19 septembre : Grâce présidentielle pour Dreyfus
Chambre des députés
5 décembre 1899
Budget des cultes
M. Maurice Berteaux. C'est un sermon que vous allez faire.
M. Gayraud. Vous n'en entendez pas trop, monsieur Berteaux! (On
rit.) Messieurs la commission du budget supprime les crédits
affectés à trente-sept évêchés ou
archevêchés
qu'elle qualifie de "non concordataires". Les suppressions atteignent
une
somme de 370,000 Ir.
La commission supprime ensuite les traitements de
tous les vicaires généraux sans exception (Très
bien ! à gauche), en tout 482.500 fr.; enfin elle supprime
les
indemnités accordées à 7.000 vicaires des
paroisses
rurales, ce qui donne 3.150.000 francs.
Je suis persuadé que le Gouvernement voudra
bien accorder une fois de plus l'appui de sa parole (Mouvements
div'e'rs).
et c'est pourquoi je n'insiste pas du tout pour le maintien de ces
crédits.
(Très bien! très bien ! à gauche.) Du
reste,
ni les raisons d'équité, ni les raisons de bon sens, ni
les
raisons de sagesse politique ne manqueront à M. le ministre de
l'intérieur
et des cultes pour amener la majorité de cette Chambre à
maintenir ces crédits.
................
Tout d'abord, permettez-moi do vous faire
observer qu'il est étrange de voir la dotation du clergé
diminuer sans cesse dans notre pays de France, alors qu'elle va sans
cesse
en augmentant dans tous les pays étrangers.
............
Une seconde remarque que je désire
présenter
à la Chambre, c'est que la commission du budget s'est
préoccupée
de réduire les traitements des ministres du culte catholique et
de les ramener, si je puis employer cette expression, à la
pauvreté
concordataire; mais elle ne s'est nullement mise en peine de
réduire
les traitements des ministres protestants ou israélites.
Messieurs, je ne viens pas demander ici qu'on
réduise
les traitements des ministres de ces deux cultes.
..................
M. Jourde. Les pasteurs sont mariés, ils ont des enfants,
et ils n'ont pas de casuel.
M. Paul Gouzy. El ils n'ont pas le produit des quêtes !
M. Gayraud. Donnez un traitement suffisant au clergé,
et il ne fera plus de quêtes, il n'y tient pas du tout, je vous
l'assure.
......................
Dans la séance du 1er décembre 1894,
Mgr d'Hulst répondant à des interruptions de MM.
Jaurès
et de DouvilleMaillefeu, s'exprimait ainsi :
" Je continue de voir dans la rente servie par
l'État
à l'Église catholique en France le rachat du capital qui
a été incorporé à la nation; mais, dans
l'avenir,
je considère la liberté vraie et pleine d'association
pour
tous, pour nous comme pour les autres et au même titre, comme un
bien si grand qu'il me consolerait amplement de la perte, même
injustement
subie, des ressources assurées par le budget des cultes. "
Vous voyez bien, messieurs, que le budget des cultes
n'est pas pour nous un bien supérieur à tout; vous voyez
bien que nous préférerions au budget des cultes la
liberté
vraie et pleine d'association pour tous. Tout à l'heure, le
rapporteur
des services pénitentiaires, l'honorable M. Goujat, demandait au
côté droit de la Chambre si nous serions disposés
à
voter la liberté d'association. Mais certainement, messieurs,
nous
voterons la liberté d'association. Nous sommes de ceux qui,
depuis
plus de cinquante ans, qui depuis quatrevingts ans, demandent la
liberté
d'association. Mais nous voulons une liberté d'association
pleine
et entière. (Ah! ah ! à l'extrême gauche.)
Oui, nous la voulons pour nous comme pour les
autres;
et si vous nous apportez un projet de loi sur la liberté
d'association
qui nous fasse, à nous catholiques, une place égale
à
celle qu'elle fera à tous les autres citoyens, oui, nous
voterons
avec vous cette loi sur la liberté d'association. Mais si vous
nous
apportez ici des projets de loi sur la liberté d'association qui
n'aient qu'un but, celui d'étrangler les associations
religieuses,
eh bien, non ! nous ne voterons pas ce projet de loi. (Très
bien
! très bien ! à droite.)
.................
Sans doute, nous reconnaissons les avantages que
fait le Concordat à l'Église catholique. Non seulement le
Concordat a permis la réorganisation du culte catholique en
France,
non seulement il a permis la rénovation et le
développement
de la vie catholique dans notre pays, mais il fait à
l'Église
catholique, chez nous, une situation légale, officielle, que je
n'hésiterai pas à qualifier de privilégiée.
En outre, il accorde au clergé catholique une dotation à
titre d'indemnité ............
..............
Croyez-vous qu'il n'y ai que des avantages dans
ce contrat passé entre l'État et le Saint-Siège ?
Croyez-vous que ce n'est pas un inconvénient pour
l'Église
catholique que d'être fonctionnarisée et réduite
à
l'État de de rouage administratif ? Croyez-vous que ce que ce ne
soit pas un inconvénient pour l'Église catholique que
d'être
privée de ses conciles, privée de son autonomie, de son
indépendance,
même en matière spirituelle et religieuse ? Croyez-vous
qu'il
n'y ait que des avantages à ce que les chefs de l'Église
catholique, les évêques et les curés, soient
nommés
par le Gouvernement ? Ne pensez-vous pas que ce soit là - ... -
une servitude dure à porter ? .... (Vives interruptions
à
gauche et à l'extrême gauche. - Très bien !
très
bien ! à droite.)
Un membre à gauche. Vous l'avez
acceptée
!
............
Croyez-vous que ce ne soit pas une servitude dure
à porter, alors que pendant tant de siècles
l'Église
a vécu sous le régime du libre suffrage pour
l'élection
de ses chefs ?
...................
Enfin, messieurs, croyezvous que ce ne soit
pas un inconvénient que les articles organiques ajoutés
au
Concordat et contre lesquels le Saint-Siège n'a cessé de
protester ?
Que sont-ils ces articles organiques? Ils sont tout
simplement l'ancien régime maintenu et aggravé pour
l'Église
catholique. J'aurai l'honneur de vous le dire tout à l'heure: je
ne veux d'ancien régime ni comme catholique ni comme
Français.
M. Chenavaz. Vous voulez être le maître !
M. Gayraud. Non, monsieur; je veux être libre, ni plus ni moins. (Très bien! très bien ! à droite. )
M. Chauvière. On
ne peut être libre avec vous
.
M. le président. Je voudrais bien que l'orateur
fût
libre de parler. (Très bien! très bien!)
M. Gayraud. Vous voyez par ma discussion que je suis sans
enthousiasme
pour le Concordat. et, si je n'en demande pas la dénonciation,
je
vais dire pourquoi très simplement : c'est parce que je redoute
une servitude plus étroite et une oppression plus
intolérable.
Voilà, m'essieurs, toute ma pensée sur la politique
anticoncordataire.
(Bruit à gauche)
.............
... la suppression de ces traitements
ecclésiastiques serait une cause de troubles non seulement dans
trente-sept archevêchés et évêchés,
mais
dans la France tout entière.
...................
Je suis convaincu que votre politique
anticoncordataire
aboutirait sans tarder à des persécutions violentes.
Pourquoi
? Mais ,
tout simplement parce que vous nous refuseriez les libertés
nécessaires, les libertés essentielles. Il faut la
liberté
à l'Église catholique pour vivre, et nous l'exigerions de
vous, nous citoyens catholiques, non pas
précisément
à titre de catholiques, ce titre vous laisserait
indifférents,
mais à titre de citoyens français, en vertu du
respect
des consciences qui est l'une des bases de
notre
démocratie. En vertu de ce droit, nous vous demanderions une
mesure
de liberté que vous nous refuseriez: la liberté
d'association
complète pour former des paroisses, pour former des
diocèses,
pour former enfin des congrégations religieuses; la
liberté
entière de réunion afin de pouvoir nous assembler pour
les
cérémonies du culte ; la liberté des relations
internationales,
puisque l'Église est catholique et qu'elle doit avoir des
rapports
suivis, constants avec l'Église romaine et toutes les autres
églises
de l'univers. (Bruit à gauche.) Nous réclamons
enfin
pour l'Église et pour les diverses associations ou
congrégations
religieuses le droit de propriété.
Eh bien, messieurs, je le sais, ces libertés,
vous nous les refuseriez.; et par conséquent vous seriez
vous-mêmes
amenés, comme l'ont été vos pères de l791,
de 1792 et de 1793, à la persécution. violente.
Qu'on résulterait-il? Un trouble profond
dans le pays, et peut-être le renversement de nos institutions. (Bruit.)
C'est parce que je suis ami de la paix de mon pays, ami de l'ordre
public
et de la prospérité de la France, que je repousse une
politique
qui doit aboutir fatalement à des conséquences aussi
épouvantables.
(interruptions et gauche.)
.............
On dit, messieurs, que la séparation des
Églises et de l'État est dans la logique du principe de
la
Révolution. Quel est ce principe? la neutralité en
matière
de croyances religieuses et de culte. Je ne fais aucune
difficulté
d'avouer qu'en effet je considère qu'étant posé ce
principe, on doit aboutir à la séparation des
Églises
et de l'État. Mais, messieurs, permettez-moi de vous faire
remarquer
que ce principe n'est pas si sacré que l'État y manque
très
souvent. Ce que nous reprochons, nous, à l'État, c'est
précisément
de violer à notre détriment cette neutralité que
vous
prétendez être un des principes de la Révolution
française.
Dailleurs, l'on ne gouverne pas les peuples avec des théories
abstraites
; il faut que l'homme politique tienne compte des faits. Je ne suis pas
de ceux qui nient la nécessité d'avoir des principes en
politiques
et des principes très élevés.
Mais j'ajoute que ces principes ne doivent pas
être
considérés dans l'absolu comme le philosophe les
considère
dans son cabinet ; ils doivent être appliqués dans les
faits
contingents. Quels sont les faits qui dominent la question que vous me
permettez d'agiter devant en ce moment devant vous ? Les voici : La
religion
n'est pas un phénomène de conscience intime ; la religion
est un phénomène social ; elle amène l'individu
à
produire des actes et comme particulier et comme citoyen ; elle
amène
l'individu à se créer des intérêts
spéciaux
dans la société dont il fait partie. Voilà
pourquoi
la religion n'est pas un simple phénomène de conscience
intime,
mais un phénomène social.
C'est le premier fait. Voici le second:
l'Église
catholique n'est pas une société religieuse qui lie les
consciences
des hommes dans un domaine surnaturel sans rapports avec la vie
sociale;
elle agit sur l'homme tout entier, individu, père de famille et
citoyen; elle préside à tous ses devoirs. Et voilà
pourquoi elle est une puissance publique, une puissance fortement
organisée
et, comme ou l'a dit à cette tribune, une puissance morale de
premier
ordre.
C'est le second fait qui domine la politique des
États à légard de l'Église catholique. Il y
en a un troisième: le catholicisme, quoi que vous en pensiez,
que
ce soit conforme ou non à vos désirs, que vous
l'approuviez
ou le désapprouviez, l'Église catholique est la religion
traditionnelle de la France, et il n'est pas possible que le
gouvernement
français fasse abstraction de quatorze siècles de notre
histoire.
Ces trois faits : le phénomène social
de la religion, la puissance publique et organisée de
l'Église,
le caractère traditionnel du catholicisme en France, dominent
toute
la question des rapports de l'Église et de l'État. Et
voilà
pourquoi je conclus que, quelles que soient les conséquences
théologiques
qu'on puise tirer de la neutralité de l'État en
matière
de religion, en fait il n'est pas possible en France d'organiser un
État
neutre à l'égard de l'Église catholique ;
voilà
pourquoi je conclus qu'il faut, entre l'Église catholique et
l'État
français, un Concordat. J'ajouterai maintenant que si vous
voulez
croire qu'il y a lieu de réviser le Concordat existant
aujourd'hui
entre la France et le Saint-Siège, je n'y vois pour ma part
aucune
difficulté. Le Concordat actuel est un Concordat
napoléonien,
ce n'est pas un Concordat démocratique ; et si vous voulez le
réviser
sur des bases démocratiques, je crois que ce changement
paraîtrait
désirable à beaucoup de gens.
Oui, on pourrait, par exemple, se demander si
l'article
1er du Concordat, où il est dit que la religion catholique doit
être exercée librement en France, on pourrait, dis-je, se
demander si, dans cet article n'est pas implicitement contenue la
liberté
des congrégations religieuses. On pourrait se demander encore
si,
dans l'article 15 où il est parlé de mesures
à
prendre pour autoriser les fondations en faveur des Églises, il
n'y aurait pas moyen de trouver là le point de départ de
l'acheminement vers l'abolition du budget des cultes.
.....................
M. le président du conseil, dans son discours
du 16 novembre dernier, a manifesté tout d'abord son profond
respect
pour le Concordat. Sur ce point, j'estime que nous sommes pleinement
d'accord
à condition que, par respect du Concordat, on entende non
seulement
le respect de la lettre, mais l'esprit dans lequel le Concordat a
été
fait.
En second lieu, M. le président du conseil
s'est déclaré, jusqu'à un certain point,
l'adversaire
des congrégations religieuses.
............
Certaines associations, a dit M. le président
du conseil, certaines milices, chaque jour plus grandissantes, chaque
jour
plus menaçantes, par un paradoxe singulier, entendent
revendiquer
de la République des privilèges qu'elles n'auraient
jamais
obtenus de la monarchie. (Très bien! très bien!
à
gauche.)
...........
Mais monsieur le président du conseil, le
régime républicain serait-il tellement identique au
régime
de l'absolutisme royal qu'on ne puisse réclamer à la
république
ce qu'on ne pouvait réclamer à la monarchie ? Monsieur le
président du conseil, n'avons-nous pas, nous aussi, le droit de
réclamer de la déclaration des droits de l'homme ? Les
représentants
du clergé à l'Assemblée constituante de 1789 ne se
sont-ils pas joints au tiers-état ......
M. Paul Gouzy. Depuis ce temps-là, le Syllabus a dit : "Anathème à ceux qui croient aux droits de l'homme". (Applaudissements à gauche)
M. le président. Oh ! si nous discutons le Syllabus
à six heures et demi ! (On rit) Revenons au budget, je
vous
prie.
....................................................
7 décembre 1899
.........
M. Tourgnol, rapporteur. M. l'abbé Gayraud me
permettra tout d'abord de lui dire que ma surprise a été
très grande de l'entendre s'élever contre 1a
séparation
de l'Église et de l'État.
Sur divers bancs à droite, Dites :
Des Églises ...
... et de demander le maintien du Concordat, alors
qu'il me disait avant-hier, dans les couloirs de la Chambre (Mouvements
divers) qu'il était partisan au moins autant que moi de la
séparation
de l'Église et de l'État. Et M. l'abbé
Gayraud ajoutait : Soyez assuré que nous trouverons plus
d'argent
que nous n'en voudrons pour assurer la rétribution du
clergé
catholique.
...................
Mais je ne reviens pas, messieurs, sur la question
de la séparation des Églises et de l'État, puisque
votre commission du budget l'a écartée deux fois, que
cette
Chambre a refusé de la voter et que d'ailleurs le Gouvernement
nous
a promis une loi sur les associations qui donnera , je l'espère,
toutes satisfactions aux républicains .
Je consens donc à vivre avec vous, monsieur
l'abbé, sous le régime concordataire ....
M. Lasies. Il n'y a pas d'abbé ici.
M. le marquis de La Ferronnays. Il n'y a que des citoyens,
des
représentants du peuple
...........
M. le rapporteur. ..Il est un article de la Déclaration
des droits de l'homme me qui dit que chaque citoyen doit contribuer
pour
sa part aux besoins du pays. Il doit participer notamment aux
impôts.
Eh bien! monsieur l'abbé, montrez-nous votre façon de
contribuer
aux charges publiques? Vos couvents payent-ils les impôts?
M. Gayraud. Mais certainement !
M. le rapporteur. C'est pour cela sans doute que le
Gouvernement
est forcé d'intenter des centaines de procès à vos
congrégations sur toute la surface du territoire pour les
obliger
à payer les droits d'accroissement.
Vous dissimulez toujours votre fortune
mobilière
et immobilière.
Les actes que vous passez avec des civils pour
tromper
le fisc, comment les qualifiezvous? Observez-vous sur ce point la
déclaration des Droits de l'homme ?
Un membre à gauche. Et la
déclaration
des droits de succession. (On rit.)
.............
Ah ! vous prétendez que nous vous
persécuterions
... Vous savez très bien que nous n'avons jamais
persécuté
personne.
......
Vous savez très bien que s'il y a des
persécutés,
ce sont les civils qui sont exploités et
persécutés
par vos congrégations. (Exclamations à droite.)
Et
vous le savez aussi bien que moi. (Bruit.)......
......
Je dois cependant reconnaître avec vous que
notre clergé séculier est parfois
persécuté,
et souvent même; mais, par qui ? Par vos congrégations?
M. Gayraud. Voilà qui est nouveau !
M. le rapporteur. C est un fait nouveau, dites-vous? C'est ce que vous avouera tout membre du clergé, depuis le dernier curé de campagne jusqu'au plus haut placé des archevêques : ils vous diront que les évêques ne sont pas maîtres chez eux; que les lazaristes les tiennent prisonniers et aussi les jésuites et les assomptionnistes.
M. Gayraud. Vraiment!
M. le rapporteur. On vous dira que le clergé français est élevé, instruit, formé, depuis la Révolution, par les lazaristes qui ont mis la main sur au moins 60 ou 70 départements et sur plusieurs paroisses.
M. Gayraud. Vous forcez un peu les chiffres.
M. le rapporteur. Mes renseignements sont officiels. Les lazaristes ont même fait mieux. Ils ont fondé une foule de collèges libres très populeux et même de petits séminaires. La loi dit que dans les petits séminaires on n'admettra que des jeunes gens qui se destinent à la prêtrise. Eh bien, est-ce que les petits séminaires tenus par les lazaristes, notamment à Lyon et à Nice, est-ce que les établissements libres des jésuites qui couvrent le sol de la France n'ont que des élèves destinés à la prêtrise, ainsi que l'exige la loi ?
M. Gayraud. Cet enseignement ne regarde pas les jésuites.
M. le rapporteur. Les jésuites n'ont même pas
le
droit d'être en France. (Très bien! très bien!
à
gauche. - Interruptions à droite) .........
.............
M. le président : ...J'ai reçu de MM. Charles
Bernard, Cluseret, Stanislas-Ferrand, Castelin, Morinaud, Firmin Faure,
Drumont, Marchal, Pierre Richard, Goussot, Girou, Ernest Roche,
Paulin-Méry,
Paul Bernard et Vacher une motion ainsi conçue :
"La Chambre invite le Gouvernement à lui
présenter un projet de loi, à bref délai, de
séparation
des Églises et de l'État"
M. Charles Bernard
: ...
Après avoir entendu les discours prononcé ici par M.
l'abbé
Lemire et par M. l'abbé Gayraud, nous restons partisans de la
séparation
des Églises et de l'État ; mais nous voulons pour ce pays
la liberté absolue d'association ainsi que le demandait M.
Goblet,
qui n'était pas suspect de cléricalisme. Nous voulons la
liberté pour tous ; le Gouvernement qui est sur ces bancs se
réclame
de cette formule et peut nous apporter un projet sur la liberté
d'association. Nous serons partisans de la séparation des
Églises
et de l'État lorsque la liberté sera égale pour
tous
les citoyens français et non le privilège de quelque- uns
comme vous le voulez. (Applaudissements sur quelques bancs à
l'extrême gauche.)
Voilà pourquoi nous avons l'honneur avec
quelques camarades de cette Chambre d'inviter le Gouvernement de
défense
républicaine à reprendre l'ancien programme
républicain
et à le faire aboutir ...
Voix à droite : L'avis du
Gouvernement
!
... ou sinon, nous serions obligé de
retourner
devant le pays et lui dire que vous avez menti à vos promesses
et
qu'au lieu d'être un ministère de défense
républicaine,
vous n'êtes qu'un ministère de Tartufes. (Vives
protestations
sur de nombreux bancs. - Applaudissements sur plusieurs bancs à
l'extrême gauche. - Bruits)
A gauche : A l'ordre !
M. le président :Je rappelle M. Charles Bernard
à
l'ordre avec inscription au procès-verbal. (Interruptions
à
l'extrême gauche et à gauche.)
La parole est à M. le
président
du conseil.
M. Waldeck-Rousseau,
président du conseil, ministre de l'intérieur et
des
cultes : Messieurs, en répondant à M. Charles
Bernard,
je défère au désir qui a été
exprimé
par un de nos collègues qui demandait l'avis du Gouvernement sur
la motion dont la Chambre a été saisie.
Cet avis est aisé à formuler, et M.
Charles Bernard, il me semble, l'a laissé prévoir. Il a
invoqué
ici l'autorité d'un homme politique, l'honorable M. Goblet. C'est
avec les paroles de M. Goblet et avec sa politique que je
vais
lui répondre.
M. Goblet était partisan de la
séparation
de l'Église et de l'État. Il a dit à plusieurs
reprises,
notamment en 1887, qu'aussi bien dans l'intérêt des droits
de l'État que dans l'intérêt des droits de la
conscience,
la séparation ne pourrait être accomplie qu'après
que
le Parlement aurait voté une loi sur les associations.
J'ai
d'autant mieux le droit de rappeler cette formule que le projet dont
nous
avons saisi la chambre (3
semaines
plus tôt) - j'éprouve quelque regret
à
le dire - je l'avais déjà déposé
après
le ministère Gambetta en 1882. je l'ai déposé de
nouveau
au moment du ministère Ferry.
(On rit.)
Je considère en effet que le vote
de cette loi sur les associations est une préface
nécessaire
; j'en indique un motif de plus : c'est que depuis ce
dépôt,
certains faits se sont produits, certains
événements
se sont accomplis, et ma conviction entière est à l'heure
actuelle que la séparation de l'Église et de
l'État,
sans nulle préparation, ne se ferait ni au profit de
l'État,
ni au profit de l'Église, mais au profit des
congrégations.
(Applaudissements à gauche.)
M. le président. Je
vais mettre aux voix le projet de résolution de M. Charles
Bernard.
M. Bondenoot et plusieurs de
ses collègues .Nous en demandons une nouvelle lecture,
monsieur le président.
M. le président. Plusieurs de nos collègues
demandent une nouvelle lecture du projet de résolution.
Il est ainsi conçu :
« La Chambre invite le Gouvernement à
lui présenter un projet de loi, à bref délai, de
séparation des Eglises et de l'Etat.»
Je mets aux voix cette motion.
Il y a une demande de scrutin, signée de MM.
Borie, Stanislas-Ferrand, Paul Bernard, Turigny, Chiché, Girou,
Cluseret, Firmin Faure, Argeliès, Millevoye, Castelin, Ernest
Roche, Ferrette, Drumont, etc.
Le scrutin est ouvert.
...
(La motion ne recueille que 128 voix contre 328)
M. Firmin Faure : 128 anticléricaux seulement ! Encore une faillite des radicaux ! (Bruits.)
M. lé président. Nous arrivons à
l'amendement
de M.. Chauvière, tendant à supprimer les chapitres 1
à
25, relatifs au budget des cultes.
....................
M. Chauvière. Ce que nous demandons et continuons
à
demander, malgré ce qui vient de se dire et malgré le
vote
acquis, c'est la suppression du budget des cultes. C'est d'accord .....
avec les républicains, bien que depuis longtemps nous soyons
habitués
à être battus surtout par un certain nombre de nos amis
partisans
de la république et, par la suite, partisans de la
liberté
de penser.
Les catholiques espèrent que plus
d'indépendance
leur donnera plus de puissance. Nous, c'est simplement la
liberté
de penser qui nous anime et nous inspire. Nous ne réclamons que
le droit de penser comme il nous plaît sans que le Gouvernement
puisse
rétribuer les membres d'un culte ou d'une opinion quelle qu'elle
soit.
Une objection qui nous est toujours
présentée
c'est qu'il faut d'abord établir la liberté d'association
par le dépôt d'un projet de loi sur les associations,
comme
on l'a fait récemment, comme on l'a fait il y a dix ans et comme
on le fera peut-être encore bien longtemps.
Depuis que je suis dans cette Assemblée,
j'ai pu, comme beaucoup d'autres l'ont constaté de même
avant
moi, me convaincre que les projets analogues avaient tous subi le
même
sort : l'enfouissement dans les cartons des commissions. Nous ne savons
quand viendra cet heureux instant qui nous permettra du même coup
d'obtenir la séparation des Églises et de l'État.
amendement repoussé par 336 voix contre 189 ( il y avait
plus
de députés présents que lors du
précédent
vote ?)
..................