Décret du 21 février 1795


    La Convention Nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète :
 

    Art. Ier Conformément à l’article VII de la déclaration des droits de l’homme, et à l’art. CXXII de la constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé.

    II. La République n’en salarie aucun.

    III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres.

    IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice.

    V. La loi ne reconnaît aucun ministre de culte : nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.

    VI. Tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque, est soumis à la surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de sûreté publique.

    VII. Aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit. Aucune inscription ne peut désigner le lieu qui lui est affecté. Aucune proclamation ni convocation publique ne peut être faite pour y inviter les citoyens.

    VIII. Les communes ou sections de commune, en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l’exercice des cultes.

    IX. Il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour en acquitter les dépenses.

    X. Quiconque troublerait par violence les cérémonies d’un culte quelconque, ou en outragerait les objets, sera puni suivant la loi du 22 juillet 1791 sur la police correctionnelle.

    XI. Il n’est point dérogé à la loi du 2 des sans-culotides, deuxième année, sur les pensions ecclésiastiques, et les dispositions en seront exécutées suivant leur forme et teneur.

    XII. Tout décret dont les dispositions seraient contraires à la présente loi, est rapporté ; et tout arrêté opposé à la présente loi, pris par les représentants du peuple dans les départements, est annulé.
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C'est Boissy D'Anglas qui était l'auteur du "Rapport sur la liberté des cultes, fait au nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis."

Voici ce qu'écrivait Albert Soboul dans "La Révolution française" (Terrains/Editions Sociales):
    La séparation de l'Église et de l'État avait été instaurée en fait par le décret du 2e sansculotides an II (18 septembre 1794) : par raison  d'économie, Cambon fit supprimer ce jour-là le budget de  l'Église assermentée; la Constitution civile du clergé était ainsi implicitement rapportée et l'État complètement laïcisé. Les mesures contre les prêtres réfractaires demeurèrent cependant en vigueur et les églises fermées. Mais à mesure que la réaction s'affirma, bien des Français regrettant les anciennes cérémonies religieuses, les fidèles en vinrent à réclamer l'ouverture des églises. Le Culte civique trop intellectuel et maintenant dépouillé de tout  caractère patriotique et démocratique, ne pouvait plus exalter les sans-culottes.
    Les prêtres constitutionnels rétablirent peu à peu leur Église: ainsi dans le Loir-et-Cher dont l'évêque Grégoire réclama l'entière liberté de culte, le 1er nivôse (21 décembre 1794). Cependant les prêtres réfractaires, dits curés à la valise dans le Nord célébraient clandestinement la messe aveugle.
    La liberté de culte ne pouvait plus rencontrer d'obstacle, dès lors qu'elle avait été accordée aux rebelles vendéens par la pacification de La Jaunaye, le 29 pluviôse an III (17 février 1795).
    Le 3 ventôse (21 février), sur le rapport de Boissy d'Anglas, la Convention autorisa le culte dans les édifices que les prêtres et les fidèles pourraient se procurer. La séparation était confirmée et les églises conservées au culte décadaire, Le culte demeurait privé; tous les prêtres pourraient le célébrer à condition d'avoir prêté au moins le serment du 14 août 1792, à la liberté et à l'égalité, dit le petit serment; les sonneries de cloche, le port de l'habit ecclésiastique, les subventions publiques demeuraient strictement interdits. Le culte constitutionnel se réorganisa aussitôt sous la direction de Grégoire qui publia Les Annale la religion. Les prêtres romains qui avaient prêté le petit serment firent paraître Les Annales religieuses, politiques et littéraires. Les réfractaires développèrent plus que jamais le culte clandestin, s'opposant aux constitutionnels en de multiples conflits :
    "En recréant des catholiques, écrivait Mallet du Pan le  17 mars 1795, la Convention recrée des royalistes... Pas un prêtre qui ne fasse à ses ouailles un cas de conscience de son attachement à ce régime. "
    Le mécontentement des catholiques persista. Pour le faire taire, la Convention était prête aux dernières concessions : au même moment elle était aux prises avec une opposition populaire que multipliait la crise économique.

Quant à Yan Fauchois, il écrit dans " Religion et France révolutionnaire" ( Editions Herscher)
    Principale victime de la déchristianisation, l'Église constitutionnelle ne sera pas pour autant la grande bénéficiaire de la détente qui suit le 9 Thermidor (27 juillet 1794).
    Le 5 août, la Convention décrète que "les ci-devant ministres du culte, religieux et religieuses pensionnés de la République toucheront sans délai (...) l'arriéré des sommes qui leur sont dues", Le 18 septembre, Cambon obtient la suppression du budget des cultes: ils seront entièrement à la charge des fidèles. Cette mesure favorise finalement les réfractaires: le pied d'égalité sur lequel elle met les ecclésiastiques désavantage en fait le clergé constitutionnel, comme l'expose Cambon en présentant son décret: "les ci-devant ministres du culte, qui n'ont pas abdiqué leurs fonctions, ont cru trouver dans cette dernière loi ( du 5 août) les moyens de conserver leur ancien état; ils ont demandé le traitement affecté à leurs places", Opposé à cette "prétention élevée par la cupidité", Cambon souligne que le décret considérait précisément les "ci-devant" ministres du culte: par conséquent les prêtres constitutionnels en étaient naturellement exclus; qui plus est, il serait juste de favoriser ceux qui se sont rangés du côté de la Révolution, c'est-à-dire les abdicataires,
    Mais plus que ce décret de septembre 1794, c'est le texte voté le 21 février 1795 qui inaugurera réellement le régime en vigueur jusqu'au Concordat.

LA LIBERTÉ DE CULTE EST RÉTABLIE
    Le 21 décembre 1794, dans une intervention remarquée, Grégoire demande que l'on décrète que les autorités garantissent "à tous les citoyens l'exercice libre de leur culte, en prenant les mesures que commandent l'ordre et la tranquillité", Pour Grégoire, il est de "droit naturel" que chaque citoyen puisse exercer son culte. La foi du citoyen est "hors du domaine de la politique", sauf que les "sectateurs" doivent jurer fidélité aux dogmes politiques: le gouvernement se devra de proscrire "une religion qui n'admettrait pas la souveraineté nationale, la liberté, l'égalité, la fraternité dans toute leur étendue". On ne peut donc, selon Grégoire, mettre sur le même plan des prêtres qu'il accuse d'avoir prêché le carnage en Vendée, et ceux qui contribuaient au même moment à fonder la République,

    C'est d'abord dans l'Ouest, où elle apparaît comme un moyen de la politique de pacification, que la liberté de culte est rétablie: dans le Morbihan, le 15 janvier 1795, puis en Vendée à la mi-février, où la liberté de culte fait partie des accords de La Jaunaye conclus entre Charette et les représentants de la Convention. Le 21 février enfin, la Convention vote le décret institutionnalisant la séparation de l'Église et de l'État: la République ne salarie aucun culte, ne fournit aucun local; l'exercice du culte, sans marques extérieures, circonscrit sous la surveillance des autorités, ne devra pas être troublé. Le 30 mai, à la suite d'un rapport de Lanjuinais, la Convention décide de restituer au cuIte les églises non vendues comme biens nationaux.
    En mars, Grégoire forme avec quatre de ses collègues, Saurine, Gratien, Royer et Desbois de Rochefort évêques assermentés comme lui, un comité pour tenter de rendre vie à ce qui reste du clergé constitutionnel. Le 15, ces "Évêques réunis" publient une lettre encyclique où ils se félicitent de la séparation de l'Église et de l'État et reconnaissent que la Constitution civile du clergé n'existe plus. Le clergé assermenté n'ayant collectivement aucun titre de gloire à opposer au prestige que la persécution a donné aux réfractaires, Grégoire va se montrer très strict sur le plan de la discipline; il rejette les brebis galeuses, prêtres mariés ou apostats.
    Mais cette intransigeance, nécessaire pour conjurer l'image d'un clergé sans vertu, profitera pourtant encore une fois aux réfractaires : ces derniers se montrent plus souples que les "gallicans réunis" et acceptent d'accueillir, individuellement, les jureurs qui le souhaitent, après amendement de leurs erreurs dans les formes. Grégoire et ses amis se heurtent à l'éternel problème du recrutement de leurs troupes; de plus, ils ont à faire face à une difficulté juridique: la neutralité de l'État est reconnue en matière religieuse, mais la Constitution civile du clergé n'est pas officiellement abrogée; qui va donc convoquer les assemblées électorales ou organiser les élections destinées à combler les vides dans les rangs des assermentés?..
    Le clergé constitutionnel se retrouve ainsi bloqué par l'État alors même que celui-ci est censé le libérer de son emprise. Il faut attendre le premier concile national, au milieu de l'été 1797, pour qu'il élabore un règlement intérieur, sans toutefois que les évêques parviennent à une complète reprise en main de leur clergé paroissial, la Terreur ayant distendu les liens disciplinaires. Les constitutionnels vont alors chercher à se rapprocher du clergé romain pendant un moment, tentative sans aucune chance de réussite et qui ne contribuera pas à leur attirer la sympathie des autorités du Directoire. Seuls les succès des réfractaires montreront que les ex-constitutionnels ne sont pas complètement inutiles au Directoire, même si celui-ci est plus enclin à favoriser l'édification d'une morale civique sur la base d'un enseignement public laïc, d'un système de fêtes et du culte décadaire, tout en encourageant pour un temps, en 1797, un culte développé selon une initiative privée, la théophilanthropie
C'est Bonaparte qui offrira son dernier rôle à ce clergé moribond: celui de faire-valoir dans les négociations concordataires.
 

    Dans son rapport préliminaire, Boissy d'Anglas s'était livré à une critique de la politique religieuse de la Constituante: "Au lieu de détruire, elle voulut créer; organiser au lieu d'abolir. Elle ordonna pour la religion un établissement pompeux et dispendieux, presque aussi vaste que celui qu'elle avait détruit". De plus, "elle laissa se former un schisme et ne sut jamais le réprimer". Enfin, avait déclaré Boissy, "Vous êtes parvenus à rendre étrangère au gouvernement une puissance longtemps sa rivale (.. .). Le cœur de l'homme est un asile sacré, où l'œil du gouvernement ne doit pas descendre (.. .). Surveillez donc ce que vous ne pouvez empêcher; régularisez ce que vous ne pouvez défendre (.. .). Gardez-vous bien de faire pratiquer avec enthousiasme dans les souterrains ce qui se pratiquerait avec indifférence, avec ennui même, dans une maison privée" ...