? C'est là l'idée que nous avons voulu faire prévaloir, et lorsque nous avons vu comment ces lois si françaises étaient aujourd'hui pourtant méconnues, inexécutées, nous avons partagé l'émotion et les inquiétudes du pays, nous avons cru qu'il était de notre devoir de vous signaler l'opportunité d'arrêter des envahissements toujours plus menaçants, et de nous préparer à rentrer dans la légalité. (Très bien! très bien !)
    Ce devoir, nous l'avons accompli; nous l'accomplirons avec une extrême modération, car nous ne venons pas réclamer ici des innovations, des réformes, nous prétendons rester dans la législation existante. Qu'est-ce que nous demandons? Nous ne demandons que le respect de la loi. Et, remarquez-le, nous nous bornons à rappeler la loi, la jurisprudence; nous ne mettons pas même le Gouvernement en demeure d'appliquer cette loi immédiatement; nous nous en rapportons à sa prudence, à son patriotisme, pour prendre des mesures qui permettent au pays d'espérer que, dans un avenir prochain, il n'y aura plus en France, ni de congrégations, ni de partis assez puissants pour braver la loi. (Applaudissements à gauche.)
    Oui, nous sommes le parti de la modération et de la loi, et je demande si nous pouvons en dire autant de nos contradicteurs.
    Il faut bien pourtant poser cette question, car avant de vous livrer un budget de 50 millions. nous avons bien le droit de voir si le clergé remplit ses obligations envers l'État, lorsque l'État remplit les siennes largement en vers lui.
    Messieurs, vous savez que la législation qui règle les rapports de l'Église et de l'État reposent sur deux actes d'une nature essentiellement différente: le Concordat, traité intervenu entre le Gouvernement français et le pape, puis des lois émanées du Gouvernement français, entre autres, celle du 8 avril 1802 et celle du 25 février 1810, qui n'obligent pas le pape, souverain indépendant, mais qui obligent les évêques et archevêques comme tous les autres Français. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
    Cependant, les lois émanées du Gouvernement, celles de 1802 et de 1810, sont complètement méconnues et violées par le clergé.
    Mais ce qu'on ne sait pas, c'est comment est observé le Concordat de 1801. Dans le Concordat, le Gouvernement français s'engageait à reconstituer une partie des anciens diocèses, à assurer le traitement du clergé, enfin à faire tous les frais du culte catholique. D'autre part, le pape reconnaissait l'indépendance complète du pouvoir civil. Cette reconnaissance était tellement absolue que les évêques et les archevêques prêtaient serment à la Constitution française, laquelle Constitution reposait sur la souveraineté nationale, et proclamait la liberté de conscience et l'égalité de tous les cultes .
    Vous voyez donc que, dans le Concordat, ce que le pape rendait en compensation des avantages matériels que le Gouvernement français lui assurait, c'était la reconnaissance de l'indépendance du pouvoir civil, et même de sa suprématie dans les matières mixtes.

    Eh bien, l'État a pleinement exécuté ces conventions; Il les a exécutées dans des limites bien plus larges qu'il ne s'y était engagé, car les lois organiques qui accompagnaient le Concordat n'accordaient pour les 120 départements français de cette époque que 50 évêques et 10 archevêques, tandis que maintenant, pour nos 86 départements français  - Je ne recherche pas 1a causes de nos désastres, - Il y a 17 archevêques et 73 évêques. Ainsi, au moment du Concordat, il n'y avait qu'un évêque pour deux départements, et maintenant, nous avons plus d'un évêque par département.
    Voilà comment l'État a rempli ses engagements,
    L'État, en même temps, disait qu'il rendrait au culte catholique tous les édifices religieux; il ne s'engageait pas à les entretenir, à les compléter, à les reconstruire. Dans le Concordat, il était dit que les évêques auraient le droit d'avoir des séminaires; l'État ne s'engageait pas à leur donner des édifices pour ces séminaires et à doter ces séminaires. Vous savez ce qui en est aujourd'hui. Ainsi, vous voyez qu'en tout l'État a rempli trois ou quatre fois ce qu'il s'était engagé à donner.
     Comment le clergé, lui, a-t-il rempli ses engagements?
    On n'a pas dit que le Concordat est un traité nul; car c'eût été donner un démenti à un acte du pape et en même temps déchirer un titre précieux qui assurait une rente de 50 millions- (Ah ! ah ! - Rires à gauche.) Non! on s'y est pris autrement; on a dit: Au dessus des droits de l'État, il y a le droit de Dieu! Et le droit de Dieu, vous savez, messieurs, ce que c'est dans la doctrine catholique : c'est le droit du vicaire infaillible de Dieu, c'est le droit du pape. Et puis, on a ajouté: Le droit de Dieu est la source unique d'où découle toute autorité légitime pour les hommes.
    Eh bien, avec cette doctrine, qu'est-ce qui reste du Concordat ? qu'est-ce qui reste de l'indépendance du pouvoir temporel à l'égard du pouvoir spirituel? La distinction des deux pouvoirs est anéantie par cette doctrine du parti ultramontain; je dis le parti ultramontain parce que nous devons croire qu'il y a deux partis dans l'Église. Je dis que la doctrine prêchée par le parti ultramontain est inconciliable avec le Concordat.
    Donc, messieurs, d'un côté les lois françaises de 1802 et de 1810 sont complètement inexécutées, de l'aveu même de M. de La Bassetière, qui les a si vivement attaquées à celle tribune.
    Et, d'un autre côté, le Concordat est anéanti en fait, par la doctrine que je viens de vous exposer, - doctrine, messieurs, qui n'est pas autre chose que la traduction voilée, mais la traduction fidèle, de l'ultramontanisme le plus absolu, tel que le proclamaient Grégoire VII et Boniface VIII, qui disaient: Il faut qu'un glaive soit soumis à l'autre, c'est-à-dire la puissance temporelle à la. puissance spirituelle.
    Ainsi nos contradicteurs ne laissent rien subsister du Concordat, pas plus que des lois de 1802 et de 1810.
    Mais maintenant, messieurs, si ces lois leur paraissent ne plus répondre aux besoins de la. France et de l'Église, qui leur a donné le droit de les abroger de leur propre autorité? N'avons-nous pas entendu les hommes les plus autorisés et eux-mêmes nous dire que, lorsque la loi existe, il faut l'observer tant qu'elle n'est pas annulée? Eh bien, qu'ils viennent nous proposer l'abrogation des lois qui régissent les rapports de l'Église et de l'État! qu'ils viennent nous en demander l'abolition! Nous verrons les bonnes raisons qu'ils nous donneront.
    Est-ce que les lois qui ont protégé pendant des siècles la. France contre les usurpations et les envahissements de la cour pontificale n'ont plus de raisons d'être aujourd'hui ?
    Est-ce que l'on peut venir nous soutenir que les congrégations et l'ultramontanisme sont moins entreprenants que du temps de Louis XIV, et que du temps de l'Empire et la Restauration, où déjà on réclamait contre leurs envahissements? Peut-on nous dire que 1a. France a besoin de moins de tranquillité et d'unité qu'autrefois? Encore une fois, qu'on vienne demander l'abolition ou l'amélioration de ces lois, et nous verrons les raisons qu'on nous donnera.

    Nos contradicteurs nous reprochent d'attaquer leurs dogmes et leur foi,
    Je mets M. de La Bassetière au défi de nous désigner un seul mot dans le travail de la commission où il y ait la moindre atteinte aux dogmes ou à la foi catholique.
    On nous dit: " Mais vous demandez que l'enseignement se donne d'après les termes de fa déclaration de 1682 ! " Eh, messieurs! la déclaration de I682 ne date pas que de 1682, elle date du 25 février 1810. C'est une loi contemporaine.
    Ah ! maintenant si le clergé observait fidèlement toutes les autres dispositions des lois et qu'il vint vous dire: Il y en a une que nous ne pouvons pas observer, c'est la disposition qui exige que nous enseignions les articles 2 et 3 de la déclaration de 1682, disposition qui trouble nos consciences; certes, si toutes les autres dispositions de la loi étaient exécutées par le clergé, je vous avoue que, pour ma part, je serais très disposé à m'incliner devant un scrupule de conscience.
    Mais quand nous voyions que toutes les autres dispositions de la loi ne sont pas plus exécutées que celle-là, alors je ne vois plus de scrupule de conscience, je ne vois plus que la doctrine du droit du pape supérieur au droit de l'État et la résolution de ne pas se soumettre aux lois nationales.
    N'est-ce pas une chose étrange que ce soit nous qui défendions ces lois, alors que les auteurs de ces lois sont nos contradicteurs eux-mêmes; car c'est la gouvernement dont ils sont les représentants et les ayants-cause qui les a décrétées. Non-seulement les partisans de 1a monarchie, mais les partisans de l'empire; peuvent-ils oublier que ce sont leurs gouvernements de prédilection qui ont fait ces lois de 1802 et de 1810, et que jusque dans les derniers temps de l'empire, c'est-à-dire en 1865, le Sénat, dans sa réponse au discours de l'empereur, déclarait que les articles organiques, c'est-à-dire la loi de 1802, "constituent un des attributs essentiels de la souveraineté. Ils ne sont qu'une défense contre les abus possibles du dehors et du dedans- La France ne les laissera pas périmer-"
    Comment se fait-il qu'à si peu de distance, vous, partisans de ces deux monarchies, vous oubliiez. que c'est vous qui avez fait ces lois? que c'est vous qui les défendiez comme des lois qui importaient au plus haut degré à la dignité et à l'indépendance du pays? Que s'est­il donc passé depuis qui vous a fait changer d'idée? La puissance et les prétentions du parti ultramontain ne sont- elles pas plus grandes, plus menaçantes que jamais? Qu'est­ce qui vous empêche donc de soutenir ces lois qui sont votre œuvre?
    Ah ! depuis ce temps il s'est passé un grand événement: c'est que la France est en République- Et alors peut-être, - oh ! je dis peut-être, - ne vous croyez-vous pas aussi obligés à défendre les intérêts de la France quand elle est sous un gouvernement qui n'a pas vos sympathies. (Applaudissement à gauche, ­ Dénégations à droite.)
    Eh bien, il y a un point sur lequel nous devons être tous d'accord: c'est que quand les gouvernements tombent, la patrie survit, et le devoir survit avec la patrie ! (Vives marques d'adhésion à gauche.)
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    Les gouvernements sont tombés pour ne plus se relever, et les peuples ont perdu leur rang dans le monde au profit des peuples qui ont su défendre leur liberté religieuse, première condition de la liberté politique. (Nouveaux applaudissements à gauche.)
    Aussi, messieurs, sommes-nous heureux de dire que la France a toujours suivi cette grande tradition nationale de la résistance à l'influence du parti ultramontain et de la Cour pontificale qui, sons prétexte de religion, voulaient faire peser leur domination sur la France comme sur tous les autres gouvernements.
    Oui, nous avons suivi cette tradition nationale lorsque, le 4 mai dernier nous avons signalé à 1a France le danger des manifestations ultramontaines et la nécessité de rentrer dans l'application des lois. Et aux élections du 14 octobre, c'est la. France entière qui a voté l'ordre du jour du 4 mai! (Approbation à gauche et au centre.)
    Aujourd'hui, forts des précédents les plus mémorables de notre histoire, forts de l'arrêt souverain du suffrage universel, nous venons dire avec confiance aux ministres de la République : L'État remplit et veut remplir ses obligations envers le clergé, mais l'Église doit remplir ses obligations envers l'État, et la première de ces obligations, c'est le respect, c'est l'observation des lois, c'est la fidélité au pays ! (Applaudissements répétés à gauche et au centre.)
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Après l'annonce des obsèques de Claude Bernard, l'Assemblée se séparera pour examiner à la séance suivante les chapitres. personne n'en demandera l'annulation.